samedi 14 novembre 1998

CHILI: LES ANNEES PINOCHET. GLADYS, TORTURÉE, SE BAT CONTRE L'OUBLI.

. GLADYS, TORTURÉE, SE BAT CONTRE L'OUBLI. 
Journaliste arrêtée en 1975 et détenue plus de deux ans, Gladys Diaz a témoigné en Espagne 
Olivier ZITOUN 
À l'époque, tous les gens pensaient que j'étais folle. Un voyage aussi long et coûteux pour aller faire des déclarations à un juge espagnol dans le cadre d'une enquête qui, au Chili, ne signifiait pas grand-chose.» Tels sont les souvenirs que garde la journaliste chilienne Gladys Diaz de son voyage en Espagne, en octobre 1997. Elle avait appris que le juge Manuel Garcia Castellon enquêtait sur les disparitions de citoyens espagnols au Chili.

Depuis plusieurs années, Gladys raconte, inlassable, son passé de prisonnière et celui des détenus qu'elle a connus. Elle intervient dans des écoles, collèges, lycées, universités; elle est devenue une habituée des palais de justice. «C'est une question de loyauté envers mon compagnon, qui a disparu, et de tous les autres.» Arrêtée le 20 février 1975 pour ses activités de journaliste et son engagement au sein du MIR, mouvement d'extrême gauche; portée disparue pendant trois mois, elle a été retenue à la Villa Grimaldi, l'un des pires centres de torture de Santiago. Trois mois d'horreur pendant lesquels elle a été torturée à l'électricité. Elle a ensuite passé deux ans au camp de détention de Tres Alamos, séjour entrecoupé de nouveaux «stages» à la Villa Grimaldi.

Lors de l'un de ces passages à Grimaldi, elle a rencontré une citoyenne espagnole, Michelle Peña Herreros, alors enceinte de huit mois, qui aujourd'hui fait partie de la liste des disparus espagnols. Sa détention a toujours été niée par le régime militaire, et c'est notamment sur cette affaire que le juge Baltasar Garzon souhaiterait interroger Pinochet. Libérée du camp de Tres Alamos, Gladys s'est exilée; elle n'est revenue au Chili qu'en 1989. Un peu plus d'un an après son voyage à Madrid, Gladys a toujours du mal à réaliser le «cadeau» que constitue l'arrestation de Pinochet. «Je n'avais jamais pensé que cela pourrait arriver. J'espérais simplement qu'après le jugement d'un tribunal étranger, Pinochet ne pourrait plus quitter le pays.» Bien que Pinochet soit toujours très protégé dans son pays, elle ne désespère pas de le voir un jour jugé ici: «Le pouvoir judiciaire chilien aura désormais une autre attitude. Il n'y aura pas de réconciliation sans vérité ni justice. Il est nécessaire de savoir où sont les corps des disparus. Les militaires doivent reconnaître leurs actes, demander pardon et aller en prison.» Mais ce besoin de justice exige aussi un travail d'information. Or Gladys déplore la disparition d'un journalisme indépendant. Depuis 1988, la plupart des médias de gauche ont fermé leurs portes. «Les journalistes, explique-t-elle, sont devenus des agents de relations publiques du pouvoir. Il n'y a plus de journalisme d'investigation ou d'analyse. Les journaux sont devenus des entreprises qui cherchent à ne heurter personne pour ne pas perdre de la publicité.» La censure économique est ainsi venue s'ajouter au réflexe d'autocensure hérité des années de dictature. «Le Chili a été longtemps paralysé par la peur. Depuis deux ans, le pays commençait à comprendre ce qui s'est passé. Mais cette disparition de la peur reste très fragile.» .

Olivier ZITOUN Santiago, correspondance.

vendredi 23 octobre 1998

L'EX-DAME DE FER THATCHER À LA RESCOUSSE DE PINOCHET. POLÉMIQUE APRÈS SON ÉLOGE DE L'ANCIEN DICTATEUR CHILIEN.


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GRAFFITI À LONDRES
PHOTO NOAZ
Londres, intérim.
« Il a tellement fait pour sauver la vie de certains citoyens britanniques!» Cette phrase extraite d'une lettre écrite par Margaret Thatcher et publiée hier dans le quotidien The Times a suscité une vive polémique dans l'opinion publique et de violents débats au Parlement entre députés conservateurs et travaillistes. L'ancienne Dame de fer a critiqué avec vigueur l'arrestation du dictateur chilien et l'attitude adoptée par le gouvernement de Tony Blair vis-à-vis de celui qu'elle considère comme «un ami fidèle des britanniques durant la guerre des Malouines contre l'Argentine en 1982».

Margaret Thatcher a confirmé au quotidien avoir reçu à son domicile il y a deux semaines le général Pinochet et que ce dernier avait pris l'habitude lors de ses escales en Grande-Bretagne de lui faire envoyer des fleurs et des chocolats. L'ancienne Première ministre britannique a tenu à préciser également qu'il ne revenait «ni à l'Espagne ni à l'Angleterre d'intervenir dans les affaires intérieures du Chili». Avant d'ajouter: «Tony Blair va recevoir la semaine prochaine le président argentin Carlos Menem dont le pays a illégalement envahi un territoire britannique, causant la mort de 250 Britanniques. Il serait honteux de prêcher la réconciliation avec l'un et maintenir l'arrestation de l'autre.»

Les organisations de défense des droits de l'homme ont immédiatement réagi aux propos de Margaret Thatcher pour souligner qu'à aucun moment l'ancienne Première ministre conservatrice n'évoque le sort des disparus et les violations des droits de l'homme sous le régime Pinochet. Ann Clwyd, la députée travailliste qui milite pour l'ouverture de poursuites judiciaires, estime pour sa part que Margaret Thatcher ne respecte pas la légalité: «Pinochet a du sang sur les mains, et tous les dictateurs doivent savoir que tôt ou tard ils devront répondre de leurs crimes.»

Pendant ce temps-là, les avocats du général Pinochet ont décidé de lancer un recours auprès de la Haute Cour de justice de Londres. Ils contestent les conditions d'arrestation de l'ancien dictateur chilien et demandent une mise en liberté immédiate. Agé de 82 ans, Pinochet est depuis vendredi dernier en état d'arrestation dans une clinique de Londres où il s'était fait opérer du dos, à la demande d'un juge espagnol qui veut obtenir son extradition et le faire juger en Espagne pour torture, génocide et terrorisme, pour les crimes attribués à la junte qu'il a dirigée au Chili de 1973 à 1990. Le juge doit encore obtenir l'approbation des autorités judiciaires espagnoles et du gouvernement pour poursuivre son action.

En Espagne, la pression monte: selon un sondage, la population plébiscite l'action du juge Baltasar Garzon et 72,5% des personnes interrogées approuvent l'arrestation. Cette large majorité demande également au gouvernement conservateur d'accepter de transmettre à Londres la demande d'extradition qui devrait être formulée début novembre par le magistrat de l'Audience nationale (principale instance pénale). Le ministre des Affaires étrangères Abel Matutes a en outre affirmé que le gouvernement transmettrait la demande d'extradition et est prêt «à agir dans la direction indiquée par les tribunaux».

Par ailleurs, le retour au pays du président chilien Eduardo Frei semble avoir momentanément calmé les esprits, alors que l'armée lui a renouvelé sa confiance. L'appel à la sérénité lancé par Frei à son arrivée à l'aéroport de Santiago aurait convaincu les militaires de ses bonnes intentions, suite à sa rencontre en Espagne avec le chef du gouvernement, José Maria Aznar. En France, L'ONG les Nouveaux Droits de l'homme a demandé au Premier ministre Lionel Jospin d'intervenir pour que la France, après l'Espagne, demande l'extradition de Pinochet si Madrid se désistait de sa demande.