dimanche 22 février 2009

Conchita Cintron

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Conchita Cintrón salue le public après la mise à mort de son premier taureau de 320 kg , Tijuana, Mex., 1941. © Hulton Deutsch Collection/Corbis
Le 9 août 1922 naît Consuelo Cintron Verril à Antofogasta (Chili). Son père, Francisco, militaire de nationalité portoricaine, fut le premier à intégrer, à titre étranger, l'Académie militaire de West Point. Expédié au Panama, 65e régiment d'infanterie de l'armée américaine, il rencontre Loyala Verril, jeune Irlandaise qu'il épouse. Conchita suit la petite famille à Lima (Pérou) dans les premières semaines de 1923. Francisco pantoufle dans le commerce des sodas étatsuniens.

Elle, elle devient la starlette de l'école d'équitation cornaquée par Ruy da Camara, natif du Portugal. Ce cavalier aux manières de prince l'initie à la tauromachie à cheval. Elle s'y révèle avec éclat. En janvier 1936, elle débute en public. Comme elle n'a que 14 ans, on ne lui permet pas d'estoquer le taureau. La plaza d'Acho est pleine à craquer. Sa beauté irradiante fait le reste.

Un Mexicain basané, Chucho Solorzano, lui apprend à toréer et estoquer à pied. Elle fait ses débuts au Mexique en juin 1939. Puis, de succès en succès, entre dans la plaza de la consécration, celle de Mexico. La tauromachie à cheval se pratique en costume du campo"rejoneadores" : prononcer quelque chose comme "rrehoneadorra"), cet art, cette pratique exigent une vivacité, une force, un amour très singuliers des animaux. (les terres libres où vivent les taureaux), chapeau noir ou gris perle à bords plats, gilet brodé, cache-poussière en cuir finement ouvré. Les taureaux sont épointés, ce que réprouvent à juste titre les aficionados sérieux. L'art des toreros ou toreras à cheval (que l'on nomme

"DÉESSE BLONDE"

Jusqu'en 1943, Conchita Cintron torée uniquement en Amérique du Sud, 211 corridas au total, et estoque 401 taureaux. Elle défile avec les plus grands toreros à pied de son époque : Armillita, Luis Procuna, Silvio Perez, lequel invente son surnom de "Déesse blonde".

Elle traverse les mers en bateau et débute en Espagne sous la houlette de Martial Lalanda, torero historique, qui à cette époque dirige les carrières d'Antonio Ordoñez et des frères Vazquez, Pepe Luis (le mythe) et Manolo (le valeureux). Soient les plus "artistes" des toreros de leur temps.

En avril 1945, elle foule le sable doré de la Maestranza, la plaza de Séville, sa Scala, sa Fenice. Et vite après, Las Ventas, à Madrid, devant un novillo de Garcigrande, élevage fameux dont on peut voir une tête aux murs d'un boui-boui de Belleville (Paris).

L'Espagne franquiste interdit aux femmes de descendre de cheval. Pourtant, Conchita Cintron excelle à la cape et se conduit plus qu'honorablement à la muleta. Sans oublier ses estocades franchement courageuses qui impressionnaient Ordoñez.

Elle passe la frontière par le col d'où Carmen et son fougueux nigaud Don José sont natifs, puisqu'ils se reconnaissent en parlant basque. Une Gitane bascophone, c'est aussi rare qu'une déesse blonde qui torée à cheval. Le 3 août 1947, Conchita débute dans les arènes de Bayonne. Sa beauté, son charisme, sa blondeur, un mélange de dignité portée à l'extrême et de force vive, lui valent une réputation qui se répand partout.

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Elle torée à Paris aussi bien qu'au Stadium de Toulouse. En France, elle se retire le 1er octobre 1950. Quinze jours plus tard, elle met fin à sa carrière à Jaen. Jaen est cette ville andalouse où, épisode bien trop peu exploré, de Gaulle est venu secrètement rencontrer Franco après avoir, en 1969, quitté le pouvoir. Qu'avaient-ils à se dire ? Parler de dictature ? de répression ? de l'OTAN ? Non : de Conchita Cintron qui n'eut jamais le droit d'estoquer en Espagne.

Elle, elle se retire au Portugal, épouse un cavalier du nom de Branco qui produit de petits films en super-8, et finit, mère de nombreux enfants, aux côtés d'un industriel lisboète. En 1991, à 69 ans, elle accepte de sortir de sa retraite pour conférer l'alternative à Marie Sara "rejoneadora" blonde à la carrière magnifique. A l'époque, Marie Sara partage la vie de Simon Casas, grand rénovateur du système taurin de France et toutes les Espagnes. (Bourseiller),

Qu'avait bien pu inventer Simon Casas pour convaincre Conchita Cintron de reparaître, splendide, altière, déesse blonde aux reflets d'argent, sous le soleil des arènes à Nîmes, le 21 septembre 1991 ? Causeur sublime, mixte imprévisible de Jacques Lacan et Roland Dubillard, il n'est pas impossible qu'il ait improvisé pour elle les dialogues de Franco et de Gaulle à Jaen.

Toujours est-il que Marie Sara vient de dire sa tristesse, ce qu'elle doit à Conchita Cintron, son émotion d'avoir été la seule femme adoubée par la déesse blonde, plus, non sans mystère, cette délicate impression : "Par la suite, je l'ai croisée plusieurs fois, au Portugal, et je me suis aperçue que la vie n'était pas si drôle que cela. Une véritable diva s'en est allée."

Francis Marmande