mardi 12 octobre 2010

AMNISTIES ET JUSTICE EN AMÉRIQUE LATINE


La Cour suprême uruguayenne a jugé anticonstitutionnelle une loi permettant aux officiers d'échapper à des poursuites pour des crimes commis lors de la dictature militaire. Les Uruguayens, qui votent dimanche pour élire leur président, seront également consultés par référendum sur l'annulation de cette loi d'amnistie. Retour sur les lois d'amnistie et les procédures judiciaires en Amérique latine.
Par Catherine Gouëset

Argentine: dictature, 1976-1982

Les sept années de dictature ont été marquées par une brutale répression à l'encontre des opposants (30 000 morts et "disparus") qui a pris fin avec la débâcle de la "guerre des Malouines. Les principaux dirigeants de la junte ont été jugés en 1985. Le général Videla et l'amiral Massera ont été condamnés à la prison à vie. En 1986, le gouvernement de Raul Alfonsin a voté une loi du "point final", puis un an plus tard, la loi du " Devoir d'obéissance" qui mettait fin à la mise en accusation de militaires pour violations des droits de l'homme du temps de la dictature. En mai2003, le nouveau président Nestor Kirchner a annoncé dès son investiture qu'il allait mettre fin à l'impunité. Trois mois plus tard, 45 anciens militaires, dont l'extradition est réclamée par l'Espagne ont été arrêtés et le décret interdisant l'extradition de criminels de la dictature annulé. En juin 2005, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles les lois d'amnistie du "Point final" et du "Devoir d'obéissance".

Bolivie: dictature, 1964-1982

La loi d'amnistie date de 1982. En 1986, des poursuites ont été engagées contre l'ex-dictateur Garcia Meza et son ministre de l'intérieur Luis Arce Gomez. ils ont été condamnés à 30 ans de prison en 1992.

Brésil: dictature, 1964-1985

Si elle a précédé les dictatures d'Argentine et du Chili, la dictature brésilienne n'a pas atteint leur niveau de répression (400 morts et disparus). En août 1979 le vote d'une loi d'amnistie "des crimes politiques et connexes" apermis le retour des exilés politiques au Brésil, mais protégé également les tortionnaires. Exigée à l'époque par des milliers de manifestants, cette loi a constitué une étape vers la restauration d'un régime civil. Les 50 000 prisonniers politiques avaient progressivement retrouvé la liberté, et les exilés étaient rentrés au pays. En octobre 2008, l'Association des avocats a demandé à la Cour suprême de décider si les violences exercées par des militaires et des policiers pouvaient être amnistiées. Les familles des victimes demandent aujourd'hui une révision de la loi d'amnistie, pour pouvoir de juger les anciens tortionnaires. A l'occasion du trentième anniversaire de cette loi, le ministre de la justice, Tarso Genro a déclaré qu'il en souhaitait la révision et demandé que la Cour suprême se prononce rapidement sur le sujet.

Chili: dictature, 1973-1989

La dictature a été mise en place après le coup d'Etat du général Pinochetcontre Salvador Allende. La répression a surtout eu lieu au cours des premières années de la dictature.

Une loi d'amnistie a été promulguée dès 1978 par le général Pinochet lui-même. Le rapport de la Commission nationale Vérité et Réconciliation mise en place au retour de la démocratie, (Rapport Rettig) recensait 2 279 morts et disparus. Alors que le général Pinochet était toujours en fonction à la tête de l'armée, le document évitait soigneusement le mot "dictature" et personne n'était mis nommément en cause. Plusieurs dirigeants ont néanmoins été jugés et condamnés, dont le chef du service de renseignements, le général Contreras, notamment pour l'assassinat, à Washington, d'Orlando Letelier, ancien ministre de Salvador Allende. Le général Pinochet lui-même n'a pas été jugé au Chili avant sa mort en 2006, bien que la Cour suprême ait levé son immunité parlementaire en 2000.

Sous la présidence de Ricardo Lagos, en 2004, le rapport de la commission Valech faisait état de 29 000 victimes, dont 3 000 morts et disparus.

La justice a arrêté, le 1er septembre, plus de 100 militaires et policiers pour complicité dans des violations des droits de l'homme sous la dictature.

Guatemala: guerre civile, 1960-1996

Ce petit pays a connu la guerre la plus brutale de toute l'Amérique latine avec 150 000 morts et 45 000 disparus. L'impunité y est la règle ; L'ancien dictateur, Efrain Rios Montt, poursuivi par la justice espagnole, n'a jamais été inquiété dans son pays ; il a même pu se présenter à l'élection présidentielle de 2003. Pour la première fois, fin août, la justice a condamné à 150 ans de prison un ancien représentant des militaires pour la disparition de six Indiens, une première dans ce pays.

Paraguay: dictature, 1973-1985

La dictature du général Stroessner a duré de 1954 à 1989. 360 000 personnes sont passées par les prisons du régime. L'estimation du nombre de disparitions et d'assassinats d'opposants varie de 1 000 à 3 000 personnes selon les sources. Deux millions de Paraguayens ont préféré l'exil à ce régime brutal. Des lois d'amnistie ont été votée en 1984 et 1990.Condamné par contumace en 1992 pour crimes contre l'humanité et atteintes aux droits de l'homme, Alfredo Stroessner est mort en 2006 à Brasilia, où il vivait dans un confortable exil.

Pérou: guérilla et contre insurrection, 1980-2000

En 1995, une loi controversée adoptée sous le régime d'Alberto Fujimori a amnistié les membres des forces de l'ordre faisant l'objet d'accusation ou de condamnation pour violations des droits de l'homme, commis au nom de la lutte contre la guérilla. En 2003, une Commission de la vérité et de la réconciliation a rendu son rapport sur les violences commises entre le déclenchement de la guérilla du Sentier lumineux et la chute du régime d'Alberto Fujimori. Le Sentier Lumineux est tenu pour responsable de près de la moitié des 70 000 morts de cette guerre ; son chef, Abimaël Guzman a été condamné à la prison à vie en 2006. En avril 2009, l'ex-président Fujimori a été condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité.

Salvador: guerre civile, 1979-1992

Les douze années de guerre civile ont fait plus de 70 000 morts. La loi d'amnistie a été décrétée en 1993 par Alfredo Cristiani (issu de l'Alliance républicaine nationaliste –Arena-), à la suite du rapport de la Commission vérité. La figure la plus emblématique de l'impunité est l'archevêque de San Salvador, Monseigneur Romero, assassiné en 1980. Roberto D'Aubuisson, fondateur de l'Arena est considéré comme le commanditaire de cet assassinat, pour lequel personne n'a jamais été condamné. La victoire de la gauche au printemps dernier a ranimé le débat sur une éventuelle abrogation de l'amnistie.

Uruguay: ductature, 1973-1985

La loi "Caducité de la Prétention Punitive d'État" a été votée en 1986. En avril 1989, les Uruguayens, dans la crainte du retour des militaires, ont renoncé par référendum à abroger cette loi. Un premier procès a néanmoins eu lieu en 2006 contre des militaires qui ont été condamnés. En avril 2009, une pétition a réuni suffisamment de signatures pour demander un nouveau référendum sur l'abrogation de la loi d'amnistie ; celui aura lieu le jour des élections générales, le 25 octobre. En août, le parquet a requis 45 ans de prison contre l'ancien dictateur Juan Maria Bordaberry (1973-1976). En octobre, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la lo de "caducité", et Gregorio Alvarez, président de 1981 à 1985, reconnu coupable du meurtre de 37 Uruguayens, a été condamné à 25 ans de prison.