mardi 29 novembre 2011

LIÈGE : DÉCÈS DE SERGIO POBLETE, LE GÉNÉRAL QUI AVAIT TENU TÊTE À PINOCHET

SERGIO POBLETE EST DÉCÉDÉ VENDREDI 25 NOVEMBRE 2011 À L'ÂGE DE 93 ANS.
Survient le coup d'état du général Pinochet, le 11 septembre 1973. Sergio Poblete est un des rares militaires qui restent fidèles à Allende. Il passera deux ans en prison, jusqu'à ce qu'il soit expulsé vers la Belgique, à la demande du gouvernement belge.

L'ex-général s'installe à Liège en 1975. Il y commence une nouvelle vie dans l'aéronautique. Il milite au sein du parti socialiste et poursuit le combat contre la dictature de Pinochet.

Des années durant, il conservera au frais une bouteille de champagne pour fêter la mort du dictateur. Il avait enfin pu la déboucher le 10 décembre 2006.

9 mois plus tôt, Sergio Poblete avait pu retourner pour la première fois dans son pays natal. Pour y assister à l'investiture de la nouvelle présidente du Chili, Michelle Bachelet, la fille du général Alberto Bachelet, son ancien compagnon de cellule.

La cérémonie du dernier hommage à Sergio Poblete, suivie de son incinération, se déroulera au crématorium de Robermont, ce mercredi 30 novembre.
Martial Giot

vendredi 25 novembre 2011

CHILI : AFFRONTEMENTS ENTRE ÉTUDIANTS ET FORCES DE L'ORDRE

DES MILLIERS D'ÉTUDIANTS DE L'AMÉRIQUE LATINE LORS DE CETTE PREMIÈRE MOBILISATION CONTINENTALE PAR UNE ÉDUCATION PUBLIQUE GRATUITE ET D'UNE QUALITÉ. À SANTIAGO, À BOGOTÁ, AU BUENOS AIRES, GUAYAQUIL, SÃO PAULO OU COSTA RICA ON EXIGE LA FIN DES POLITIQUES  NÉOLIBÉRALES DANS L'ÉDUCATION PROMUES PAR LA BANQUE MONDIALE.
Au moins 2000 personnes dans la matinée, 10’000 en fin de journée selon les organisateurs, ont défilé lors de deux manifestations distinctes, comme le mouvement étudiant en a convoqué une quarantaine depuis mai. Mais avec une participation en baisse sensible ces dernières semaines.

Des incidents épars ont opposé tôt le matin en divers points de la capitale la police et de petits groupes d’émeutiers en cagoules, puis les heurts se sont renouvelés dans la journée à la fin de la marche, et de nouveau en début de soirée, autour de barricades improvisées de pneus enflammés. La police a indiqué avoir arrêté 58 personnes au long de la journée.
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ANDRES CHADWICK PIÑERA ANCIEN COLLABORATEUR DE LA DICTATURE MILITAIRE DE PINOCHET, COUSIN DU CHEF DE L'ETAT ET PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT. 

Le gouvernement a dénoncé les nouvelles mobilisations, «qui sont vraiment de trop, ne génèrent plus que de la gêne. Les gens se demandent vraiment: jusqu’à quand?», a déclaré le porte-parole du gouvernement , secrétaire général de la présidence, cousin du président et ancien collaborateur de la dictature militaire, Andrés Chadwick Piñera.
Au Parlement, la majorité de droite qui tient la Chambre des députés, et l’opposition de gauche, majoritaire au Sénat, mènent des tractations serrées sur le budget de l’Education, qui doit être approuvé avant le 30 novembre.

Les étudiants réclament depuis des mois que la part du budget consacrée à l’Education soit rapprochée des normes des pays développés, et du minimum (7%) recommandé par l’Unesco. Elle est de l’ordre de 4,5% au Chili.

Etudiants, lycéens et enseignants sont mobilisés depuis le mois de mai pour réclamer la réforme d’un système éducatif aux grandes disparités entre privé et public. Il réclament surtout un fort réinvestissement de l’Etat dans l’enseignement public, délaissé depuis les politiques libérales sous la dictature (1973-1990).)

jeudi 24 novembre 2011

LES ÉTUDIANTS CHILIENS MAINTIENNENT LA MOBILISATION

Les manifestants demandent en priorité un réinvestissement fort de l’Etat dans l’enseignement public. L’Etat s’était désengagé dans les années 1980, lors de l’application des politiques libérales de la dictature. La prise en charge des écoles publiques a été déléguée aux autorités locales. Une délégation qui a créé de grandes disparités, de moyens et de qualité de l’enseignement proposé entre les établissements publics et privés.

ENFIN, LE DIALOGUE ?

Les autorités chiliennes entament déjà des consultations en vue d’apporter quelques éléments de réforme. Un effort budgétaire  dans le domaine de l’éducation sera ainsi effectué pour 2012. Il sera voté le 30 novembre prochain au plus tard.
Jaime Gallardo, dirigeant du principal syndicat enseignant, affirme que le gouvernement lui acheminera incessamment des propositions sur une dé-municipalisation de l’éducation. L’opposition socialiste applaudit des deux mains cette ouverture au dialogue du gouvernement. Elle juge toutefois les propositions budgétaires insuffisantes.  
Manifestants et policiers anti-émeutes se sont affrontés durant les deux jours de la manifestation. Les forces de l’ordre ont utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre les protestataires. Une personne qui portait un fusil à air comprimé a été arrêtée par la police. Des cocktails molotov ont été également saisis dans des sacs à dos appartenant à des jeunes. Au-delà du système éducatif, la protestation chilienne s’inscrit dans un ras-le-bol plus générationnel contre les gouvernements en place. Le président Sebastian Piñera reste très impopulaire et la colère de la rue pourrait bien se reporter sur une autre revendication.

mercredi 23 novembre 2011

UN MAIRE PINOCHETISTE REND HOMMAGE A UN MILITAIRE CRIMINEL

Responsable de plus de soixante meurtres et disparitions de personnes, et de cruelles atrocités même sur des femmes enceintes, le militaire à la retraite est condamné à plus de cent ans de prison, et il est écroué au pénal Cordillère, une des prisons cinq étoiles spécialement conçues pour les militaires inculpés des violations aux droits de l’homme.

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LE MILLIARDAIRE SEBASTIAN PIÑERA, PRESIDENT DU CHILI ET CRISTIAN LABBE, ANCIEN AGENT DE LA DINA, EX BERET NOIR ET ACTUEL MAIRE DE PROVIDENCIA POUR LE PARTI UDI, UN DES AXES DU GOUVERNEMENT PINERA.
Cristián Labbé, qui devait ces jours ci intervenir à une conférence à l’université d'Équateur, a été déprogrammé à la dernière minute et privé de parole à l’assemblée, en raison de ses liens avec des militaires assassins et son passé au service de la répression sous la dictature de Pinochet.

Des parlementaires de l'opposition et des membres d'organisations de droits de l'homme ont présenté une plainte contre le maire de Providence.  Plus de 3000 personnes,
des anciennes victimes et rescapés des maisons des horreurs, des avocats parties civiles dans des procès contre les bourreaux, des religieux et militants de gauche ont manifesté devant le club Providencia leur rejet à l’acte réalisé dans un local municipal, qui mettait à l’honneur un criminel.
MIGUEL KRASSNOFF MARTCHENKO, EX-COLONEL D’ARMÉE, S’EST VU REFUSER LA PROMOTION À GÉNÉRAL EN 1998 EN RAISON DE SON LOURD PASSÉ DANS LA RÉPRESSION POLITIQUE. IL A ALORS QUITTÉ OFFICIELLEMENT L’ARMÉE MAIS RESTE TRÈS PROCHE DES CERCLES MILITAIRES.  VÉRITABLE EMBLÈME POUR LES ANCIENS TORTIONNAIRES ET PROTÉGÉ PAR LA TRÈS PUISSANTE « FAMILLE MILITAIRE » –QUI OPÈRE AU CHILI COMME UNE MAFFIA–, IL A ÉTÉ EMBAUCHÉ DANS LES STRUCTURES PARALLÈLES DE L’ARMÉE MÊME INCULPÉ DE CRIMES. FILS D’UN ANCIEN S.S. FUSILLÉ PAR LES ALLIÉS, MIGUEL KRASSNOFF, QUI A COMMANDÉ PLUSIEURS UNITÉS D’EXTERMINATION SOUS PINOCHET ET POSSÈDE UN EGO SUR-DIMENSIONNÉ, SE CONSIDÈRE LUI-MÊME COMME UN « SOLDAT COSAQUE », VICTIME DE SON ENGAGEMENT PATRIOTIQUE, PERSÉCUTÉ PAR LA « BÊTE ROUGE ». L’ACTIVITÉ DU 21 NOVEMBRE ÉTAIT LE LANCEMENT DE LA 4EME ÉDITION DE SA BIOGRAPHIE, PAR GISELA SILVA, QUI CIRCULE DANS LES GROUPUSCULES D’ULTRA DROITE.

En décembre dernier, Miguel Krassnoff et autres douze bourreaux chiliens ont été jugés à Paris pour arrestation et séquestration arbitraire, accompagnées de tortures et actes de barbarie sur des citoyens français au Chili. Krassnoff a été alors condamné par contumace à 30 ans de prison.

VOLCAN CHILIEN PUYEHUE : DES VOLS ANNULÉS

Dans la capitale uruguayenne, une dizaine de vols ont été annulés ou reprogrammés, dont des liaisons des compagnies Aerolineas Argentinas, American Airlines, Iberia, Sol Lineas Aereas et TACA.

Selon Laura Vanoli, directrice de la Météorologie aéronautique uruguayenne, les perturbations dues au nuage de cendres devraient durer "toute la journée". Le volcan Puyehue, dans le sud du Chili, est entré en éruption le 4 juin après un demi-siècle de sommeil, dégageant à répétition des nuages de cendres qui perturbent le trafic aérien des pays sud-américains voisins et jusqu'en Océanie.

mardi 22 novembre 2011

HOMMAGE À L’ASSASSIN MIGUEL KRASNOFF MARCHENKO


FUNA À L’ASSASSIN MIGUEL KRASNOFF. « FUNA »  AU CHILI EST UNE MANIFESTATION DE DÉNONCIATION ET DE RÉPUDIATION PUBLIQUE CONTRE UNE PERSONNE OU LE GROUPE QUI A COMMIS UNE MAUVAISE  ACTION. ELLE S'UTILISE POUR DÉNONCER  LES PARTICIPANTS À D'ACTES OU DES VIOLATIONS AUX DROITS DE L'HOMME SOUS LE RÉGIME MILITAIRE
Que dans un pays qui se targe d’être redevenu une «démocratie», des criminels convaincus d’assassinats, jugés et condamnés à de lourdes peines par la justice chilienne, soient l’objet d’hommages publics soutenus par des autorités politiques en dit long sur le manque de reconnaissance des crimes de la dictature. Cela montre l’absence totale d’esprit de «réconciliation» dont se sont réclamés les gouvernements, les églises et les forces armées depuis plus de vingt ans.

Dans des pays ayant subi, et par la suite jugés les crimes nazis, il serait légalement impossible de rendre hommage à des criminels de guerre tels que Herman Goering, Adolf Hitler ou Martin Borman… Ces provocations constitueraient des «actes révisionnistes» et de l’«apologie des crimes de guerre», manifestations punies par la loi. En revanche, au Chili cela est parfaitement possible. Possible que parce que la justice n’a jamais vraiment fait son travail et parce que la classe politique a «tourné la page» de ces crimes, dans une attitude résignée et impuissante.

FUNA À L’ASSASSIN MIGUEL KRASNOFF. « FUNA »  AU CHILI EST UNE MANIFESTATION DE DÉNONCIATION ET DE RÉPUDIATION PUBLIQUE CONTRE UNE PERSONNE OU LE GROUPE QUI A COMMIS UNE MAUVAISE  ACTION. ELLE S'UTILISE POUR DÉNONCER  LES PARTICIPANTS À D'ACTES OU DES VIOLATIONS AUX DROITS DE L'HOMME SOUS LE RÉGIME MILITAIRE
Nous manifestons notre plus profond dégout et notre écœurement absolu face à cet acte ignoble qui porte une grave menace à la reconstruction d’un Chili plus juste, plus équitable, délivré à jamais des dangers de tyrannies et de dictatures.

HOMMAGE POSTHUME À LA MÉMOIRE DES VINGT HUIT D’ÉTUDIANTS, PROFESSEURS ET MEMBRES DU PERSONNEL DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DU CHILI  VICTIMES DE LA DICTATURE MILITAIRE CHILIENNE
Nous voulons saluer très chaleureusement les jeunes étudiants de l’Université Catholique du Chili qui, en même temps que le pays était témoin de la provocation pinochetiste autour de Krasnoff, ont honoré la mémoire de la presque trentaine d’étudiants, professeurs et membres du personnel victimes de la dictature militaire chilienne.

Pour une véritable justice, pour un réel travail de mémoire, pour l’interdiction de toute apologie des crimes pinochetistes !

Association d’Ex-Prisonniers Politiques Chiliens – France

vendredi 18 novembre 2011

CHILI : LA FRONDE COUVE CONTRE UNE SANTÉ À DEUX VITESSES

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LES ÉTUDIANTS DU CHILI PROTESTENT DEPUIS SIX MOIS CONTRE UN SYSTÈME ÉDUCATIF À DEUX VITESSES, QUI ÉTRANGLE LES BUDGETS SANS RÉPONDRE AUX BESOINS, À L'INSTAR D'UN SYSTÈME DE SANTÉ DONT LES INÉGALITÉS CRIANTES POURRAIENT BIEN FAIRE L'OBJET D'UNE PROCHAINE FRONDE. PHOTO HECTOR RETAMAL
"L'idée de surveiller, éventuellement de contrôler les prix des prestataires (privés) de santé, est un sujet qui va rebondir, et me semble extrêmement délicat", a mis en garde M. Manalich, un chirurgien professionnel du secteur plus qu'un politique dans le gouvernement de droite de Sebastian Piñera.

Exemple courant au Chili: Jaime, concierge d'un immeuble de Santiago, doit rassembler l'équivalent de 800 dollars pour l'opération des mains de son épouse. Il en est donc réduit à effectuer une collecte dans son entourage car son salaire ne dépasse pas 400 dollars par mois.

Comme lui, quelque 15 millions de Chiliens empêtrés dans un système de "libre choix" n'ont accès qu'au service minimum de la couverture médicale, via un système public surchargé et sous-financé, surtout depuis la politique de déréglementation des années 80 sous la dictature.

De l'autre côté, deux millions de personnes bénéficient d'une médecine de pointe, moyennant un gros apport personnel, par l'intérmédiaire des Isapres (Instituts de santé prévisionnels), caisses privées créées en 1981. Des caisses sélectives envers leurs affiliés en fonction du profil médical, et dont les primes peuvent évoluer selon l'âge et le facteur risque qu'ils présentent.

Comme pour l'éducation, c'est de la classe moyenne, qui a fait le succès des Isapres, que vient le désenchantement.

"Ils se sentent floués", diagnostique Camilo Cid, expert indépendant de la santé, au sein de l'Association pour l'économie de la santé.

LES ÉTUDIANTS DU CHILI PROTESTENT DEPUIS SIX MOIS CONTRE UN SYSTÈME ÉDUCATIF À DEUX VITESSES, QUI ÉTRANGLE LES BUDGETS SANS RÉPONDRE AUX BESOINS, À L'INSTAR D'UN SYSTÈME DE SANTÉ DONT LES INÉGALITÉS CRIANTES POURRAIENT BIEN FAIRE L'OBJET D'UNE PROCHAINE FRONDE. PHOTO HECTOR RETAMAL
"De nombreuses personnes qui ont été affiliées aux Isapres toute leur vie n'arrivent plus à payer une cotisation en hausse, et se retrouvent éjectées vers la santé publique. La majorité (d'entre eux sont) des malades chroniques ou d'un âge avancé".

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est venue de la publication des profits récents des Isapres: 97 millions de dollars à mi-2011, soit +70% par rapport à 2010. Alors qu'en même temps, il apparaît que le Chili présente les coûts de santé par habitant parmi les plus élevés de l'OCDE, dont il est membre depuis 2010.

"Nous avons un système de santé très consumériste, proche d'une vision libérale de l'économie. La vision sociale qu'a toujours eue la médecine s'est un peu perdue", a alerté dans le quotidien La Tercera le toxicologue Enrique Paris, sommité médicale au Chili, président du Collège médical.

Les Isapres se défendent, soulignant qu'elles ont contribué en 30 ans à doter le Chili "d'un système de cliniques et centres médicaux d'un niveau comparable à ceux des pays développés", et ont fixé "des standards pour le système public".

Mais la santé au Chili est de plus en plus vue comme présentant "un système pour les riches et un autre pour les pauvres", dénonce José Concha, directeur des études au Collège Médical.

"Les gens vont commencer à s'indigner au vu des informations récentes comme la publication des profits des Isapres, et les coûts dans les cliniques", a mis en garde M. Paris. "Nous devons nous préparer à des temps de tempête".

"La colère peut se muer en protestation. Mais c'est imprévisible. A la différence de l'éducation, les gens ne s'inquiètent de la santé que quand ils sont malades", tempère M. Concha.

mercredi 16 novembre 2011

CHILI : CAMILA VALLEJO CANDIDATE À LA RÉÉLECTION

Finalement, l'actuelle présidente de la Fech, Camila Vallejo, a décidé de se représenter aux élections du principal syndicat des étudiants chilien. La dirigeante est arrivée à la dernière minute au siège des inscriptions, où elle a officialisée sa candidature sur la liste des Jeunesses communistes du Chili (JJCC).

Un total de dix listes se sont inscrites à l'élection du comité directeur de la Fech : deux listes de la droite au pouvoir aujourd'hui au Chili (« Le Chili pour tous »), corporatiste, une autre du centre droite, et une liste de la Concertation pour la démocratie, coalition de partis du centre gauche.



Les autres candidats viennent des diverses tendances de gauche représentées au sein du mouvement étudiant : la Nouvelle gauche –de l'actuel secrétaire général de la Fech, Cristóbal Lagos–; le Mouvement d'étudiants autonomes; le Front d'étudiants libertaires; les « Armes de la critique », liée à la gauche trotskiste, et des listes « alternatives » tels que « La cochina », et « Los nuevos chicos » (Les nouveaux garçons).

Sous la conduite de Camila Vallejo, –jeune leader charismatique qui a focalisé l’attention des médias et occupé les couvertures de la presse internationale, qui en a fait un symbole des révoltes dans le monde–, la Fech a pris la tête de la contestation au gouvernement du milliardaire Sébastien Piñera, et a tenue une mobilisation de six mois contre la privatisation abusive de l’éducation nationale.

Au moment de rénover sa direction, la puissante confédération syndicale des étudiants chiliens peut compter sur une indéniable légitimité citoyenne qui dépasse le seul cadre étudiant, et s’est érigée en interlocuteur politique du gouvernement Piñera.

vendredi 11 novembre 2011

LE PRÉSIDENT CÈDE AUX ÉTUDIANTS ET CRÉE UNE INSTANCE

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LES ÉTUDIANTS CHILIENS SONT MOBILISÉS DEPUIS PLUS DE SIX MOIS. PLUSIEURS MILLIERS DE LYCÉENS ET ÉTUDIANTS CHILIENS ONT MANIFESTÉ MERCREDI PRÈS DU PARLEMENT À VALPARAISO POUR EXIGER UNE RÉFORME DE L'ÉDUCATION,  9 NOV. 2011
La Superintendance, a expliqué le ministre de l'Éducation Felipe Bulnes, aura notamment pour mission de procéder à un contrôle de qualité et de l'utilisation des éventuelles aides publiques.

Les «abus» dans ce domaine reconnus par M. Bulnes étaient une des principales plaintes des étudiants chiliens, qui réclament une profonde réforme de l'éducation, en particulier qu'il soit mis fin aux distorsions entre public et privé.

La Superintendance «sera comme un grand gardien, un organe de défense du consommateur dans l'éducation, qui ira derrière la moindre institution», a souligné le ministre.

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LES LEADERS DES ÉTUDIANTS CHILIENS À LORS D'UNE NOUVELLE MANIFESTATION ÉTUDIANTE, À SANTIAGO DU CHILI.  PHOTO HECTOR FLORES
En parallèle, les dirigeants du mouvement étudiant ont poursuivi jeudi des consultations entamées la veille au parlement chilien, en l'occurrence devant une commission, au moment où est débattu le budget 2012 de l'Éducation.

Les étudiants ont ouvert le dialogue avec le parlement, interlocuteur qu'ils avaient dédaigné jusque-là, à la suite de l'échec de négociations en septembre avec l'exécutif pour obtenir une réforme de l'enseignement, en particulier des moyens accrus pour le secteur public, parent pauvre du système.

«Nous sommes optimistes, mais aussi conscients des limites du parlement dans la discussion budgétaire», a déclaré Camila Vallejo, une dirigeante du mouvement étudiant. «La responsabilité majeure, c'est le gouvernement qui l'a, et qui continuera de l'avoir», a-t-elle expliqué.

Le président Piñera a prévenu qu'il n'était «pas possible de prétendre régler en un an les problèmes affectant depuis des décennies» l'enseignement.

mardi 8 novembre 2011

CHILI : LE TRAVAIL DE MÉMOIRE


 MÉMORIAL DES DÉTENUS DISPARUS DU PARTI SOCIALISTE DU CHILI.
PHOTO CARLOS BORLONE CHEZ FLICKR
Contrairement à d'autres lieux, la Villa Grimaldi n'a jamais été reconnue officiellement comme un centre de détention. Il n'existait pas. Les personnes qui y étaient détenues n'étaient pas considérées comme des prisonniers politiques mais comme des « disparus ». Personne, ni eux, ni leurs proches, ne savaient où ils étaient enfermées. On y torturait les prisonniers pour leur extorquer des informations. En règle général, ils ne restaient pas longtemps sur place et étaient ensuite envoyés dans des camps de travail puis libérés. Laisser sortir les prisonniers participait d'une stratégie de terreur, mise en place par l’État. L'objectif était alors de faire peur, aux prisonniers comme à leurs familles.
VILLA GRIMALDI : PORTRAITS DES TORTURÉS ET DES DISPARUS DE LA DICTATURE DE PINOCHET. PHOTO CARLOS BORLONE CHEZ FLICKR
Lors de l’avènement de la démocratie, des projets de vente de ce terrain ont vu le jour. Une bonne partie de la société civile s'est alors mobilisée pour faire de la Villa Grimaldi un lieu de mémoire.

La visite est très émouvante : nous sommes accompagnées de Margarita Romero, directrice de la Villa Grimaldi et de femmes qui ont été torturées ici. Elles nous racontent leur vie quotidienne dans le centre, la façon dont elles étaient traitées. Elles nous expliquent qu'elle étaient alors doublement punies : parce que militantes politiques engagées contre la dictature mais également parce que femmes. Lors des séances de torture, les insultes les visaient en tant que mères, essayant de les culpabiliser d'avoir "abandonner" leurs enfants. Les sévices étaient souvent d'ordre sexuels, les transformant en objets disponibles pour leurs tortionnaires.

Nous passons devant le mur des noms, où sont inscrits ceux des 226 militantes et militants passés par la Villa Grimaldi et tués sous la dictature. Un peu plus loin, un jardin de roses a été installé en mémoire des 191 femmes mortes sous la dictature de Pinochet.

Je suis particulièrement touchée par la présence dans la délégation française de Maïté Albagly, qui a été Secrétaire Générale du Planning Familial en France. Militante chilienne dans les années 70, elle a été enfermée et torture dans un des nombreux lieux de détention de la dictature Pinochet. Elle est très émue par la visite. Et nous avec.

L'équipe réunie autour de Margarita Romero a réussi à faire de la Villa Grimaldi un lieu fort de mémoire. Leur site internet permet d'en savoir plus.

lundi 7 novembre 2011

INDIGNADA DE SANTIAGO

CAMILA VALLEJO
Apparue sur la scène publique au début du mouvement, en mai, Camila Vallejo, étudiante en géographie, est vite devenue la leader charismatique des étudiants chiliens révoltés contre une éducation largement privatisée, très chère et qui, d’assez mauvais niveau, ne permet même pas de décrocher un emploi. Bonne oratrice - et très photogénique -, elle est une politique avisée, issue des Jeunesses communistes, et une dure négociatrice qui rejette sans appel les concessions, mineures selon elle, du président Sebastián Piñera.

Aujourd’hui, Camila Vallejo, parfois surnommée «la Che Guevara» du Chili, est en outre l’une des personnalités les plus populaires du pays. A Santiago, on l’arrête dans la rue pour la photographier. Les journalistes font la queue pour l’interviewer. Et sur la Toile, des admirateurs lui dédient des odes. A 23 ans, elle symbolise une jeunesse rebelle et décomplexée qui n’a pas connu la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) - elle avait 2 ans à son départ -, et qui renoue avec une tradition de lutte après deux décennies d’alternance politique sans grand enjeu.

Mi-octobre, à la tête d’une délégation d’étudiants, elle est venue quatre jours à Paris et à Bruxelles - sa première visite en Europe. Mais elle n’a pas vu grand-chose. Le séjour, très politique, s’est déroulé à un rythme effréné avec trois objectifs : expliquer la lutte des étudiants chiliens, comparer avec la situation en Europe, enfin chercher des soutiens. «Nous réclamons une éducation gratuite et de qualité, explique-t-elle, le Chili est l’un des pays au monde où l’Etat subventionne le moins l’éducation, où les familles paient le plus et doivent s’endetter. Un système qui reproduit les inégalités.» Le 18 octobre, levée à l’aube à Paris, elle a pris le train pour Bruxelles, a enchaîné les rencontres avec des députés européens verts et de gauche, déjeuné sur le pouce avec des élus, rencontré des Chiliens de Belgique, avant de regagner Paris pour assister à un meeting organisé par l’Unef à la Sorbonne, et de reprendre l’avion le soir même pour le Chili. Entre les rendez-vous, elle a encore répondu à plusieurs interviews télés, avec le même ton décidé et le même regard un peu lointain.

De prime abord, Camila Vallejo est une personne sérieuse, réservée, un peu sauvage, en un mot impénétrable. Politique rodée, elle répète inlassablement les mêmes discours, répond aux mêmes questions. Fatiguée mais stoïque, elle vous fait attendre pour accorder une interview, «le temps de récupérer et de rassembler mes idées», et s’y prête très concentrée, consciente de l’enjeu pour sa cause.

Camila Vallejo n’est pas arrivée là par hasard. Si elle assure que ses parents ne l’ont pas influencée et ont toujours laissé libres leurs quatre enfants, elle a grandi dans une famille marquée à gauche. Son père Reinaldo Vallejo, qui a une petite entreprise de chauffage, et sa mère Mariela Dowling, qui l’aide et s’occupe de la maison, sont tous deux au PC. Militants au temps de la dictature, ils ont dû un temps se réfugier dans la clandestinité. Son grand-père fut par ailleurs membre du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire, qui a soutenu Salvador Allende et fut pourchassé par Pinochet). Ses ennemis lui reprochent d’être «manipulée par les communistes». «C’est une excellente école qui m’a permis de grandir politiquement», répond-elle. Lorsqu’on lui demande ses auteurs préférés, elle répond : «Gramsci, Marx, Lénine.» Camila Vallejo n’est pourtant pas une communiste bornée, plutôt une pragmatique convaincue qu’il faut en finir avec «une société injuste et inégalitaire où les jeunes ne se voient pas d’avenir». A la tête du mouvement, elle fait équipe avec Giorgio Jackson, l’autre figure de la mobilisation, un étudiant ingénieur, ancien champion de volley-ball, qui dirige la Fédération des étudiants de l’Université catholique. «Je suis sans parti et considéré comme un "fils de bourge" alors que Camila est communiste et d’un milieu plus modeste. Cela ne nous empêche pas d’être d’accord sur l’essentiel», explique-t-il. Ses détracteurs accusent aussi la jeune femme d’avoir joué sur sa beauté pour se faire élire à la tête de la puissante Fédération des étudiants de l’Université du Chili. Certains ont même dénoncé un «vote hormonal». Elle répond par le mépris : «C’est du pur machisme, encore profond au Chili. En tant que femme, j’ai eu droit à des ragots sur ma vie privée, sur mes amours, et on a diffusé mon adresse et mon téléphone sur le Net.»

Derrière l’armure militante, Camila Vallejo a beau faire : c’est aussi une jeune femme moderne et timide qui a horreur d’être interrogée sur sa vie privée. Elle raconte que petite, elle allait se cacher derrière un arbuste du jardin pour écouter ses parents et leurs amis lors des asados («soirées grillades»). Adolescente, elle aimait peindre et dessiner au collège Raimapu, un établissement connu pour sa pédagogie libérale. Lorsqu’on l’interroge sur la mode et les fringues, elle s’amuse : «Ah, non ! Ça n’est pas pour moi !»Rarement maquillée, si ce n’est pour les photos ou la télé, de longs cheveux sombres, des yeux bleu-vert et la peau claire, elle n’a pas vraiment besoin d’artifices pour se mettre en valeur. Elle a en outre un style vestimentaire bien à elle, entre le laisser-aller hippy et le superposé plus recherché. Jeans fatigués, tunique sur des leggings, éternel foulard autour du cou, petit anneau dans la narine… Le look de Camila Vallejo est désormais copié.

A la tête d’une mobilisation qui a obtenu le remplacement du ministre de l’Education et a coûté sa popularité au chef de l’Etat, elle n’a plus le temps de faire autre chose. Elle a arrêté de travailler à son mémoire de master, sur «la construction sociale des territoires vulnérables». Elle ne sort plus guère que pour des réunions militantes. Pourtant, elle aime danser et écouter de la musique : tout sauf le punk et le metal. Et lorsqu’elle va sur les réseaux sociaux, ce n’est plus pour discuter entre amis mais pour appeler à des manifestations.

Dans le Thalys qui la ramène à Paris, Camila circule son appareil numérique à la main. Elle mitraille les paysages qui défilent. Dans quelques heures, après une nuit dans l’avion, elle prendra la tête d’une manifestation à Santiago. En attendant, elle joue à la touriste, silencieuse et appliquée.

En 6 dates

28 avril 1988 Naissance à Santiago du Chili.

2006 Entrée à la faculté d’architecture et d’urbanisme.

2007 Adhésion aux Jeunesses communistes.

Novembre 2010 Elue présidente de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili.

Mai 2011 Premières manifestations.


Du 14 au 18 octobre Visite à Paris et à Bruxelles.

samedi 5 novembre 2011

AU CHILI, LES VIEILLES LUNES DE LA NOUVELLE DROITE

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UN STAND DE POISSONS ET DES FRUITS DE MER AU MARCHÉ DE LA VILLE DE LOTA SUD DU CHILI. PHOTO PATRICIA FICA CHEZ FLICKR.
Par une matinée ensoleillée, au cœur de l’été austral. Le marché bat son plein, la pêche du jour déborde des étals instables : coquillages, oursins, algues, poissons divers… Dans un panier tressé, Maria présente quelques belles scies fumées que son mari a capturées au large. Le sourire franc, les mains abîmées par le travail, elle interpelle les badauds : « 2 000 pesos la pièce ! » Soit 2,90 euros par poisson. Comme la veille, l’avant-veille ou le jour d’avant, elle devra se contenter d’une recette d’une dizaine d’euros — sans parvenir au salaire moyen, d’environ 450 euros par mois. « Ici, tout le monde travaille dur, explique-t-elle. La pêche, ce n’est plus ce que c’était : il y a de moins en moins de poisson. » Pourtant, pour les habitants de Lota (et d’une partie du littoral chilien), depuis un an le coût de la vie a considérablement augmenté. C’est que, sourit Maria, « après le tremblement de terre, il faut bien reconstruire ! ».
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DESSIN INÉDIT DU DESSINATEUR FRANÇAIS JACQUES TARDI, MIS À LA VENTE AU PROFIT DE LA ONG CHILIENNE CEPAS


Le 27 février 2010, un violent séisme secouait le Chili. Quelques heures plus tard, un raz de marée balayait plusieurs centaines de kilomètres des côtes du Sud. Bilan : cinq cent cinquante morts, d’importants dégâts matériels et près de huit cent mille sinistrés. Notamment dans les régions les plus pauvres du pays, dont celles de Maule et de Biobío, où se trouve la ville de Lota. Ici — malgré les efforts de la mairie — comme à Concepción (capitale régionale), de nombreux gravats jonchent encore le sol et entravent la circulation routière. Des édifices, lézardés de toutes parts, menacent de s’effondrer sur les passants. Le 13 avril 2010, le président Piñera (élu en janvier de la même année) proclamait pourtant : « Notre tâche principale et la mission de notre gouvernement, c’est de travailler à l’unité nationale, à la reconstruction du pays, de faire face à l’urgence et d’aider les victimes du séisme. »
Le couteau de Maria virevolte. Elle a reposé ses scies pour passer à la préparation d’un (succulent) ceviche, une marinade de fruits de mer. Les promesses du gouvernement ? « Leur plan de reconstruction, c’est du bla-bla ! Ils nous ont abandonnés. » Mais n’observe-t-on pas, ici et là, des chantiers et travaux en cours ? Entendant la conversation, deux hommes s’approchent et pointent du doigt une colline : « Les nouvelles constructions que vous voyez là-bas sont destinées à la vente, pas aux victimes du tremblement de terre. Ceux qui ont perdu leur maison vivent comme des mendiants, les uns sur les autres dans de minuscules maisons. La plupart n’ont pas l’électricité, ni l’eau courante. »



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UN STAND DE POISSONS AU MARCHÉ DE LA VILLE DE LOTA SUD DU CHILI. PHOTO SEBASTIAN ARENAS CHEZ FLICKR.
Six mètres par trois, des panneaux de bois pour toute protection contre les intempéries : les « logements d’urgence » ressemblent davantage à des cabanes. Prévus pour quatre personnes, ils sont en général surpeuplés. Lors de la visite, une question s’impose : comment des milliers de personnes pourront-elles passer l’hiver dans de telles conditions ? Nul n’a la réponse. « Pendant ce temps, ajoute Maria, une poignée de gens très riches ne savent que faire de leur argent. »

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LE PRÉSIDENT CHILIEN, LE MILLIARDAIRE CONSERVATEUR SEBASTIÁN PIÑERA, EST MEMBRE D'UNE FAMILLE ORIGINAIRE DES ASTURIES (ESPAGNE), IL EST LE FILS DE JOSÉ PIÑERA CARVALLO, AMBASSADEUR CHILIEN EN BELGIQUE PUIS AUX NATIONS UNIES SOUS LA PRÉSIDENCE D'EDUARDO FREI MONTALVA (1964-1970). PHOTO GALERIE SEBASTIAN PIÑERA CHEZ FLICKR.

 «MA PREMIÈRE FAMILLE. MON PÈRE, JOSÉ PIÑERA, MA MÈRE, MAGDALENA ECHENIQUE, ET MES FRÈRES GUADALUPE, JOSÉ, PABLO ET MOI.»

Un président qui n’est pas issu du sérail

Officiellement, le plan de reconstruction a été un succès. Pourtant, les laissés-pour-compte manifestent leur colère. Alors que le gouvernement a annoncé deux cent vingt mille subventions, il s’agit, dans l’immense majorité des cas, d’aides à la remise en état des maisons, pas de nouvelles constructions. Seules douze mille cinq cent trois habitations avaient été achevées fin février 2011. Quant aux familles réparties dans des campements de fortune, M. Francisco Irarrázaval, l’un des secrétaires exécutifs du ministère du logement, admet que 40 % d’entre elles (soit mille sept cents) « pourraient ne pas se voir offrir de solution (1) ». Une histoire classique ? Effectivement. Et c’est en cela que la catastrophe naturelle révèle la nature du projet du président chilien, censé reposer sur l’avènement d’une « nouvelle droite », « en rupture avec l’époque de la dictature (2) » d’Augusto Pinochet (1973-1990).
M. Piñera n’est pas tout à fait issu du sérail de la droite. « Quand il a décidé de se lancer en politique, observe le journaliste Ernesto Carmona, il a tout d’abord frappé à la porte du Parti démocrate-chrétien (PDC) », un parti conservateur plutôt centriste, dont son père fut l’un des fondateurs. « Il ne manquait pas de raisons pour cela : il avait voté “non” à Augusto Pinochet lors du plébiscite de 1988 [proposant le maintien au pouvoir du dictateur jusqu’en 1997]. Pendant un temps, Piñera a eu un pied dans le PDC, où il n’avait pas grand espace, et un autre au sein de la droite, qui lui offrait de meilleures opportunités (3). » Il opte finalement pour le parti Rénovation nationale (RN), la frange ultralibérale de l’échiquier politique, plutôt que pour l’Union démocrate indépendante (UDI), proche de l’Opus Dei et regroupant les fidèles du régime militaire. Mais la distance entre M. Piñera et la dictature demeure somme toute assez relative. L’occupant de la Moneda apparaît en 1989 comme conseiller de M. Hernán Büchi, l’ancien ministre des finances du général Pinochet. En outre, l’Alliance pour le changement, au nom de laquelle il se présente, se compose des libéraux, mais aussi des catholiques conservateurs de l’UDI.


Conseil des ministres ou 
conseil d’administration ?

D’ailleurs, si M. Piñera déclarait le 8 janvier 2010, dans le quotidien La Nación, que « ce n’est pas un péché » d’avoir travaillé pour le régime de Pinochet, c’est peut-être parce que cette période lui a plutôt réussi. Il s’est enrichi pendant ces « années noires » en investissant dans l’immobilier, le bâtiment, puis la banque. Profitant du soutien de son frère aîné — lui-même ministre du travail du régime et artisan de la privatisation des fonds de retraite —, il évite la prison pour une importante fraude bancaire à l’origine d’une partie de sa fortune (4). Viennent l’achat de parts de la compagnie d’aviation civile Lan Chile (qu’il présidera) et, enfin, l’investissement dans des domaines lui permettant de se forger une visibilité de premier plan : entre 2005 et 2006, il achète le très populaire club de football Colo-Colo et la chaîne de télévision Chilevisión. Désormais, M. Piñera compte parmi les cinq cents premières fortunes du monde. La revue américaine Forbes le considère comme le 51e homme le plus puissant de la planète. D’ailleurs, son compte en banque n’a pas souffert de son arrivée à la présidence. Il s’est étoffé de quelque 200 millions de dollars en un an, pour atteindre 2,4 milliards. Certains esprits chagrins crient au mélange des genres. M. Piñera répond que seuls « les morts et les saints » ignorent les conflits d’intérêts (5).
Devenu riche durant la dictature et parvenu à la présidence avec le soutien de l’UDI, M. Piñera professe néanmoins la rupture. D’abord parce que, pour la première fois depuis 1958, la droite est arrivée au pouvoir par les urnes. Ensuite, parce qu’il entend changer la façon de faire de la politique et diriger l’Etat comme une entreprise. L’une des siennes.
Son « gouvernement des meilleurs » ressemble davantage à un conseil d’administration qu’à un cabinet. Plus de la moitié de ses membres sont issus du privé, avec peu (ou pas) d’expérience politique préalable. Le ministre des affaires étrangères Alfredo Moreno, par exemple, a acquis son expérience « diplomatique » en tant que… membre du directoire de la chaîne de grande distribution Falabella, lors de son expansion dans les pays voisins. M. Juan Andrés Fontaine, nouveau ministre de l’économie, est directeur du Centre d’études publiques (CEP), l’un des centres de réflexion de la droite libérale, et lié au groupe Matte (industrie forestière, télécommunications, finance), propriété de l’une des familles les plus riches du pays.
M. Piñera entend tout contrôler personnellement, en imposant à ses collaborateurs le rythme effréné dicté par sa surexposition médiatique. Pendant plusieurs semaines, il envoûte le pays, et une bonne partie de la planète, grâce au sauvetage de trente-trois mineurs bloqués dans la mine de San José (désert d’Atacama). Une opération qu’il estime « sans égale dans l’histoire de l’humanité (6) ».
Bientôt, on parle de « piñérisme » : le « changement » aurait donc bien eu lieu. D’ailleurs, les caciques de la droite traditionnelle — sur lesquels repose son soutien parlementaire — ne se disent-ils pas irrités ? Certains câbles de l’ambassade des Etats-Unis à Santiago, révélés par WikiLeaks, fourmillent d’anecdotes sur la guerre fratricide entre la « vieille garde » et le « magnat ». Et l’ouverture du « staff » présidentiel à certains dirigeants politiques — tels M. Andrés Allamand (RN) et Mme Evelyn Matthei (UDI), respectivement aux ministères de la défense et du travail — ne suffit pas à apaiser les esprits.
C’est que, au-delà du style, certaines des politiques publiques du nouveau président agacent ses alliés : bourses universitaires destinées à former de nouveaux professeurs, restriction des attributions de la justice militaire, extension du congé postnatal à six mois, mesures en faveur de l’assurance-maladie des retraités, appel au respect du salaire minimum des employés de maison, relocalisation partielle d’un projet thermoélectrique à la suite de mobilisations écologistes, proposition d’accorder le droit de vote aux Chiliens résidant à l’étranger, inscription automatique sur les listes électorales et, le 11 mars dernier, instauration par un (maigre) transfert de ressources d’un « revenu éthique familial » destiné à un demi-million de personnes vivant dans la pauvreté extrême. Sur le plan international, M. Piñera reconnaît l’Etat palestinien — « libre, souverain et indépendant » —, dans le sillage de plusieurs dirigeants latino-américains, souvent de gauche (7).

« J’ai voté pour Piñera car il a bien réussi dans la vie »

Pour M. Rodrigo Hinzpeter, fidèle du patron président et ministre de l’intérieur, c’est cela, la « nouvelle droite » : « sociale et démocratique », elle « prend en compte de nouvelles préoccupations », notamment « l’engagement en faveur des droits de l’homme, le lien entre développement et environnement, l’équilibre entre l’économie et la justice sociale » (8). Un programme qui ne fait qu’approfondir la crise de l’opposition parlementaire, incapable de formuler des contre-propositions. A tel point que les députés de la Concertation (coalition de sociaux-démocrates, de socialistes et de démocrates-chrétiens, au pouvoir de la fin de la dictature à 2010) appuient régulièrement les projets du gouvernement.
Rupture avec la droite et continuité avec le centre-gauche, en somme ? « Maintenir la plupart des politiques mises en œuvre par la Concertation », c’est en effet ce que M. Piñera promettait lors de la campagne présidentielle. Le consensus était d’ailleurs tel entre M. Piñera et ses prédécesseurs que l’hebdomadaire britannique The Economist concluait, le 19 décembre 2009 : « Au niveau pratique, [une victoire de M. Piñera] n’aurait qu’un impact réduit. » Mais faut-il lire dans cette harmonie une dérive à gauche de la « nouvelle droite » chilienne ? Peut-être pas, car, depuis des années, la gauche — à commencer par le Parti socialiste — s’inscrit elle-même dans la… continuité.
Cette mutation néolibérale lui a assuré les louanges d’analystes aussi peu suspects d’idolâtrie marxiste que le Français Guy Sorman. Au Chili, expliquait celui-ci en 2008, le libre-échange — imposé par des économistes formés aux Etats-Unis et inspirés par Milton Friedman (les « Chicago boys ») à partir du coup d’Etat de 1973 — s’est montré si « efficace » que, « de Pinochet, chef de l’Etat de 1973 à 1990, jusqu’à Michelle Bachelet incluse, présidente socialiste depuis 2005, le Chili n’a guère modifié ses règles économiques (9 ) ». MM. Ernesto Ottone et Sergio Muñoz Riveros — tous deux anciens militants communistes devenus conseillers de la Concertation — analysent la conversion de la gauche chilienne au « réalisme économique » : « A force de se heurter à la réalité, elle a compris qu’elle devait abandonner ses anciennes croyances sur la malignité du système capitaliste. (…) Même si on a du mal à l’admettre, il faut concéder que, sur certaines questions relatives au fonctionnement de l’économie moderne, [les bons professeurs] se trouvaient sur “le trottoir d’en face”(10). »
En « traversant la rue », cette gauche a aidé à transformer la terre de Salvador Allende en modèle pour la finance mondiale. Dans le classement sur la « liberté économique » publié annuellement par The Wall Street Journal et la Heritage Foundation, le Chili apparaît depuis longtemps dans le peloton de tête (11e place sur 179 pays), loin devant la France (64e) et juste derrière les Etats-Unis. Fiscalité accueillante, fonds de pension généralisés, services collectifs — dont l’éducation et la santé — largement marchandisés, traités de libre-échange avec les Etats-Unis ou la Chine : « Le Chili laisse derrière lui le sous-développement et s’achemine à pas déterminés vers la constitution d’une nation développée », se réjouissait l’ancienne présidente, Mme Bachelet, le 11 janvier 2010. Flanquée de son ministre des finances, la militante socialiste tenait entre ses mains un précieux sésame : l’adhésion de son pays à l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Fondée en 1961, celle-ci regroupe trente-quatre pays qui cherchent à stimuler « la démocratie et l’économie de marché ». Le Chili était le premier pays sud-américain à intégrer ce club très sélect.
Gauche néolibérale et droite de rupture ? En l’absence d’alternative réelle, le changement a pu s’incarner sous les traits de M. Piñera aux yeux d’une partie des classes populaires. Iván, la trentaine, est vendeur ambulant dans le centre de la capitale. Au milieu du smog de l’Alameda (la principale artère de Santiago) et de la cacophonie des micros (bus collectifs), il vend des friandises, des cigarettes à l’unité. « Vous savez, pour moi, ce gouvernement ne change pas grand-chose. Si j’ai voté pour Piñera, c’est qu’au moins il a bien réussi dans la vie. Et j’espère qu’il fera pareil avec le pays afin que nous en profitions un peu. »
Pourtant, le discours du réformisme sociétal du président ne l’a pas empêché de radicaliser un peu plus son néolibéralisme. Comme l’a démontré sa gestion des conséquences du tremblement de terre. Le processus de reconstruction du littoral, quand il n’est pas l’objet de clientélisme politique avéré (11), semble s’inspirer de la « stratégie du choc » décrite par Naomi Klein (dans son ouvrage du même nom, paru en 2008). L’annonce d’une augmentation temporaire des impôts sur les entreprises et de la redevance de certaines grandes compagnies minières, destinée à réunir plus de 3 milliards de dollars en quatre ans, a été accueillie avec scepticisme. En définitive, le mécanisme a fait déchanter ceux qui croyaient à un improbable tournant keynésien. Les compagnies minières (souvent multinationales) qui versent, sur la base du volontariat, cette contribution supplémentaire de deux ans se sont vu garantir le prolongement d’une des redevances les plus faibles du monde jusqu’en 2025 ! Parallèlement, le besoin d’argent frais a fourni l’occasion rêvée de recommander de nouvelles privatisations de biens « non indispensables » dans le secteur de l’énergie (la compagnie d’électricité Edelnor) et de l’assainissement de l’eau (Aguas Andinas). Une loi de flexibilisation du travail ainsi que de nouvelles concessions de mines au capital étranger sont envisagées dans la foulée. Au final, selon l’économiste Hugo Fazio, « le fonds de reconstruction servira de prétexte pour affaiblir l’Etat et livrer certains éléments du patrimoine public aux intérêts privés (12)».

La législation antiterroriste 
toujours en vigueur

Malgré quelques protestations de la « vieille droite », la « nouvelle » ne maltraite pas vraiment sa base sociale. « Ce gouvernement est le gouvernement des entreprises. » Mme Viviana Uribe ne croit pas aux fables de la droite sociale et démocratique. « C’est la loi du marché qui régule tout et, si on ne l’accepte pas, la répression est immédiate », accuse-t-elle. La présidente de la Corporation de défense et promotion des droits du peuple, affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, sait de quoi elle parle. Les traits tirés, entre deux cigarettes elle épingle la politique défaillante qui a suivi le tremblement de terre ; les montages policiers contre une partie du mouvement libertaire ; l’état d’un système carcéral qui a abouti à la mort de quatre-vingt-un prisonniers lors d’un incendie à la prison San Miguel ; le peu d’engagement pour faire avancer la justice en faveur des victimes des militaires. Et, toujours, la criminalisation du peuple indigène mapuche.
Dernièrement, le bourg de Cañete, dans le sud du pays, a vu se dérouler un procès emblématique de la politique de la « nouvelle droite » dans le Wallmapu (pays mapuche) : dix-sept comuneros y étaient accusés de vol, incendie criminel, terrorisme… sur la base d’une législation d’exception — dite loi « antiterroriste » — datant de la dictature. A rebours de toute norme internationale, celle-ci permet de faire valoir des « preuves » issues de témoins occultes à la solde de la magistrature (13). Au terme de trois mois et demi de mobilisations et d’une interminable grève de la faim (quatre-vingt-six jours), la plupart des accusés ont été libérés. Mme Natividad Llanquilleo est porte-parole des « prisonniers politiques mapuches » (deux de ses frères sont derrière les barreaux). A vingt-six ans, cette étudiante en droit incarne la nouvelle génération revenue vers sa communauté pour défendre « la cause ». Selon elle, si la grève de la faim n’a pas eu tous les effets escomptés, elle a au moins permis que « les gens commencent à comprendre ». Et, surtout, M. Piñera a dû négocier.
Assez habilement, d’ailleurs. Là encore, il a tenu à se distinguer en demandant la non-application de la loi antiterroriste contre les Mapuches et la fin de la double mise en examen, au militaire puis au civil. Ces annonces médiatiques n’ont pourtant pas empêché, dans les faits, la poursuite de ce que Mme Llanquilleo qualifie de « procès politique » et la condamnation de quatre militants de la Coordination de communautés en conflit Arauco-Malleco (CAM), dont son leader, M. Hector Llaitul, qui pourrait passer vingt-cinq ans en prison.
La direction du travail reconnaît par ailleurs que le secteur privé a perdu l’équivalent de trois mille trois cents jours de travail pour faits de grève en 2010, soit une augmentation de 192 % par rapport à 2000. Selon la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), principale confédération syndicale, cette première année de la « nouvelle droite » est « perdue pour les travailleurs, les citoyens, pour l’approfondissement de la démocratie (14) ». La CUT regrette les hausses de prix à répétition et l’absence d’une augmentation substantielle du salaire minimum. La question du prix du gaz est particulièrement sensible. Elle a provoqué, en début d’année, le soulèvement entier de la province de Magallanes durant une semaine, obligeant l’exécutif à reculer. En février 2011, une enquête de l’agence Adimark suggérait que 49 % de la population désapprouvait la gestion de M. Piñera. Cependant, rien ne laisse encore présager un front social et politique assez puissant pour faire trembler un président qui prépare déjà les élections de 2014 (où il ne peut se représenter), mettant en avant ses ministres les plus populaires, avec en ligne de mire un nouveau mandat en… 2018.
Figure de la gauche, M. Manuel Cabieses est un grand gaillard jovial de plus de 75 ans. Dans son bureau de la rue San Diego, où il dirige contre vents et marées la revue Punto Final, il critique le gouvernement des « héritiers de la dictature » et appelle à la construction d’une « nouvelle gauche », indépendante de la Concertation. Il est conscient des difficultés à surmonter : « Nous vivons une période encore plus dure que celle j’ai vécue dans ma jeunesse, attribuable à vingt ans de dépolitisation et de fragmentation sociale. Notre défaite du 11 septembre 1973 est toujours là. »
Franck Gaudichaud
Maître de conférences à l’université Grenoble-III et coprésident de l’association France Amérique latine (FAL).

(1) Centro de investigación periodística.

(2) « S. Piñera : la nueva derecha que se desprende de la dictadura », El Mundo, Madrid, 16 janvier 2006.

(3) Ernesto Carmona, Yo, Piñera, Mare Nostrum, Santiago, 2010.

(4) Ana Verónica Peña, « La historia no contada de los orígenes de la fortuna de Sebastián Piñera », La Nación, Santiago, 19 avril 2009.

(5) « Piñera : “Sólo los muertos y los santos no tienen conflicto de intereses” », Clarín, Buenos Aires, 9 avril 2010.

(6) « Au Chili, derrière l’euphorie médiatique, les hommes », La valise diplomatique, 14 novembre 2010.

(7) Lire Maurice Lemoine, « L’Amérique latine s’invite en Palestine », Le Monde diplomatique, février 2011.

(8) « Hinzpeter : sus definiciones y la nueva derecha », Capital, Santiago, novembre 2010.

(9) Guy Sorman, L’économie ne ment pas, Fayard, Paris, 2008.

(10) Ernesto Ottone et Sergio Muñoz Riveros, Après la révolution. Rêver en gardant les pieds sur terre, L’Atalante, Nantes, 2008.

(11) Mme Jacqueline Van Rysselberghe (UDI), intendante de la région de Biobío, a dû démissionner en avril dernier pour avoir favorisé lors de la reconstruction un groupe d’habitants non sinistrés (Radio Cooperativa, 3 avril 2011).

(12) Hugo Fazio, « La “fórmula” de Piñera para reducir el Estado », édition chilienne du Monde diplomatique, mai 2010.

(13) Cf. le dossier d’Amnesty International Chili : « Conflicto Mapuche / Ley antiterrorista ».


(14) « La CUT frente al primer año de Piñera », 11 mars 2011.