vendredi 22 mai 2015

CHILI: BACHELET VEUT «RÉTABLIR LA CONFIANCE»

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SANTIAGO, Chili – Des policiers chiliens ont fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes, jeudi, pour repousser les manifestants qui tentaient de franchir des barricades alors que la présidente Michelle Bachelet prononçait un discours à Valparaiso concernant une réforme constitutionnelle destinée à permettre à la population de retrouver confiance en la classe politique nationale.
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Par Eva Vergara, The Associated Press
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Des agents ont stoppé les manifestants à une bonne distance de l’édifice du Congrès à Valparaiso, une ville portuaire située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale, Santiago.

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La majorité des milliers de personnes présentes manifestaient pacifiquement, même si quelques agitateurs masqués ont mis le feu à des barricades installées dans les rues et vandalisé quelques commerces.

Les policiers ont arrêté 37 manifestants, dont un grièvement blessé à la suite d’une chute, selon le général Julio Pineda.

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Jeudi marquait la Fête de la marine, destinée à honorer la marine nationale chilienne, et au cours de laquelle le chef d’État s’adresse traditionnellement à la nation. Cette année, ce discours survient alors que le Chili est plongé dans une profonde crise de confiance provoquée par plusieurs scandales impliquant des politiciens, dont un cas de corruption concernant le propre fils de la présidente.

Michelle Bachelet, qui a déjà été chef d’État de 2006 à 2010, traverse actuellement la plus grande crise politique de sa carrière. Sa cote de confiance avoisine les 30 pour cent.

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«Aujourd’hui, l’urgent besoin de mettre fin au trafic d’influence, aux conflits d’intérêts et à la corruption dans les milieux politique et d’affaire fait consensus, a-t-elle déclaré. Nous devons rétablir la confiance.»

La présidente estime qu’une des façons d’atteindre cet objectif est de réformer la Constitution mise en place par le général Augusto Pinochet durant ses années de dictature (1973-1990). Même si le texte de loi a été amendé plusieurs fois depuis, nombreux sont les Chiliens qui estiment qu’il doit subir une refonte complète.

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Mme Bachelet n’a pas donné de détails concernant la réforme constitutionnelle, qui devrait débuter en septembre. Elle a toutefois précisé que des citoyens issus de toutes les mouvances politiques seraient invités à prendre part au processus.

POURQUOI LE THÈME DE LA MER FAIT DES VAGUES ENTRE LA BOLIVIE ET LE CHILI

LE MINISTRE JORGE LEDEZMA. PHOTO RENÉ MORENO
Mars 2015 : de graves inondations affectent le nord du Chili. En voisin solidaire, la Bolivie propose ses services, qui sont acceptés. C’est ainsi que, le 30 du mois, 13 000 litres d’eau potable en bouteilles sont acheminés vers les sinistrés. Un moment de grâce entre deux pays aux relations difficiles, qui ont officiellement rompu leurs relations diplomatiques en 1962.
Mais, comme toujours, c’est dans les détails que le diable se niche… Chargé de procéder sur place, à Copiapó, à la livraison du précieux liquide, le ministre de la défense bolivien, Jorge Ledezma, arbore un blouson orné d’un très ostensible slogan : « La mer est bolivienne ».

L’aide tourne à l’incident diplomatique. Tout en remerciant La Paz pour son assistance, le ministre chilien des affaires étrangères, Heraldo Muñoz, réagit vivement : « La tragédie et la douleur de la catastrophe survenue au nord du pays ne doivent pas être utilisées à des fins politiques au service de la politique de communication bolivienne. » Droite et centre gauche confondus, les élus chiliens se déchaînent contre ce « baiser de Judas ». Pour calmer les esprits, le président Evo Morales destitue son ministre dès le lendemain et présente ses excuses au peuple chilien. Il est vrai que, à la veille d’une grande bataille, l’incident tombe au plus mauvais moment.
Les deux nations n’en ont toujours pas fini avec la guerre qui les a opposées de 1879 à 1883, et qui a privé la Bolivie, vaincue, de sa côte Pacifique. Or, du 4 au 8 mai, à La Haye (Pays-Bas), chacun devait exposer son plaidoyer oral favorable (La Paz) ou hostile (Santiago) à la reconnaissance de la compétence de la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire des Nations unies, sur la prétention bolivienne de retrouver un accès souverain à l’océan, qui lui fut confisqué lors du conflit en question. L’implication ou non de cette juridiction est primordiale : si elle statue, son jugement est définitif et sans appel [1]. Ce qui hérisse les esprits à Santiago. Le 5 janvier encore, M. Muñoz rejetait la simple hypothèse d’une médiation du Saint Siège évoquée par Evo Morales…

Lorsqu’elle est devenue une République indépendante, le 6 août 1825, la Bolivie, outre la tête dans les nuages andins, avait les pieds dans l’eau. Créé en 1829, son département du Littoral, riche en minerais d’argent et de cuivre, fut ultérieurement divisé en deux provinces : La Mar (capitale : Cobija) et Atacama, riche en guano et en salpêtre (capitale : San Pedro de Atacama). Le long de la côte, les ports d’Antofagasta, Cobija et Tocopilla, les baies de Mejillones, Algodonales et Herradura se succédaient.

Du Chili, une poignée d’aventuriers, puis des bataillons de mineurs potentiels à l’étroit entre la Cordillère à l’est et le Pacifique à l’ouest poussèrent en direction du nord, au-delà de la frontière, à travers le désert d’Acatama, pour y exploiter les filons de minerai de cuivre, le salpêtre et le guano – une décomposition des excréments d’oiseaux marins déposés là depuis des millénaires et servant à faire de l’engrais.

Cette première intrusion a de profondes répercussions. En octobre 1842, annexant déjà quelques arpents de territoire bolivien, le Parlement chilien déclare « propriétés nationales les gisements de guano existant sur les côtes du département d’Atacama et les îles et îlots adjacents ». La Bolivie menaçant d’entrer en guerre si ces territoires envahis ne lui sont pas restitués, des négociations s’engagent et les deux pays signent un traité le 10 août 1866 [2].

Le 6 août 1874, la frontière est tracée définitivement sur le 24° parallèle, mais l’accord précise que le produit du guano et des ressources minières compris entre le 23e et le 25e parallèles, ainsi que les droits de douane collectés dans les ports seront partagés par moitié entre les deux Etats. Moyennant quoi, la Bolivie concède à la Société exploratrice du désert d’Atacama le droit de s’approprier et d’exporter, pendant quinze ans, tout le salpêtre de son littoral, ainsi que celui de construire les chemins de fer nécessaires à cette exploitation. Cette concession est transférée un peu plus tard à une compagnie anglo-chilienne, Melbourne, Clark & Cie, laquelle deviendra en 1872 la Compagnie de salpêtre et ferroviaire d’Antofagasta.

Un tremblement de terre en 1877 et une terrible sécheresse l’année suivante provoquent des dommages catastrophiques en Bolivie. Economiquement pris à la gorge, le gouvernement sollicite de la Compagnie de salpêtre et ferroviaire d’Antofagasta le paiement de 10 centimes de royalties pour chaque quintal de salpêtre exporté. Se portant au secours de ses actionnaires, Santiago réagit. Sans qu’aient été respectés les mécanismes d’arbitrage prévus en cas de litige, une escadre chilienne lève l’ancre et, le 14 février 1879, sous la présidence d’Anibal Pinto, occupe Antofagasta. La déclaration de guerre formelle à la Bolivie, mais aussi au Pérou [3], ne survient que le 5 avril suivant. Composée de 2 975 soldats professionnels et d’environ 4 000 réservistes, l’armée bolivienne ne peut résister. Elle est mise en déroute le 26 mai 1880 au Alto de la Alianza. Le Pérou résistera jusqu’à ce que Lima soit occupée le 17 janvier 1881.

Au terme de cette Guerre du Pacifique, le Pérou cède au Chili, à perpétuité, en 1883, la province de Tarapaca, riche en nitrates, et les deux villes de Tacna et d’Arica. Un an plus tard, en vertu d’une « trêve » et non d’un traité de paix définitif, la Bolivie se voit amputée de ses quatre cents kilomètres de côte et, compris entre les 23° et 21° parallèles, de 120 000 km2 du territoire attenant.

Faut-il s’en étonner, le gouvernement bolivien se montre peu enclin à accepter la nouvelle donne. En réponse, le 13 août 1900, l’ambassadeur chilien à La Paz, Abrahan König, expose sans trop de délicatesse la position de Santiago : « Le Chili a occupé le littoral et s’en est emparé au même titre que l’Allemagne a annexé l’Alsace et la Lorraine et que les Etats-Unis d’Amérique ont occupé Porto Rico. Nos droits naissent de la victoire, loi suprême des nations. Que le littoral soit riche et vaille plusieurs millions, nous le savions depuis longtemps. Nous le gardons parce qu’il a de la valeur ; s’il n’avait pas de valeur il n’y aurait aucun intérêt à le conserver. Une fois la guerre finie, le vainqueur impose ses conditions et exige le paiement des frais occasionnés. La Bolivie a été vaincue ; elle n’avait pas de quoi payer, elle a livré le littoral. [...] Par conséquent, le Chili ne doit rien, n’est obligé à rien [...] [4].  »

C’est avec un pistolet sur la tempe que, le 20 octobre 1904, le ministre bolivien Alberto Guitiérrez signe avec le ministre chilien des affaires étrangères Emilio Bello le « traité de paix et d’amitié » qui établit la «domination totale et perpétuelle » du Chili sur les territoires occupés. En compensation, le Chili s’engage à construire à ses frais une ligne de chemin de fer entre Arica et La Paz, à verser 300 000 £ à la Bolivie et à lui concéder perpétuellement le « plus large et libre transit commercial par son territoire et ses ports du Pacifique ».

LE GÉNÉRAL JUAN JOSÉ TORRES SURNOMMÉ J. J.
Le problème n’en est pas résolu pour autant, jamais la Bolivie ne renonçant à sa revendication. Sucre (sa capitale) porte pour la première fois l’affaire dans un cadre multilatéral, devant la Société des nations entre 1920 et 1922. En 1926, le secrétaire d’Etat américain, Frank B. Kellog, suggère le retour de deux provinces à la Bolivie ; le Chili accepte de céder une frange territoriale et un port. Mais le Pérou revient sur le devant de la scène en 1929. Par la signature d’un traité, il s’entend avec Santiago sur le sort des deux provinces qu’il a perdues au terme de la Guerre du Pacifique : tandis qu’il récupère Tacna, Arica demeure au Chili. Et les deux nations ajoutent un « protocole complémentaire » : aucun de leurs gouvernements respectifs ne pourra, sans l’accord préalable de l’autre partie, céder à une « troisième puissance » les territoires objets de ce traité. Selon l’expression populaire, « le Chili pose un cadenas et en laisse la clé au Pérou » : la solution d’une frange territoriale allant de la Bolivie à la mer et adjacente à la frontière Chili - Pérou, ne pourra plus aboutir sans l’accord de Lima.

 HUGO BANZER SUÁREZ LE 30 AOÛT 1971
Secrètes ou publiques, de nombreuses tentatives sont faites pour tenter de trouver une solution. Et ce, sous les vents idéologiques les plus opposés. En octobre 1970, le gouvernement nationaliste de gauche bolivien du général Juan José Torres cherche le rétablissement des relations diplomatiques avec le Chili. L’heure est propice. Partisan de l’intégration latino-américaine, Salvador Allende est au pouvoir à Santiago. En février 1971, celui-ci envoie à La Paz le sénateur communiste Volodia Teitelboim. Quelques jours plus tard, le ministre des affaires étrangères bolivien, Emilio Molina Pizarro, déclare qu’il existe une évolution chilienne, tandis que le général Torres affirme : « L’accès à la mer se fera par la compréhension révolutionnaire entre les peuples [5]. » Disposé à accorder cet accès le long de la frontière péruvienne, le Chili céderait à la Bolivie un couloir étroit débouchant sur l’océan ; là, pourrait être construit un port qui serait aussi le terminus d’une ramification de la voie ferrée Arica - La Paz. Le coup d’Etat du général Hugo Banzer contre Torres, le 21 octobre 1971, fait échouer cette amorce de dénouement.
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LE 8 FÉVRIER 1975, EL ABRAZO DE CHARAÑA, (« L’EMBRASSADE DE CHARAÑA ») ENTRE LES DICTATEURS HUGO BANZER ET AUGUSTO PINOCHET.  LE COUP D’ÉTAT QUI A PORTÉ AU POUVOIR LE GÉNÉRAL AUGUSTO PINOCHET EN 1973 A PLACÉ LE CHILI DANS LA CATÉGORIE  DES « NATIONS PARIAS » PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE. L’ISOLEMENT IMPOSÉ DANS LEQUEL S’EST RETROUVÉ LE PAYS PENDANT LES ANNÉES DE DICTATURE CONDUISIT LE DICTATEUR CHILIEN À UN SEMBLANT DE RÉCONCILIATION ENTRE LA BOLIVIE ET LE CHILI.
Allende renversé à son tour, de nouveaux contacts entre Augusto Pinochet et Banzer s’ébauchent au cours d’une réunion à Brasilia, sous les bons offices des généraux brésiliens. En cette période de répression de leurs oppositions respectives, tous ont intérêt à s’entendre et à serrer les rangs (l’opération Condor en témoignera). À Charaña, petite gare ferroviaire bolivienne à la frontière du Chili, le 8 février 1975, les deux dictateurs décident de résoudre le contentieux. Dans un accord en six points, le Chili exprime à nouveau sa disposition à négocier la cession d’une frange de territoire le long de sa frontière septentrionale avec le Pérou. Malheureusement, en vertu du traité de Lima de 1929, le Pérou tire le tapis sous les pieds de la Bolivie. Opposé aux termes de cet accord, son président, le général Francisco Morales Bermúdez, rédige sa propre proposition : le partage entre les trois pays du port (ex-péruvien devenu chilien) d’Arica et de son domaine maritime. Pinochet rejette cette option et, après une dernière tentative en septembre 1977 dans le cadre de l’Organisation des Etats américains (OEA), La Paz, en mars 1978, rappelle son ambassadeur à Santiago.

Après le retour des démocraties, il faudra attendre 2006 pour que les présidents Evo Morales et Michelle Bachelet (2006-2010) établissent un agenda bilatéral en treize points qui inclut la demande maritime bolivienne. Le courant passe beaucoup moins bien avec le président conservateur Sebastian Piñera (2010-2014) ; dès le début de son mandat, arguant que la fameuse demande « n’a aucun fondement historique et juridique », celui-ci gèle les discussions. Les esprits s’échauffant de part et d’autre de la frontière, le ministre de la défense de Santiago ira jusqu’à affirmer que son pays ferait respecter les traités internationaux en vigueur, s’il le fallait par la force, en rappelant que le Chili « possède une armée prestigieuse (sic !) et professionnelle ».

C’est cette paralysie et cette ambiance délétère qui conduisent Evo Morales, en 2011, à mandater unilatéralement la CIJ. Car, au-delà des vagues de chauvinisme qui, dans les deux pays, par médias interposés, entretiennent la flamme séculaire de l’antagonisme, l’absence d’un accès à la mer pénalise plus qu’on ne l’imagine la Bolivie.

Certes, Santiago mentionne en permanence les bénéfices concédés à son voisin à travers le « libre transit », le gros du commerce bolivien avec le Pacifique passant par les ports chiliens d’Arica et Antofagasta. Il n’en demeure pas moins que les importantes réserves de gaz naturel de la Bolivie ne peuvent être exportées directement faute d’un port lui appartenant. Pour mémoire, lors de la « guerre du gaz » d’octobre 2003, qui a provoqué une insurrection contre le président Gonzalo Sánchez de Lozada, l’une des questions centrales était le refus populaire de la vente du gaz naturel à travers un port chilien [6]. Si 70 % des exportations boliviennes passent par les ports d’Arica et d’Antofagasta, elles ont été fortement affectées par leur privatisation. Contrôles discrétionnaires, inspection des chargements dont le coût – entre 125 et 800 dollars par conteneur – est répercuté sur les importateurs et les exportateurs boliviens, perception d’impôts sur toutes les marchandises en transit et de taxes sur les démarches administratives, coûts de transport (+ 31 % par rapport à la moyenne latino-américaine), perte de temps des camions au passage de la frontière… D’après la publication de la Banque mondiale Doing Business (2012), les exportations boliviennes par conteneur sont 55,7 % plus chères que celles du Chili et 60 % que celles du Pérou.

Deuxième chance ? « Si un dictateur comme Pinochet a proposé une sortie vers la mer à la Bolivie dans les années 1970, nous espérons qu’un gouvernement démocratique et socialiste puisse accorder ce droit en plein XXIe siècle », déclare Evo Morales, le 23 mars 2014, durant la célébration du traditionnel « Jour de la mer », moins de quinze jours après le retour de Mme Bachelet pour un second mandat au palais de La Moneda. A travers un communiqué du ministère chilien des affaires étrangères, une sèche fin de non recevoir lui parvient : aucun dialogue entre les deux pays ne peut inclure le thème de la mer « parce que la Bolivie a décidé de le soumettre unilatéralement à un processus contentieux devant la CIJ ». Oubliant les épisodes précédents, dont la fermeture à la concertation de M. Piñera, le ministre Muñoz s’offre même le luxe d’ajouter : « C’est dommage parce que nous avons pour disposition d’entretenir les meilleures relations avec la Bolivie (…) Nous aurions été disposés à reprendre l’agenda en treize points, qui inclut au point 6 l’aspiration maritime bolivienne, et à avoir un dialogue de bonne foi et sans conditions. »

Malgré l’ardent appel du charismatique chef d’Etat uruguayen José « Pepe » Mujica à l’Union des nations sud-américaines (Unasur) « pour aider à octroyer une sortie sur la mer à la Bolivie [7] », Santiago se montre d’autant moins ouvert au recours à la CIJ que cette dernière vient de rendre un verdict qui lui est défavorable dans un litige également lié à la Guerre du Pacifique l’opposant à Lima : daté du 27 janvier 2014, le jugement de la Cour octroie au Pérou une large partie d’un territoire maritime (35 000 km2) très poissonneux et peut-être riche en hydrocarbures appartenant jusqu’alors au Chili ou considéré comme se trouvant dans les eaux internationales.

Le gouvernement chilien s’émeut que puisse être remis en question le traité signé en 1904 et la stabilité des frontières. De son côté, le président Morales soutient que ledit traité « de paix et d’amitié » a été « imposé à la force des baïonnettes » et – prenant comme exemple la dévolution par les Etats-Unis du canal de Panamá à ce pays – qu’il peut et doit être abrogé.

Les plaidoiries devant la CIJ se sont déroulées du 4 au 8 mai dernier. La Bolivie y a soutenu notamment que, « au-delà des obligations générales que lui impose le droit international, le Chili s’est plus particulièrement engagé, par des accords, sa pratique diplomatique et une série de déclarations attribuables à ses plus hauts représentants, à négocier afin que soit assuré à la Bolivie un accès souverain à la mer ». Elle estime que « le Chili ne s’est pas conformé à cette obligation et en conteste l’existence même ». Santiago, de son côté soutient notamment que « l’article VI du pacte de Bogotá exclut la demande de la Bolivie de la compétence de la Cour car cette demande a trait à des questions réglées et régies par le traité de paix de 1904 ». La décision de la CIJ n’est pas attendue avant plusieurs semaines et, si elle est positive, l’examen au fond de l’affaire n’aura pas lieu avant des mois.

Tandis que le ministre des affaires étrangères chilien Heraldo Muñoz qualifiait de « confus » le plaidoyer présenté par la Bolivie, Evo Morales a affirmé que son pays disposait d’autres options « intéressantes » au cas où la CIJ en viendrait à se dessaisir du dossier. Reste une question qui concerne moins la « justice », fût-elle internationale, que les gouvernants « de bonne volonté ». Nul ne suggère que soit restitué à la Bolivie l’ensemble des territoires perdus. Il s’agirait simplement, pour ce pays, d’obtenir un corridor jusqu’à la côte du Pacifique à travers le désert d’Atacama. Le Chili, qui dispose d’un littoral de 4 200 kilomètres, ne peut-il en céder une dizaine ? La résolution de ce problème séculaire permettrait, nul n’en doute, l’approfondissement de l’intégration, aussi bien régionale que latino-américaine.

tag Mots-clés :  Bolivie Chili

NOTES

[1] Les deux pays ont souscrit au Pacte de Bogotá de 1948 qui reconnaît la compétence de la Cour internationale de Justice de La Haye en matière de règlement de différend entre les États signataires.

[2] Lire Christian Rudel, La Bolivie, Karthala, Paris, 1995.

[3] Bolivie et Pérou sont liés par un traité d’alliance depuis 1873.

[4] Ministerio de relaciones exteriores de Bolivia, El libro del mar, La Paz, 2014.

[5] Joaquín Fermandois, Chile y el mundo 1970-1973, Ediciones Universidad Católica de Chile, Santiago, 1985.

[6] Traditionnellement et aujourd’hui encore, la Bolivie refuse de vendre son gaz au Chili, contraint d’importer son combustible par voie maritime.

jeudi 21 mai 2015

CHILI: 505 ANS DE PRISON POUR L'EX-BRAS DROIT DE PINOCHET


Abattus par les services de renseignement

 ALEJANDRO DE LA BARRA
Les deux militants, l'actrice Ana Maria Ortiz et le politologue Alejandro de la Barra, avaient été abattus par des agents de la Direction nationale du renseignement (DINA), la police politique qui a opéré durant les années les plus sanglantes de la dictature.

Manuel Contreras avait affirmé dans un entretien à CNN-Chile, diffusée la veille du quarantième anniversaire du putsch militaire du 11 septembre 1973, que les victimes de la DINA "sont mortes au combat" et qu'il n'avait ordonné ni disparitions, ni tortures.
ANA MARIA ORTIZ 

La DINA a employé jusqu'à 60.000 personnes, dont des agents, des informateurs et des réseaux à l'étranger, et gérait également des prisons secrètes, ne rendant compte de ses activités qu'au général Pinochet.

3.200 morts, 38.000 personnes torturées


Elle a été créditée, entre autres, de l'assassinat de l'ancien ministre des Affaires étrangères Orlando Letelier à Washington en 1976, et de l'ancien commandant en chef Carlos Prats en Argentine en 1974, mais aussi de l'agression contre le démocrate-chrétien Bernardo Leighton, blessé par balle à Rome l'année suivante.

Manuel Contreras, jusqu'en 1977 bras droit du général Pinochet, a accumulé des peines de centaines d'années de prison au total, dans le cadre de plusieurs procès pour des violations des droits de l'homme commises sous la dictature qui a fait plus de 3.200 morts et ordonné la torture de quelque 38.000 personnes.

Augusto Pinochet est mort le 10 décembre 2006 sans avoir jamais été condamné.

Par la rédaction avec AFP

mercredi 20 mai 2015

LE CHILI VA ENVOYER UNE FRÉGATE LUTTER CONTRE LA PIRATERIE EN OCÉAN INDIEN

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LA FRÉGATE CHILIENNE TYPE 23 « ALMIRANTE COCHRANE »
Le gouvernement chilien prévoit d’envoyer une de ses frégates participer à la force navale de l’Union Européenne (EURONAVFOR), dans le cadre de l’opération européenne Atalante, au large des côtes somaliennes, afin de protéger les navires du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies qui transportent l’aide humanitaire vers ce pays.
Pour concrétiser cette participation, le Parlement chilien doit ratifier l’accord-cadre de participation de gestion de crise, base juridique qui encadre la participation chilienne aux opérations civiles et militaires de gestion de crise dirigées par l’Union Européenne. Cet accord avait été signé en janvier 2014 à Bruxelles.  

Une fois cet accord approuvé, accord qui permettra d’élargir la portée de l’association stratégique du Chili avec l’Union Européenne dans le domaine de la défense, une frégate chilienne devrait renforcer les moyens européens dans la lutte contre la piraterie, la surveillance de la pêche et la dissuasion des vols en haute-mer.

La marine chilienne se prépare à envoyer la frégate anti-sous-marine Almirante Cochrane, une ancienne frégate britannique Type 23. Ce type de navire a été préféré à un patrouilleur océanique pour ses capacités supérieures de contrôle et la possibilité d’embarquer plus de personnel.

Ce ne sera pas la première fois que le Chili participera à une opération de paix en association avec l’Union Européenne. Depuis 2004, différents contingents chiliens ont participé à l’opération en Bosnie Herzégovine ALTHEA.

samedi 16 mai 2015

DEUX ÉTUDIANTS MEURENT EN MARGE D'UNE MANIFESTATION AU CHILI

« Il y a eu deux morts à Valparaiso. Deux jeunes ont été tués par balles par un civil, alors qu’ils étaient en train de coller des affiches sur les murs d’un immeuble. Cette nouvelle nous a beaucoup affectés. »
Large mouvement de contestation au Chili. Dans plusieurs grandes villes du pays, dont la capitale Santiago, des milliers d'étudiants et d'enseignants ont manifesté pour réclamer une réforme en profondeur du système d'éducation. Dans certaines villes, les rassemblements ont dégénéré. A l'instar de Valparaiso, où deux étudiants ont été tués jeudi 14 mai 2015.

La mort de deux jeunes de 18 et 24 ans, jeudi dans la ville portuaire de Valparaiso, a plongé dans le deuil le mouvement de contestation. La vice-présidente de la Fédération des étudiants de l'université du Chili, Javiera Reyes, relate les faits : « Il y a eu deux morts à Valparaiso. Deux jeunes ont été tués par balles par un civil, alors qu’ils étaient en train de coller des affiches sur les murs d’un immeuble. Cette nouvelle nous a beaucoup affectés. »

Selon des témoins cités par l'Agence France-Presse, les coups de feu mortels auraient été tirés par un jeune homme de 22 ans vivant dans une batisse où les manifestants voulaient coller leurs affiches. Il a été arrêté. Après le drame, dans la soirée, des bougies ont été allumées à Valparaiso en hommage aux deux étudiants tués.

La présidente Bachelet face à sa promesse de gratuité

La manifestation à Valparaiso s'inscrit dans un large mouvement de contestation. La présidente socialiste du Chili, Michelle Bachelet, a entamé une vaste réforme du système éducatif, jusqu'à présent largement privatisé et inégalitaire. Mais étudiants et enseignants craignent que la réforme, dont un premier volet a été approuvé en janvier, n'aille pas assez loin. La première partie de la réforme visait à mettre fin à la sélection des étudiants et aux profits dans les écoles subventionnées par l'Etat.

Alors que les enseignants demandent pour leur part de meilleurs salaires, difficile de savoir comment la présidente de la République tiendra désormais l'une des promesses majeures de sa dernière campagne, à savoir la gratuité dans l'enseignement supérieur pour les 70 % de Chiliens les plus pauvres. Beaucoup craignent que la réforme n'aille pas assez loin.


Un contexte politique tendu au Chili

« Nous avons demandé la gratuité des universités. Nous demandons aussi le déblocage de fonds pour renforcer l’ensemble de l’éducation publique et gratuite telle qu'elle existe déjà, parce que ces institutions ont été abandonnées par l’Etat pendant des années, et elles sont aujourd’hui dans un état déplorable », explique Javiera Reyes.


La plus grande manifestation de jeudi a rassemblé des milliers de personnes dans la capitale du pays, Santiago. Plus de 130 personnes ont été arrêtées après des échauffourées entre des étudiants cagoulés, armés de bâtons et de pierres, et les forces de l'ordre, qui ont répliqué au canon à eau. A noter que la recrudescence du mouvement étudiant tombe au plus mal, quelques jours après la formation d'un nouveau cabinet par la présidente, affaiblie par des scandales de corruption impliquant certains de ses proches.

mardi 12 mai 2015

LE CHILI, MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT ET DE DÉMOCRATIE

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DURÉE : 00:02:16


«On a peine à imaginer que le Chili puisse se considérer ou être considéré comme un exemple à suivre par les autres pays latino-américains.»

Rares sont les pays latino-américains à être considérés comme des modèles de développement ou de démocratie. C'est pourtant le cas du Chili. Un colloque a été organisé sur ce thème à Santiago au début du mois.

par  Jean-Pierre Boris
[27/09/2007












      CHILI: FACE À UNE CRISE DE CONFIANCE, BACHELET RÉNOVE SON GOUVERNEMENT

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      MICHELLE BACHELET PRÉSIDE LA PREMIÈRE RÉUNION DE SON NOUVEAU GOUVERNEMENT.
      PHOTO ALEX IBAÑEZ

      Élue il y a 14 mois avec plus de 60 % des voix, la présidente chilienne est au plus mal dans les sondages. En effet, 64 % des Chiliens estiment qu’elle gère mal les affaires du pays. L’annonce de la composition de ce nouveau cabinet était donc très attendue et le remplacement de Rodrigo Peñalillo, jusqu’à présent ministre de l’Intérieur, par Jorge Burgos, ancien ministre de la Défense, est un signe fort.

      Rodrigo Peñalillo était considéré comme le fils spirituel de Michelle Bachelet. Avec Alberto Arenas, débarqué du ministère des Finances, il était à l’origine du programme électoral qui a permis à la présidente de s’imposer lors de la présidentielle. Michelle Bachelet se sépare donc de ses deux plus fidèles « lieutenants ».

      C’est d’ailleurs la première fois depuis le retour de la démocratie au Chili qu’un ministre des Finances quitte ses fonctions. Et les défis qui attendent son remplaçant Rodrigo Valdés sont colossaux, selon la presse chilienne. Avec des indicateurs de croissance inférieurs aux prévisions et un secteur privé délaissé depuis le retour aux affaires de Michelle Bachelet, rétablir la confiance ne sera pas chose aisée.

      Les explications de notre correspondante à Santiago du Chili, Claire Martin

      En sacrifiant ses ministres de l'Intérieur et des Finances, en plus du porte-parole du gouvernement, Michelle Bachelet s'est séparée de ses plus fidèles collaborateurs, ceux en qui elle a le plus confiance, ceux qui l'ont suivie durant toute la campagne électorale et qui incarnaient le renouveau en politique au Chili.

      Face à une crise politique sans précédent depuis la fin de l'ère Pinochet, provoquée par des scandales de corruption, la socialiste tente ainsi de donner à son gouvernement un nouveau souffle. Mais elle vient au passage de lui donner une note plus conservatrice, que l'opposition de droite applaudit.

      Le nouveau ministre de l'Intérieur, le démocrate chrétien Jorge Burgos, est ainsi plus au centre que son prédécesseur, plus proche de la vieille garde du centre gauche. Quant au nouveau ministre des Finances, Rodrigo Valdés, il est plus libéral et plus proche du secteur privé.

      Alors que la présidente tente de redorer le blason de la politique, avec des réformes anti-corruption, les nouveaux ministres se devaient d'être blancs comme neige. Or, le porte-parole du gouvernement et le ministre chargé des relations entre le gouvernement et le Parlement, ont tout deux fait partie d'une entreprise de lobbying chargée d'influencer les décisions législatives en faveur de leurs clients. Les critiques fusent déjà.

      lundi 11 mai 2015

      L’AIR DE LA HAVANE ET NOTRE DIPLOMATIE

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      FRANÇOIS MITTERRAND ET FIDEL CASTRO, À LA HAVANE, LE 25 NOVEMBRE 1974. 

      PHOTO KEYSTONE-FRANCE

      Enfin, un président français à Cuba  ! Parce que les États-Unis imposaient un blocus – pourtant condamné par l’ONU –, les relations avec la grande île caraïbe avaient pris un cours souterrain, maigrelet, emprunté, qui ne compensait pas les ravages causés par l’embargo à la vie des Cubains et qui laissait faire les menées de la CIA contre les dirigeants castristes. Il aura fallu d’ailleurs que Barack Obama réouvre le dialogue avec Raul Castro pour que François Hollande ose le voyage de La Havane. Le geste, s’il est suivi d’actes concrets de coopération et d’amitié, est le bienvenu, même s’il témoigne d’une dépendance narcotique à la politique américaine. La diplomatie française est à ce point vassale qu’elle n’ose pas déroger au code de conduite édicté par Washington et qu’elle a pâlement imité le Département d’État en boycottant les cérémonies de célébration de la capitulation nazie à Moscou. Le peuple russe a pris comme une gifle ce qui était un alignement mécanique sur une relance de la guerre froide planifiée par la Maison-Blanche.

      De Gaulle, réveille-toi, ils sont devenus fous ! Nicolas Sarkozy, puis François Hollande ont embastillé notre pays dans l’Otan et ne prennent plus de liberté que dans la surenchère. Sur la Libye, la Syrie, dans la complicité coupable avec les dictatures ou les fanatismes du Golfe, dans le soutien à un régime ukrainien qui interdit sa contestation et réhabilite les collaborateurs nazis.

      En Europe, nos dirigeants trottinent derrière Angela Merkel et l’encouragent à étrangler le peuple grec, tout en tendant la nuque aux jougs de l’austérité et de la finance. Cette diplomatie soumise n’a ni grandeur ni valeur et elle ronge l’immense crédit qu’une histoire d’indépendance a forgé. Peut-on espérer que l’air de La Havane, où l’on a su résister 56 ans à un voisin super-puissant et hostile, réveillera nos gouvernants ? Il y faudra sans doute des piqûres électorales de rappel...

      dimanche 10 mai 2015

      CUBA. PETIT RAPPEL SUR L’ÉTAT DE SIÈGE ÉCONOMIQUE LE PLUS LONG DE L’HISTOIRE

       EN 1934, LE COLONEL BATISTA DEVIENT CHEF D'ÉTAT-MAJOR ET MET EN PLACE UN RÉGIME PRO-AMÉRICAIN. ICI EN 1956, IL REÇOIT LE PRÉSIDENT EISENHOWER. DEUX ANS APRÈS, IL S'ENFUIT AUX ÉTATS-UNIS. PHOTO BYRON ROLLINS

      En 1962, le gouvernement démocrate de John F. Kennedy a appliqué des sanctions économiques totales contre l’île. L’impact a été terrible. Les Etats-Unis ont en effet toujours constitué le marché naturel de Cuba. En 1959, 73% des exportations se faisaient vers le voisin du Nord et 70% des importations provenaient de ce territoire.

      Désormais, Cuba ne peut rien importer ou exporter aux Etats-Unis. Depuis 2000, suite aux pressions du lobby agricole étasunien qui cherchait de nouveaux marchés pour ses excédents, La Havane est autorisée à acheter certaines matières premières alimentaires, à des conditions draconiennes.

      La rhétorique diplomatique pour justifier le durcissement de cet état de siège économique a évoluée au fil des ans. Entre 1960 et 1990, les Etats-Unis ont d’abord évoqué le cas des expropriations de ses entreprises pour justifier leur politique hostile vis-à-vis de La Havane. Ensuite, Washington a évoqué tour à tour l’alliance avec l’Union soviétique, le soutien aux guérillas latino-américaines en lutte contre les dictatures militaires et l’intervention cubaine en Afrique pour aider les anciennes colonies portugaises à obtenir leur indépendance et à la défendre.

      En 1991, suite à l’effondrement du bloc soviétique, les Etats-Unis, au lieu de normaliser les relations avec Cuba, ont au contraire choisi d’accroitre les sanctions en invoquant la nécessité de rétablir la démocratie et le respect des droits de l’homme. En 1992, sous l’administration Bush Sr., le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi Torricelli qui accroit les sanctions contre la population cubaine et leur donne un caractère extraterritorial, c’est-à-dire contraire à la législation internationale. Le droit international interdit à toute loi nationale d’être extraterritoriale, c’est-à-dire de s’appliquer au-delà des frontières du pays. Ainsi, la loi française ne peut pas s’appliquer en Allemagne. La législation brésilienne ne peut pas s’appliquer en Argentine. Néanmoins, la loi Torricelli s’applique pour tous les pays du monde. Ainsi, depuis 1992, toute embarcation étrangère – quelle que soit sa provenance – accostant à un port cubain se voit interdire l’entrée aux Etats-Unis pendant six mois. Les entreprises maritimes opérant dans la région privilégient le commerce avec les Etats-Unis, premier marché mondial. Cuba, qui dépend essentiellement du transport maritime en raison de son insularité, doit payer un prix bien supérieur à celui du marché pour convaincre les transporteurs internationaux de livrer de la marchandise sur l’île. La loi Torricelli prévoit également des sanctions pour les pays qui apportent une assistance à Cuba. Ainsi, si la France ou le Brésil octroient une aide de 100 millions de dollars à l’île, les États-Unis diminuent leur aide à ces nations à hauteur du même montant.

      En 1996, l’administration Clinton a adopté la loi Helms-Burton qui est à la fois extraterritoriale et rétroactive, c’est-à-dire qu’elle s’applique pour des faits survenus avant l’adoption de la législation, ce qui est contraire au droit international. Le droit international interdit à toute législation d’avoir un caractère rétroactif. Par exemple, en France, depuis le 1er janvier 2008, il est interdit de fumer dans les restaurants. Néanmoins, un fumeur qui aurait consommé une cigarette le 31 décembre 2007 lors d’un repas ne peut être sanctionné pour cela, car la loi ne peut pas être rétroactive. La loi Helms-Burton sanctionne toute entreprise étrangère qui s’installerait sur les propriétés nationalisées appartenant à des personnes qui, au moment de l’étatisation, disposaient de la nationalité cubaine, violant ainsi le droit international. La loi Helms-Burton viole également le droit étasunien qui stipule que les poursuites judiciaires auprès de tribunaux ne sont possibles que si la personne lésée par un processus de nationalisations est citoyen étasunien lors de l’expropriation et que celle-ci s’est déroulée en violation au droit international public. Or, aucune de ces deux conditions n’est remplie. Elle a pour effet de dissuader de nombreux investisseurs de s’installer à Cuba par crainte d’être poursuivis par la justice étasunienne et elle se révèle très efficace.

      En 2004, l’administration Bush Jr. a créé la Commission d’assistance à une Cuba libre, qui a imposé de nouvelles sanctions contre Cuba. Cette Commission a notamment fortement limité les voyages. Tous les habitants des Etats-Unis peuvent se rendre dans leur pays d’origine autant de fois qu’ils le souhaitent, sauf les Cubains. En effet, entre 2004 et 2009, les Cubains des Etats-Unis n’ont pu se rendre dans l’île que 14 jours tous les trois ans, dans le meilleur des cas, à condition d’obtenir une autorisation du Département du Trésor. Pour pouvoir voyager, il fallait démontrer qu’au moins un membre de la famille vivait toujours à Cuba. Néanmoins, l’administration Bush a redéfini le concept de la famille, qui s’est exclusivement appliqué aux Cubains. Ainsi, les cousins, neveux, oncles et autres parents proches ne faisaient plus partie de la famille. Seuls les grands-parents, parents, frères et sœurs, enfants et époux faisaient partie de l’entité familiale, selon la nouvelle définition. Par exemple, un Cubain résidant aux États-Unis ne pouvait pas rendre visite à sa tante à Cuba, ni envoyer une aide financière à son cousin. Les Cubains ayant pu remplir toutes les conditions pour se rendre dans leur pays d’origine, en plus de devoir limiter leur séjour à deux semaines, ne devaient pas dépenser plus de 50 dollars par jour sur place.  es citoyens ou résidants étasuniens peuvent envoyer une aide financière à leur famille restée au pays, sans limite de montant, sauf les Cubains qui ne pouvaient pas envoyer plus de 100 dollars par mois entre 2004 et 2009. Néanmoins, si un Cubain de Floride souhaitait envoyer de l’argent à sa mère – membre direct de la famille selon la nouvelle définition – qui vivait à La Havane, cela devenait impossible si celle-ci militait au sein du Parti communiste.


      EN AVRIL 1959, TANDIS QUE DES EXÉCUTIONS SOMMAIRES DÉTÉRIORENT L'IMAGE DU RÉGIME CUBAIN, SON LEADER CASTRO SE REND À WASHINGTON POUR RASSURER L'ADMINISTRATION EISENHOWER. ICI CASTRO ET LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHRISTIAN HERTER. PHOTO ASSOCIATED PRESS

      En 2006, la Commission d’assistance à une Cuba libre a adopté un nouveau rapport accroissant les restrictions contre Cuba. Dans le but de limiter la coopération médicale cubaine avec le reste du Monde, les Etats-Unis interdisent toute exportation d’appareils médicaux à des pays tiers « destinés à être utilisés dans des programmes à grande échelle [pour] des patients étrangers », alors que la majeure partie de la technologie médicale mondiale est d’origine étasunienne.

      En raison de l’application extraterritoriale des sanctions économiques, un fabriquant d’automobiles japonais, allemand, coréen ou autre, qui souhaiterait commercialiser ses produits sur le marché étasunien, doit démontrer au Département du Trésor que ses voitures ne contiennent pas un gramme de nickel cubain. De la même manière, un pâtissier français qui désirerait investir le premier marché économique mondial doit prouver à cette même entité que sa production ne contient pas un gramme de sucre cubain. Ainsi, le caractère extraterritorial des sanctions limite fortement le commerce international de Cuba avec le reste du monde.

      Parfois, l’application de ces sanctions prend une tournure moins rationnelle. Ainsi, tout touriste étasunien qui consommerait un cigare cubain ou un verre de rhum Havana Club lors d’un voyage à l’étranger, en France, au Brésil ou au Japon, risque une amende d’un million de dollars et dix années de prison. Le Département du Trésor est clair à ce sujet : « On se demande souvent si les citoyens américains peuvent légalement acquérir des biens cubains, y compris du tabac ou des boissons alcoolisées, dans un pays tiers pour leur consommation personnelle en dehors des Etats-Unis. La réponse est non ». De la même manière, un Cubain vivant en France ne peut théoriquement pas manger un hamburger à Mc Donald’s.

      FIDEL CASTRO ET RICHARD NIXON, AVRIL 1959 

      Les sanctions économiques ont un impact dramatique dans le domaine de la santé. En effet, près de 80% des brevets déposés dans le secteur médical sont du fait des multinationales pharmaceutiques étasuniennes et de leurs filiales, et Cuba ne peut pas y avoir accès. Le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies souligne que « les restrictions imposées par l’embargo ont contribué à priver Cuba d’un accès vital aux médicaments, aux nouvelles technologies médicales et scientifiques ».

      Les touristes étasuniens peuvent se rendre en voyage en Chine, principal rival économique et politique des Etats-Unis, au Vietnam, pays contre lequel Washington a été plus de quinze ans en guerre, ou en Corée du Nord, qui possède l’arme nucléaire et qui menace d’en faire usage, mais pas à Cuba qui, dans son histoire, n’a jamais attaqué les Etats-Unis. Tout citoyen étasunien qui violerait cette interdiction risque une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison et 1 million de dollars d’amende.

      Suite aux sollicitations de Max Baucus, sénateur du Montana, le Département du Trésor a informé avoir réalisé, entre 1990 et 2004, quatre-vingt-treize investigations en rapport avec le terrorisme international. Dans le même temps, il en a effectué 10 683 « pour empêcher les Nord-américains d’exercer leur droit de voyager à Cuba ».

      Dans un rapport, le Bureau de responsabilité gouvernementale des États-Unis (United States Government Accountability Office – GAO) note que les services douaniers (Customs and Border Protection – CBP) de Miami ont réalisé des inspections « secondaires » sur 20% des passagers en provenance de Cuba afin de vérifier que ces derniers n’importaient pas de cigares, de l’alcool ou des produits pharmaceutiques de l’île. En revanche, la moyenne a été de 3% seulement pour les autres voyageurs. Selon le GAO, cette focalisation sur Cuba « réduit l’aptitude des services douaniers à mener sa mission qui consiste à empêcher les terroristes, les criminels et les autres étrangers indésirables d’entrer dans le pays ».

      Les anciens présidents James Carter et William Clinton ont exprimé à plusieurs reprises leur opposition à la politique de Washington. « Je n’ai eu de cesse de demander à la fois publiquement et en privé la fin de notre blocus économique contre le peuple cubain, la levée toutes les restrictions financières, commerciales et de voyage », a déclaré Carter après son second voyage à Cuba en mars 2011. Pour Clinton, la politique de sanctions « absurde » s’est soldée par un « échec total ».


      FIDEL CASTRO EN AVRIL 1961, LORS DE L'INVASION DE LA BAIE DES COCHONS © SIPAPRESS

      La Chambre de commerce des États-Unis, représentant le monde des affaires et les plus importantes multinationales du pays, a également fait part de son opposition au maintien des sanctions économiques.

      Le New York Times a condamné « un anachronisme de la guerre froide ». Le Washington Post, pourtant d’obédience conservatrice, se montre le plus virulent à l’égard de la politique cubaine de Washington : « La politique des Etats-Unis à l’égard de Cuba est un échec […]. Rien n’a changé, excepté le fait que notre embargo nous rend plus ridicule et impuissant que jamais ».

      Selon un sondage réalisé par CNN le 10 avril 2009, 64% des citoyens étasuniens s’opposent aux sanctions économiques contre Cuba. Selon l’entreprise Orbitz Worldwide, l’une des deux plus importantes agences de voyages sur Internet, 67% des habitants des États-Unis souhaitent se rendre en vacances à Cuba et 72% pensent que « le tourisme à Cuba aurait un impact positif sur la vie quotidienne du peuple cubain ».

      Plus de 70% des Cubains sont nés sous cet état de siège économique. En 2014, lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, 188 pays sur 192 ont condamné pour la 23ème fois consécutive les sanctions économiques imposées à Cuba.

      Salim Lamrani, État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions Estrella, 2011.

      Salim Lamrani, The Economic War against Cuba, New York, Monthly Review Press, 2013.

      DÉCÈS DE FERNANDO ÁVILA ALARCÓN

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       FERNANDO ÁVILA ALARCÓN  CHEZ LUI
      Après le 11 septembre 1973, il fut arrêté avec son père Roberto Ávila Márquez, travailleur de la Société de maintenance Ferroviaire de San Bernardo et pasteur de la première Église baptiste de la Mission au Chili. C’est à cet endroit qu’il fut vu pour la dernière fois, puisqu’il fait partie des onze ouvriers ferroviaires assassinés dans cette enceinte militaire.

      Fernando Ávila a vécu ensuite les camps de torture du Stade National et des camps de concentration de Chacabuco, Puchuncaví et de Tres Alamos. En 1975, il est finalement expulsé du pays et part en l'exil avec sa famille à Strasbourg, en France.

      La nécessité de trouver des solutions aux problèmes matériels qui se posent dans la nouvelle société, l'action militante et de solidarité avec le Chili crée un lien de continuité avec le passé et encourage le regroupement des exilés, leurs permettant par la même occasion un contact avec les milieux français. 

      À la fin de la dictature il retourne au Chili avec ses enfants et commence un travail citoyen de mémoire et collaboration avec le MMDH.  En parallèle il entame de longues procédures judiciaires auprès des tribunaux pour éclaircir l’affaire qui concerne la mort de son père.  


      samedi 9 mai 2015

      CHILI: DES MILITAIRES CONDAMNÉS POUR AVOIR DÉTOURNÉ DES FONDS EN FAVEUR DE PINOCHET

      JORGE BALLERINO, RAMON CASTRO, GABRIEL VERGARA, 
      SERGIO MORENO, JUAN MAC-LEAN ET EUGENIO CASTILLO 
      L'enquête du juge "a révélé l'existence de délits de détournement de fonds publics et de fraude au détriment du Trésor, dans le traitement irrégulier de comptes bancaires d'Augusto Pinochet Ugarte, son cercle familial et ses collègues", a précisé un communiqué de l'autorité judiciaire. 

      Six officiers de l'armée à la retraite, Jorge Ballerino, Ramon Castro, Gabriel Vergara, Sergio Moreno, Juan Mac-Lean et Eugenio Castillo ont été condamnés à quatre ans de prison pour avoir commis des malversations totalisant 6,4 millions de dollars. 

      "En leur qualité de fonctionnaires publics, ils ont pu soustraire des fonds publics en faveur d'Augusto Pinochet et sa famille", indique le communiqué, précisant que les militaires étaient des proches conseillers et des secrétaires privés de l'ancien dictateur. 

      Le juge a également confirmé la saisie d'une vingtaine d'immeubles, de trois véhicules et de dépôts bancaires au nom de Pinochet et de sa famille, estimés à plus de cinq millions de dollars. 

      La justice chilienne a mis officiellement fin à l'enquête judiciaire en mai 2014, un long processus qui visait à rechercher l'origine de la fortune que Pinochet avait caché dans des banques à l'étranger. 

      L'ancien dictateur avait été poursuivi et placé en résidence surveillé dans le cadre de cette affaire mais est mort sans avoir été condamné, le 10 décembre 2006.