vendredi 7 août 2015

CHILI : DROITE ET EXTRÊME GAUCHE, MÊME COMBAT...


Une phase essentielle est la construction d'une législation encadrant la carrière professionnelle des enseignants. Jusqu'à présent elle était gérée par les lois du marché qui ne tenaient compte d'aucune spécificité du métier, traitant les professeurs comme d'autres salariés.
Pendant des années les professeurs se sont battus pour la reconnaissance de leur statut et l'amélioration de leur situation professionnelle, revendiquant ainsi pour le système éducatif lui-même.

Le Collège des professeurs est le syndicat unitaire qui représente les aspirations des enseignants, et ce depuis 1985, année de la première élection démocratique, qui fut suivie de l'auto-dissolution de l'AGECH, association principalement communiste qui préféra privilégier l'unité syndicale. Après 1985 la dictature n'a pas réussi à paralyser les enseignants, ni à les diviser. Mais le syndicat a chèrement payé ses luttes : nombre de ses responsables ont été assassinés ou sont disparus (1). L'une des tragédies les plus graves fut l'enlèvement et l'égorgement en mars 1985 de Manuel Guerrero, un militant communiste, alors dirigeant de l'AGECH. Les syndicats de professeurs ont toujours eu à leur tête une forte proportion d'élus communistes.

La Nouvelle Majorité avait enfin intégré les revendications des enseignants dans son programme électoral. Mais les récentes négociations entre les dirigeants du Collège des professeurs et les instances de l'Etat ont été ardues. Il a fallu que les professeurs cessent le travail en juin 2015 (la grève a duré plus de 50 jours) pour que certaines de leurs demandes soient prises en compte dans le projet de loi présenté par le gouvernement. Cependant, les membres d'un secteur minoritaire au sein du Collège -représenté aussi dans la direction nationale-, qui ont toujours refusé les pourparlers, ont prôné la poursuite illimitée de la grève, car ils estimaient les propositions ministérielles insuffisantes. Ainsi la fissure, apparue déjà en décembre 2014 au sein du syndicat des professeurs, s'est agrandie.

Les méthodes employées par les adhérents de ce secteur minoritaire ne sont pas celles que l'on attend d'un corps de métier dont la mission est d'inculquer certaines valeurs aux élèves et de former les jeunes générations. Un clic sur la page d'accueil du site  (notamment le 29 juillet 2015) permet d'apprécier le langage outrancier de ces dissidents auto-désignés, qui n'ont pas hésité à entreprendre des actions locales, souvent avec l'aide de professeurs non adhérents au Collège, voulant ainsi donner l'impression qu'ils étaient majoritaires.

Du pain bénit pour la droite chilienne. Au moment où elle est totalement embourbée dans des scandales de corruption et complètement discréditée, au point de ne même plus oser s'opposer aux projets -très populaires-, présentés par le gouvernement, elle trouve dans ce secteur radical des alliés inespérés pour provoquer des problèmes dans la gestion gouvernementale tout en espérant diviser l'un des mouvements sociaux les plus combatifs.

Ainsi, fidèle à ses habitudes, elle a déclenché une campagne médiatique contre la direction nationale du Collège des professeurs et en particulier contre son président, Jaime Gajardo.

Cette campagne, à laquelle se sont associés des secteurs opportunistes, reposait sur des calomnies, fausses nouvelles et diffamations.

Ainsi un relevé chronologique et non exhaustif de ces attaques pourrait comprendre :

- des diffamations sur les procédures démocratiques internes au Collège afin de semer le doute et la confusion chez ses adhérents (3) (4).

- des manœuvres de légitimation des secteurs « dissidents » dans le but de faire perdre son autorité au président J Gajardo et imposer leurs positions dans l'opinion publique (5).

- des calomnies sur la volonté de négocier des professeurs et sur leurs dispositions à accepter des évaluations (6).

- des mensonges sur le montant du salaire du président Gajardo et l'utilisation de l'argent au Collège (8).
On peut ajouter à cela que, déjà en 2011, des jeunes dirigeants de l'UDI avaient fait courir une rumeur selon laquelle J. Gajardo était propriétaire d'un établissement scolaire, affirmation faite au conditionnel bien entendu (9).

A cette offensive ont allégrement participé des élus de droite (UDI), des journaux appartenant au duopole défenseur du système (El Mercurio et Copesa), mais aussi d'autres publications, opportunistes, ainsi que les secteurs radicaux minoritaires à l'intérieur même du Collège.

Tout semble donc indiquer que, peu à peu, le flambeau des attaques contre le président du Collège des professeurs ait été repris par ces secteurs radicaux. A la virulente campagne médiatique ils ont ajouté des violences physiques. Ainsi J. Gajardo a-t-il été agressé lors d'une manifestation publique par des professeurs dissidents (10), tandis que des inconnus ont jeté des excréments humains sur la façade de la maison de son ex-épouse (11). Par ailleurs, certains sont même allés jusqu'à perturber le fonctionnement des assemblées du Collège (14). La gravité des dommages portés à l’intégrité du mouvement a été dénoncée par des dirigeants régionaux (15).

Malgré la farouche opposition de ces secteurs radicaux, position soutenue par les parlementaires de droite (16), le Congrès a décidé de soumettre le projet à la discussion.

Le jour du vote les secteurs radicalisés ont organisé devant le Congrès à Valparaíso, un acte (« performance ») de défécation publique destiné, semble-t-il, à symboliser la valeur qu'ils accordent au projet (17). Compte tenu de l'émotion soulevée par cette opération, ils ont préféré se délester de leur responsabilité sur le dos des étudiants en art (18). Au même moment à l'intérieur du Congrès un groupe bien structuré s'employait à agresser les députés qui discutaient et votaient (19), en les huant et leur jetant des pièces de monnaie, et en applaudissant fortement les députés de droite qui rejetaient le projet. L'hémicycle a du être évacué. Déjà en décembre 2014 ces mêmes groupes avaient occupé le siège du Collège en réclamant le départ du président élu démocratiquement (20).

L'importance que les « dissidents » donnent aux espoirs et attentes de la base est illustrée par la déclaration d'un de leurs dirigeants qui n'hésite pas à affirmer qu'il « préfère attendre encore un an » le vote par les députés d'un texte sur le parcours professionnel des professeurs (12), en ignorant quel sera le rapport de forces et surtout en se jouant de l'urgence pour la base de disposer d'un tel cadre législatif (13).

Dorénavant l'effort du secteur « dissident » ne porte sur rien moins que la légitimité de la direction du Collège. Dans la course à l'imposture, certaines publications se sont distinguées par l'énormité de leurs manipulations . C'est le cas de la publication digitale Rebelión, qui affirme que 96 % de professeurs sont contre le projet de loi (21). Le lendemain on apprenait par un communiqué de la nouvelle ministre de l’Éducation (en poste depuis juin), que les enseignants avaient repris le travail à plus de 90 % (22). Par ailleurs, les secteurs « dissidents » ont réussi à réunir 74 délégués sur les 200 existants pour prouver, d'après eux, leur majorité (23), contestant jusqu'à la légitimité du président à convoquer une assemblée (24) et la validité des décisions qui en émanent (25).

Ainsi l'extrême gauche semble s'être mise au service des projets de la droite. Désormais il ne fait aucun doute que son prochain pas sera de creuser la division au sein du Collège des professeurs. Rien d'autre ne pourrait faire plus plaisir à la droite. Espérons que les manipulations des secteurs d'extrême gauche ne réussiront pas là où les agents de la dictature ont échoué.

J.C. Cartagena et Nadine Briatte