mercredi 2 décembre 2015

À QUAND UN MONDE SELON ELSA ?

Elsa, c’était un diamant brut, avide de nouveautés, toujours en mouvement, qui refusait catégoriquement les injustices. Le 13 novembre dernier, elle est morte, avec sa mère, Patricia San Martin, au Bataclan. Tuée par les balles de terroristes, qui ont interrompu le fil de deux vies si emplies de joie que cette folie reste indicible pour leurs proches. Leurs obsèques ont lieu aujourd’hui. Michel Delplace a refusé que la presse publie des portraits d’Elsa. « Certains, qui se réclament du métier de journaliste, ont peu de respect pour ces choix intimes », regrette Michel Delplace. Il a donc choisi de parler à deux titres : le Monde, qui dresse un Mémorial des victimes. Et l’Humanité. « Je préfère que ce soit mon journal, que je lis depuis si longtemps, qui parle d’Elsa. »

Elle avait noté cette devise : « Chaque jour est une vie entière »

Elsa, tout juste 35 ans, a fait « mille choses », alternant longtemps les boulots alimentaires et les projets personnels. Comme cette association, Pro-créatives, dédiée aux projets culturels, montée avec fougue, explique Michel, fier de l’audace de sa fille. De sa volonté de s’inscrire dans ce champ culturel, digne héritière de ses parents, qui se sont rencontrés au Blanc-Mesnil, alors que Patricia, tout juste réfugiée du Chili de Pinochet, intégrait une troupe, le Théâtre de la Résistance-Chili. Lui s’occupait alors de la maison des jeunes et de la culture de sa ville. La culture, dans tous les domaines, est un fil rouge qui n’a jamais lâché ces militants. Michel se souvient avec émotion de la fête du Parc, organisée durant des années par la section locale du PCF, et où venaient se produire des artistes. « Même Higelin y est venu. Elsa et Fabien, son frère, étaient toujours là, au premier rang. Ils voulaient toujours donner des coups de main », dit-il dans un sourire embué.

De ses parents, Elsa a aussi hérité un profond sens du refus de l’injustice. Adolescente, elle achetait avec son argent de poche l’Itinérant, le journal des sans-abri. Dans l’une des entreprises où elle a travaillé, elle a aussi été à l’origine d’une grève contre des méthodes indélicates de la direction. Elsa, c’était le refus du compromis, une voix vive et une langue bien pendue. Son audace, sa vivacité, sa fantaisie étaient d’ailleurs ce qui avait séduit les responsables de Managere, qui venaient de lui proposer un CDI, le 10 novembre dernier. Ils louaient « son grain de folie ». « Parce que Elsa, c’était la spécialiste des électrochocs, des étincelles, ça passait ou ça cassait », explique Michel.

Et parce qu’Elsa aimait la vie, elle aimait les autres. Sur Facebook, elle avait noté cette devise : « Chaque jour est une vie entière. » Elle aimait se dépasser, bousculer : « Sors de ce que tu sais faire, Papa ! Essaie ! » Elle aimait faire la fête aussi. « Surtout la Fête de l’Huma, qu’elle n’a jamais loupée ! », raconte un ami de longue date. Elsa laisse derrière elle une famille, des amis, éplorés. Et un petit garçon de 5 ans « qui, avec elle, s’ouvrait sur la vie. Nous avions prévu d’aller au musée de l’Homme, de dormir dans un tipi dans la Sarthe… » égrène Michel. 
La famille fait corps autour du petit 
bonhomme, miraculeusement rescapé du Bataclan.

Une pause. Une larme au coin des yeux. Michel, d’un geste, désigne l’entrée de la maison : « On ne la verra plus descendre les escaliers, on ne la verra plus s’installer sur le muret envoyer des textos ou téléphoner à ses copains et ses copines, on ne la verra plus rouler ses petites cigarettes. » Cette injustice-là, la plus cruelle, remue Michel au fond des tripes : « C’est la solidarité que l’on sent, les soutiens qui viennent de vastes horizons qui nous permettent de tenir le choc. » Mais, poursuit-il, « si j’en ai l’occasion, et aussi parce que je m’en sens le droit avec cette terrible douleur que je ressens en moi, je dirai au président de la République ce que je pense profondément : aucune logique de guerre n’a jamais engendré un monde où l’on devrait vivre en harmonie, seule une logique de paix pourra faire naître un monde comme l’imaginait Elsa. Sa mort, celle de Patricia, la souffrance du petit, la souffrance de toutes ces familles, non, il n’y avait rien de fatal à cela… ». La missive à l’adresse de François Hollande est déjà prête. Elle sera postée ce matin. Chez les Delplace, une autre citation était affichée. Une citation qui a bercé Elsa, des mots du prix Nobel de la paix Albert Schweitzer : « L’idée fondamentale du bien est qu’il consiste à préserver la vie, à la favoriser, à vouloir la porter à sa plus haute valeur. » Des mots qui résonnent comme une ode à la vie. Car Elsa reste une jeune femme au présent, pétrie d’amour, de culture, de paix, ce que doit devenir notre monde.