lundi 25 janvier 2016

FRANÇOIS HOLLANDE EN INDE : LA FIN DU SILENCE SUR LE SORT DE MARIE-EMMANUELLE VERHOEVEN ?

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 JAIME GUZMÁN
MARTYR DE LA DROITE DURE
Arrêtée le 16 février, à Sanauli, à la frontière indienne, alors qu'elle revenait d'un voyage au Népal, Marie-Emmanuelle Verhoeven est accusée d'avoir participé activement à l'assassinat d'un sénateur qui fût proche d'Augusto Pinochet, Jaime Guzmàn, en avril 1991. Dans 10 jours, le 2 février, la Cour suprême d'Inde doit statuer sur la demande d'extradition exigée par le Chili.

Le chef de l'État français lui-même, ainsi que son entourage, ont été informés de la situation il y a plusieurs jours. En principe, une convention de non-extradition signée entre l'Inde et la France devrait protéger Marie-Emmanuelle Verhoeven. Par ailleurs, Interpol a annulé le 30 mai 2015 sa notice rouge (l'avis de recherche) à son encontre.
« Rien dans le droit international n'explique aujourd'hui pourquoi elle est toujours incarcérée. Ce n'est pas une fugitive criminelle, c'est une prisonnière politique », estiment les avocats de la défense, qui jugent sa détention « illégale ».
Mais selon ses soutiens, la situation est urgente : la Française serait l'objet de menaces de mort à l'intérieur de la prison de Tihar où elle est détenue depuis le 21 février 2015. Dans une lettre adressée aux juges de la Cour suprême, datée du 30 novembre 2015, et que « l'Obs » s'est procurée, Marie-Emmanuelle exprime ses craintes :
« Je ne m'étendrai pas sur les conditions de détention, qui comme vous le savez certainement, sont déplorables. Ma sécurité à l'intérieur de la prison n°6 est très précaire depuis le 21 septembre 2015. Je résiste comme je peux aux différentes pressions, aux tentatives de brimades. Tout ceci est très fatigant et totalement inutile. »
« On lui a fait comprendre qu'il y avait eu des menaces. Elle est bien protégée, mais elle a peur pour sa vie et est extrêmement nerveuse », rapporte une source proche du dossier. Les avocats indiens et français espèrent que la France évoquera cette situation avec les plus hautes autorités indiennes pour faire libérer Marie-Emmanuelle Verhoeven « le plus rapidement possible» et obtenir son retour en France.

« La commandante Ana» 

Sur l'une des rares photos d'elle connue, non datée, elle a les cheveux courts, légèrement ondulés. Elle sourit.
Militante pro-Allende (président socialiste chilien au début des années 1970), Marie-Emmanuelle Verhoeven faisait partie dans les années 1980, des comités de soutien nantais à l'Amérique latine. Après un premier mariage avec un Chilien de gauche exilé à Nantes, elle part vivre au Chili en 1985 avec son premier fils. Elle y restera jusqu'en 1995. Durant cette période, sous la dictature de Pinochet, elle est une militante active des droits de l'Homme et travaille notamment en 1987 à la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes de l'Onu, à Santiago. Elle rencontre son second mari, Italo Retamal, engagé lui aussi contre le régime Pinochet, et aura un deuxième enfant.

Elle aurait alors appartenu au mouvement du Front patriotique Manuel Rodriguez (FPMR), la branche armée du Parti communiste chilien, qui sera à l'origine de plusieurs actions de sabotage, d'attaques contre les policiers et d'une tentative d'assassinat du général Pinochet. Son mari en était un sympathisant. Ses membres seront également derrière l'assassinat en 1991 du sénateur Guzman, homme politique d'extrême droite, considéré comme l'idéologue de la dictature chilienne.

Selon le Chili, Marie-Emmanuelle Verhoeven aurait été une des têtes de ce mouvement. La presse chilienne la surnomme « Comandante Ana ». Une autre théorie, rapportée par « Mediapart», voudrait que son nom soit apparu dans l'enquête judiciaire parce qu'elle serait devenue une informatrice de la police dans le dossier Guzman. Rien à ce jour ne permet d'étayer cette dernière thèse.

Dans son entourage, personne ne conteste son engagement contre le régime mais Marie-Emmanuelle Verhoeven réfute le fait qu'elle ait appartenu à ce mouvement. « Si j'avais été membre de la direction du FPMR, je ne le nierais pas. Mais ce n'est pas le cas. J'ai travaillé auprès des prisonniers politiques, c'est vrai, c'était mon travail, cela ne fait pas de moi une complice des événements de 1991. Je suis quelqu'un d'engagé, c'est vrai, plutôt à gauche, c'est vrai aussi [...] j'étais hostile à la dictature du général Pinochet (comme à toutes les dictatures), c'est vrai aussi. »

Divorcée, Marie-Emmanuelle Verhoeven revient en France en juillet 1995, dans sa ville natale avec ses deux enfants. Selon "Ouest-France », en 2011, elle habitait encore en banlieue de Nantes, à Saint-Herblain.

Depuis, le parti politique Union démocrate indépendante (UDI), fondé par Jaime Guzman, estime que les vrais auteurs du crime bénéficient encore d'une impunité et tentent de relancer les investigations.

Première arrestation en Allemagne

Le 25 janvier 2014, Marie-Emmanuelle Verhoven est arrêtée une première fois à l'aéroport d'Hambourg en Allemagne en raison d'un avis de recherche d'Interpol demandé par le Chili. Elle est relâchée plusieurs mois plus tard, après que deux juges chiliens, le juge Juica et le juge Brito, ont considéré que les charges contre Marie-Emmanuelle Verhoeven n'étaient pas suffisantes pour l'inculper.

Marie-Emmanuelle Verhoeven s'estime victime d'un acharnement des responsables politiques de l'UDI. Elle s'interroge également sur le fait que l'accusation actuelle veut faire d'elle le principal auteur de l'assassinat. Un "mensonge», selon elle. "Jamais la justice chilienne n'a écrit que j'étais le principal auteur [...] Un mensonge qui curieusement avait déjà été propagé l'année dernière par le parti politique chilien UDI (extrême-droite – proches des thèses de la dictature)".  Elle y voit une "véritable machination orchestrée par des gens influents et surtout très riches.»

La France discrète

Dans une lettre adressée aux juges de la Cour suprême indienne, Marie-Emmanuelle déplore le peu d'empressement de la justice à considérer son dossier. "Je constate que la justice indienne a ordonné ma détention provisoire, provisoire depuis plus de neuf mois, sans avoir pris connaissance de mon dossier. » Elle rappelle également que plusieurs pays ont offert l'asile politique aux opposants de Pinochet, dont les membres du FPMR, et s'interroge sur la transparence et l'indépendance de la procédure judiciaire la concernant.
Ma situation actuelle est celle d'un otage. Otage de l'extrême-droite chilienne qui a fabriqué la ré-ouverure du cas J. Guzman (pour rappel l'assassinat de J. Guzman est résolu depuis 1993. Tous les auteurs ont été identifiés et le dossier d'instruction est clos). »

La France, de son côté, est particulièrement discrète sur le sujet. Récemment, dans de nombreux courriers, l'ambassade de France a exprimé son soutien à la ressortissante française. Si elle a également demandé, sur la base d'une décision de justice indienne en septembre dernier, estimant sa détention illégale, qu'elle soit libérée, la réaction française est restée à minima. En comparaison, l'affaire Florence Cassez, avait eu un retentissement plus important, alors que la Française avait été condamnée par la justice mexicaine.

Le 2 février, la Cour suprême dira si le traité d'extradition existant, mais qui date de 1897 alors que l'Inde était toujours une colonie britannique, est toujours valable.

Sarah Diffalah