lundi 3 octobre 2016

JOURNALISTE PEDRO CAYUQUEO


Une enquête sur la disparition de cet adolescent a découvert des dossiers d'arrestation falsifiés, des intimidations de sa famille par la police et une montagne de mensonges rapportés des officiers qui l'avait arrêté. Onze ans après la disparition de Huenante, l'enquête est toujours en cours, aucune personne n'a été punie et les policiers impliqués dans l'arrestation continuent à travailler normalement. 

Cette première disparition forcée du Chili depuis la fin de la dictature de Pinochet qui concerne un Mapuche aurait pu être une simple coïncidence, mais ce n'était pas une surprise. Pour le journaliste Mapuche, Pedro Cayuqueo, elle n'était qu'un cas parmi tant d'autres. 

À part le nom de Huenante, Cayuqueo pourrait ajouter ceux d'Alex Lemun, 16 ans, Matías Catrileo, 22 ans et Jaime Mendoza, 24 ans: tous désarmés, tous tués par des balles de la police. La liste des Mapuches tués, en toute impunité, par la police chilienne est longue. « Est-ce qu'un jeune Chilien vaut plus qu'un jeune Mapuche ? » s'est interrogé Cayuqueo dans un article de 2011. Sa réponse était : « Absolument! ». 

Cayuqueo, 41 ans, est le journaliste autochtone le plus en vue au Chili et l'un des défenseurs des droits des Mapuche le plus connu. Activiste au franc-parler depuis le milieu des années 90, il a créé deux journaux mapuches les plus importants du Chili, Mapuche Times et Azkintuwe (aujourd'hui disparu). Né dans une communauté rurale autochtone de la région d'Auracanía dans le sud du Chili, il a suivi sa scolarité en ville. Sa première expérience du racisme, il l'a vécu à 9 ans (par l'entremise de la mère d'un ami Chilien). A partir de cela, il a tenu un journal dans lequel il notait ses expériences d'un enfant Mapuche vivant dans une société à prédominance blanche. Une sorte de « Anne Frank d'Auracanía » a-t-il plaisanté dans une interview de 2014 à CNN Chili. Le style de son écriture est provocateur et souvent sardonique. Dans un environnement médiatique dans lequel les opinions des autochtones sont soit ignorées ou rarement reprises, Cayuqueo a fait plus que quiconque pour faire entendre la voix des Mapuches. Plus important encore, il a mis sur la place publique la réalité actuelle du conflit séculaire entre le peuple Mapuche et l'Etat – ainsi que la discrimination largement répandue qu'il a alimentée. 

Le conflit mapuche est un différend portant sur des terres que l'État chilien a confisquées aux populations autochtones pour les remettre à des entreprises privées. De nombreux Mapuches se sentis lésés par cela et, à quelques reprises, il y a eu des attaques contre des biens ou, plus rarement, contre les propriétaires fonciers. Cependant, dans la majorité des cas, l'activisme mapuche s'exprime au travers des « occupations » pacifiques des terres de leurs ancêtres. Généralement, les autorités répondent à ces manifestations pacifiques avec une extrême violence et une application trop zélée de la législation anti-terroriste, pour laquelle le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme a dit qu'elle est « appliquée de manière arbitraire », « discriminatoire contre les Mapuches », « compromettante pour un procès équitable », et qu'elle contribue à envenimer une situation « extrêmement volatile ». 

Dans beaucoup de cas, Cayuqueo a mis sa carrière de journaliste au service de l'exposition des injustices enracinées dans ce conflit, et de la dénonciation des comportements parfois bizarre de l'Etat Chilien qui confond des manifestations pacifiques avec des activités terroristes, lie des militants Mapuches aux terroristes en Irak et fait des déclarations tapageuses au sujet des prétendus liens entre les manifestants Mapuches et des groupes terroristes comme les FARC. Il a également été très critique sur l'infiltration, à l'initiative de la police, des agents provocateurs afin d'impliquer les groupes Mapuches des manifestants pacifiques dans des actes de violence. 

Dans cette atmosphère tendue prête à s'enflammer, les rares journalistes qui ne suivent pas la ligne du gouvernement sur les questions Mapuches peuvent faire l'objet des menaces de la part de la police ou même être arrêtés. Cayuqueo, très critique à l'égard des présidents et de la police, a été harcelés et détenus à plusieurs reprises. En 2003, il a été condamné à 61 jours d'emprisonnement après avoir été arrêté lors d'une manifestation d'occupation des terres en 1999 (la police avait également confisqué 200 exemplaires de son journal Azkintuwe). En 2005, avant qu'il ne puisse aller prendre part à une réunion de journalistes autochtones au Canada, il a été incarcéré à nouveau pour le non-paiement présumé d'une amende liée à aux accusations de 1999. En 2012, après son retour d'Argentine où il avait fait la promotion de son premier livre sur le traitement discriminatoire des Mapuches au Chili, Cayuqueo a été détenu une fois de plus - encore une fois ostensiblement dans le cadre de l'occupation des terres de 1999 - par la police qui a refusé de le libérer immédiatement malgré l'injonction d'un local juge. 

Pourtant, malgré l'antipathie des autorités, les propres progrès professionnels de Cayuqueo sont la preuve de la façon dont son travail a, d'une certaine façon, contribué à la lutte contre la discrimination par le changement de la façon dont les Mapuches sont vus dans les médias : un jeune manifestant pour les terres d'antan a reçu le Prix 2013 du journalisme ibéro-américain, et, chose impensable pour un Mapuche il y a une décennie, il présente maintenant sur CNN Chili une série télévisée consacrée aux questions autochtones.