jeudi 16 février 2017

LE VIN CHILIEN À LA CONQUÊTE DU MONDE

PHOTO CONCHA Y TORO

Une « viña » (vignoble en espagnol) exclusivement dédiée à la production de cabernet sauvignon. « La composition du sol et le climat très ensoleillé de la Vallée du Maipo font que c'est le parfait endroit pour cette culture », indique Soledad Manríquez, sommelière à Concha Y Toro, qui a l'habitude d'organiser les dégustations auprès des touristes. Ils sont 190.000 à visiter chaque année cette « viña » que les chauffeurs de taxi du coin surnomment affectueusement le « Disneyworld du vin ».

Car, à Concha Y Toro, tout est parfaitement millimétré : les visites, dispensées en trois langues, démarrent toutes les demi-heures depuis le joli chemin de terre qui mène à l'entrée du vignoble. C'est une machine bien huilée, et le touriste - souvent brésilien ou canadien - ne peut qu'être séduit par la beauté des lieux et le nombre de dégustations comprises dans la visite.

Le point culminant de cette dernière : un passage express par les caves, où l'on découvre le fameux Casillero del Diablo, la marque de fabrique du producteur chilien. Cinq millions de caisses s'en vendent chaque année dans le monde entier, et la marque est dans le Top 10 des ventes au Royaume-Uni. « La légende dit que c'est le diable lui-même qui protège le vin de la propriété. C'est comme ça que, depuis la fin du XIXe siècle, on évite que les voleurs ne viennent à Pirque », glisse Marcela, la guide, à un groupe de touristes de São Paulo. Concha Y Toro aime rappeler ses origines, vieilles de cent trente-quatre ans, presque le paléolithique à l'échelle de l'histoire du vin chilien.

« Cela fait des siècles qu'on parle du vin français »

PHOTO CONCHA Y TORO
« Cela fait des siècles qu'on parle du vin français. Il suffit d'ouvrir un livre d'Alexandre Dumas pour se rendre compte du poids de cet héritage. Le vin chilien, lui, démarre tout juste son parcours », explique Pablo Lacoste, professeur spécialiste de l'histoire du vin à l'université de Santiago du Chili. « Il y a trente ans encore, on ne parlait que de vin blanc et de vin rouge au Chili », renchérit Dominique Massenez.

Ce Français est l'un des pionniers de l'exportation de vin chilien. Il rachète en 1989 un vignoble abandonné, qu'il baptise « Château Los Boldos », dans la vallée du Cachapoal, à 120 kilomètres au sud de Santiago. « Quand on est arrivé, c'était le grand bazar, raconte Dominique Massenez, le savoir-faire qui était venu avec l'immigration espagnole et française au début du XXe siècle s'était perdu. »

Hyper-concentration

PHOTO CONCHA Y TORO
Le vigneron français travaille dur pour remettre sur pied son vignoble, motivé par « l'immense potentiel » du pays. « Le Chili a des cépages très anciens, de bonne qualité », confirme la sommelière Soledad Manríquez. Le carménère, un cépage français qui avait été détruit au XIXe siècle par le phylloxéra, le puceron qui attaque les vignes, a même été retrouvé par hasard dans des plants de merlot en 1991.

« Il n'y a pas de phylloxéra au Chili. Les vignes, qui ne sont pas greffées, sont d'une richesse incroyable. C'est le seul pays dans le monde qui serait, en théorie, capable de concurrencer les grands crus bordelais », poursuit Dominique Massenez. Fort de son savoir-faire et de la richesse du terrain, Château Los Boldos s'étend et va jusqu'à vendre 240.000 caisses de vin par an.

Mais la consolidation, progressive dans les années 1990, puis vertigineuse dans les années 2000, de grands groupes vitivinicoles, comme Concha Y Toro, San Pedro et Santa Rita - qui détiennent à eux trois plus de 70 % du marché chilien - rend difficile la vie des petits producteurs. « La concurrence était trop rude, on ne peut pas lutter contre des monstres pareils », raconte Dominique Massenez, qui finira par vendre en 2008 le Château Los Boldos. Le Français se concentre aujourd'hui sur Donum Massenez, une plus petite production (60 hectares) de vins premium.

L'exportation pour compenser un marché intérieur très faible

PHOTO WILLIAM FÈVRE
À Pirque, quelques kilomètres au sud de la grande « viña » de Concha Y Toro, William Fèvre, petit vignoble franco-chilien, tente lui aussi de survivre dans ce secteur hyperconcentré. « Mais ce n'est pas tous les jours facile, nous n'avons pas les mêmes moyens commerciaux que les grands producteurs », déplore César Farías, gérant du vignoble de Pirque, 48 hectares, qui produit en majorité du cabernet sauvignon, du chardonnay et du carménère.

Une production essentiellement (à 97 %) tournée vers l'exportation, comme pour la plupart des viticulteurs, le Chili ayant un marché intérieur très faible. En moyenne, un Chilien ne consomme que 14 litres de vin par an, trois fois moins qu'un Français. « Nous exportons vers le Brésil, le Canada, les États-Unis... Mais le Japon est notre meilleur client », indique Cesar Farías.

L'Asie, nouvel el Dorado du vin chilien

Car les marchés asiatiques sont particulièrement friands de vin chilien. « Sur ce type de nouveaux marchés où les consommateurs ne sont pas habitués à boire du vin, on propose quelque chose de bonne qualité et d'abordable », explique Blanca Bustamante, responsable de communication au sein de Concha Y Toro. Un rapport qualité-prix permettant au Chili de défier les vins du Vieux Monde qui, avec leur système d'appellation d'origine contrôlée, sont plus complexes à appréhender.