samedi 29 avril 2017

JEAN-LUC MÉLENCHON ET LE FN EN 2002, IL N'HÉSITAIT PAS

THOMAS PIKETTY : «PLUS LE SCORE DE MACRON SERA FORT, PLUS IL SERA CLAIR QUE CE N’EST PAS SON PROGRAMME QUE NOUS ACCRÉDITONS»

JEAN-LUC MÉLENCHON ET LE FN : EN 2002, IL N'HÉSITAIT PAS
L’économiste, qui a soutenu Hamon, appelle à voter en masse pour le leader d’En marche afin de montrer que c’est un choix contre le FN et non pour son libéralisme. Il estime que si l’ex-ministre de l’Economie est élu, il devra faire des gestes vers la gauche, notamment sur l’Europe, pour ne pas être contraint de donner des gages aux nationalistes.
C’est l’un des intellectuels français les plus connus hors de nos frontières. Son livre, le Capital au XXIe siècle, s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. L’économiste Thomas Piketty s’est fortement engagé derrière Benoît Hamon pendant la campagne. Il appelle cette fois à voter Emmanuel Macron, dont il ne cautionne en aucun cas la vision libérale de l’économie.

Vous souvenez-vous de votre 21 Avril?

Je m’en souviens très bien. J’étais descendu à la Bastille peu après les résultats, je ne pouvais pas rester en place. Il y avait des centaines de personnes qui erraient avec des regards effarés, mais cela faisait du bien d’être ensemble. Puis il y avait eu les manifs de l’entre-deux-tours. Quinze ans plus tard, personne ne semble choqué, tout était prévu depuis des mois. Ce qui me déprime, c’est qu’il aurait suffi que la gauche s’unisse pour éviter cela. Si on refuse de faire confiance à la démocratie et aux électeurs de gauche pour trancher nos différences, comment pourra-t-on empêcher la vague brune de l’emporter le coup suivant ?

À plus court terme, il y a ce second tour Le Pen-Macron. Quel regard portez-vous sur ce duel?

Avant tout, dans les jours qui viennent, ne pas perdre de vue l’essentiel : il faut tout faire pour que Marine Le Pen soit battue le plus largement possible. Je comprends la frustration des électeurs de gauche, qu’ils aient choisi Hamon, Mélenchon, Arthaud ou Poutou, de devoir voter Emmanuel Macron : si la gauche s’était unie, elle aurait pu être présente au second tour. Mais dans l’immédiat, il faut donner sa voix à Macron. D’abord, parce qu’il ne faut pas laisser s’installer progressivement l’idée que l’extrême droite pourrait un jour accéder au pouvoir. 70 % - 30 %, ce n’est pas la même chose que 55 % - 45 %. Ensuite, parce que plus le score de Macron sera fort, plus il sera clair que ce n’est pas son programme que nous accréditons. Ce candidat n’a réuni que 24 % des votes au premier tour - et encore, beaucoup d’entre eux étaient tactiques, pas des votes de conviction (à peine 15 %). Plus son score sera haut au second tour, plus il sera bien clair que ce n’est pas son programme qui a gagné, mais l’extrême droite qui a été écartée. Il ne faut pas laisser penser à Macron qu’il est, grâce à ses idées ou à sa personne, le seul rempart face au FN.

Vous êtes engagé à gauche. Quel espace trouver entre le projet souverainiste de Le Pen et le programme libéral de Macron?

Le bloc nationaliste a obtenu environ 30 % des voix si on additionne Le Pen, Dupont-Aignan et une partie de Fillon. Le bloc libéral - Macron et une partie de Fillon - disons 30 %. Le bloc de gauche 30 % également - dans lequel, bien sûr, il existe des nuances entre les différentes tendances. La France est coupée en trois : grosso modo la triade nationalisme-libéralisme-socialisme du livre de Karsenti et Lemieux (1). Mais ces frontières sont poreuses et non figées. Tout dépendra des législatives et de la capacité de ces blocs à s’unir. Je fais partie de ceux qui regrettent que face au bloc libéral en formation, la gauche n’ait pas organisé une primaire pour ne présenter qu’un seul candidat [Thomas Piketty est l’un des initiateurs de l’appel pour une primaire de toute la gauche, dans Libération, en janvier 2016, ndlr]. Il faut empêcher que la logique du «star-system présidentiel» fasse croire à Macron qu’il sera tout puissant une fois élu. Il devra faire des gestes vers le bloc de gauche, s’il ne veut pas être contraint de donner des gages aux nationalistes.

Des gestes sur l’Europe par exemple, un sujet sur lequel vous vous êtes engagé durant la campagne?

Si on veut avoir une chance de réconcilier les citoyens et l’Europe, le statu quo dans lequel Macron veut nous enfermer est une impasse. Si l’on veut mettre de la justice fiscale et sociale dans la construction européenne, il faut changer les règles actuelles. Nous avons publié lors de la campagne un traité de démocratisation de l’Europe (2). Nous proposons la création d’une Assemblée de la zone euro, dans laquelle les décisions se voteraient à la majorité et non plus à l’unanimité. Elle pourrait ainsi décider d’un impôt européen sur les sociétés sans qu’une minorité de pays puisse bloquer le processus. Notre projet prévoit aussi que 80 % des députés de cette Assemblée soient issus des Parlements nationaux - parce qu’ils sont le cœur de la souveraineté, qu’ils sont ancrés dans les territoires. Sans une réforme de l’Europe, le projet de Marine Le Pen continuera de prospérer.

Vous avez soutenu Hamon, qui portait votre projet de traité de démocratisation de l’Europe. Après l’échec de votre candidat, comment faire vivre ce «T-Dem» ?
Le débat européen continue. Nous avons publié en livre notre traité de démocratisation pour cela : qu’il puisse être lu par tous. Il a été diffusé en supplément du quotidien italien Corriere della Sera le week-end dernier. Le livre sort dans quelques semaines en Espagne et en Allemagne. Il est en train d’être traduit en portugais, en grec, en catalan, en néerlandais, en serbe et en turc… Je ne suis pas prêt de m’arrêter à porter le débat de la démocratie européenne.

Le très faible score de Hamon, qui s’était affiché aux côtés de nombreux chercheurs comme vous, vous a-t-il surpris?

Nous avions sous-estimé ce que Jean-Luc Mélenchon a appelé le «dégagisme» à l’égard des partis existants. Tout comme la volonté de radicalité, qui s’est tournée vers le candidat de La France insoumise. Il reste que celui-ci aura besoin de clarifier sa position sur l’Europe pour élargir encore son électorat. Pendant la campagne, j’ai fait beaucoup de débats avec les «insoumis» Jacques Généreux ou Eric Coquerel. Dans le public, l’Assemblée de la zone euro que je propose suscite de l’intérêt. On ne peut pas restreindre la réflexion démocratique à l’intérieur de nos frontières. Il faut l’élargir à l’Europe. Ce n’est pas dans des huis-clos entre chefs d’Etat que l’on va mettre en place l’harmonisation fiscale et sociale ! D’ici les législatives, mais surtout dans les années qui viennent, c’est une question qui peut faire partie des chantiers de la reconstruction de la gauche. La radicalité ne suffit pas. On ne peut pas se contenter de «plan B» et de menaces. Les «insoumis» doivent préciser leur plan A. La grande leçon de cette élection, c’est que, unie, la gauche aurait pu gagner. L’internationalisme seul peut permettre de défaire les logiques libérales. J’ai trouvé énergisant, lors des débats télévisés, de voir Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud répondre à Marine Le Pen et à son nationalisme antieuropéen : «Quand on a un petit salaire, qu’on soit payé en francs ou en euros ne change rien.» Au fond, le ciment de la gauche, c’est le besoin d’un nouvel internationalisme démocratique pour dépasser le capitalisme.

Les discours et alertes contre Le Pen n’y ont rien fait : elle est au second tour. Comment trouver les mots justes face au FN?

Il faut dire pourquoi le repli national ne réglerait rien. Si Marine Le Pen devait par malheur se retrouver au pouvoir, quelle politique mènerait-elle ? Elle irait encore plus loin dans le dumping fiscal, social et écologique. Comme le Royaume-Uni qui, depuis le Brexit, veut tout miser sur la finance offshore. Comme Trump, qui veut baisser les impôts sur les plus riches pour attirer les capitaux. Ils disent vouloir protéger le peuple, mais ils veulent surtout protéger les multinationales et les milliardaires. C’est ça, le trumpisme : le plan fiscal qu’il vient de déposer cette semaine, c’est du Reagan puissance dix, avec baisse de l’impôt sur les bénéfices de 35 % à 15 % et la suppression complète des droits de succession. Ce serait ça, Le Pen au pouvoir. Car chaque pays qui se retrouve isolé entre en concurrence avec son voisin et doit séduire les financiers et les grandes firmes. Alors, bien sûr, on peut se venger sur les jeunes Français d’origine maghrébine, qui rencontrent déjà d’incroyables difficultés à trouver un emploi. C’est moins compliqué que de taper sur Microsoft et les paradis fiscaux. Mais c’est aussi plus lâche, et totalement inefficace : comment imaginer que s’en prendre à des gens qui connaissent déjà un taux de chômage de 40 % va aider les autres à retrouver un emploi ?

Le cuisant échec de Hamon, qui était soutenu par nombre de chercheurs, vous a-t-il découragé d’intervenir dans le débat public?

Je ne regrette absolument pas cet engagement. Je n’ai jamais été membre du PS, ni a fortiori du courant hamoniste, et cela ne va pas commencer maintenant. Mais j’ai apprécié que ce candidat ne se considère pas comme un homme providentiel, et mise sur l’intelligence collective. Tous, collectivement, nous n’avons visiblement pas été assez convaincants. Nous avons sous-estimé la détestation des électeurs pour les partis, le besoin de radicalité. Il ne suffit pas d’écrire un livre d’intervention sur un traité de démocratisation pour inverser une telle tendance. Mais le combat intellectuel continue. Je crois au pouvoir des livres, des sciences sociales, des idées. Et au combat pour en démocratiser l’accès.

(1) Socialisme et sociologie, de Bruno Karsenti et Cyril Lemieux, éd. EHESS, mars 2017.

(2) Pour un traité de démocratisation de l’Europe, de Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez, éd. Seuil, mars 2017.

vendredi 28 avril 2017

FACE AU FN: LETTRE AUX INSOUMIS TENTÉS PAR L’ABSTENTION


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 « SUPER MÉLUCHE »

J’ai été surpris par la vitesse à laquelle mon précédent billet a circulé sur les réseaux sociaux. Beaucoup m’ont remercié d’avoir mis des mots sur leur colère. J’en suis heureux. Mais après avoir dit leur fait aux arrogants vainqueurs du jour, c’est entre nous que nous devons parler.
Chers Insoumis,

J’ai été surpris par la vitesse à laquelle mon 
 OLIVIER TONNEAU
précédent billet a circulé sur les réseaux sociaux. Je ne m’attendais pas non plus à ce qu’il soit compris comme une justification de l’abstention. Je l’ai écrit avec l’intention de lui donner une suite, dans quelques jours, mais devant ces réactions je le fais dès maintenant. Beaucoup m’ont remercié d’avoir mis des mots sur leur colère. J’en suis heureux : cette colère est réelle, légitime, il fallait qu’elle s’exprime. Mais après avoir dit leur fait aux arrogants vainqueurs du jour, c’est entre nous que nous devons parler.

Lors du Brexit, j’ai déjà vécu la frustration terrible que nous ressentons aujourd’hui. Jamais Jeremy Corbyn, dont les positions étaient proches de celles de Mélenchon, n’a pu se faire entendre et la campagne s’est réduite, dans les médias, à un face-à-face : il y avait d’un côté les libéraux pervers maniant savamment moralisme et cynisme, affirmant tantôt que « l’Europe c’est la paix », tantôt que les marchés sauraient punir les récalcitrants ; de l’autre, les racistes les plus vils. Cette représentation binaire excluait une très large part de l’électorat anglais : les partisans du « lexit », c’est-à-dire la « sortie de gauche ». Contrairement à ce qu’on croit, tous les Anglais qui ont voté pour sortir de l’Europe n’étaient pas d’extrême-droite : l’année précédente UKIP avait obtenu quatre millions de voix aux élections générales, mais treize millions de personnes ont voté pour quitter l’UE. L’occultation du « lexit » eut pour conséquence que le brexit fut vécu par les racistes comme un triomphe. Ils se sont cru la majorité ; grâce aux médias, ils étaient hégémoniques ; ils se sont sentis tout permis. La suite fut atroce.

Dans la ville de Peterborough, à quelques dizaines de kilomètres de Cambridge, des tracts où l’on lisait «go home, Polish vermin » furent glissés dans toutes les boites aux lettres. Des Indiens et des Pakistanais furent tabassés ; il y eut des morts. Encore aujourd’hui, et qui sait pour combien de temps, les racailles se pavanent et les minorités rasent les murs. Vous me comprenez. Je déteste les muscadins qui paradent avec leurs mines sucrées de premiers de la classe, mais ils ne me font pas peur. Par contre, les skinheads font très peur - non pas pour l’avenir mais pour demain. C’est-à-dire pour aujourd’hui. Si j’étais convaincu que Macron allait battre Le Pen, je n’irais pas voter. Je me contrefiche d’envoyer je ne sais quel message d’unité républicaine : un fort taux d’abstention refléterait parfaitement ma position. Mais, je l’ai écrit ailleurs, je ne suis pas du tout certain que Macron l’emporte et je ne prendrai pas le risque, pour des enjeux symboliques, d’une victoire de Le Pen.

Je disais dans mon billet d’hier soir que le Front National puise à deux sources : l’une, c’est la politique antisociale menée par Macron et ses avatars. Mais l’autre, c’est le racisme bien réel, qui n’est rien d’autre que la pulsion de haine qui existe en tout homme et donc en toute société, pulsion dont les effets doivent être inlassablement refoulés. J’irai voter contre Marine Le Pen comme j'en ai fait la promesse à une amie juive que la perspective de skinheads déboutonnés mettant les pieds sur la table terrifie. Cette amie, qui appartient à la classe moyenne et aurait payé plus d’impôts si nous avions gagné, a voté pour Jean-Luc Mélenchon. La campagne a été, pour elle comme pour moi, un moment merveilleux, un éveil collectif à la possibilité – je ne me lasserai jamais d’écrire ces mots – d’un avenir en commun. Rien ne doit mettre en péril cette complicité, cette intimité qui s’est nouée.

DESSIN DE JOAN SFAR
PUBLIÉ SUR SON COMPTE INSTAGRAM
LE 11 AVRIL. JOANN SFAR
La campagne qui s’achève fut pour moi un moment d’une formidable intensité. Un moment d’espoir et de joie entre nous, d’exaspération envers les muscadins, mais aussi de haine franche et sans mélange envers les gardiens du temple. Quand Le Monde a publié, à quelques heures de la clôture de la campagne, la chronique infamante de Joann Sfar et m’a refusé un droit de réponse ; quand, après que Gérard Miller eût réfuté les accusation d’antisémitisme portées contre Mélenchon par le sinistre professeur Heilbronn, Laurent Joffrin a offert un droit de réponse à ce dernier, étalant ainsi dans son journal, à quelques heures du vote, un article diffamant Mélenchon de la plus basse des manières ; quand mon compte facebook a été bloqué parce que je postais ma réponse à Joann Sfar ; j’ai eu, pour reprendre une expression lumineuse de Todd, un flash totalitaire. C’est clair : entre ces salauds-là et nous, c’est la guerre.

LE SINISTRE PROFESSEUR
FRANÇOIS HEILBRONN
Mais justement parce que c’est la guerre, nous devons rompre avec eux toute communication. Ce qu’ils disent ne nous concerne pas. Ce que nous faisons ne les regarde pas. J’irai voter Macron contre Le Pen et les éditorialistes écriront : « Nous les avons convaincus. Grâce au ciel, nous avons su leur faire entendre raison. » Grand bien leur fasse. Depuis dimanche soir, je n’ai écouté aucune radio, aucune télé, parcouru la Une d’aucun journal. Je ne les entends pas et ne leur réponds pas, sinon pour leur dire : nous nous retrouverons. Ceci posé, je reviens à nos affaires et je commence par faire ce que nous avons toujours fait : entre deux campagnes, on remet la maison en ordre en commençant par sortir les poubelles, c’est-à-dire virer les fachos. Parce que c’est dans nos rangs que sont ceux qui auront à souffrir de leur victoire ; parce que nous n’aimons pas que les nôtres se fassent tabasser au coin des rues ; parce que nous ne voulons voir fleurir les croix gammées ni sur les synagogues, ni sur les mosquées. Protégeons les nôtres ; nous aurons besoin d’eux. La lutte commence à peine et nous ne serons jamais trop nombreux.

Insoumis, cette lettre n’est adressée qu’à vous. Aux autres, je n’ai qu’une chose à dire : en aucun cas les Insoumis n’endosseront la culpabilité de l’arrivée des fascistes au pouvoir, et ce quoi qu’ils votent. Elle n’incombe qu’aux libéraux qui sèment le désespoir et bien sûr aux fascistes eux-mêmes. Que nous nous trouvions face à un choix très difficile ne change rien au fait que les seuls responsables sont ceux qui nous ont mis face à ce choix.

Dans Andromaque, Pyrrhus menace Andromaque de tuer son enfant si elle refuse de l’épouser. Celle-ci tient bon et Pyrrhus l’accuse : comment pouvez-vous condamner votre enfant à mort ? Andromaque décide d’épouser Pyrrhus pour sauver son enfant mais de se suicider aussitôt après. Fort heureusement, alors qu’ils marchent à l’autel, la foule se jette sur Pyrrhus, le massacre, et Andromaque est couronnée reine. Puisse la littérature éclairer le réel.



DU MÊME AUTEUR  :


mardi 25 avril 2017

43ÈME ANNIVERSAIRE DE LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS


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ILLUSTRATION ANDRÉ CARRILHO
QUARANTE-TROISIÈME ANNIVERSAIRE 
DE LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS 
1974 -25 AVRIL- 2017  
AFFICHE COMMÉMORATIVE DE  LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS
La révolution des Œillets (Revolução dos Cravos en portugais), également surnommée le 25 avril est le nom donné aux événements d'avril 1974 qui ont entraîné la chute de la dictature salazariste qui dominait le Portugal depuis 1933. 
AFFICHE COMMÉMORATIVE DE  LA RÉVOLUTION DES ŒILLETS

« LETTRES DE LA GUERRE » : UNE SUPERBE ÉVOCATION DE LA GUERRE COLONIALE PORTUGAISE EN ANGOLA

Dans ces missives, écrites à sa jeune épouse restée au pays, il raconte son quotidien africain. En termes choisis, l’homme décrit son ennui, souvent, sa peur, parfois, dans des lettres d’amour enflammées. Lesquelles se font de plus en plus politiques et bientôt pacifistes à mesure que passent les mois et que son auteur prend conscience de l’absurdité de ce conflit colonial anachronique. D’abord très géné­ rale, la critique se fait plus politique, jusqu’à dénoncer ouvertement la dictature portugaise. 

AFFICHE DU FILM
Si le film est aussi puissant, c’est bien sûr par son sujet – la guerre d’indépendance angolaise a rarement été traitée au cinéma – mais surtout par sa mise en scène. Ivo Ferreira opte en effet pour un système formel très rigoureux. A la manière de Terrence Malick dans « La Ligne rouge », le cinéaste mise sur la voix off pour dénoncer la guerre, mais aussi pour rendre la langue, raffinée et très littéraire, d’Antonio Lobo Antunes. Cette voix, c’est celle, douce et délicate, de la comédienne Margarida VilaNova, qui lit les lettres de ce mari transi, campé par le romantique Miguel Nunes. 

Mais jamais son et image ne sont ici redondants. Ferreira refuse en effet toute facilité, ne se borne jamais à « illustrer » le contenu des lettres. Il préfère au contraire l’évocation, voire la contradiction, pour rendre compte des sentiments partagés de son héros, confronté, à 8 000 km de chez lui, à une guerre qui remet en question sa façon de voir le monde et son pays… Le tour de force étant de nous faire comprendre les enjeux de cette guerre ancienne et lointaine, sans même avoir besoin d’une quelconque remise en contexte historique.


ANTONIO LOBO ANTUNES
Réalisation : Ivo M. Ferreira. Scénario : Ivo Ferreira Edgar Medina (d’après « Cartas da guerra » d’Antonio Lobo Antunes). Photo-graphie : Joao Ribeiro. Montage : Sandro Aguilar. Avec Miguel Nunes, Margarida VilaNova, Ricardo Pereira… 1h48.

H. H.

CHILI: UN SÉISME DE MAGNITUDE 6,9 FRAPPE LE CENTRE DU PAYS, PAS DE TSUNAMI

CHILI: UN SÉISME DE MAGNITUDE 6,9
FRAPPE LE CENTRE DU PAYS, PAS DE TSUNAMI


lundi 24 avril 2017

CHRISTINE BOUTIN : OU LE BAPTÊME DU NIHILISME ORDINAIRE



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CHRISTINE BOUTIN, LA PRÉSIDENTE DU PARTI DÉMOCRATE,
FAROUCHE OPPOSANTE AU MARIAGE POUR TOUS, ÉTAIT
PRÉSENTE EN TÊTE DU DÉFILÉ PARTI DES GOBELINS
LE DIMANCHE 13 JANVIER 2013 POUR
MANIFESTER CONTRE LE MARIAGE POUR TOUS.
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«ILS FONT PROFESSION DE CONNAITRE DIEU,ET ILS LE RENIENT PAR LEURS ACTES, » ÉPÎTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TITE, CHAPITRE 1,16(*)
INFO LE FIGARO - L'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy annonce qu'elle va se mobiliser pour que les électeurs de droite votent FN au second tour de l'élection présidentielle.
C'est décidé. Le 7 mai prochain, la fondatrice du Parti chrétien démocrate glissera un bulletin «Marine Le Pen» dans l'urne. «Ma décision est claire, c'est “pas de Macron”», annonce lundi soir l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy au Figaro. «Macron, ce n'est pas possible», insiste l'ancienne candidate à l'élection présidentielle de 2002. «Emmanuel Macron c'est l'incarnation de tout ce que je n'aime pas, c'est à l'opposé de mes valeurs qui ont rythmé ma vie politique. C'est le libéralisme libertaire, c'est la mondialisation, c'est l'argent, c'est la banque», s'agace l'ex-député des Yvelines.

«Il dénie à la France sa culture», martèle Christine Boutin qui estime «avoir le devoir de dire qu'il représente un vrai danger» pour le pays. Celle qui avait voté «non» au référendum européen de 2005 s'est fixée un but pour ces prochains jours: «Mon objectif c'est d'affaiblir Emmanuel Macron. Si on pouvait le faire battre, j'en serais ravie».
«Ce parti, je l'ai combattu toute ma vie»

La fondatrice du Parti chrétien démocrate veut «développer le vote révolutionnaire». «C'est-à-dire voter contre la personne qui a été choisie par son camp. Or, aujourd'hui le candidat de la droite c'est Emmanuel Macron», s'indigne l'ancienne ministre. «Je suis scandalisée que la droite ait trahi ses électeurs qui s'étaient fait une raison de voter François Fillon, en annonçant, un quart d'heure après la défaite, un vote en faveur du candidat d'En Marche!»

«Je veux faire comprendre aux Français de droite que voter Le Pen, ce n'est pas adhérer au Front national. C'est simplement un vote contre Emmanuel Macron», précise-t-elle. Christine Boutin veut être précise: son geste «n'est pas un vote d'adhésion au Front national». «Ce parti, je l'ai combattu toute ma vie. On ne peut pas avoir de doute là-dessus». Ce bulletin Le Pen qu'elle glissera dans l'urne, est simplement un outil qu'elle veut utiliser pour empêcher l'ancien ministre de François Hollande de rejoindre l'Elysée.

«Maintenant, je dois travailler pour lever l'inquiétude, la peur et l'opprobre qui pourraient s'abattre sur les électeurs de droite tentés par le vote Le Pen», poursuit Boutin. Elle le jure: Christine Boutin «n'attend rien» du FN en échange de son geste.

DÉCLARATION DE PIERRE LAURENT - 23 AVRIL 2017

dimanche 23 avril 2017

LE PARTI COMMUNISTE APPELLE À BATTRE LE PEN

DÉCLARATION DE PIERRE LAURENT - 1ER TOUR
DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE - 23 AVRIL 2017



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UNE DU QUOTIDIEN L'HUMANITÉ
DU LUNDI 24 AVRIL 2017
Aujourd'hui comme hier, la France ne mérite pas ça ! Quinze ans après le coup de tonnerre qui saisit de stupeur des millions de Français le 21 avril 2002, lorsque Le Pen (père) se qualifia pour le second tour, dont fut écarté Lionel Jospin, le même scénario se répète : dimanche 7 mai 2017, il n’y aura que deux bulletins dans les bureaux de vote, dont celui de Le Pen fille face à Emmanuel Macron, arrivé en tête du premier tour.
Le PCF a dénoncé, a l’issue du premier tour, « une situation extrêmement grave pour notre pays » et appelle à poursuivre la lutte lors des prochaines élections législatives.
PIERRE LAURENT
SECRÉTAIRE NATIONAL DU PCF
Dans une déclaration, le Parti communiste a dénoncé a l’issue du premier tour « une situation extrêmement grave pour notre pays. » Pour le PCF, soutien de Jean-Luc Mélenchon, le second tour de l’élection présidentielle « opposera la candidate de l’extrême-droite populiste et xénophobe, Marine Le Pen, à Emmanuel Macron, candidat que les milieux financiers se sont choisi pour amplifier les politiques libérales dont notre pays souffre depuis 30 ans. » Le PCF considère cependant, que « Marine Le Pen veut un monde dangereux où toutes les aventures guerrières deviendraient possibles, où toutes les rivalités nationalistes seraient encouragées. » Les communistes, « conscients des immenses batailles qui sont à venir et des responsabilités qui incombent à notre parti, nous appelons le 7 mai, lors du second tour de l'élection présidentielle, à barrer la route de la Présidence de la République à Marine Le Pen, à son clan et à la menace que constitue le Front national pour la démocratie, la République et la paix, en utilisant le seul bulletin de vote qui lui sera malheureusement opposé  pour le faire. »

« Un espoir nouveau pour l'avenir »

DESSIN DE CHAPPATTE
Le Parti communiste, qui a activement participé à la campagne de Jean Luc Mélenchon, qui réalise entre 19 et 20% de suffrages, salue également  « la campagne de Jean-Luc Mélenchon, tous les militants communistes, du Front de gauche, de la France insoumise, les élus communistes et Front de Gauche, les citoyens qui s'y sont investis. Ce résultat est le leur. » Cette campagne bien qu’échouant à atteindre le second tour visé, « lève un espoir nouveau pour l'avenir, pour réinventer la gauche nouvelle qu’attend notre pays, pour déverrouiller le système politique et la démocratie. » « L’engagement de notre parti, de ses militantes et militants, des élu-e-s communistes et républicains dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon a permis des rassemblements prometteurs. » ajoute le PCF.

Poursuivre la lutte ce 1er mai et aux législatives

Enfin, selon le Parti communiste, la leçon essentielle de cette campagne est que «  rien n’est plus urgent que de continuer à ouvrir aux nouvelles aspirations, à une véritable démocratie citoyenne, les voies de leur rassemblement pour construire une nouvelle République sociale, écologique, solidaire, respectueuse de la diversité et des attentes de notre peuple. » Cette lutte de longue haleine commencera dès le 1er mai et se prolongera lors des élections législatives où le PCF compte faire élire  des «députés qui résisteront à la droite et à l’extrême-droite, qui ne s’allieront pas avec les députés macronistes pour voter des lois anti-sociales.  Des députés porteurs de résistance et d'espoir face aux appétits de la finance et contre la haine et les divisions. » 

samedi 22 avril 2017

NON, L'AMÉRIQUE LATINE N'EST PAS UN ÉPOUVANTAIL POLITIQUE !


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NON, L'AMÉRIQUE LATINE N'EST PAS UN ÉPOUVANTAIL POLITIQUE ! 
Face au traitement médiatique douteux des médias français sur les gauches sud-américaines, un ensemble de chercheurs spécialistes de cette région du monde ont souhaité rectifier certaines contre-vérités dans cette tribune.
En tant que chercheurs et spécialistes de l’Amérique latine, l’irruption de cette région dans la campagne présidentielle aurait dû nous réjouir. Or nous observons avec inquiétude le traitement médiatique qui lui est réservé. 


LA GUYANE, UNE « ÎLE » LA BOURDE D’EMMANUEL MACRON



Après quelques traits d’humour sur l’insularité de la Guyane, nous avons été alertés par le degré de désinformation porté par de récentes polémiques, allant de la simplification aux interprétations totalement fantaisistes. Nous sommes d’autant plus préoccupés de constater que de grands quotidiens nationaux mobilisent des figures politiques complexes de l’histoire récente pour alimenter une confusion déjà présente entre les gauches radicales et l’autoritarisme, à l’instar de ce titre aguicheur du Figaro :
« Castro, Chavez... Mélenchon, l'apôtre des dictateurs révolutionnaires » * Titre de l'article publié dans l'édition du Figaro du 12/04/2017 
Nous ne pouvons que nous interroger : s’agirait-il de 
LE PLANISPHÈRE D’AGNESE BATTISTA (1543) PERMET 
À LA FOIS DE MONTRER L’ÉTENDUE NOUVELLE 
DES CONNAISSANCES GÉOGRAPHIQUES EUROPÉENNES 
ET LA PREMIÈRE CIRCUMNAVIGATION 
(BNF)
provoquer l’effroi d’un auditoire d’électeurs indécis ? En effet, de nombreux médias semblent ne retenir du bilan des gauches latino-américaines que les éléments permettant de les ériger en repoussoir, afin de décrédibiliser les mouvements politiques qui s’en inspireraient en partie.


Devant des sujets complexes et souvent méconnus, certains médias sont parfois enclins à prendre quelques libertés avec l’histoire et les réalités sociales contemporaines de la région. Le service public n’y a pas coupé, notamment France 2, par exemple lors d’un reportage de 2012 sur la réélection de Hugo Chavez, truffé d’erreurs grossières et de jugements de valeurs, ou plus récemment en mai 2016, à travers l’intervention de François Lenglet dans l’émission « Des paroles et des actes », accusant à tort le président Evo Morales de corruption. Au-delà des imprécisions factuelles, nous constatons un manque d’intérêt général pour la compréhension réelle de transformations sociales et politiques.


JEAN-LUC MÉLENCHON, LORS D'UN HOMMAGE 
À FIDEL CASTRO, LE 26 NOVEMBRE 2016 À PARIS. 
Certains journalistes maîtrisent en profondeur les 
questions latino-américaines contemporaines et font appel à des experts capables de proposer des analyses très fines, notamment dans le cas de la crise politique, économique et sociale au Venezuela. Mais les commentateurs les plus influents sont souvent ceux qui véhiculent une vision fragmentée et stéréotypée de la situation. « Le Venezuela ? Facile ! Beaucoup de pétrole, des présidents autoritaires qui monopolisent la télévision, une alimentation rationnée et des manifestations ! »

L’analyse des causes structurelles et de la longue durée est visiblement moins attrayante pour comprendre les réalités économiques, sociales et politiques contemporaines. Pourtant fondamentale, la question de l’insertion des pays latino-américains dans la division internationale du travail et les « échanges inégaux » reste souvent aux abonnés absents. Or l’un des facteurs principaux de la fragilité des économies de ces pays réside justement dans le fait qu’elles dépendent largement de l’exportation de matières premières, la volatilité des cours ayant des répercussions immédiates sur les taux de change et les marchés financiers nationaux. Dans la sphère académique, ce que l'on a théorisé comme le « syndrome hollandais », ou la « malédiction des ressources naturelles » ( sur le long terme, les résultats économiques d’un pays sont inversement proportionnels à l’ampleur de ses ressources naturelles), paraît échapper totalement à l’analyse journalistique, qui se réclame par ailleurs savante et objective.

Ici, notre propos n’est pas d’expliquer, encore moins de justifier, les erreurs des gouvernements arrivés au pouvoir dès le tournant des années 2000. Il s’agit au contraire d’inviter à développer de réelles analyses critiques et de sortir pour cela de l’hypnose de l’instantané. Ainsi, il devient possible de dépasser les interprétations simplistes qui désignent de « bons » ou « mauvais » régimes et de s’attacher à comprendre les processus historiques qui génèrent des situations particulières.

La longue formation de la vague des nouvelles gauches

Qu’en était-il du Venezuela avant Chávez, de l’Équateur avant Correa, de la Bolivie avant Morales, du Brésil avant Lula, de l’Argentine avant Kirchner ?

Partons d’une question précise : l’inflation enregistrée pendant l’ère Kirchner. Pour la commenter, il faudrait tenir compte de la faiblesse structurelle de la monnaie argentine, causant une hyperinflation déjà sous la présidence de Raúl Alfonsín, en 1988. Il faudrait aussi revenir sur la re-spécialisation de l’économie autour de l’exportation de matières premières agricoles, amorcée dès la fin des années 1970 avec l’arrêt des politiques d’industrialisation par substitution aux importations, puis renforcée par les conditions draconiennes que le currency board imposa et par les mesures mises en œuvre durant une décennie par Carlos Menem. Ce dernier exécuta au pied de la lettre les plans d’ajustement structurel recommandés par le Fonds monétaire international (FMI), à travers la privatisation d’infrastructures, d’entreprises publiques et de pans entiers des services sociaux. Nous ne pourrions pas non plus passer sous silence les conditions de l’introduction des politiques néolibérales en Argentine, comme au Chili – considéré par de nombreux historiens comme un « laboratoire », où le choc fut particulièrement brutal – par des dictatures militaires associées à des élites économiques locales et soutenues par le gouvernement états-unien, à travers le tristement célèbre plan Condor, outil de la lutte contre les communismes et les gauches. Chaque question semble dérouler une désespérante pelote de processus historiques et politiques. Le temps long et la complexité des situations ne peuvent être systématiquement explicités par les médias, au moins devraient-ils nourrir les analyses.

Les gouvernements qui ont précédé la « vague des gauches » latino-américaines ont mené leurs pays respectifs à des crises économiques, sociales et politiques inédites. Cependant, face à des politiques autoritaires et des résultats économiques catastrophiques, les choix de ces dirigeants ont rarement été questionnés par les discours médiatiques français, comme si la soumission aux règles du FMI était un gage de bonne conduite pour des « pays périphériques ».

Force est de constater que les gouvernements des nouvelles gauches n’ont pas bénéficié de la même bienveillance médiatique. Pourtant, les avancées sociales et démocratiques de ces mouvements latino-américains ne manquent pas. Les dérives et les échecs étant assez connus et commentés en France pour que l’on ne revienne pas dessus, dessinons un rapide panorama des succès des quinze dernières années.

Ces mouvements politiques trouvent leurs origines dans les mobilisations sociales des décennies 1990 et 2000, qui se sont construites autour des syndicats, des groupes militants pour les droits des peuples indigènes, des collectifs et associations de quartier, féministes ou de défense de l’environnement. Sur l’échiquier politique, ils se sont caractérisés par le désir de se positionner entre la social-démocratie et la gauche radicale. Les pratiques de désintermédiation de l’accès à la politique institutionnelle devaient permettre une réappropriation du politique et un élargissement de la participation. Conduites dans cet esprit, des réformes constitutionnelles ont permis l’introduction du référendum révocatoire au Venezuela ou la constitutionnalisation du buen vivir en Bolivie et en Équateur. Malgré certaines similitudes, ces « nouvelles gauches » sont extrêmement diverses et l’expression regroupe aussi bien les gouvernements bolivariens ou d’inspiration écosocialiste, qui entendent rompre avec le néolibéralisme (Venezuela, Équateur et Bolivie), que les gouvernements progressistes socio-libéraux (Argentine, Brésil, Uruguay et, dans une certaine mesure, Chili).

Sur le plan social, les inégalités extrêmes du continent ne sont malheureusement pas un fait récent, imputable aux gouvernements de gauche. À travers différentes stratégies, et sans toutefois parvenir à se libérer de la rente procurée par l'exportation de certaines matières premières, les politiques publiques conduites par ces pays ont justement concentré leurs efforts sur la réduction de la fracture sociale. Si la crise économique est passée par là depuis, les années 2000 ont cependant permis à plus de 30 millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté. En Bolivie, le ratio de la population vivant sous le seuil de pauvreté national a diminué de 66,4 % en 2000 à 38,9 % en 2015, tandis qu’en Équateur il est tombé de 44,6 % en 2004 à 22,5 % en 2014. Au Venezuela, le taux de scolarisation dans le secondaire, de 47% en 1995, est monté à 75 % d’une classe d’âge en 2007, tandis que le coefficient de Gini [1] est passé de 0,435 à 0,402 et que des milliers de logements ont été construits. Sous les présidences Kirchner (2003-2015), l’Argentine a entamé un processus de reconstruction des fondements de l'État social, à travers l’instauration d’une allocation universelle pour les enfants, d’une retraite pour tous et de la garantie de gratuité des secteurs publics (santé, éducation).

Les médias et la polarisation politique

La plupart des médias appartiennent à de grands groupes de communication qui constituent des acteurs politiques à part entière. En Amérique latine, un rapport de l’Observacom [2] évaluait cette concentration à environ 60 % dans l’ensemble de la région. Dans ce contexte, pour garantir le pluralisme médiatique et la liberté d’expression, certains gouvernements ont tenté de proposer des alternatives. L’un des exemples érigés en modèle est ainsi la Ley de Medios argentine, visant à limiter la concentration des médias dans de grands groupes, à renforcer les moyens du secteur public et à favoriser le développement de médias associatifs, coopératifs ou locaux sur tout le territoire. Voyant son expansion commerciale compromise, le Groupe Clarin, principal conglomérat de presse argentin [3], a basculé dans une opposition radicale au gouvernement Kirchner. En réaction à ces comportements, les médias publics de certains pays sont devenus des tribunes pour les gouvernements, renforçant la mécanique de la polarisation.

La polarisation politique est donc aussi le fait des médias. La rapidité avec laquelle le nouveau président argentin, Mauricio Macri, a défait la Ley de Medios illustre l’importance pour les droites latino-américaines de cette puissance médiatique. Malheureusement, la presse française – trop sûre peut-être de l’impartialité journalistique – reprend bien souvent les analyses de la presse favorables aux camps conservateurs et néolibéraux. Ainsi, la crise politique brésilienne ayant permis l’installation du gouvernement ultralibéral de Michel Temer a-t-elle été narrée en France à travers les yeux de médias proches de l’élite économique comme Globo, Folha de São Paulo, Estadão de São Paulo ou Veja, alors qu’ils participaient – plus ou moins activement – à la destitution fort peu démocratique de Dilma Rousseff.

Ainsi, se construit l’ignorance des évolutions démocratiques et politiques qui traversent les sociétés latino-américaines. Au-delà des questions de politiques gouvernementales, n’observer l’Amérique latine qu’au travers de la dénonciation opportune des dérives « chavistes » ou « castristes » et d’un misérabilisme condescendant entretient des représentations européocentristes qui dénient toute force originale, créatrice et libératrice, à des sociétés particulièrement innovantes sur les plans politique et social, régulièrement secouées par des mobilisations collectives. Ces dernières, comme tous les mouvements d’organisation collective « par le bas », sont très rarement évoquées dans les médias dominants, bien qu’elles représentent sans doute aujourd’hui les phénomènes politiques parmi les plus intéressants.

L’image très approximative que donnent ces médias des diverses réalités latino-américaines favorise le règne d’une désinformation généralisée, qui permet à des textes douteux de rencontrer un franc succès, en se fondant dans cet épais brouillard. Ainsi, quand un billet d’humeur rapproche insidieusement les situations contemporaines des dictatures militaires des décennies 1960, 1970 et 1980, ces propos faisant usage d’une démagogie qu’ils prétendent dénoncer semblent presque acceptables. Comment ne pas réagir et condamner ces discours lorsque, parmi nous, vivent encore des exilés politiques et leurs enfants ?

Que les femmes et les hommes dans l’arène politique déforment des réalités sociales pour les manipuler à leur avantage est regrettable. En l’espèce, si l’on peut reprocher à Jean-Luc Mélenchon de ne parler généralement que des succès des gauches latino-américaines, en aucun cas il ne serait judicieux ou légitime de lui opposer une lecture diamétralement inverse : le rôle du journaliste, comme celui du chercheur, est de tenter de rendre le monde plus intelligible. Or nous assistons depuis une dizaine de jours à un traitement plus que discutable de l’Amérique latine dans les médias français. Tant alimentés par un cynisme politique et électoral que par un eurocentrisme latent, ces discours réduisent l’histoire de l’Amérique latine et sa complexité sociale et politique à des caricatures. Certains exemples latino-américains montrent qu’il ne peut y avoir de pleine démocratie lorsque les médias préfèrent la polémique, voire l’instrumentalisation politique, aux faits et à leur explication.

[1] Mesurant l'inégalité des revenus dans un pays, de 0 pour le plus égalitaire à 1 pour le plus inégalitaire.

[2] Observatoire latino-américain de médias et convergence.

[3] II détient le premier quotidien en nombre de tirage et 60% du marché de la télévision câblée.


Rédacteurs

Elsa Broclain, doctorante, EHESS-CRAL


Nicolas Fayette, doctorant, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Gilles Martinet, doctorant, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Florian Opillard, doctorant, EHESS


Sylvain Pablo Rotelli, doctorant, Paris 1 - IRD


Gianna Schmitter, doctorante, Sorbonne Nouvelle - CRICCAL


Premiers signataires (pour ajouter votre signature, écrire à : media.amlat@gmail.com)


Nina Montes de Oca, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Violeta Nigro Giunta, doctorante, EHESS - CRAL


Sébastien Jacquot, enseignant-chercheur, Université Paris 1


Arihana Villamil, doctorante, UNICE-URMIS


Nicolas Bautès, enseignant-chercheur, Université de Caen-Normandie


Clara Jolly, doctorante, INRA-CIRAD


Marion Daugeard, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Manuel Rodríguez Barriga, doctorant, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Francis Chateauraynaud, enseignant-chercheur sociologue, EHESS, Paris


Florencia Dansilio, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Alain Musset, enseignant-chercheur, géographe, EHESS


Artemisa Flores Espinola, ATER docteure, Université Paris-Sorbonne - CRESPPA-CSU


Céline Raimbert, docteure en géographie, CREDA


Miguel Espinoza, enseignant-chercheur, philosophe, Université de Strasbourg


Odile Reynier, enseignant-chercheur, psychologue, Université de Reims Champagne-Ardenne


Cyriaque Hattemer, Doctorant, Université Paris 1 / Sorbonne Nouvelle - IHEAL


Claudio Pulgar, doctorant, EHESS


Alexis Medina, ATER docteur, Université Paris Nanterre


Denis Chartier, enseignant-chercheur, géographe, université d’Orléans


Flávio Eiró, docteur en sociologie, EHESS, CMH


Sébastien Velut, enseignant-chercheur, géographe, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Armelle Giglio, enseignante-chercheuse, anthropologue, Université de Poitiers


Olga L. Gonzalez, sociologue, chercheure associée Université Paris Diderot


Jean-François Deluchey, enseignant-chercheur, politologue, Université Fédérale du Pará (Brésil)


Nathalia Capellini, doctorante, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines - CHCSC


Yoletty Bracho, doctorante en sciences politiques, ATER à l’Université Lumière Lyon 2


Luciana Araujo de Paula, doctorante, Paris 3 - IHEAL - CREDA, ATER IEP Lille


Daniel Veloso Hirata, enseignant-chercheur, sociologue, Université Federal Fluminense (Brésil)


Lucía Belloro, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Víctor Pineda, Attaché de Recherche à l’Instituto Venezolano de Investigaciones Científicas (IVIC).


Margaux Girard, doctorante, Université d’Orléans


Ermelindo Tadeu Giglio, anthropologue


René Jara, docteur en sciences politiques, enseignant-chercheur, Université de Santiago de Chile.


Sofia Pérez, doctorante, EHESS


Rafael Soares Gonçalves, enseignant-chercheur, juriste et historien, Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro (PUC-Rio)


Claudia Jordana Contreras, doctorante, EHESS


Julien Dufrier, doctorant, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Louise Rebeyrolle, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Marie Laure Geoffray, maîtresse de conférence en science politique, Sorbonne Nouvelle IHEAL - CREDA


Clara Biermann, ethnomusicologue - CREM & CREDA, ATER en anthropologie à l’IHEAL - Paris 3 Sorbonne Nouvelle.


Laura Fléty, anthropologue - LESC - MUSEU NACIONAL Rio de Janeiro


Bastien Beaufort, doctorant en géographie, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Jérémy Robert, géographe, postdoctorant, IFEA


Manuel Suzarte, doctorant en Histoire, Sorbonne Nouvelle - IHEAL-CREDA


Juliette Dumont, maître de conférence en histoire, Sorbonne Nouvelle, IHEAL-CREDA


Marcelo Pires Negrão, Doctorant en Géographie, CREDA (UMR 7227).


Mathilde Allain, docteure en sciences politiques, chercheure associée au Centre Emile Durkheim, IEP de Bordeaux


Meryem Deffairi, Maître de conférences en droit public, Université Paris II Panthéon-Assas


Benoît Hervieu-Léger, Enseignant vacataire - IHEAL - CREDA


Carolina Milhorance, post doctorante, développement durable, Université de Brasilia, Brésil.


Silvia Capanema, enseignante-chercheure, historienne - l'Université Paris 13


María Maneiro, enseignant-chercheur, sociologue, CONICET/ Universidad de Buenos Aires, Argentine.


Alicia Rinaldy, docteure en sociologie, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Claire Souillac, doctorante, Sorbonne Nouvelle - IHEAL - CREDA


Gabriel de Santis Feltran, Professeur de Sociologie, Université Federal de São Carlos, SP, Brésil


Jessica Brandler-Weinreb, chercheure associée au CED - UMR 5116 et au CREDA 7227


Guillaume Beaulande, journaliste


James Cohen, Professeur, Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle


Lucie Hémeury, doctorante, Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, IHEAL-CREDA Sarah Dichy-Malherme, doctorante associée à l'IFEA, Université de la Rochelle


Sarah Dichy-Malherme, doctorante associée à l'IFEA, Université de la Rochelle


Eliza Benites-Gambirazio, doctorante IHEAL-CREDA et University of Arizona


Irène Favier, maîtresse de conférence en histoire contemporaine, UGA-LARHRA


Jordie Blanc Ansari, Doctorante en Anthropologie, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle (IHEAL - CREDA)


Patrick Zahnd, Professeur invité à Sciences-Po Paris,Tecnologico de Monterrey campus de Mexico, Mexique


Pacôme Girod, chercheur à l'Institut de la Démocratie, rattaché au Conseil National Électoral équatorien


Lorenzo Jalabert D’Amado, doctorant, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle (IHEAL - CREDA)


Clément Astruc, doctorant, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle (IHEAL - CREDA)


Hélène Roux, Chercheure associée, UMR Développement et sociétés, Paris 1


Carolina Vélez Gómez, Instituto de Altos Estudios para el Desarollo, Bogota, Colombie


Sofia Espinosa, doctorante, Paris Panthéon Sorbonne, UMR Développement et Sociétés



Mauro Dela Bandera Arco Júnior, doctorant, Université de São Paulo, Brésil