samedi 14 octobre 2017

AURA LOLITA CHÁVEZ PARMI LES FINALISTES DU PRIX SAKHAROV 2017

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AURA LOLITA CHAVEZ IXCAQUIC 
Rencontre avec Aura Lolita Chavez Ixcaquic qui a été retenue par le Parlement européen dans la short list des 3 candidats au prix Sakharov 2017 qui sera attribué le 26 octobre. Elle aura notamment face à elle une candidature très politique soutenue par la droite et le centre : « l’Opposition démocratique au Venezuela. »
LE JOUEUR DE PIPEAU
« MADURO DOIT PARTIR, 
OPPOSITION MODÉRÉE »
Un conseiller des Verts ( ALE ), le groupe politique du Parlement européen qui a proposé la candidature de Lolita Chavez Ixcaquic pour le prix Sakharov, explique sous couvert d’anonymat : «cette année, le prix Sakharov est complètement dévoyé par la droite ( PPE ) et les libéraux ( ALDE ), qui proposent de l’attribuer à l’opposition vénézuélienne. C’est une manipulation politique d’un prix qui n’est pas destiné à ça. » Selon les critères du Parlement européen, le « prix Sakharov pour la liberté de pensée » a en effet pour objectif d’honorer des personnalités, individuelles ou collectives, qui défendent les droits de l’homme et les libertés fondamentales, là où elles sont gravement bafouées. En 2016 par exemple, le prix avait été attribué à deux jeunes femmes yézidies réduites en esclavage sexuel par Daesh. 

En proposant la candidature de «l’opposition» au Venezuela, le bloc de la droite et du centre au Parlement européen, donne l’impression de vouloir mettre sur un pied d’égalité dans l’horreur, l’État islamique et le Venezuela de Nicolas Maduro. Une tentative d’autant plus hasardeuse que les négociations en cours entre le gouvernement Maduro et les représentants de l’opposition progressent, et qu’elles pourraient rapidement donner lieu à un accord ( sur un calendrier électoral, le rôle du parlement et de la constituante, ou la libération de prisonniers considérés comme « politiques. ) Qui a intérêt, dans ces conditions, à jeter de l’huile sur le feu en ravivant les plaies d’un conflit en voie de règlement, et pourquoi la droite s’acharne-t-elle ?

Le débat promet en tous cas d’être houleux entre les présidents des partis réunis autour du président du Parlement européen, quand ils devront faire leur choix le 26 octobre.

Le peuple Maya contre les multinationales et le gouvernement

AURA LOLITA CHAVEZ IXCAQUIC 
Reste deux autres candidatures, tout à fait dans l’esprit, celles-ci, du Prix Sakharov. Celle du journaliste et auteur suédois d’origine érythréenne, Dawit Isaak, proposée par les socialistes ( S et D. ) Dawit Isaak a été arrêté il y a 16 ans par les autorités érythréennes, ainsi que 20 autres journalistes, pour avoir demandé des réformes démocratiques. Déjà finaliste du prix Sakharov en 2009, il a été vu pour le dernière fois en 2005.

Et la candidature d’une représentante des peuples indigène du Guatemala, Aura Lolita Chavez Ixcaquic, membre du Conseil des peuples quichés, menacée de mort dans son pays. Elle se bat pour la protection des ressources naturelles et des droits de l’homme face aux multinationales qui ravagent le pays avec la complicité de l’État guatémaltèque.

Rencontre.

De quelle région du Guatemala venez-vous et qu’est ce que le Conseil du peuple quiché ?

Aura Lolita Chavez Ixcaquic. Je viens des territoires de l’ouest de Guatemala, là où vivent les peuples indigènes qui sont à l’origine du pays, les Mayas.

Le peuple Maya-quiché ( 1 ) compte environ un million de personnes, pour un total de 16 millions d’habitants pour l’ensemble du pays. Le Conseil du peuple quiché est un ensemble de communautés qui se sont organisées pour défendre leurs territoires, leur droit à l’autodétermination et aussi les droits à la vie telle que la souhaitent les peuples indigènes. Cette organisation fait partie du conseil du peuple Maya qui couvre l’ouest du pays. Notre lutte est dirigée contre les entreprises internationales qui viennent dans les territoires pour s’emparer des ressources du peuple Maya-quiché.

La revendication des différents peuples indigènes du Guatemala, c’est d’avoir un état plurinational qui reconnaisse cette diversité des peuples. Mais l’État du Guatemala n’en veut pas parce qu’il est à genoux devant le pouvoir des grandes entreprise internationales, qu’elles soient minières, qu’elles construisent des barrages ou travaillent dans la monoculture pour les grands groupes agro-alimentaires, ou bien dans l’exploitation de la forêt.

Il y a une alliance entre le gouvernement, les réseaux du narcotrafic, les entreprises de sécurité privées qui travaillent pour les grandes  entreprises minières, et les réseaux de drogue et de mafia qui sont liées à ces problématiques. Tout cela dans un contexte où le président du Guatemala, Jimmy Morales, est empêtré dans une affaire de corruption, et qu’il est en train d’attaquer la Commission internationale qui doit enquêter sur ce sujet (2 .)

Pourquoi la lutte pour l’environnement et la lutte pour les droits de l’homme sont indissociables au Guatemala ?

A.L.C.I. On ne parle pas seulement de l’humanité, de la situation des hommes. Dans notre vision du monde – la vision des populations indigènes - il y a un rapport très important avec la Nature et la biodiversité. On englobe tout cela dans une même lutte.

En quoi vos organisations se sentent-t-elles menacées ?

AURA LOLITA CHAVEZ IXCAQUIC 
A.L.C.I. Les militaires, la sécurité privée et les paramilitaires arrivent dans les communautés, procèdent à des arrestations, des  meurtres, des  tortures, des viols, et nous sommes stigmatisés comme des terroristes, des gens qui sont contre les progrès économiques, tout cela parce que les multinationales sont en train d’accaparer les terres des peuples indigènes. On a déjà vécu ça pendant la guerre civile au Guatemala (3.)

Ils arrivent dans les communautés, ils divisent les gens, apportent des armes, ce qui génère des violences entre les membres de la communauté. Et les autres habitants du Guatemala ne s’en préoccupent pas.

Est-ce que vous parvenez tout de même à avoir des liens avec d’autres mouvements progressistes au Guatemala ?

A.L.C.I. Oui, bien sûr, nous sommes en contact avec d’autres organisations, ce n’est pas simplement notre lutte, il y a plusieurs mouvements d’opposition. Le combat qu’on mène se retrouve aussi dans d’autres parties de l’Amérique latine, comme par exemple au Honduras, où a été assassinée Berta Caceres ( 4 ). Les luttes sont locales, mais ce sont des problématiques globales. Nous nous revendiquons aussi comme paysans et féministes, ce qui nous relie à d’autres luttes.

Vous avez des exemples ?

A.L.C.I. Oui, on a par exemple réussi à combattre Monsanto au Guatemala. En 2014, le parlement a voté une loi qui était favorable à Monsanto et qui revenait à privatiser le maïs. Le maïs, c’est une plante qui est très importante dans notre culture. Nous avons pris contact avec d’autres peuples en Amérique latine qui avaient déjà lutté contre Monsanto, et après une manifestation d’une semaine à laquelle participaient également les syndicats, des mouvements sociaux, des agriculteurs et des mouvements de femmes, nous avons réussi à faire abroger la loi.

On a réussi aussi à empêcher l’entrée des compagnies minières dans plusieurs régions du Guatemala, même si les compagnies ont tout de même réussi à pénétrer dans d’autres zones. Et puis, on a amené le gouvernement t du Guatemala devant la cour intra-américaine des droits de l’homme sur la question des paramilitaires et de la défense de nos territoires.

Est-ce que vous vous sentez vous-même menacée ?
A.L.C.I. On m’a déjà attaquée à plusieurs reprises, on a essayé de me violer, mais l’état ne fait rien, à cause de cette alliance justement entre les paramilitaires et l’État.  On nous a déjà attaqué, y compris avec des  armes lourdes.

Qu’attendez-vous de l’Europe ?

A.L.C.I. Je salue ma nomination pour le prix Sakharov, c’est une occasion très importante dans l’histoire du peuple Maya et des peuples indigènes, parce que ça rend plus visible notre lutte dans notre pays.

Il ne faut pas non plus que les gens en Europe ferment les yeux sur ce qui se passe au Guatemala parce que les compagnies européennes sont responsables, on le dénonce. Ces entreprises ont du sang sur les mains,  donc il faut que l’Europe réagisse. Il faut par exemple envoyer une délégation de l’Union européenne dans les territoires mayas où l’on mène cette lutte, pour la montrer aux défenseurs des droits de l’homme.

(1) Le peuple quiché est un peuple indien d’Amérique centrale, apparenté aux Mayas. Il possède sa propre langue. La prix Nobel de la paix en 1992, Rigorberta Menchu, une militante pour les droits des indigènes, est une des figures les plus connues du peuple quiché. (2) Soupçonné de financement illégal de sa campagne électorale, le président Jimmy Morales est sous le coup d’une demande de levée d’immunité demandée par le parquet de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala, une mission spéciale des Nations unies chargée d’enquêter sur les affaires de corruption. (3) Le conflit armé au Guatemala opposant différents groupes de guérillas marxistes au gouvernement guatémaltèque, a duré de 1960 à 1996, faisant 100 000 morts, des milliers de disparus, et un million de personnes déplacées. Selon l’enquête des Nations Unies, 93% de ces violences ont été dues aux troupes gouvernementales. (4) L’assassinat en mars 2016 de la militante écologiste Berta Caceres qui luttait pour la préservation du fleuve Gualcarque menacé par un projet de barrage hydroélectrique, a soulevé une indignation mondiale. Sa famille a accusé les groupes industriels liés au gouvernement, d’avoir commis ce meurtre.

Jean-Jacques Régibier