mercredi 13 décembre 2017

LE CHILI REDÉCOUVRE L’IMMIGRATION


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CAPTURE D'ÉCRAN
LE CHILI REDÉCOUVRE L’IMMIGRATION

Dans un pays où le nombre des immigrés a triplé en dix ans, le sujet s’est invité dans la campagne présidentielle. Le conservateur Sebastian Pinera affronte dimanche au second tour le candidat de gauche, Alejandro Guillier.
Sebastian Piñera, qui brigue dimanche un second mandat après avoir dirigé le pays de 2010 à 2014, défraie la chronique au Chili. Interrogé début décembre lors d’une émission télévisée par un chanteur haïtiano-chilien, l’homme d’affaires a comparé d’emblée son interlocuteur à du « chocolat avec de la chantilly dans la bouche ». « Racisme ! », ont accusé les uns ; « maladresse innocente », ont répondu les autres. Cette polémique illustre une nouvelle réalité au Chili : l’immigration. Le nombre d’étrangers vivant dans ce pays de 18 millions d’habitants a triplé en dix ans, passant de 154 643 personnes en 2006 à 465 319 en 2015. Parmi les nouveaux venus, des Haïtiens, arrivés dans un pays où la population noire était quasi absente. « Nous avons monté une petite école pour donner des cours d’espagnol aux familles haïtiennes », confirme le père Gérard, curé français dans un quartier populaire de la capitale.

      On croise aussi dans les rues de Santiago des nationalités sud-américaines, Colombiens et Vénézuéliens en tête. Dans un restaurant du centre, Angelis, 31 ans, sert des arepas, ces pains au maïs typiques du Venezuela, fourrés de viande, de fromage ou d’avocat.

      La jeune femme est arrivée en janvier de Caracas, après huit jours de voyage en bus. Elle a traversé l’Amazonie, la cordillère des Andes, le désert d’Atacama… « C’est très long, et dangereux, mais bien moins cher que l’avion, explique-t-elle. Et au Chili, nous pouvons venir sans visa, et il y a du travail ». Les portes étaient fermées à Caracas à cette femme spécialiste des questions fiscales, qui, sans être militante, n’a jamais été séduite par le chavisme.

      Comme de nombreux compatriotes, elle a pris la route de l’exil. Vers le sud. « Je connaissais le propriétaire, originaire du Venezuela, raconte-t-elle. Quand il m’a dit qu’il ouvrait un nouveau restaurant et cherchait du monde, je suis venue. » Quelques mois plus tard, elle obtenait des papiers et un permis de travail.




      PLAISANTERIE DE SEBASTIAN PIÑERA AU CHANTEUR GYVENS LAGUERRE 
      « VOUS ÊTES COMME UN CHOCOLAT AVEC DE 
      LA CRÈME CHANTILLY DANS LA BOUCHE »

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      Ce phénomène est nouveau : si le Chili a attiré, à la fin du XIXe siècle, de nombreux Européens (Allemands, Croates, etc.), cette page s’est tournée depuis longtemps. Au bout du continent américain, isolé du reste du monde par l’imposante cordillère des Andes et l’aride désert d’Atacama, le pays n’était plus une destination. Plutôt un lieu dont on tentait de partir, quand il s’est transformé en prison, sous la férule du féroce Augusto Pinochet. Du coup, l’immigration est devenue un enjeu politique. Au premier tour de l’élection présidentielle, Jose Antonio Kast, candidat de la droite dure, pro-Pinochet, a obtenu un résultat heureux avec 8 % des voix en prônant la fermeté tous azimuts, y compris contre les migrants.

      Manuel, propriétaire d’un hôtel familial à Puerto Varas, ville du sud du Chili construite par des colons allemands à la fin du XIXe siècle, a voté pour lui, en partie pour cette raison. « On ne peut pas laisser les gens venir comme ils veulent, dit-il. Il faut que ce soit contrôlé, organisé. Quand les Allemands sont venus ici, nos dirigeants étaient allés en Europe les chercher. Ça n’avait rien à voir. »

      Dimanche, Manuel apportera son suffrage à Sebastian Piñera, favori d’un scrutin serré qui l’oppose à son adversaire de gauche, Alejandro Guillier, porteur de l’héritage de la présidente sortante ­Michelle Bachelet.

      Gilles Biassette