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« CHAQUE PAYS A LES
MYTHES QU'IL MÉRITE. »
« MYTHE ET NÉO-MYTHE » - JAGUAR (BRÉSIL),
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Si le candidat d'extrême droite, Jair Bolsonaro, l'emporte au deuxième tour, c'est toutes les Amériques qui se trouveront à nouveau confrontées à leur passé autoritaire. Il reste tout juste deux semaines pour provoquer un choc de conscience.
« DOIGT POURRI » - SIMANCA (BRÉSIL)
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La décennie tournée vers l’avenir
« PASSEZ-MOI LE SEL, S'IL VOUS PLAÎT »
AZIZ (BRÉSIL) |
«OÙ SONT LES CASSEROLES ???»
GUABIRAS (BRÉSIL) |
DESSIN DE LANGER, ARGENTINE. PUBLIÉ DANS COURRIER INTERNATIONAL |
MARIELLE FRANCISCO DA SILVA, DITE MARIELLE FRANC DESSIN LATUFF PUBLIÉ DANS DIARIO DO CENTRO DO MUNDO |
Les militaires aux postes clés
Comme ailleurs, la montée de l’extrême droite s’explique par une poussée populiste, un rejet du système, une critique virulente du «marxisme culturel» et de la gauche identitaire, un moralisme rétrograde, un retour de la religion, une défense de la famille et de la patrie, une volonté d’ordre, la dissémination des fake news sur les messageries sociales (notamment le «Zap» (What’s App) et une dégradation générale de la bienséance, du langage et des comportements en public. Ce qui distingue, cependant, le fascisme brésilien de l’extrême droite européenne et américaine, c’est le soutien des militaires et le fait qu’on ne peut guère être sûr que les forces de l’ordre resteront dans leurs casernes. Jamais on ne pourra pardonner au président «par intérim» Michel Temer d’avoir nommé plusieurs militaires à des postes clés de l’Etat (ministère de la Défense, des Services secrets, Direction de l’intervention des forces de l’ordre dans l’Etat de Rio de Janeiro). Il y a du soufre dans l’air. L’irrésistible ascension du capitaine de réserve Jair Messias Bolsonaro, grand apologiste de la dictature et des généraux tortionnaires, n’était, cependant, pas prévue. Il s’agit bel un bien d’un effet pervers, non intentionnel de la destitution de la présidente élue et d’une droitisation radicale de la politique du gouvernement de Michel Temer. Le système est désormais hors contrôle.
Jusqu’au début du mois d’octobre, on s’attendait encore à une reprise de l’ancien scénario électoral avec une polarisation classique entre la social-démocratie du PT et le libéral-conservatisme du PSDB. On savait qu’il y aurait sans doute un second tour et on se faisait des scénarios du pire, mais sans vraiment y croire. Le samedi d’avant les élections, des millions de citoyens et citoyennes avaient manifesté dans les rues des grandes villes du Brésil, en réponse à l’appel des femmes pour faire barrage à l’innommable («le chose») et défiler sous un mot d’ordre unique: «pas lui» (#elenão). L’accession au pouvoir de l’extrême droite paraissait possible, mais improbable. En une semaine, cependant, tout a changé et le système s’est rendu. Ni «cordon sanitaire» ni «sursaut républicain» ne se mettent en place. L’ex-président Fernando Henrique Cardoso, tout comme les médias d’ailleurs, à l’exception de El Pais Brésil, invoque une neutralité qui ne tient discursivement que par l’assimilation du PT à l’extrême gauche et en symétrie avec l’extrême droite. Le Venezuela fait figure de repoussoir. En quelques jours, le candidat outsider a emballé les marchés, les médias, les églises néo-pentecostales, la Cour suprême, les juges, dans un mouvement convulsif de sabordement. L’«antipétisme» associé à la promesse d’une purge sécuritaire et d’un retour à l’ordre moral catalyse les rancœurs.
Hold-up électoral
Les résultats du premier tour ont provoqué des ondes de choc. Les partis de centre droit ont tout simplement été laminés. Seul subsiste le PT, arrimé – mais pour combien de temps encore? – au capital symbolique de Lula, particulièrement vivace dans le Nordeste. De profondes dissensions apparaissent à l’intérieur des familles, des collectifs de travail et des groupes d’amis, qui se disent désormais irréconciliables. L’effet de «hold-up électoral» du premier tour n’est pas sans rappeler le choc qu’a constitué la victoire d’Emmanuel Macron auprès des partis de l’establishment. Il reste une différence de taille. Au Brésil, «En marche» risque bien d’être une marche militaire. Un peu comme si c’était Jean-Marie Le Pen qui s’installait à l’Elysée.
En revanche, l’ultralibéralisme annoncé du programme de son gourou économiste le rapproche sans doute davantage du projet de Pinochet et de ses Chicago Boys. Il reste tout juste deux semaines pour provoquer un choc de conscience. Si Bolsonaro l’emporte finalement, c’est toutes les Amériques qui se trouveront à nouveau confrontées à leur passé autoritaire. C’est pourquoi le second tour n’importe pas seulement pour le Brésil, mais risque de résonner pour longtemps comme un coup de semonce dans l’horizon démocratique du sous-continent.
Frédéric Vandenberghe Sociologue, professeur à l'institut de philosophie et de sciences sociales de l'Université fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ) , Jean-François Véran Anthropologue, professeur à l'institut de philosophie et de sciences sociales de l'Université fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ)