dimanche 27 juin 2004

LES MILLIONS CACHÉS DE LA FAMILLE DU GÉNÉRAL


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LA FAMILLE DU GÉNÉRAL

La justice enquête sur des détournements de l'argent de l'État et des ventes d'armes.


DESSIN PATRICK CHAPPATTE - LE TEMPS, SWITZERLAND 
«Quand il faudra que je m'en aille, déclarait Pinochet deux ans après le coup d'État du 11 septembre 1973, j'irai chez le notaire et je retirerai mon enveloppe avec mes biens, rien de plus. Et même, au mieux, je m'en irai avec moins que ce que j'avais quand j'ai pris mes fonctions.» En 1973, selon une déclaration réalisée effectivement devant notaire, ses biens se limitaient à une maison et près de 500 dollars.

Plus de trente ans après, le Sénat américain a révélé, fin juillet, l'existence de 4 à 8 millions de dollars conservés par l'ancien dictateur et sa femme sur des comptes secrets à la banque américaine Riggs, entre 1994 et 2002. Somme qui ne correspond pas aux revenus du simple fonctionnaire que Pinochet a été sa vie durant : officier, chef de l'armée de terre, chef de l'État, puis sénateur à vie.

«Corruption». 

Le général s'est-il enrichi sur le dos de l'État ? A-t-il profité de la vague de privatisations réalisées sous la dictature (1) ? A-t-il reçu des commissions lors de l'achat et la vente d'armes ? A-t-il bénéficié de donations ? Autant de pistes que suit le juge d'instruction Sergio Muñoz, chargé de l'enquête sur l'argent découvert. La défense de l'ex-dictateur a expliqué l'origine de cet argent par des «économies personnelles» et des «donations privées» qu'il aurait reçues notamment «durant la période de sa détention à Londres». Or, «non seulement les donations sont soumises à l'impôt», remarque l'avocate des droits de l'homme Carmen Hertz, mais «Pinochet exerçait des charges publiques, en tant que chef de l'armée de terre et président autoproclamé de la République. Pour cette raison, recevoir des donations est un acte scandaleux de corruption». Quelle que soit l'origine de sa fortune, l'ancien dictateur apparaît donc sous un mauvais jour. Et pas seulement lui, mais toute sa famille. Car l'enquête se concentre «sur toutes les personnes qui apparaissent titulaires, destinataires ou bénéficiaires des ressources dont on ignore l'origine».

Or Lucia Hiriart, son épouse, est cotitulaire d'un des six comptes découverts à la Riggs. Elle apparaît aussi comme bénéficiaire d'une partie des 38 chèques de 50 000 dollars chacun, émis par la Riggs à destination du Chili, et de Pinochet, entre août 2000 et avril 2002. Celle qui s'est toujours présentée comme humble maîtresse de maison, n'exerçant aucune activité rémunérée ou commerciale, doit aussi répondre de l'acquisition de trois propriétés, évaluées par le fisc chilien à plus de 535 millions de pesos (700 000 euros). Les cinq enfants de Pinochet sont actionnaires des deux sociétés-écrans créées par la banque aux Bahamas en 1998.

Le 6 août, Pinochet a accepté de répondre au juge d'instruction ­ démarche inédite qui, selon certains, pourrait être une tactique pour protéger sa famille. Il aurait reconnu notamment l'existence des deux sociétés-écrans. Parallèlement aux interrogatoires, Sergio Muñoz a lancé de nombreuses procédures. Il a demandé à la banque centrale d'établir l'historique de tous les placements du général, des 38 membres de sa famille et des 29 sociétés qu'ils possèdent ou ont possédées depuis 1973.

Trafic d'armes. L'enquête menée par le juge d'instruction s'attarde également sur les vieilles accusations de trafic d'armes restées sans suite, tel le projet nommé «Fusée Rayo». Ce mystérieux projet développé à partir de 1989 entre l'armée de terre et l'entreprise britannique Royal Ordenance, parmi les plus importantes du monde en matière d'armement, aurait englouti des fortunes pour être finalement abandonné, l'année dernière... en raison de son coût élevé. Certains accusent le général d'avoir perçu des commissions dans cette affaire. L'image de l'«austère» Pinochet est donc bien mal en point, et avec elle le dernier mythe qui permettait encore à la droite chilienne d'exprimer sa nostalgie de la dictature.

(1) La Chambre des députés a voté, le 4 août, la création d'une commission pour enquêter sur les privatisations réalisées durant la dictature.

Claire MARTIN