mardi 31 mars 2020

COMPTE RENDU DE LA VISITE DE L'AVOCAT CARLOS MARGOTTA EN FRANCE

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  • MAÎTRE CARLOS MARGOTTA PRÉSIDENT DE LA
    COMMISSION DE DROITS DE L'HOMME DU CHILI
    CAPTURE D'ÉCRAN
    Compte rendu de la visite de l'avocat Carlos Margotta, président de la Commission de Droits de l'Homme du Chili (CDHCh) en France, invité par le Parti de Gauche Européenne (PGE), du Parlement Européen.

    Première journée 11 mars 2020


    À 12:00 h. : Arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle (CDG).

    Achat par C. Margotta de la carte de transport hebdomadaire.

    Installation à l’hôtel. Déjeuner offert par J.C.

    À 15:30 h. :entretien avec Laurent Perea, vice-responsable de questions internationales du PCF au siège au siège du Comité Central, 2 place du Colonel-Fabien, Paris.

    C. Margotta expose les motifs de sa tournée européenne :
    - Le gouvernement a employé la répression violente contre la population, dès le début de l'explosion sociale qui se développe au Chili, en provoquant une situation grave d'atteinte aux droits de l'homme au pays.

    - C. Margotta rappelle l'alerte sur le non-respect de droits de l'homme effectuée par 4 organisations internationales : Commission Internationale de Droits de l'Homme, Commissions Américaine de Droits de l'Homme, Amnistie Internationale, Human Watch Rights.

    - Le gouvernement n'a fait aucun cas des recommandations de ces organismes et persiste à déclarer que le problème n'est pas social mais de violence, de délinquance et de sécurité.

    - Quelques chiffres au 10 mars 2020 : il y a eu 448 victimes du traumatisme oculaire. Deux personnes ayant perdu la vue de deux yeux. 2.800 personnes en prison. 5.000 dossiers pour violation des droits de l'homme.

    - Prévisions de la CDHCh : d'un côté accentuation de la répression de la part du gouvernement, d'un autre encouragement de la création et du développement des groupes de civils d'extrême droite prêts au combat en vue à créer des situations d'affrontement. Devant cette situation créée, le gouvernement, afin de rétablir la paix sociale, ferait appel aux Forces Armées pour en finir avec la violence. Ce qui permettrait d'en finir avec l'explosion sociale, de continuer à gouverner et de ne pas toucher à la Constitution léguée par Pinochet.

    - Le gouvernement est cependant fragile et sensible à l'opinion publique mondiale quant aux atteintes aux droits de l'homme, raison pour laquelle la dénonciation de crimes de lèse humanité au Chili acquiert une importance capitale.

    - C. Margotta insiste sur le fait que cette politique de défense de droits de l'homme au Chili constitue une plateforme universelle de lutte contre le néolibéralisme, lequel est par définition anti démocratique, ainsi qu’une base d'unité. En défendant le droit de manifester au Chili, on garantirait aussi le droit de manifester contre le système néolibéral de façon générale, par exemple, les gilets jaunes en France.

    - C. Margotta fait un petit rappel de 41 ans d'histoire de la CDHCh née en pleine dictature en 1978. Aujourd'hui la défense des droits passe par l’ouverture de procès nominatifs devant les tribunaux chiliens dans lesquels les responsables sont identifiés : président, ministres, responsables militaires, etc. Actuellement il y a plus de 30 procès en cours.

    - La CDHCh parraine ‒à la demande de victimes‒, le plus grand nombre de procès pour lésion oculaire. Le nombre de personnes qui se joignent aux procès ne cesse d'augmenter.

    - C. Margotta raconte la persécution de laquelle sont objets les défenseurs de droits de l'homme au Chili. Le siège de la CDHCh a subi un vol par effraction l'année dernière, d'où ont été soustraits seulement les ordinateurs.

    - Le président de la CDHCh insiste sur l'importance de soutenir les procès entamés au Chili au moyen d’opinions compétentes en droit et de positions politiques. Il faut pouvoir compter sur des déclarations ‒opinions juridiques‒ écrites par des juristes de renom. Ceci est un préalable pour épuiser les possibilités juridiques dans le pays avant de présenter les cas devants les tribunaux internationaux. Lors de sa visite en Espagne, C. Margotta a réussi à avoir le concours du juge Garzón dans cette tâche. C. Margotta sollicite la participation de juristes français dans cette mission. Il s'agit de rédiger des Comptes rendus en Droit dans lesquels des juristes analysent et attestent les crimes de lèse humanité commis aux Chili. Par exemple, un groupe de juristes italiens a envoyé une lettre de dénonciation de l'attitude du gouvernement de Piñera au Tribunal Pénal International.

    Laurent Perea prend la parole pour signaler l'importance des luttes pour la démocratie dans le monde et en particulier en Amérique Latine. Après des avances progressistes, nous assistons, d'après lui, à une offensive réactionnaire de récupération du terrain, soutenue par l’impérialisme. Il insiste sur le fait que la lutte doit être menée tant dans le domaine idéologique que politique. Il trace un parallèle entre les luttes, après l'explosion sociale : entre le peuple du Chili et le mouvement des gilets jaunes en France.

    Il termine en indiquant l'importance de maintenir la relation entre le PCF et la CDHCh ainsi que les communistes chiliens présents en France. Ces contacts permettront des échanges d'expériences toujours utiles pour les luttes à venir. Il évoque la possibilité qu'une délégation du PCF se rende au Chili à l'occasion du plébiscite.

    - C. Margotta termine son intervention en rappelant ce qu’a signifié la lutte du peuple chilien dans l'histoire récente : élection du premier président marxiste par des méthodes démocratiques, consolidation de droits sociaux du peuple en vue de créer une société plus égalitaire, et après le coup d’État, l'imposition par la force du modèle néolibéral, copié ensuite dans d'autres latitudes. Aujourd'hui le mouvement social a rapidement visé la fin du modèle néolibéral. Il termine en affirmant que si le modèle néolibéral né au Chili, subit un coup mortel dans la même salle d’accouchement, l'effet domino dans les luttes à travers le monde serait formidable.

    À 19:00 h. :  Réunion dans le hall de l'hôtel avec un groupe de chiliens (8).

    - C. Margotta précise l'importance du rôle que peuvent jouer les chiliens à l'étranger dans la solution favorable de la lutte actuelle du peuple au Chili. Après avoir fait une ébauche de la situation chilienne actuelle (voir entretien précédent), il souligne l'absence de sponsors officiels de la CDHCh. Il détaille la composition des équipes de travail (11 avocats et 20 psychologues). Il conclut en établissant les priorités du travail envers le Chili : arrêt de la répression, garantie de la réalisation du processus pour établir une nouvelle constitution, importance de la défaite du néolibéralisme au Chili.

    À 22:00 h : dîner avec le groupe de chiliens. C. Margotta est l'invité de Cecilia Cortés (Association Orly-Chili Solidarité)

    Jeudi 12 mars 2020.



    À 11:30 h. : rdv avec María Paz Santibàñez, à son domicile, pour la coordination de la suite des entretiens et activités.

    À 13:00 h. : Déjeuner avec la directrice de la Maison des Hautes Études pour l'Amérique Latine (IHEAL), Capucine Boudin et quelques étudiantes, dans la brasserie Balzar.

    À 16:30 h. : Réunion, à son domicile, avec Sophie Thonon. Ils discutent de questions de techniques juridiques, en particulier la participation de juristes de renom à la rédaction d'un Compte rendu en Droit. Il existe la possibilité d'associer à S. Thonon deux autres participants dans le procès contre Pinochet (et autres) pour la disparition de 5 citoyens français au Chili : Claude Katz et Benjamin Sarfaty. Tous les deux aujourd'hui à la retraite.

    À 20:00 h. : Réunion meeting ouvert à la place de la République organisé par l'Assemblée  de chiliens à Paris. Sous la pluie et le vent où C. Margotte a pris la parole. La soirée se termine dans une rencontre avec les membres de l'Assemblée au bistrot « L'attirail ».


    Vendredi 13 mars 2020.

    À 8:00 h. : Entretien avec une journaliste du journal Le Figaro.

    À 10:30 h. : Entretien avec l'ambassadeur pour les droits de l'homme de France, François Croquette au Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères.

    À 13:00 : Déjeuner offert par J.C. C. Margotta apprend par un coup de téléphone venant d'Espagne que la tournée européenne est suspendue et doit retourner au Chili après visite de Marseille.

    À 15:00 : entretien avec Aida Palau de RFI dans 'Le Train Bleu' ‒gare de Lyon.

    À 16:40 : prend le train vers Marseille.

    Plus tard, le lundi 16 mars 2020 C. Margotta arrive par avion de Marseille à CDG et prend une correspondance de retour pour le Chili.
    J.C.

jeudi 26 mars 2020

WASHINGTON OFFRE 15 MILLIONS DE DOLLARS POUR CAPTURER NICOLAS MADURO INCULPÉ DE «NARCO-TERRORISME»

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Le ministre américain de la justice a annoncé que le président vénézuélien Nicolas Maduro avait été condamné aux États-Unis pour «narco-terrorisme». Washington propose une récompense de 15 millions de dollars pour l'arrêter
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On se croirait dans un mauvais western. Les États-Unis ont offert, ce 26 mars 2020, une récompense pouvant atteindre 15 millions de dollars pour toute information permettant d'arrêter le président vénézuélien Nicolas Maduro qui vient d'être inculpé pour «narco-terrorisme» par la justice américaine. 


Nicolas Maduro et plusieurs membres de son entourage ont été inculpés de «narco-terrorisme» aux États-Unis, a ainsi annoncé le ministre américain de la Justice Bill Barr. Ils sont accusés d'«avoir participé à une association de malfaiteurs qui implique une organisation terroriste extrêmement violente, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), et à un effort pour inonder les États-Unis de cocaïne», a déclaré le ministre lors d'une visioconférence de presse. 

Des récompenses de dix millions de dollars sont promises en échange d'informations «permettant d'arrêter et/ou condamner» d'autres proches du dirigeant socialiste, a annoncé le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo dans un communiqué. 

Le président vénézuélien et son entourage ont réagi à ces annonces. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères a qualifié l'attitude américaine de «nouvelle forme de coup d'État». «[Donald Trump] s'en prend de nouveau au peuple vénézuélien et à ses institutions démocratiques en ayant recours à une nouvelle forme de coup d'État sur la base d'accusations misérables, vulgaires et infondées», a ainsi déclaré Jorge Arreaza lors d'une allocution télévisée. Les attaques du gouvernement étasunien envers celui de Nicolas Maduro n'ont rien de nouveau. Washington tente depuis d'asphyxier le gouvernement de Nicolas Maduro avec une série de sanctions économiques dont l'objectif affiché de Donald Trump est de contribuer à l'éviction du successeur d'Hugo Chavez, grand pourfendeur de «l'impérialisme nord-américain». Mais ce dernier conserve le soutien de la Chine, de la Russie et de Cuba.

Dans une déclaration réalisée depuis la résidence de Miraflores à Caracas le 7 février, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a jugé les tentatives de renverser le gouvernement légitime du Vénézuéla absolument inacceptables, assurant qu'il ferait de son mieux pour les faire condamner par la communauté internationale. «Malheureusement, la crise qui touche actuellement le Vénézuéla découle d'une tentative d’organiser une campagne de grande envergure visant à renverser le gouvernement légitime en recourant à toutes les options, comme le disent les organisateurs, y compris l'usage de la force. Nous considérons que ces actions sont totalement inacceptables et nous veillerons activement à ce qu'elles soient condamnées par la communauté internationale», a ainsi fait savoir le ministre russe des Affaires étrangères à l’occasion d’une table ronde avec plusieurs représentants vénézuéliens, dans des propos rapportés par l’agence de presse russe TASS. Les États-Unis, ainsi qu'une soixantaine de pays, soutiennent pour leur part l'opposant vénézuélien Juan Guaido, qu'ils ont reconnu président par intérim en janvier 2019 après qu'il s'est autoproclamé comme tel. 

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mercredi 25 mars 2020

LES ÉTATS-UNIS FONT PRESSION SUR D’AUTRES PAYS POUR QU’ILS REFUSENT L´ASSISTANCE MÉDICALE DE CUBA

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« RÉPONSE DE TRUMP AU CORONAVIRUS FAKE NEWS ...! »
DESSIN RAMSES MORALES IZQUIERDO 
La Havane, 25 mars 2020 (Prensa Latina) L’ambassade des États-Unis dans cette capitale a fait pression sur les pays qui bénéficient aujourd’hui de la coopération médicale cubaine pour qu’ils refusent cette contribution, malgré la pandémie de Covid-19.
Prensa Latina
6Temps de Lecture 2 min 18 s.
INFOGRAPHIE
C’est ce qui a été clairement annoncé dans une publication sur Twitter de la représentation diplomatique des États-Unis ici, alors que des brigades sanitaires partent de La Havane dans plusieurs pays pour aider à combattre le nouveau coronavirus.

« Cuba offre ses missions médicales internationales aux (pays) affligés par le Covid-19 seulement pour récupérer l’argent qu’elle a perdu lorsque les pays ont cessé de participer à ce programme abusif », estime le texte.

Les pays hôtes qui sollicitent l’aide de Cuba pour le Covid-19 doivent examiner les accords et mettre fin aux abus de travail, ajoute-t-il.

C’est scandaleux, a déclaré à la Prensa Latina l’infirmière Mary Nieves, qui a servi au sein de missions internationalistes dans plusieurs pays.

Les États-Unis renforcent le blocus imposé à Cuba en période de pandémie, mais ils veulent aussi refuser à d’autres peuples le concours de notre personnel de santé, a-t-elle ajouté.

La spécialiste a souligné qu’il est paradoxal que le pays le plus puissant de la planète soit celui qui coopère le moins avec d’autres nations dans le besoin.

Le message de l’ambassade des États-Unis à Cuba, qui a fait l’objet de nombreuses manifestations de rejet sur les réseaux sociaux, a lieu alors que l’île participe à la lutte contre le Covid-19 notamment en Chine, au Nicaragua, au Venezuela, au Suriname, à Grenade, en Jamaïque, au Belize et en Italie.

Y compris lorsque la pandémie fait rage aux États-Unis, qui semblent être appelés à devenir l’épicentre de la contagion de la maladie.

La veille, le premier ministre de la Dominique, Roosevelt Skerrit, sur sa page Facebook, a remercié la plus grande des Antilles pour son aide et a annoncé l’arrivée d’une mission sanitaire qui rejoindra la brigade de médecins cubains travaillant déjà dans cette île des Caraïbes.

« Je tiens à exprimer ma sincère gratitude au Gouvernement et au peuple de la République de Cuba pour leur solidarité renouvelée avec notre pays. J’ai toujours dit que tu savais qui étaient tes amis dans les moments difficiles », a-t-il manifesté.

Pour sa part, l’ancien président brésilien Inacio Lula da Silva a adressé une lettre au président de Cuba, Miguel Diaz-Canel, dans laquelle il félicite le peuple, et en particulier les scientifiques et professionnels cubains de la santé, pour leur solidarité avec d’autres nations du monde.

C’est dans les moments de crise que nous connaissons ceux qui sont véritablement grands. Et à ces heure-ci, le peuple de cette île se dévoue toujours pour le monde, a souscrit Lula.

La solidarité active, militante et révolutionnaire de Cuba s’est déjà manifestée dans diverses parties du monde, en réponse fière et souveraine à ceux qui tentent de lui imposer le blocus économique et l’isolement politique, a souligné le politicien brésilien.

Un autre ancien président, l´équatorien Rafael Correa, a publié sur son compte Twitter un message qui contraste avec le fait que « tandis que les États-Unis commandent des interventions militaires dans le monde, la petite île des Caraïbes envoie des sauveurs de vies ».
peo/mem/ool
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CORONAVIRUS: L'ONU APPELLE À LIBÉRER DES DÉTENUS POUR ÉVITER "DES RAVAGES" EN PRISON

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PHOTO ROGER LEMOYNE /UNICEF 
« Le Covid-19 a commencé à frapper les prisons, les maisons d'arrêt et les centres de détention d'immigrants »
LA HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES
AUX DROITS DE L'HOMME, MICHELLE BACHELET.
PHOTO ANTOINE TARDY / ONU
La Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU Michelle Bachelet a appelé mercredi à la libération urgente de détenus à travers le monde pour éviter que la pandémie de Covid-19 ne fasse des « ravages" dans les prisons souvent surpeuplées.

Après l'Organisation mondiale de la santé (OMS) lundi, la Haut-Commissaire a exhorté « les gouvernements et les autorités compétentes à travailler rapidement pour réduire le nombre de personnes en détention", en libérant par exemple "les détenus les plus âgés et ceux malades, ainsi que les délinquants présentant un risque faible ».

« Le Covid-19 a commencé à frapper les prisons, les maisons d'arrêt et les centres de détention d'immigrants, ainsi que les centres de soins résidentiels et les hôpitaux psychiatriques, et risque de causer des ravages auprès des populations extrêmement vulnérables au sein de ces institutions », a-t-elle prévenu, en reconnaissant que « plusieurs pays [avaient] déjà entrepris des actions positives » en ce sens.

L'Ethiopie a notamment annoncé mercredi l'amnistie et la libération prochaine de plus de 4.000 prisonniers pour désengorger ses prisons.

L'ex-présidente du Chili, qui connut les geôles du régime Pinochet dans les années 1970, a par ailleurs enjoint les gouvernements à « libérer toute personne détenue sans fondement juridique suffisant, y compris les prisonniers politiques et les personnes détenues simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes ».


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mardi 24 mars 2020

LES 2.500 PRISONNIERS DE LA RÉVOLTE AU CHILI DONT ON NE PARLE PAS

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LES 2.500 PRISONNIERS DE LA RÉVOLTE AU CHILI DONT ON NE PARLE PAS
PHOTO AGENCIA UNO
Plus de 11.300 personnes ont été arrêtées et 2.500 emprisonnées au Chili durant la révolte sociale entre octobre 2019 et mars 2020, estime le rapport mensuel de l’Institut chilien des droits de l’homme (INDH). Pour les avocats et les parents de prisonniers, il s’agit d’un instrument de répression politique.
Dans une interview avec Sputnik, l’avocat Nicolás Toro soutient que les crimes pour lesquels ils sont accusés « ne ferait pas même l’objet d’une détention préventive dans un autre contexte », mais ils maintiennent aujourd’hui plus de 2.000 Chiliens en prison, selon l’INDH. Selon lui, on n’avait pas vu une telle mesure « depuis l’époque de la dictature ». « Cela semble être davantage un instrument de répression politique visant à contenir tout type de dissidence ou de protestation », a-t-il déclaré.

Il y a actuellement 2.500 personnes en détention préventive dans tout le pays, des hommes et des femmes – ces dernières en plus petit nombre – dont la plupart sont des jeunes détenus dans des prisons avec des prisonniers de droit commun. Parmi eux se trouvent de nombreux mineurs détenus dans des centres gérés par le tristement célèbre Service national des mineurs (Sename).

Des personnes qui, dans le contexte de la crise sanitaire due au coronavirus, se retrouvent démunies face à un État qui maintient les prisons surpeuplées et insalubres, un terrain propice à la propagation de la pandémie.

Ce qui est plus grave, c’est que beaucoup d’entre eux pourraient être chez eux, en quarantaine avec d’autres mesures de précaution, puisque les peines auxquelles ils sont exposés seraient inférieures au temps qu’ils ont déjà passé en détention préventive.

« Dans un autre contexte, les mesures de précaution des accusés et des prévenus actuels seraient moins lourdes que la détention préventive. Avant la promulgation de la « loi contre le vol et les barricades », les crimes étaient des désordres publics et ils purgeaient leurs peines en liberté avec un engagement écrit, une interdiction de quitter le territoire ou une assignation à résidence partielle ou totale », a déclaré l’avocate de la défense Yanira González à Sputnik.

Et elle ajoute : « Aujourd’hui, l’aberration est telle que des enfants qui n’ont fait que manifester, qui n’ont jamais eu de contact avec le monde carcéral, se retrouvent aujourd’hui emprisonnés avec tout ce que cela signifie, dans le contexte d’urgence sanitaire, en plus de la prétendue émeute et de la tentative d’évasion à Santiago — un complexe pénitentiaire où sont en détention préventive la plupart des personnes accusées issues de l’explosion sociale de Santiago — la situation est très grave et leur intégrité physique et psychologique est sérieusement menacée. L’assignation à résidence totale, et plus encore dans ce contexte des mesures contre COVID-19, répond parfaitement à l’objectif du processus pénal ».

L’explosion sociale au Chili et l’emprisonnement politique


MARCHE POUR LES PRISONNIERS POLITIQUES AU CHILI
PHOTO CATALINA SOLIS
Il s’agit d’une réalité rendue invisible par les médias, ignorée par les organisations des droits de l’homme, et qui réunit à la fois des opposants et des partisans, puisqu’il s’agit souvent d’actions directes liées à l’utilisation de cocktails Molotov ou à l’érection de barricades, qui se produisent dans le contexte de bouleversements sociaux.

Les procureurs et les tribunaux ont demandé et imposé des mesures de précaution massives contre les détenus du soulèvement social qui a commencé en octobre au Chili, plus de 25.000 au total, y compris les prisons préventives.

Plusieurs professionnels des droits humains avertissent que ces mesures sont utilisées pour criminaliser et punir la protestation, mais surtout pour intimider ceux qui manifestent contre le gouvernement et le système politico-économique.

Pour Toro, il ne fait aucun doute que les personnes détenues lors des manifestations « sont des prisonniers politiques, en premier lieu, parce qu’ils soutiennent des actions de rejet du modèle néolibéral et que c’est pour cela qu’ils sont en prison. Je fais référence à toutes les personnes qui sont en détention préventive à cause de la loi sur le contrôle des armes, des incendies ou différentes perturbations, comme des barricades, toutes choses qui impliquent des actions directes contre le modèle ».

Il poursuit : « Deuxièmement, nous pouvons examiner les lois qui leur sont applicables. Il y a ceux à qui la Loi de Sécurité de l’Etat est appliquée, une loi absolument politique, promulguée en 58 comme réponse à la rébellion de 57 pendant le gouvernement de Ibáñez (Carlos Ibáñez était président entre 1952-1958), également une révolte sociale qui a commencé par la hausse des tarifs des transports et a débouché sur un État de siège et des militaires dans les rues ».

À ce jour, 45 personnes ont déjà été inculpées d’infractions à la loi sur la sûreté de l’État, dont 17 sont en prison. Cela s’ajoute à la récente invocation de cette loi par le ministère de l’Intérieur dans 16 plaintes contre les jeunes dirigeants de l’ACES (Assemblée coordinatrice des étudiants du secondaire) pour boycottage du PSU, en plus de celle déposée contre le militant du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) Jaime Castillo Petruzzi, pour des propos tenus lors du lancement d’un livre par la Coordinadora Arauco Malleco.

Pour le criminaliste Julio Cortés, il y a une prise de conscience de la part des autorités du caractère politique des actions des manifestants dans le cadre de la révolte, mais ils tentent de la dissimuler en appliquant le droit commun et en classant les manifestants comme des criminels.

« En ce qui concerne les autres crimes « subversifs » tels que l’utilisation d’engins incendiaires et les attaques contre l’autorité, il n’y a pas beaucoup de doute sur la nature politique des actions, bien que l’État cache la justification politique évidente de la répression basée sur la loi sur le contrôle des armes et des explosifs. La motivation politique est encore plus cachée lorsque les événements sont classés comme des incendies criminels », a déclaré l’avocat pénal Julio Cortés à Spoutnik.

Il ajoute : « Un élément supplémentaire à souligner est que la qualification du caractère politique d’une action – et de la répression qu’elle déclenche – doit tenir compte du contexte de l’événement et de la perception qu’en ont les protagonistes.

Pour Cortés, et l’historien Furio Jesi l’explique bien, en soulignant que « la révolte est une bataille à laquelle on choisit de participer délibérément », et que « la plupart de ceux qui participent à une révolte choisissent d’engager leur propre individualité dans une action dont ils ne peuvent ni connaître ni prévoir les conséquences ».

Muriel Torres Bolivar le sait bien, compagne et belle-sœur des frères Christian et Rodrigo Sanhueza, accusés de fabriquer des armes incendiaires et détenus dans la prison de Santiago.

Muriel, qui a été arrêtée avec sa famille, a parlé à Sputnik : « Pour moi, comprendre ce qu’est une mesure de sûreté est d’actualité, car avant je n’avais aucune idée de ce jargon de pénal ».

Pour Muriel, ces mesures « sont très abusives, elles sont très extrêmes », et elle considère qu’il s’agit de formes de répression « pour que nous ayons peur, pour que nous ne sortions pas parce que ce n’est pas possible que mon compagnon, mon beau-frère, la plupart des enfants n’aient pas d’antécédents, qu’ils soient étudiants, travailleurs, qu’ils aient une famille stable et qu’ils soient quand même emprisonnés avec ces mesures de sûreté qui sont super-répressives ».

Hiram Villagra, avocat de la Corporation pour la promotion et la défense des droits du peuple (CODEPU), qui est intervenu lors d’une conférence de presse, a expliqué que le crime politique est défini par deux critères, l’un objectif, le bien juridique qu’il attaque ; et l’autre subjectif, le but pour lequel il est commis.

Dans ce cas, pour le professionnel, le but avec lequel les jeunes qui ont été emprisonnés pendant les mobilisations agissent est une politique « de protestation et de lutte sociale ».

Pour Villagra, il est paradoxal que les personnes accusées de pillage soient libérées plus rapidement, «parce qu’elles sont détenues uniquement pour un crime contre la propriété », contrairement aux «personnes qui construisent des barricades, considérées comme un danger pour la sécurité de l’État ». Ce sont des prisonniers détenus en raison de leurs actions politiques contre le système, et en ce sens, ce sont des prisonniers politiques », a-t-il déclaré.

Pourquoi les manifestants sont-ils arrêtés au Chili ?


Un autre précédent pour les avocats défendant des prisonniers politiques est que plusieurs d’entre eux ont été suivis et détenus par le département OS9 des Carabiniers, une unité d’enquête spéciale visant à lutter contre les organisations criminelles.

C’est le cas des frères Christian et Rodrigo Sanhueza Zúñiga, détenus par cette unité alors qu’ils rentraient chez eux, après avoir participé le 3 janvier à une mobilisation organisée sur la Place de la Dignité.

« Nous allions aux marches tous les vendredis, tous les vendredis étaient sacrés, nous y allions en grand groupe, dix, quinze toujours nombreux, et ce jour-là par hasard tout s’est effondré et il ne restait que nous trois. Nous étions tous les trois sur la Place de la Dignité, nous étions là à Bastamente, nous avons vu que l’église des carabiniers brûlait et nous nous sommes rendus à l’église pour voir ce qui se passait», a-t-il dit à Sputnik Muriel, la compagne de Christian Sanhueza.

« Ce jour-là, il y avait des papiers colorés à Alameda, c’était très beau et nous avons vu que l’église brûlait. Puis la répression a commencé, nous avons fait marche arrière, nous sommes restés un moment, en sautant, en criant et nous sommes partis. J’y allais toujours en voiture parce que j’y allais après le travail », se souvient Muriel

Elle ajoute : « Quand nous sommes partis, nous descendions la rue du Portugal au carrefour avec Porvenir, en attendant le feu rouge, et de 4, 5 voitures qui nous entouraient, des civils sont sortis avec des armes, avec des gilets pare-balles. J’ai cru que c’était un vol, parce qu’ils disaient : « Les mains en l’air ! Les mains en l’air ! » Et je n’ai pas compris, je n’ai vraiment pas compris. Que se passe-t-il, je ne comprends pas, prenez la voiture, emmenez-la, je disais : « Arrêtez, calmez-vous ».

C’est à ce moment que Muriel Torres, face à l’insistance de la police pour qu’elle lève les mains, et après avoir perdu de vue son compagnon et son beau-frère, se retourne et voit qu’ils sont tous deux menottés. Elle n’a pu distinguer s’il s’agissait de carabiniers (police en uniforme) ou de la police de la Sûreté qu’au moment où elle est arrivée à la caserne.

Ils nous ont tous emmenés dans des voitures différentes au poste de police de la 33ème, et là j’ai su que c’était OS9 qui nous arrêtait, et ils ne m’ont donné aucune information jusqu’à ce que ma belle-famille arrive et qu’ils leur disent : « vos enfants voulaient tuer les pacos, ils voulaient tuer les flics, et je n’ai pas compris ce qui s’est passé », se souvient Muriel, qui a été libérée la même nuit.

Selon le dossier, les trois jeunes n’ont pas été informés des raisons de leur arrestation. Une fois à l’unité de police et après plusieurs heures, ils ont appris que les deux frères étaient accusés de fabriquer des armes incendiaires et étaient poursuivis en vertu de la loi sur le contrôle des armes.

Depuis lors, la famille des deux jeunes gens, y compris Muriel, a eu d’énormes conséquences, qu’ils n’auraient d’ailleurs pas pu prévoir, comme l’a expliqué Jesi.

« C’est terrible parce que ça change tout, tout. Je veux dire, tout, dans le déroulement de la semaine. Du lundi, jour des colis (nourriture et articles de toilette qui sont remis aux prisonniers), au jeudi jour des visites. Que l’argent ne serve plus à autre chose, aux affaires des enfants, à dépenser pour aller en prison, alors, économiquement, c’est une très grosse dépense. Sur le plan émotionnel, c’est terrible, car si j’ai perdu mon compagnon et mon beau-frère, ma belle-mère, elle, a perdu deux enfants ».

Une manifestante emprisonnée, la seule à Santiago


PHOTO SERGIO CONCHA
L’un des cas les plus dramatiques, parmi les milliers de détenus, est peut-être celui de la jeune Paula Cisternas Armijo, la seule femme détenue à Santiago en raison de l’explosion sociale. Elle a 22 ans, était sur le point de devenir technicienne vétérinaire, féministe et végétalienne, et a été arrêtée le 16 décembre 2019 au cours d’une vaste et excessive opération.

Plusieurs fourgons de police et plus de 50 policiers ont été utilisés uniquement pour arrêter la jeune femme sur la voie publique, un moment qui a complètement changé sa vie.

« Beaucoup d’angoisse, pour être la seule inculpée suite aux protestations, les prisonnièrs ont leurs codes et leurs modes d’organisation que je ne connais pas et que je ne partage pas. Malgré cela, quelques prisonnières m’aident à comprendre ce monde et à pouvoir y faire face, sans devenir folle », déclare Paula dans un témoignage écrit envoyé à Spoutnik.

Le mandat d’arrêt a été émis par le 8ème tribunal. Elle et son compagnon ont été accusés d’avoir mis le feu à une succursale du Banco Estado le 6 novembre 2019, dans le cadre de manifestations et d’une marche vers un centre commercial dans le district de Providencia.

Une affaire qui n’est pas sortie de la controverse, car l’enquête a été menée par le PDI (police civile), en se basant principalement sur les caméras de surveillance existantes dans la banque et les locaux environnants, une version remise en cause par la défense de Paula.

« Le feu n’a jamais pris, ce n’a été qu’une flambée qui, en quelques secondes, a été éteinte, sans générer de dégâts d’une telle ampleur. Les photos et vidéos qui ont été montrées lors de l’audition ont été truquées, de telle sorte que le feu semble durer plus longtemps et que son image soit marquante. Bien que l’accusation n’avait pas de rapport d’expertise pour prouver l’incendie de la succursale, la décision du tribunal a été d’ordonner la mesure de précaution la plus lourde, quatre mois de détention préventive, ce qui n’a pas de précédent », a déclaré M. Gonzalez.

Ces mois de détention pour Paula Cisternas l’ont non seulement profondément affectée, mais aussi toute sa famille. « J’ai l’impression d’avoir perdu un temps précieux, ma famille est brisée, j’ai travaillé pour récolter de l’argent et mes anciens amis se sont éloignés. Cependant, quelques bonnes personnes sont entrées dans ma vie et m’aident à faire face à tout ce qu’implique l’emprisonnement : les courses, les visites et bien d’autres choses encore ».

La jeune femme se sent « prisonnière de la révolte », qu’elle est emprisonnée pour avoir participé aux mobilisations, « Je crois que les injustices qui nous entourent rendent urgent de bouger et de contribuer à ce que les choses changent et que les inégalités et les abus cessent maintenant ! ».

Elle dit qu’elle ne regrette pas d’avoir participé malgré ce qu’elle a dû subir ces derniers mois. « Je ne le regrette pas, nous devons protester. Cependant, dans ce lieu, on remet tout en question, même ainsi, je crois toujours qu’il faut se battre pour que les injustices cessent et je manifesterai, mais d’une manière différente ».

La justice est aveugle


Si pour les avocats des droits de l’homme, il est déjà grave que près de 2 500 personnes impliquées dans la révolte sociale soient en détention préventive, la situation est encore pire lorsque, en pleine crise sanitaire COVID-19, elles sont maintenues en détention et peuvent faire l’objet d’autres mesures de sûreté qui exposent leur santé physique et mentale.

Selon lui, cette situation est encore pire, car cette lourde disposition de précaution continue d’être appliquée, comme dans le cas des 44 détenus de la première ligne, dont la liberté a été révoquée par la Cour d’appel de Santiago et qui ont été placés en détention provisoire le 13 mars dernier. Cette mesure confirme le contexte idéologique existant, puisque dans ce cas la majorité sont poursuivis pour trouble à l’ordre public, ce qui entraîne une peine de 61 jours de prison.

Une mesure qui contraste paradoxalement avec ce qui se passe avec ceux qui ont commis des violations des droits humains, comme les cas emblématiques de Gustavo Gatica et Fabiola Campillai qui ont complètement perdu la vue suite à l’action répressive de la police, et où aucun fonctionnaire n’a été poursuivi, ni avec aucune mesure de sûreté.
Carolina Trejo

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PIÑERA, (IN)DIGNE HÉRITIER DE PINOCHET
PHOTO PABLO VERA. AFP
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CAPTURE D'ÉCRAN
Le fait était en soi suffisamment symptomatique (et amplement documenté) pour être noté : lorsque, le 23 février 2019, le « président fantoche » vénézuélien Juan Guaido, interdit de sortie du territoire par la justice de son pays, traversa clandestinement la frontière entre le Venezuela et la Colombie pour y diriger, depuis Cúcuta, l’entrée en force d’une supposée « aide humanitaire », il le fit assisté et accompagné par des membres de l’organisation Los Rastrojos [1].
Par Maurice Lemoine
6Temps de Lecture 19 min.
AIDA MERLANO, QUELQUES HEURES
APRÈS SON ARRESTATION PAR LA POLICE
PHOTO LE PARISIEN
Détail complémentaire non dépourvu d’importance : cette armée privée criminelle descend en droite ligne du clan des «narcos» du Valle del Cauca, renforcé d’éléments des ex-Autodéfenses unies de Colombie (AUC), les paramilitaires d’extrême droite théoriquement dissous, sous le gouvernement d’Álvaro Uribe, en 2006.

Dernier aspect du problème qu’on aurait tort de négliger (ou simplement sous-estimer) : arrivé côté colombien de la frontière, Guaido fut directement confié par les « narcos » qui l’escortaient à un édile de la ville de Cúcuta, lequel l’accompagna jusqu’à l’hélicoptère qui lui permit de rejoindre le lieu où l’attendait… le président colombien Iván Duque – ainsi que ses homologues Sebastián Pinera (Chili), Mario Abdo Benítez (Paraguay) et l’inévitable supplétif de Donald Trump, le secrétaire général de l’organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro.

D’où un constat de première grandeur qu’il est (théoriquement) difficile d’ignorer : ce « voyage » de Guaido n’a eu lieu que grâce à une étroite coordination entre la droite radicale vénézuélienne, les narco-paramilitaires colombiens et les plus hautes autorités de cet Etat – à commencer par les forces de sécurité et le président Duque. Par chance pour ce dernier, insister sur ces évidences a paru déplacé à de nombreux médias acquis à la cause de l’opposition vénézuélienne, de sorte qu’aucun scandale n’en a résulté. Et que l’épisode aurait dû sombrer définitivement dans l’oubli.

Juste retour des choses ou justice immanente, c’est précisément du Venezuela qu’ont, environ un an plus tard, surgi de véritables ennuis pour le chef de l’Etat colombien. Et pas à l’initiative de celui qu’il exècre, le président Nicolás Maduro ! Mais d’une sénatrice de son pays, qu’il connaît fort bien, car appartenant à sa mouvance : Aída Merlano.

Siégeant au Sénat de 2014 à 2018, réélue pour la période 2018-2022, cette dernière a été condamnée en première instance en septembre 2019, par la Cour suprême de justice colombienne, à quinze ans de prison pour « corruption électorale » (achat de votes) et « association de malfaiteurs » (plus, incidemment, un « port illégal d’armes » qu’elle conteste énergiquement). La suite tient d’un roman tendance « haletant ». Quinze jours après sa condamnation, l’ex-sénatrice est escortée par des fonctionnaires de l’Institut pénitentiaire et carcéral (Inpec) au cabinet d’un odontologue, pour s’y faire soigner. Du premier étage, à l’aide d’une corde, elle s’échappe acrobatiquement et s’évanouit dans la nature, accrochée aux épaules d’un motard qui l’attendait. Malgré le mandat d’arrêt et la notice rouge d’Interpol lancés contre elle, on perd sa trace pendant quatre mois.

On retrouve la brune Merlano, ses deux perruques blondes et sa fausse identité – Landis del Carmen Ferrer Urdaneta – quand, dans le pays voisin, le 27 janvier 2020, la police vénézuélienne l’arrête au onzième étage d’un luxueux appartement du quartier El Milagro de Maracaibo. Mise en examen pour « entrée illégale sur le territoire », « usurpation d’identité » et « association de malfaiteurs », elle entreprend d’expliquer son cas. De la vie politique colombienne en concentré !

D’après Merlano, sa spectaculaire évasion a été organisée par deux clans colombiens auxquels elle se trouve très étroitement liée, les familles Char et Gerlein. Depuis de très longues années, ces deux puissantes « camarillas » dominent la vie politique de la région de la Caraïbe – le département de l’Atlantique et sa capitale Barranquilla. Partout, à travers le chantage et la coercition, elles placent leurs gens. A la tête de la mairie de Barranquilla (1 200 000 habitants) depuis 2008, la famille Char – Fuad, Arturo (l’actuel maire) et Alex (l’ancien) – y possède la chaîne de magasins Olímpica, le club de football Junior de Barranquilla et la banque Serfinanza. Les Gerlein – Roberto (sénateur, pour le Parti conservateur, pendant 44 ans), Jorge, Julio – et leur entreprise de BTP Valorcon ont pour leur part bénéficié de contrats publics millionnaires octroyés par les administrations Char. Dans le cadre de ce « grand banditisme légal », d’énormes opérations de corruption ont entouré les appels d’offre concernant l’aéroport de Barranquilla, les travaux assurant la navigabilité du fleuve Magdalena (le plus important de Colombie), etc.

S’y ajoute, raconte Merlano, le versant politique de ces pactes mafieux, qu’elle n’a pu révéler, menacée qu’elle était lors de son séjour dans la prison du Bon Pasteur, à Bogotá, et personne, lors de son procès, « n’ayant accepté de l’écouter ». Ce sont les mêmes Char et Gerlein, précise-t-elle, qui, depuis des lustres, lors des campagnes municipales, départementales, législatives, présidentielles, et dernièrement encore pour l’élection d’Iván Duque, organisent et financent les achats de vote auxquels elle a participé et pour lesquels elle a été condamnée.

Enfin, prétend l’ex-sénatrice, elle n’est passée clandestinement au Venezuela que pour sauver sa vie : après avoir organisé son évasion, les Char et les Gerlein l’auraient séquestrée et auraient eu l‘intention de l’assassiner pour l’empêcher de parler dans le cadre d’une autre enquête de la Justice colombienne, mettant en cause un certain nombre de leurs amis – Luis Carlos Sarmiento Ángulo (industriel, banquier et homme le plus riche de Colombie), Néstor Humberto Martínez (procureur général de 2009 à 2016), Germán Vargas Lleras (vice-président de 2014 à 2017), Laureano Augusto Acuña Díaz (sénateur du Parti conservateur), Margarita Ballén (députée), Lilibeth Llinás (candidate battue à la députation), et même Arturo Char, pressenti pour devenir président du Sénat colombien à partir du 20 juillet 2020.

Avec une certaine gourmandise, le pouvoir vénézuélien laisse publiquement filtrer quelques-unes de ces révélations, mais, très respectueux du « pays frère », annonce qu’il tient la détenue à la disposition de la justice colombienne pour peu que Bogotá réclame son extradition. Mesure évidente qui, pourtant, et d’emblée, ne semble guère enthousiasmer l’ « establecimiento » (« establishment ») colombien. Nul n’y ignore que Merlano, issue du cœur de la bête, connaît beaucoup de « petits et grands secrets ». Qui plus est, ne prétend-elle pas détenir des preuves de tout ce qu’elle vient d’avancer ? Sombres présages. Fort heureusement, même dans les configurations les plus sombres, il y a toujours une possibilité d’amortir le coup. Sauf, bien sûr, qu’il y a moyen et moyen...
Dans une démarche même pas digne des Pieds Nickelés [2], Iván Duque demande l’extradition de Merlano à… Juan Guaido. Eclat de rire au Venezuela, embarras, même à droite, en Colombie. Seuls Donald Trump et ses homologues supplétifs (parmi lesquels Duque, Jair Bolsonaro, Sebastián Pinera et Emmanuel Macron, pour ne citer qu’eux) croient encore en cette fiction. Dans son pays, le chef d’Etat imaginaire, même plus président de l’Assemblée nationale depuis le 5 janvier 2020 [3], ne contrôle strictement rien. Ni le pouvoir, ni la Justice, ni les Forces armées, ni ses ex-partisans, qui ne se déplacent même plus lorsqu’il convoque une manifestation.

En bonne logique et en excellent tacticien, Nicolás Maduro, dont Bogota feint ignorer la légitimité, place une nouvelle banderille. Tout en la maintenant en détention, il autorise les médias colombiens à venir interviewer Merlano. Malgré le grossier contrefeu des partisans de l’ex-président Álvaro Uribe – « Comment croire une fugitive entre les mains de Maduro ? –, l’affaire passionne d’autant plus la Colombie que tout un chacun connaît implicitement, ou en tout cas suspecte, et depuis longtemps, les pratiques en cours sur la côte atlantique. Et que tout le monde ne les apprécie pas forcément. L’hebdomadaire Semana dépêche à Caracas l’une de ses journalistes vedettes, Vicky Dávila.

Entretien explosif, le 17 février, immédiatement retransmis sur Semana TV [4]. « Julio Gerlein et la famille Char ont acheté des voix pour faire élire Duque, déclare l’ex-sénatrice. Les Char ont dirigé l’achat de voix de tous les politiques traditionnels de la côte pour qu’ils élisent le président de la République (…) Ils ont tous acheté des voix pour faire élire Duque. » Quelques jours plus tard, Vicky Dávila éditorialisera : « Je ne peux pas assurer que tout ce que dit l’ex-sénatrice est vrai, mais je ne crois pas non plus que tout soit mensonger. Ce qu’elle dit est si grave qu’il faudrait enquêter pour aller jusqu’aux ultimes conséquences juridiques contre elle, si elle ment, ou contre ceux qu’elle accuse, s’ils sont coupables. Ce pays ne peut pas faire le sourd devant les accusations de Merlano [5]. » De fait, dès le 18 février, s’appuyant sur l’écho des déclarations de cette dernière, le magistrat du Conseil national électoral (CNE) Luis Guillermo Pérez a demandé à la sous-secrétaire de cette institution, Lena Hoyos González, d’enquêter sur le présumé achat de voix destiné à favoriser Duque, lorsqu’il était candidat.

Comble de malchance et ajoutant au trouble, un autre événement a secoué la Colombie trois jours auparavant (sans parler du très fort mouvement social qui agite le pays depuis novembre 2019). Le 14 février en effet, les autorités policières ont découvert trois laboratoires capables de produire une tonne de cocaïne par mois, dans une « finca » de 176 hectares, située à une dizaine de minutes de la petite ville de Guasca, à 55 kilomètres de Bogotá. C’est, dans ce pays, un fait banal, mais qui mérite néanmoins qu’on s’y arrête. Car ce « Haras San Fernando » appartient à la famille de Fernando Sanclemente, l’ambassadeur nommé par Duque en Uruguay.

Sanclemente : une trajectoire des plus classiques pour qui appartient au gratin colombien. Propriétaire terrien, il a également été Superintendant des ports et transports, de 2001 à 2005, sous les présidences du conservateur Andrés Pastrana, puis d’Uribe ; directeur de l’Aéronautique civile ; et enfin directeur général de Transmilenio, le système de transport public par bus de Bogotá, fonction qu’il a abandonnée en 2014 pour rejoindre l’équipe de campagne du candidat uribiste à l’élection présidentielle, le plus que droitier Óscar Iván Zuluaga.

Appelée « Las Colinas de Guasca Ltda », la société propriétaire de la « finca » dont il est question a été créée en 1987 pour l’élevage de chevaux de course, de bétail, et la production de lait, par les familles Spiwack (qui possède l’importante chaîne hôtelière Dann) et Sanclemente, chacune en possédant 50 %. Fernando Sanclemente en était le représentant légal jusqu’au moment où, en mars 2019, dépêché à Montevideo par le chef de l’Etat, il a transmis cette fonction à son frère Gilberto.

Première réaction de l’intéressé (à Montevideo) et du ministère des Affaires étrangères (à Bogotá) quand éclate le scandale : les narco-laboratoires étaient situés sur une parcelle boisée de la « finca », d’une surface de 36 fanegadas (environ 23 hectares), récemment louée à des tiers (dont, pour l’heure, on ne sait rien). Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu, les propriétaires et leur administrateur ignoraient tout des activités qui s’y déroulaient. « C’est une situation totalement surprenante pour moi, pour ma famille, pour nos entreprises partenaires », déclare Sanclemente. Pourquoi pas… On ne peut néanmoins écarter un ou deux détails permettant de contextualiser.

Comme Álvaro Uribe avant lui, Fernando Sanclemente a été, on l’a vu, directeur de l’Aéoronautique civile. Le passage du futur (et aujourd’hui ancien) président Uribe, de 1980 à 1982, y a laissé des traces moult fois commentées depuis, non par les médias, mais par les connaisseurs du dossier : au cours de sa gestion, sur les 2 242 licences de vol accordées à des avions et hélicoptères, près de 200 le furent pour des appareils appartenant (sous des noms d’emprunt) à Carlos Lehder, Pablo Escobar, Fabio Ochoa et autres « narcos » du Cartel de Medellín. Le fait fut alors dénoncé par le Conseil national des stupéfiants, dirigé par le ministre de la Justice Rodrigo Lara Bonilla [6].

Sanclemente, lui, en poste de 2005 à 2010 (pendant la présidence d’Uribe), a été rattrapé par la justice pour avoir, en décembre 2007, octroyé d’importants travaux dans l’aéroport El Dorado de Bogotá à l’entreprise arrivée… seconde lors de l’appel d’offres. Une mise en cause infiniment moins grave que celles concernant son prédécesseur, mais révélatrice d’un climat.

Pour assurer sa défense dans l’affaire du « narco-laboratoire », Sanclemente a demandé un congé sans soldes et est rentré d’Uruguay. Comme tout un chacun, il a droit à la présomption d’innocence. On notera simplement que, avant cette démarche de l’intéressé, le gouvernement ne lui avait demandé absolument aucuns comptes et s’était abstenu de toute réaction. Il est vrai que, une actualité chassant l’autre (ou la complétant), il a un embarras infiniment plus encombrant à gérer.

L’affaire commence pendant une enquête que mène le Ministère public depuis 2015 sur l’homicide dont a été victime le jeune Óscar Eduardo Rodríguez Pomar, assassiné par erreur, à la place de son père, Carlos Rodríguez Gómez, un truand qui venait de rentrer des Etats-Unis après y avoir purgé une peine de prison pour « blanchiment d’argent ». Suspecté, José Guillermo Hernández Aponte, dit « Ñeñe », a été placé sur écoutes. Eleveur, propriétaire de l’entreprise La Gloria Ganadería, « Ñeñe » est notoirement proche du contrebandier et narcotrafiquant Marcos « Marquitos » Figueroa (soupçonné de plus d’une centaine d’homicides, arrêté en octobre 2014 au Brésil et incarcéré depuis 2016 en Colombie). Ignorant être surveillé, « Ñeñe »vomit dans ses téléphones un flot de renseignements précieux. Puis se fait assassiner à son tour, au Brésil, en mai 2019, dans des circonstances jamais éclaircies.

La mort d’un individu aussi sympathique ne passe pas inaperçue. L’ex-président Uribe se fend d’un Tweet dans lequel il manifeste que lui « cause une grande douleur l’assassinat de José Guillermo Hernández, assassiné lors d’une agression au Brésil où il assistait à une foire aux bestiaux ».

La mort du suspect éteint l’action judiciaire. Tandis que défilent les semaines et les mois, les résultats d’écoutes et leurs procès-verbaux se recouvrent doucement de poussière dans les entrailles du Parquet général – la « Fiscalía General de la Nación » [7]. Jusqu’à ce que…

Coup de tonnerre ! Sur son site La Nueva Prensa, le journaliste Gonzalo Guillén révèle que, parmi ces archives définitivement enterrées, figurent des enregistrements dans lesquels le truand raconte (bien avant la sénatrice Merlano) les « achats de votes » et la fraude électorale effectués « sur ordre d’Álvaro Uribe », sur la côte caraïbe et dans la Guajira, pour favoriser l’élection de l’actuel chef de l’Etat Iván Duque [8]. L’hebdomadaire Semana, avec lequel Guillén collabore, met en ligne le 6 mars, des extraits de ces enregistrements, prouvant sans contestation aucune le sérieux des allégations [9].

Le scandale dit de la « ñeñepolítica » vient de démarrer. Il touche en tout premier chef les autorités judiciaires, qui n’ignoraient rien du contenu oublié de ces interceptions téléphoniques. Chargé de l’enquête sur « Ñeñe » Hernández Aponte, le procureur Rodríguez Parra n’a entrepris aucune action pertinente, considérant que ces informations sur des délits électoraux « n’apportaient rien à l’éclaircissement du crime » dont il était chargé [10]. Tels sont en tout cas ses dires et ses explications assez entortillées. Au plus haut niveau, parfaitement au courant lui aussi, le Procureur général Néstor Humberto Martínez s’est empressé d’ensevelir ces révélations dérangeantes mentionnant ses amis Uribe, Duque et Germán Vargas Lleras (vice-président de la République de 2014 à 2017).

Seulement, ces derniers jours, les éléments à charge s’enchaînent, toute la boue remonte à la surface, dévastatrice comme un torrent en crue.

Sur les réseaux sociaux, réapparaissent photos et vidéos oubliées ou passées inaperçues. Duque lui-même, des sénateurs et dirigeants du Centre démocratique (le parti créé par Uribe), aux côtés de « Ñeñe ». On découvre aussi que ce dernier a figuré, lors de la cérémonie d’investiture du chef de l’Etat, le 7 août 2018, au Palais de Nariño (siège de la présidence), à une place privilégiée. L’armée doit s’expliquer sur un cliché datant de 2015 et montrant le douteux personnage posant près d’un hélicoptère militaire, en compagnie d’officiers : elle aurait été prise dans une « finca » de Sabana de Torres (Santander), lors d’une rencontre avec des « terratenientes » des départements du Cesar et de Santander, à laquelle participaient le commandant de la Seconde Division, le général Jorge Jérez, et les commandants de deux Bataillons d’infanterie. En ce qui le concerne, le commandant de la Ve Brigade, le général Óscar Rey, doit préciser que s’il a permis à « Ñeñe » de voyager en sa compagnie dans un avion de la Force aérienne, c’était pour assister à une réunion des éleveurs et des commerçants organisée par la Chambre de commerce de Valledupar, dans le nord du pays.

Y a-t-il là matière à s’étonner ? Depuis un certain temps (il s’agit là d’un euphémisme), l’armée, elle aussi, défraie la chronique. Le 7 février dernier, son commandant en chef, le général Eduardo Zapateiro, se fendait d’un message de condoléances attristé : « Aujourd’hui est mort un Colombien ; quoi qu’il se soit passé dans sa vie, l’Armée nationale, en commençant par son commandant, qui a aussi été engagé dans la lutte contre le narcotrafic, devons dire que nous regrettons beaucoup le décès de “Popeye”… » Bel hommage à un authentique petit Saint. Homme de main « numéro un » du roi de la cocaïne Pablo Escobar, Jhon Jairo Velásquez, dit « Popeye », venait de disparaître, emporté par un cancer de l’œsophage. Après avoir passé 24 ans en prison pour ses centaines de crime, ce « général de la mafia » (expression tatouée sur son bras) avait été arrêté à nouveau en mai 2018 pour une affaire d’extorsion.
Ce très sentimental général Zapateiro n’occupe sa fonction que depuis peu de temps. Il y a remplacé le général Nicacio Martínez le 27 décembre 2019. Après trente-huit ans de « bons et loyaux » services, celui-ci venait de démissionner pour « raisons familiales ». On traduira en disant que, devenu quelque peu encombrant pour le pouvoir, il était temps pour lui de se faire discret. En décembre 2018, Martínez s’était fait remarquer en exigeant de ses troupes qu’elles doublent le nombre de « captures » et d’ « éliminations de criminels », rappelant la sinistre pratique des « faux positifs » – exécution de civils présentés comme des guérilleros tués au combat – qui fit (officiellement) 2248 victimes, dont plus de 90 % pendant les deux mandats d’Álvaro Uribe [11].
Mais voici qu’une autre pratique remonte elle aussi du passé.

Il y a un peu plus de dix ans, toujours sous Uribe, les « chuzadas », « écoutes » menées clandestinement par le Département administratif de sécurité (DAS), ont défrayé la chronique et violé l’Etat de droit. Depuis janvier dernier, une enquête a révélé un nouveau système sophistiqué d’interception des communications mis en place durant le deuxième semestre de 2019 par les Brigades de renseignement militaires et le Bataillon de contre-renseignement de sécurité et de l’information (Bacsi). Parmi les cibles – rien de nouveau sous le soleil ! –, figurent des magistrats de la Cour suprême de justice, des députés et sénateurs (Iván Cepeda, Antonio Sanguino, Roy Barreras), des avocats, des journalistes, des défenseurs des droits humains.
Lors d’une interview récente, l’ex-présidente de la Cour constitutionnelle, Gloria Ortíz, avait manifesté se sentir espionnée. Du côté de la Cour suprême de justice, c’est tout à fait par hasard qu’un employé a découvert, début janvier, dans le faux-plafond, un discret microphone de quelques millimètres placé à la verticale du bureau du magistrat César Reyes [12]. Celui-ci est chargé d’instruire le procès… d’Álvaro Uribe, accusé de « corruption » et « manipulation de témoins » dans une affaire qui l’oppose au sénateur de gauche Iván Cepeda.

D’ores et déjà, dans le cadre de la procédure lancée pour élucider ces interceptions illégales, le procureur Fabio Espitía a demandé l’ouverture d’une enquête contre le général Nicacio Martínez, le plus que jamais controversé ex-chef de l’armée.

Côté « uribisme », et face à l’opinion publique, la vie devient donc très compliquée. Il doit mener une véritable guerre contre l’Organisation des Nations unies, qui le met de plus en plus implicitement en cause dans le torpillage des accords de paix (avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie ; FARC) et le massacre des dirigeants sociaux – plus de 250 durant les deux années de l’actuelle administration (et 190 ex-guérilleros depuis que ceux-ci ont déposé les armes en 2016).

Dans le cadre de la « ñeñepolítica », pour en revenir à ce scandale, la première à réellement « tomber » s’appelle María Claudia Daza. Il a été prouvé que c’est elle qui échangeait sur les « achats de votes » en faveur de Duque avec le polémique « Ñeñe » Hernández. Jolie carrière, profil intéressant. Née à Valledupar, « La Caya » Daza, comme on l’appelle, est une grande amie de María Mónica Urbina, « Miss Colombie 1985 » et épouse (aujourd’hui veuve) de « Ñeñe ». Daza a été vice-consul de Colombie à Miami en 2006, a représenté le Centre démocratique lors d’un voyage en Chine et, surtout, occupe un poste d’absolue confiance au sein de l’Unité de travail législatif (UTL) du sénateur Uribe. D’après les registres de la Casa de Nariño, elle s’est rendue dix-sept fois au palais présidentiel depuis l’arrivée au pouvoir de Duque [13].

Lâchée par son patron, qui a feint être consterné par son implication dans le scandale, Daza lui a présenté le 9 mars sa démission irrévocable.

Le 24 février déjà, après les révélations au Venezuela d’Aida Merlano, la Commission d’accusation et d’enquête de la Chambre des représentants a ouvert une enquête formelle contre le président Iván Duque. Cette Commission a cité à comparaître dans les jours qui viennent María Claudia Daza, la veuve du « Ñeñe » Hernández, le gérant de la campagne présidentielle de Duque, Luigi Echeverry, la ministre de l’intérieur Alicia Arango.

De son côté, ne pouvant se défausser sous les yeux de l’opinion publique, le Procureur général de la Nation, Francisco Barbosa, a ordonné le lancement d’une procédure pour enquêter sur les « présumés faits de corruption » impliquant « le président de la République Iván Duque et l’ex-président Álvaro Uribe ». Ira-t-il jusqu’au bout de la démarche, lui dont on connaît les liens professionnels et personnels avec le chef de l’Etat ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, dans l’immédiat, ce dernier peut respirer (ne serait-ce que très-très relativement) : pour une durée encore indéterminée, l’épidémie de Covid-19 va monopoliser toute l’attention et l’énergie de la société, faisant passer tous ces désordres inopportuns au second plan.

Sur un autre plan, le 2 mars, à Washington, Duque a eu le plaisir d’être reçu, dans le Bureau ovale, par son grand ami Donald Trump qu’accompagnait le secrétaire d’Etat Mike Pompeo. De ce côté-là, tout va bien. Ils ont essentiellement parlé du Venezuela.
Illustration : Aida Victoria Merlano

Notes:
[1] http://www.medelu.org/Venezuela-aux-sources-de-la-desinformation
[2] Bande dessinée mettant en scène trois escrocs – Croquignol, Ribouldingue et Filochard – créée en 1908 dans L’Epatant par Louis Forton. Dans la mémoire collective, les Pieds Nickelés symbolisent le système D (comme Débrouille) et la Magouille (avec un grand M).
[3] Produit d’une division de l’opposition, c’est un de ses députés, Luis Parra, qui, ce jour, a été élu président de l’AN, en bénéficiant des voix de la droite modérée et des chavistes.
[4] https://www.youtube.com/watch?v=p2TZDJlp4M8
[5] https://www.semana.com/opinion/articulo/aidagate-por-vicky-davila/653175
[6] Rodrigo Lara Bonilla a été assassiné par des « sicarios » de Pablo Escobar, le 30 avril 1984.
[7] Chargée d’engager des poursuites, réaliser les enquêtes, donner une qualification juridique aux faits et, l’instruction terminée, de transmettre les procédures aux juridictions de jugement devant lesquelles elle soutient l’accusation.
[8] https://lanuevaprensa.com.co/component/k2/interceptaciones-al-narcotraficante-nene-hernandez-destapan-compra-de-votos-para-duque-por-orden-de-uribe
[9] https://www.youtube.com/watch?v=Ou9bLxGiHHQ
[10] https://confidencialcolombia.com/judicial/fiscalia-nene-hernandez-narcotraficante/2020/03/05
[11] http://www.medelu.org/La-Colombie-sous-la-coupe-des-criminels-de-paix
[12] https://colombianoindignado.com/etiqueta/cesar-reyes/
[13]  Semana, Bogotá, 9 mars 2020.