lundi 30 avril 2018

L’ANCIEN DICTATEUR BOLIVIEN LUIS GARCIA MEZA EST MORT



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SON AVOCAT A AFFIRMÉ QUE LE GÉNÉRAL AVAIT ÉCRIT EN
2009 DEUX LETTRES, L'UNE À SA FAMILLE ET L'AUTRE
AU PAYS, CONFIÉES SOUS EMBARGO JUSQU'À SA
MORT À DEUX JOURNALISTES, ET  QU'IL N'AVAIT
« NI TUÉ NI VOLÉ SON PAYS ».
 ICI EN 1997.
PHOTO KEYSTONE
L’homme avait pris le pouvoir par un coup d’Etat en juillet 1980 et était resté treize mois au pouvoir. Il avait été condamné à trente ans de prison pour plusieurs assassinats.
Le Monde avec l'AFP

 LUIS GARCIA MEZA
L’ex-dictateur bolivien Luis García Meza est mort dimanche 29 avril dans un hôpital militaire de La Paz, la capitale bolivienne, à l’âge de 88 ans, a annoncé son avocat. Il purgeait une peine de trente ans de prison pour des crimes commis après son coup d’Etat militaire, en 1980.

« Le général Luis Garcia Meza est mort (…) d’un arrêt cardio-respiratoire », a déclaré aux journalistes l’avocat Frank Campero. Il s’est éteint à l’hôpital militaire Cossmil où il avait passé plus du tiers de sa peine.

Connu sous le surnom de « narcodictateur » pour ses liens notoires avec des trafiquants de drogue de Bolivie, le général avait pris le pouvoir lors d’un coup d’Etat sanglant pour renverser la présidente par intérim Lidia Gueiler. Férocement anticommuniste, le dictateur était resté au pouvoir du 17 juillet 1980 au 4 août 1981, avant d’être à son tour déposé. Il avait dirigé le pays d’une main de fer, recrutant même l’ancien nazi Klaus Barbie pour mettre sur pied un groupe paramilitaire, surnommé « les fiancés de la mort », pour assassiner des opposants.

L’Association bolivienne des prisonniers et proches de disparus de la dictature (Asofamd) a déploré sur Facebook que sa mort prive le peuple bolivien de justice pour les assassinats, les tortures et les disparitions survenus durant les treize mois qu’il a passé au pouvoir. Pour l’association, « il est mort protégé par l’armée » dans l’hôpital militaire Cossmil.

Accusé du « massacre de la rue Harrington » et de l’assassinat d’un dirigeant socialiste

Son avocat a affirmé que le général avait écrit en 2009 deux lettres, l’une à sa famille et l’autre au pays, confiées sous embargo jusqu’à sa mort à deux journalistes, Carlos Mesa (un ancien président bolivien) et Mario Espinoza, et qu’il n’avait « ni tué ni volé son pays ».

Le général avait été condamné en avril 1993 à trente ans de prison, aux côtés de l’ancien ministre de l’intérieur Luis Arce Gómez, mais s’était enfui avant d’être capturé au Brésil en mars 1995 et extradé en Bolivie.

Parmi les crimes qui lui étaient reprochés figure le « massacre de la rue Harrington », le 15 janvier 1981, lors duquel 22 dirigeants du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) avaient été tués par des paramilitaires, ainsi que l’assassinat du dirigeant socialiste Marcelo Quiroga Santa Cruz.

Avec Hugo Banzer, dictateur (1971-1978) puis président (1997-2001), García Meza est considéré comme le plus sanguinaire des dictateurs militaires boliviens au XXe siècle.


« ILS CONFONDENT VOTES ET ARME DE DESTRUCTION MASSIVE ! »



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TIBISAY LUCENA, PRÉSIDENTE DU CONSEIL
NATIONAL ÉLECTORAL (CNE) VÉNÉZUÉLIEN
Présidente du Conseil national électoral (CNE) vénézuélien, Tibisay Lucena avait prévu de réaliser une tournée internationale dans divers pays européens – avec son passage obligé par Bruxelles –, puis africains, pour y exposer la nature des « garanties » offertes par le système électoral aux Vénézuéliens en général et à l’opposition en particu
lier, dans la perspective de l’élection présidentielle du 20 mai prochain. Pour sa partie européenne, cette tournée n‘a pas eu lieu. Ce changement de programme est dû au président américain Donald Trump, comparé par l’ex-patron du FBI James Comey à un « chef mafieux » [1], et au « clan » qui lui obéit au doigt à l’œil : les dirigeants des pays de l’Union européenne, en commençant par le locataire de l’Elysée Emmanuel Macron. C’est donc à Tunis que nous avons rencontré Tibisay Lucena, pour y connaître son point de vue sur une situation que nous résumerons ici succinctement afin de contextualiser ses propos.
TIBISAY LUCENA, PRÉSIDENTE DU CONSEIL
NATIONAL ÉLECTORAL (CNE) VÉNÉZUÉLIEN
PHOTO EL NACIONAL
Depuis début janvier 2016, le Tribunal suprême de justice (TSJ) a déclaré l’Assemblée nationale (AN), contrôlée par l’opposition, en « desacato » (situation d’outrage) pour avoir fait prêter serment à trois députés qui auraient été élus frauduleusement. Cette situation a eu pour effet d’écarter l’Assemblée du jeu institutionnel et d’entretenir une tension d’autant plus vive entre les différents pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et judiciaire) que cette assemblée avait publiquement annoncé son intention de « sortir » le président légitime Nicolás Maduro du pouvoir (théoriquement en six mois).

D’avril à juillet 2017, une vague de violence insurrectionnelle promue par la coalition rassemblée au sein de la Table d’unité démocratique (MUD) a provoqué la mort de cent vingt-cinq personnes et fait plus de mille blessés (opposants, non opposants et membres des forces de l’ordre). Durant toute cette période particulièrement dramatique, les principaux dirigeants de la MUD – Henrique Capriles (battu à la présidentielle de 2013 par Maduro) et Julio Borges pour Primero Justicia (PJ), Leopoldo López (condamné pour « incitation à la violence » en 2014 et assigné à résidence) ainsi que Freddy Guevara pour Voluntad Popular (VP), Henry Ramos Allup au nom d’Action démocratique (AD), l’ex-maire de Caracas Antonio Ledezma (Alianza Bravo Pueblo ; ABP), María Corina Machado (Soy Venezuela), etc. –, appuyés par Washington, n’ont cessé de réclamer des « élections anticipées ».

Le 1er mai 2017, pour tenter de sortir de cette crise, le président Maduro a appelé tous les Vénézuéliens à élire une Assemblée nationale constituante (ANC). Plutôt que d’y présenter des candidats, dont nombre auraient été élus, l’opposition a décidé de la boycotter. C’est donc, le 30 juillet, avec 8,1 millions de voix pour 19,5 millions d’inscrits, soit 41,5 % de l’électorat, que les 545 constituants, chavistes ou proches du chavisme, ont été élus. Ce scrutin a été marqué par de multiples actes de violence, les ultras ayant décidé de l’empêcher par tous les moyens. Dans les bastions de l’opposition, des citoyens ont été menacés d’agressions physiques et même de mort s’ils participaient. Pour garantir le droit de chacun à s’exprimer, le CNE dut transférer certains bureaux de vote dans des lieux où pouvait être assurée leur sécurité. On déplora néanmoins quinze morts au terme de cette journée.

Pour contestée qu’elle soit, cette consultation et l’installation de l’ANC a ramené le calme et a permis – curieuse dictature ! – l’organisation de deux autres de ces scrutins tant réclamés. Le 15 octobre, du fait d’un effondrement de la droite dû à l’incohérence de ses dirigeants, le chavisme a remporté dix-huit des vingt-trois gouvernorats en jeu. Le gouverneur d’opposition élu dans l’État de Zulia ayant refusé de prêter serment devant l’ANC, il a été destitué et, au terme d’une nouvelle élection, le chavisme l’a emporté.

Lors des municipales du 10 décembre, pour lesquelles, cette fois, trois des principales formations de la MUD – Voluntad Popular, Acción Democrática et Primero Justicia – appelèrent au boycott, sans parvenir à faire l’unanimité, près de cinq milles candidats de soixante-douze formations politiques, en majorité locales et d’opposition, se sont présentés. Bénéficiant de cette atomisation de la droite et de l’extrême droite, des maires chavistes ont été élus dans 305 des 355 « municipos » du pays (47,32 % de participation). Ce qui, en même temps, signifie que des opposants ont également été proclamés vainqueurs par le CNE.

En parallèle à tous ces événements, de septembre 2017 à février 2018, le thème de l’élection présidentielle a été au cœur du dialogue entrepris par gouvernement et opposition en République dominicaine, sous les auspices du président de ce pays Danilo Medina, et avec comme principal médiateur l’ex-chef du gouvernement espagnol Luis Rodríguez Zapatero. Le 6 février, les deux parties se sont accordés sur un texte dont on pouvait attendre une sortie de crise espérée par la majorité des Vénézuéliens. Alors que la cérémonie protocolaire était prête, l’opposition, en la personne de Julio Borges, refusa finalement de signer, sous la pression de Washington et Bogotá. Dans une lettre rendue publique le 11 février, le médiateur Zapatero exprima sa « surprise  », façon subtile d’éviter le mot « indignation ». Pourtant nuancée, cette prise de position lui valut de se faire « assassiner » par les médias, en particulier espagnols, emmenés par le quotidien El País, totalement acquis au renversement de Maduro.

La MUD en tant que telle a explosé et s’est de plus vu interdire la participation à l’élection présidentielle, certains des partis composant la coalition n’ayant pas respecté la loi électorale. Ce qu’elle conteste énergiquement. Comme lors des municipales de 2017, les trois plus importantes formations de la droite – Voluntad Popular, Acción Democrática et Primero Justicia – appellent au boycott du scrutin. Ce qui ne signifie pas que l’opposition en sera absente, loin de là.

Outre le président sortant, quatre candidats se présentent. Si (et malgré tout le respect qu’on leur doit) on peut considérer que le pasteur évangélique Javier Bertucci (Movimiento Esperanza para el Cambio), le chef d’entreprise Luis Alejandro Ratti (candidat indépendant) et l’ingénieur Reinaldo Quijada (Unidad Política Popular 89 ; UPP89) sont des acteurs de second rang, il n’en va pas de même s’agissant du principal adversaire de Maduro, Henri Falcón.

Souvent présenté à dessein comme un « chaviste dissident » – c’est-à-dire un « sous-marin » du pouvoir –, cet ancien militaire a effectivement été élu à l’Assemblée constituante de 1999 puis à la mairie de Barquisimeto en 2000 dans l’orbite de Hugo Chávez et de son Mouvement pour la Ve République (MVR), transformé ultérieurement en Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV). Toutefois, devenu gouverneur de l’État de Lara, il a rompu avec le chavisme en 2012 en fondant son parti Avanzada progresista (Avancée progressiste ; AP) avant de basculer définitivement et sans équivoque en devenant chef de campagne du candidat de la MUD à l’élection présidentielle de 2013, Henrique Capriles Radonski. Outre AP, deux partis traditionnels l’appuient dans la perspective du 20 mai : le Mouvement pour le socialisme (MAS) [2] et le parti social-chrétien Copei. Il ne s’agit donc pas d’un candidat au rabais [3].

A la phase de stupéfaction douloureuse qui a suivi la période de violence de 2017, Maduro n’étant pas « tombé » !, a succédé l’exaspération des alliés et commanditaires étrangers de l’opposition. L’échec de cette dernière et son effondrement politique les a contraints à monter ouvertement en première ligne. Dès le 25 août, le gouvernement des États-Unis a ajouté aux sanctions individuelles déjà prises contre de hauts fonctionnaires – dont Tibisay Lucena, pour avoir organisé l’élection de l’ANC – de nouvelles mesures visant à restreindre l’accès de Caracas aux capitaux étrangers, dont il a un crucial besoin.

Dans sa tentative de déstabilisation de la « révolution bolivarienne », Washington peut compter sur la complicité active de ses vassaux néo-libéraux réunis au sein de l’informel Groupe de Lima – Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Guyana, Honduras, Mexique, Panamá, Paraguay, Pérou et Sainte-Lucie – et de l’ineffable secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) Luis Almagro.

D’ores et déjà, un certain nombre de ces pays, dont la Colombie de Juan Manuel Santos, où sont chaque jour assassinés des dirigeants de mouvements sociaux, ont précisé qu’ils ne reconnaîtront pas le résultat de l’élection du 20 mai.

Dans son souci de se montrer plus servile que les plus serviles, le Panamá a su faire preuve d’une créativité flamboyante : le 29 mars, son ministère de l’économie et des finances a publié une liste de cinquante-cinq Vénézuéliens, parmi lesquels le président Maduro, le procureur général Tarek William Saab et, bien sûr, Tibisay Lucena, considérés « à haut risque » en matière de « blanchiment de capitaux, financement du terrorisme et financement de la prolifération d’armes de destruction massive ». L’ex-animateur de télé-réalité Donald Trump a immédiatement félicité le gouvernement du président Juan Carlos Varela et a incité « d’autres pays, dans l’hémisphère, à imiter les mesures du Panamá  ».

Toujours à la pointe de la démocratie, l’Union européenne a elle aussi annoncé qu’elle ne reconnaîtra pas les résultats de la prochaine élection. Le 22 janvier, elle a formalisé sa liste de « sanctionnés », y incluant, entre autres, le ministre de l’Intérieur Néstor Reverol (responsable de la répression) et Tibisay Lucena (pour avoir organisé des élections) ! Le 8 février, par 480 voix « pour » (dont les sociaux-démocrates), 51 « contre » et 70 « abstentions », elle a élargi ses sanctions, y incluant, cette fois le président Maduro.

LEOPOLDO LOPEZ, CARLOS VECCHIO, ET
ANTONIO LEDEZMA ONT ÉTÉ REÇUS
MARDI SOIR PAR EMMANUEL MACRON. 
À Paris, la prestigieuse ville lumière, l’Elysée a brillé de mille feux pour recevoir, début avril, une délégation de l’« opposition unie » (sic !) vénézuélienne composée d’Antonio Ledezma, Julio Borges et Carlos Vecchio, et prendre note de leurs projets : « Avec les dictatures, on ne dialogue pas et on ne participe pas aux élections ». Très favorablement impressionné par la hauteur du propos, leur hôte Emmanuel Macron a précisé que « la France se tient prête, aux côtés de ses partenaires européens, à adopter de nouvelles mesures si les autorités vénézuéliennes ne permettent pas la tenue d’élections démocratiques ».

PHOTO PHILIPPE WOJAZER
La visite de Tibisay Lucena aurait bien entendu permis de prendre connaissance des garanties offertes par le gouvernement vénézuélien, mais, l’Elysée ne recevant que de hauts défenseurs des droits humains – Donald Trump (14 juillet 2017), l’égyptien Abdel Fattah al Sissi, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le turc Recep Tayyip Erdogan, etc. –, la présidente du CNE y est, comme dans l’ensemble de l’Union européenne, considérée « persona non grata » (ce qu’elle a appris par la presse, n’ayant jamais été officiellement notifiée).

EMMANUEL MACRON ACCUEILLE LE PRINCE HÉRITIER SAOUDIEN 
MOHAMMED BEN SALMAN AU PALAIS DE L’ELYSÉE, LE 10 AVRIL. 
PHOTO  PHILIPPE WOJAZER  
Pour la petite histoire – « histoire sordide » serait une expression plus appropriée –, lorsqu’elle a appris l’impossibilité d’effectuer cette tournée en Europe pour y rencontrer intellectuels, journalistes, ONG et membres de la classe politique, Tibisay Lucena a décidé de se rendre en Suisse pour que les mêmes puissent éventuellement venir l’écouter et l’interroger. Par la même occasion, elle comptait organiser à Genève une réunion avec le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. De façon quasi-immédiate, la Confédération helvétique, annonçant suivre l’UE en imposant des « sanctions au Venezuela », lui a interdit l’entrée de son territoire. Suite « à cette mesure insolite », a-t-elle expliqué, il a été décidé de maintenir la tournée en Afrique, en commençant par la Tunisie.

EMMANUEL MACRON REÇOIT RECEP TAYYIP ERDOGAN
LE 5 JANVIER 2018 À PARIS.
PHOTO LUDOVIC MARIN
C’est ainsi que le 16 avril, à Carthage, à proximité de Tunis, elle a pu exposer ses arguments en présence de plusieurs ambassadeurs et, entre autres, de Hamma Hammami, leader du Front populaire tunisien (gauche laïque). Elle a également été accueillie à bras ouverts par la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, prix Nobel de la paix 2015 pour son succès dans la mission qui a abouti à la tenue des élections présidentielles et législatives ainsi qu’à la ratification de la nouvelle Constitution en 2014.

Considérant odieuse la « loi du silence » imposée au Venezuela par les puissances « impériales » et leurs alliés, et au nom du « droit à l’information » des citoyens, nous en avons profité pour l’interviewer.

ML – Dans quelles conditions va se dérouler l’élection présidentielle du 20 mai ?

TL – « C’est la vingt-troisième élection que nous organisons. Mais c’est un scrutin très particulier, organisé sous de féroces attaques de différentes natures – économique, financière, médiatique, politiques – contre la tenue du processus électoral lui-même, les autorités et l’institution qui doit les organiser. Cette élection, à laquelle tous les Vénézuéliens étaient appelés à participer, serait soi-disant illégale parce que convoquée par l’Assemblée nationale constituante. Pendant les quatre mois de violence de 2017, l’opposition a réclamé au CNE des élections anticipées. Curieusement, depuis que l’ANC nous a demandé de les organiser, ils prétendent que ce serait inconstitutionnel ! »

Mais l’élection de cette ANC a elle-même été jugée illégale par l’opposition et les pays qui la soutiennent.

« L’élection de l’ANC s’est faite dans des conditions légitimes et parfaitement constitutionnelles. Ceux qui prétendent le contraire ne connaissent pas, ou font semblant de ne pas connaître la Constitution. Son article 348 établit la procédure et indique explicitement que, parmi les entités autorisées à convoquer une ANC, figure le président de la République [4]. Une polémique a éclaté sur le fait qu’il aurait fallu consulter le peuple par référendum pour approuver ou désapprouver sa convocation et, sur la base de cet argument, elle a été prétendue “illégitime”. Toutefois, l’unique organismes de l’État qui peut interpréter la Constitution, c’est le Tribunal suprême de justice, lequel a établi la constitutionnalité de cette convocation. Par ailleurs, le « Journal des débats » – un document officiel dans lequel sont consignées les délibérations qui ont eu lieu, au sein de l’ANC de l’époque, pour élaborer la Constitution de 1999 – rend compte d’une discussion sur le fait de savoir s’il est nécessaire d’organiser un tel référendum avant la convocation d’une nouvelle ANC : après un débat qui se déroule sur deux jours, la réponse est “non”. Il s’agit-là d’un document public que tout un chacun peut consulter. »

Pour être la présidente de l’organisme qui a organisé ce scrutin, vous êtes néanmoins sanctionnée par les États-Unis, le Canada et l’Union européenne, sans parler de la Suisse et du Panamá…

« C’est une grosse pression. Les élections au Venezuela sont toujours très agitées, mouvementées, mais, au niveau national, la situation demeure gérable. Le problème c’est quand des nations étrangères tentent d’intervenir dans le processus électoral. Les sanctions sont une intimidation, une manœuvre destinée à disqualifier l’organe électoral, le système électoral et, au bout du compte, les résultats de l’élection. »

Ces sanctions ont-elles des conséquences pratiques pour le CNE ?

« Oui, car certains de nos fournisseurs ont des relations, aux États-Unis, avec des banques américaines ou même internationales. Le simple fait d’être lié commercialement avec un organisme d’État vénézuélien les expose à ce que leurs comptes soient fermés. C’est arrivé à deux d’entre eux, dont l’un nous vendait une chose aussi simple que des toners [5] : leurs comptes bancaires ont été fermés. »

Dans un tel contexte, vous sentez-vous personnellement ou collectivement menacés ?

« A titre personnel, pour l’instant, je ne reçois pas de menaces, mais, en 2016, une vague de violences s’est déchainée contre les autorités électorales, contre moi, contre mes collègues assesseures. Nous avons été exposées à la raillerie publique ; des tweet de certains leaders nous ont stigmatisé de façon menaçante, nous ont insulté. Ça ne nous a pas empêché de remplir notre mission. En 2017, avec l’Assemblée nationale constituante, cela a été différent. Après quatre mois de manifestations, c’est une élection que des forces antidémocratiques et les diatribes médiatiques ont prétendu empêcher. Durant les dix jours précédant le scrutin du 30 juillet, une violence féroce s’est déchaînée contre le CNE et ses employés. Une centaine d’entre eux ont été attaqués, menacés de mort, frappés, séquestrés dans certains cas, pour les empêcher d’installer les machines de vote. Certains ont été intimidés à leur domicile, leur porte étant signalée d’un X tracé à la peinture. D’autres ont vu leur voiture personnelle incendiée. Des bombes incendiaires ont été lancées dans des bureaux de vote, plus de deux cents machines ont été détruites, plusieurs de nos sièges régionaux ont été attaqués. Mais, ce qui a été réellement impressionnant, c’est la manière dont ces fonctionnaires électoraux ont résisté à l’intimidation et ont exposé leur vie pour que les gens puissent voter. »

Trois jours après l’élection de l’ANC, Antonio Mugica, le directeur de l’entreprise Smartmatic, qui fournit les machines à voter électroniques et l’assistance technique, a affirmé depuis Londres que les résultats avaient été manipulés et que la différence entre le chiffre annoncé par le CNE et celui donné par le système était d’au moins un million d’électeurs. De son côté, l’agence de presse britannique Reuters, citant des documents internes du CNE, rapporta que seulement 3 720 465 personnes avaient voté à 17h30 et qu’il était donc improbable, le scrutin se terminant à 19 heures, que le nombre de voix ait doublé, pour atteindre le chiffre de 8 089 320, pendant ce court laps de temps.

« Ils ont sorti leurs communiqués sur la base d’une fiction. Il y a en effet fiction quand ils affirment deux choses fondamentales : qu’ils ont les chiffres de participation et qu’ils sont différents de ce que dit le CNE. Smartmatic, l’entreprise qui fournit des services et un support technique au CNE, n’a pas accès à la base de données. De plus, elle a participé à tous les audits préalables, qui comprennent la certification du logiciel de la machine et du système de totalisation. D’autre part, nous n’avons pas mis en place, dans les centres électoraux, un système d’information donnant la participation au cours de la journée. Ce qui veut dire qu’il n’existait aucun chiffre de cette participation, ni à 15h30, ni à 17h30, ni à 20 heures. On n’a annoncé les chiffres que quand on a eu la transmission des votes, au terme du scrutin. Et cette transmission est scientifiquement vérifiable car on a effectué un audit, le jour suivant, qui démontre clairement à quelle heure elle a débuté. A 17h30, on commençait à voter dans des « municipios » de l’État de Mérida qui n’avaient pas pu le faire jusque-là à cause des violences organisées par l’opposition. Il n’y avait ni transmission de chiffres à ce moment, ni chiffres de participation. »

Au terme des élections municipales de décembre 2017, des dénonciations ont fait état de ce que, à la sortie de certains bureaux de vote, les « Carnets de la patrie » [6] des électeurs étaient demandés et scannés par des militants du PSUV.

« Ça ne viole en rien le secret du vote. Celui-ci est secret et l’unique document autorisé pour voter est la carte d’identité. Ni photocopie, ni passeport, ni Carnet de la patrie ne permettent de le faire. Les machines électroniques garantissent le secret. Il n’y a pas moyen, par exemple, d’associer l’empreinte digitale avec le vote. Tout est blindé et garanti. Maintenant, toutes les organisations politiques, d’opposition ou de la majorité, ont, à l’extérieur, à deux cents mètres des centres électoraux, un stand, point d’assistance destiné à leurs assesseurs, électeurs et militants. Nous [le CNE], on garantit qu’ils ne soient pas à proximité immédiate. Quelques-uns tentent de ne pas respecter la loi et on les en empêche, c’est un peu comme un jeu du chat et de la souris. Mais ça concerne tous les partis. Ces stands sont également des points de contrôle de leurs militants, et les mécanismes qu’ils utilisent sont variés. Mais on ne peut pas prétendre, de quelque manière que ce soit, que cela a une influence sur le vote. C’est comme une pensée magique : tu présentes ton Carnet de la patrie à la sortie et on va savoir pour qui tu as voté ! C’est impossible. On cherche à tromper les gens. »

Comme on l’en accuse, le CNE a-t-il inhabilité les partis d’opposition pour favoriser le pouvoir?

« Lorsqu’un parti ne se présente pas à une élection, il doit se revalider devant le CNE en vertu de la loi de 1964, appliquée antérieurement en plusieurs circonstances, et qui a été complétée et élargie, il y a deux ans, par le Tribunal suprême de justice. Pour ce faire, il lui faut obtenir les signatures de 0,5 % du registre électoral dans au moins douze États sur vingt-quatre, c’est-à-dire la moitié. Dans un État comme Amazonas, très peu peuplé, cela peut représenter 500 signatures, dans d’autres 1200, à Caracas 8000, dans le Zulia un peu plus. L’an dernier, après l’élection de l’Assemblée nationale constituante, qu’ils ont boycotté, certains se sont soumis à cette procédure, mais, comme ils n’ont pas participé au dernier scrutin [les municipales du 10 décembre 2017], ils doivent à nouveau se soumettre à cette nécessité. Voluntad Popular a choisi de s’y refuser, donc demeure légalement exclu pour un an. Si ses dirigeants ne font absolument rien, au terme d’une année le parti n’existera plus juridiquement. Action démocratique, en revanche, s’est re-légitimée. Primero Justicia n’a, à ce jour, pas obtenu le nombre requis de signatures. »

Dans le cadre du dialogue organisé en République dominicaine entre le pouvoir et l’opposition, les conditions d’une éventuelle élection présidentielle ont-elles été évoquées ?

« Sous les auspices du président dominicain Danilo Medina, opposition et gouvernement ont négocié pendant des mois pour élaborer un document appelé “l’Accord de République dominicaine”. Dans ce texte, six points concernaient le thème des élections. Au moment de signer, ces partis politiques d’opposition se sont retirés [le 6 février 2018]. Néanmoins, le président Maduro a ratifié cet accord. Il y a eu alors une discussion avec un autre secteur de l’opposition et le candidat Henri Falcón ainsi que les forces politiques qui l’accompagnent se sont entendus avec le gouvernement et ont signé avec le CNE ce qu’on appelle “l’Accord de Caracas”. A la demande de Falcón, de nouvelles requêtes ont été prises en compte, s’ajoutant à ce qui avait été négocié en République dominicaine. Et le CNE respecte rigoureusement ce qui a été accordé. »

Cela signifie-t-il que Falcón ne participait pas au dialogue en République dominicaine ?

« Au début, il y a participé, mais, je ne sais pour quelle raison, l’opposition l’a exclu au bout d’un certain temps. N’étaient plus présents à la table que Primero Justicia, Un Nuevo Tiempo, Action démocratique [7]. C’est quand ils se sont retirés que Falcón a repris le dialogue avec le gouvernement. »

Le 2 avril, à Caita, dans l’État de Vargas, la caravane du candidat de Falcón a été attaquée. Le 12 avril, sans en mentionner la provenance, il a dénoncé avoir reçu des pressions et des menaces en raison de sa participation à l’élection...

« Henri Falcón a effectivement déclaré qu’il y a eu des problèmes dans le cadre de sa campagne. L’Exécutif lui a répondu et a ordonné d’enquêter avec diligence pour appréhender les personnes qui se sont livrées à des actes de violence. De son côté, le CNE organise pour tous les candidats des réunions de coordination avec la sécurité de l’État pour que leur campagne se déroule en toute sécurité. » [Suite aux incidents du 2 avril, dix-sept suspects ont été arrêtés].

Quelle réflexion vous inspire cette interdiction d’expliquer votre position en Europe ?

« Au Venezuela, on vit intensément la démocratie et je me demande quels sont ces gouvernements qui aujourd’hui me sanctionnent, qui sanctionnent nos autorités électorales, et qui par ailleurs ont mené quatre pays à la destruction [Afghanistan, Irak, Libye, Syrie] en moins de vingt-cinq ans, au nom de la démocratie et de la liberté. Ils imposent des sanctions et font pression sur des pays et des peuples au nom des droits humains. Néanmoins, face à d’autres parties du monde, où sont massivement violés ces droits humains, ils ne posent aucune question. Ils ne se préoccupent que des droits de l’Homme au Venezuela, où ils sont garantis. Nous, les autorités électorales, ils nous ont sanctionné pour blanchiment de capital, terrorisme et vente d’armes de destruction massive ! Alors, je dis : gouvernements insensés que ceux qui nous sanctionnent pour ça et qui confondent les actes de dignité et de souveraineté avec des actes de terrorisme ! Gouvernements insensés qui, en nous sanctionnant en tant qu’autorité électorale, confondent l’émission de votes avec l’émission d’armes de destruction massive ! »

Le 19 avril, au siège du CNE, l’audit du software des machines à voter a été mené à bien en présence des représentants des partis soutenant un candidat à la présidentielle ou participant à l’élection des Conseils législatifs d’États – Avanzada Progresista (AP), Partido Socialista Unido de Venezuela (PSUV), Movimiento al Socialismo (MAS), Unidad Política Popular 89 (UPP89), Organización Renovadora Auténtica (ORA), Movimiento Electoral del Pueblo (MEP), Partido Comunista de Venezuela (PCV), Movimiento Ecológico de Venezuela (Movev), Comité de Organización Política Electoral Independiente (Copei), Patria Para Todos (PPT) – et de l’ex-magistrat du Conseil national équatorien Alfredo Arévalo, membre du Conseil des experts électoraux d’Amérique latine (Ceela). Tous ont validé cet audit retransmis en direct sur Internet (www.cne.gob.ve).

Campagne de haine 2016 contre le Conseil national électoral

Nous présentons des captures d’écran notamment issues de tweet de Henrique Capriles.


NOTES


[1]  Mensonges et vérités, une loyauté à toute épreuve, Flammarion, Paris, 2018.
[2] Authentiquement de gauche dans les années 1970 et 1980, le MAS s’est fracturé après l’élection de Hugo Chávez en 1998. Le mot « socialisme » figurant dans l’acronyme de ce parti passé dans l’opposition ne doit pas tromper ; il a autant de valeur que le « socialiste » du PS de François Hollande, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis.
[3] Le même jour que la présidentielle auront lieu les élections des Conseils législatifs d’États. En matière de participation à ces scrutins, il existe dix-neuf organisations politiques nationales, dont dix-sept ont des candidats.
[4] Article 348 – L’initiative de la convocation de l’Assemblée Nationale Constituante pourra être prise par le Président ou la Présidente de la République en Conseil des Ministres, l’Assemblée Nationale avec l’accord des deux tiers de ses membres, les Conseils Municipaux réunis en conseil municipal avec l’accord de deux tiers de leurs membres ou de 15 % des électeurs inscrits sur les listes électorales.
[5] Encre pulvérulente utilisée en particulier dans les photocopieurs.
[6] Ce nouveau document d’identité créé le 20 janvier 2017 permet de connaître le statut socio-économique des citoyens et favorise l’accès des familles nécessiteuses à l’aide sociale. Fin décembre 2017, 16,5 millions de Vénézuéliens en disposaient. L’opposition voit dans ce document un « mécanisme de contrôle » de la population.
[7] Et, jusqu’au 27 janvier 2018, Voluntad Popular (VP).

LES 43 ANS DE LA RÉUNIFICATION DU VIETNAM CÉLÉBRÉS EN RUSSIE, AU CAMBODGE ET AU CHILI


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CÉRÉMONIE CÉLÉBRANT 43ème ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION
DU SUD ET DE LA RÉUNIFICATION NATIONALE AU CHILI.
PHOTO VOV
Hanoi (VNA) – Les Vietnamiens en Russie, au Cambodge et au Chili ont célébré samedi 28 avril le 43e anniversaire de la libération du Sud et de la réunification nationale du Vietnam (30 avril 1975 – 30 avril 2018).
ジンタらムータ with リクルマイ - 平和に生きる権利
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( ジンタらムータ with リクルマイ - 平和に生きる権利 ) JINTA ET AL MUTA AVEC RIKURUMAI
LE DROIT DE VIVRE EN PAIX. CHANSON DE VICTOR JARA, 
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Les célébrations ont été organisées par à Moscou par l’Association des vétérans vietnamiens en Russie; à Phnom Penh par l’Association des Cambodgiens d’origine vietnamienne et à Santiago par l’ambassade du Vietnam au Chili.

Au Chili, l’ambassadeur Nguyên Ngoc Son a mis en exergue la signification de la victoire de l’offensive générale du Printemps 1975, ouvrant l’ère de l’indépendance, de la liberté et du développement pour le pays.
Il a informé des réalisations obtenues par le Vietnam après plus de 30 ans de rénovation qui, selon lui, ont contribué à l’œuvre d’édification du pays avec comme objectifs ultimes  “un peuple riche, un pays puissant, une société équitable, démocratique et civilisée”.

Le diplomate a également passé en revue les jalons importants dans les relations d’amitié et de coopération entre le Vietnam et le Chili, avant d’apprécier le développement du partenariat stratégique bilatéral ainsi que des échanges de délégations ces derniers temps, notamment les visites au Vietnam de la présidente chilienne Michelle Bachelet en novembre dernier, et du président de la Chambre des députés du Chili, Fidel Espinoza en janvier dernier.

Les deux pays ont créé de nombreux mécanismes d’échange et de consultation. Les échanges commerciaux bilatéraux en  2017 ont atteint 1,28 milliard de dollars, faisant du Vietnam le premier partenaire commercial du Chili en Asie du Sud-Est.

Exprimant son optimisme quant au développement de la coopération multisectorielle entre le Vietnam et le Chili, l’ambassadeur Nguyên Ngoc Son a informé de la création de la Chambre de commerce Chili-Vietnam avec l’aide d’entreprises chiliennes.


L’ambassade du Vietnam collaborera avec l’Institut culturel Chili-Vietnam et la commune de Cerro Navia de la capitale Santiago pour déployer des projets visant à présenter l’image du Vietnam au public chilien. -VNA

samedi 28 avril 2018

AU CHILI, DES SCANDALES QUI CREUSENT LE FOSSÉ ENTRE L'EGLISE ET LA POPULATION


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LE PAPE FRANÇOIS SALUE LA FOULE À BORD DE SA PAPAMOBILE
À SON ARRIVÉE À LOBITOS BEACH, PRÈS D'IQUIQUE,
LE 18 JANVIER 2018 AU CHILI
PHOTO VINCENZO PINTO
Élitiste, déphasée et éloignée de la jeunesse: dans un Chili de forte tradition catholique, le fossé se creuse de plus en plus entre la population et l'Eglise, un phénomène accentué par les crimes pédophiles jusqu'ici minimisés par le pape.

L'ÉVÊQUE CHILIEN JUAN BARROS, LORS D'UNE MESSE CÉLÉBRÉE 
PAR LE PAPE FRANÇOIS À LOBITOS BEACH, PRÈS D'IQUIQUE,
LE 18 JANVIER 2018 AU CHILI
PHOTO VINCENZO PINTO
Mi-janvier lors d'un voyage dans ce pays, le souverain pontife avait choqué en défendant avec force l'évêque chilien Juan Barros, soupçonné d'avoir tu les crimes d'un vieux prêtre pédophile, se déclarant persuadé de son innocence et demandant aux victimes présumées des preuves de culpabilité.

Le pape avait ensuite présenté des excuses pour ses propos maladroits dans l'avion qui le ramenait à Rome, puis dépêché au Chili un enquêteur renommé du Vatican pour recueillir des témoignages de victimes présumés.

Ce n'est que début avril que Jorge Bergoglio a reconnu avoir commis de "graves erreurs" d'appréciation de la situation dans ce pays, après avoir lu les conclusions d'une enquête sur des abus sexuels commis par le clergé local.

Illustration de ce revirement: la présence vendredi à la résidence hôtelière du pape François de trois victimes chiliennes du père Fernando Karadima, qui fut un charismatique formateur de séminaristes, pour une série d'entretiens privés avec le souverain pontife. En mai, les évêques chiliens sont convoqués à Rome pour discuter de ces affaires.

Au-delà du cas emblématique du père Karadima, dans ce pays latinoaméricain gagné par l'athéisme, près de 80 curés ont été accusés d'avoir abusé de mineurs au cours des 15 dernières années. Selon un récent sondage, 71% des Chiliens désapprouvent la façon dont l'Eglise a géré ces scandales.

- "Toujours plus éloignée" -

L'onde de choc est telle au sein de la société chilienne, réputée très conservatrice, que le président de droite Sebastian Piñera, catholique pratiquant récemment élu, a critiqué l'Eglise, regrettant qu'elle soit "toujours plus éloignée, non seulement des fidèles mais des gens en général".

Pour tenter de désamorcer la situation, l'archevêque de Santiago, Ricardo Ezzati vient de suggérer à l'évêque Barros de démissionner pour "le bien du peuple de Dieu".

La désaffection des Chiliens pour l'Eglise ne date pas d'hier. Elle remonte aux années 1990, avec le retour de la démocratie après la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), rappelle à l'AFP Luis Bahamondes, docteur en Sciences des religions à l'université du Chili.

Si contrairement à d'autres pays comme l'Argentine, l'Eglise catholique chilienne a plutôt pris le parti des victime sous le régime militaire, au retour de la démocratie cette institution est passé "d'un rôle plutôt social à une posture beaucoup plus en lien avec les valeurs traditionnelles", creusant le fossé avec les fidèles, juge l'expert.

Dans ce pays où 70% de la population se déclare catholique, seul 33% des Chiliens font confiance à l'Eglise, selon une enquête de l'institut de sondage Mori réalisée cette semaine.

Les Chiliens ont dû attendre 2004 pour pouvoir divorcer et 2017 pour pouvoir avorter légalement pour des raisons thérapeutiques ou en cas de viol.

Les couples du même sexe ne peuvent pas encore se marier et les personnes transgenres ne peuvent pas changer de prénom malgré le succès d'"Une femme fantastique", film interprété par une actrice transgenre et qui a reçu début mars l'Oscar du meilleur film étranger.

M. Bahamondes rejette en revanche le terme de "séisme" car la population continue de se considérer comme catholique, bien qu'elle ne se sente plus représentée par l'Eglise, en particulier les jeunes.

Le pape avait manifestement bien conscience de ce fossé, lors de sa visite en janvier. "Nous ne sommes pas des superhéros qui, de leur hauteur, descendent pour rencontrer des +mortels+", avait-il lancé aux représentants de l'Eglise catholique chilienne, en critiquant leur attitude "élitiste".

Le peuple veut au contraire "des pasteurs, des consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main, qui sachent s'arrêter devant la personne à terre".

vendredi 27 avril 2018

TROIS VICTIMES D'UN PRÊTRE PÉDOPHILE CHILIEN CHEZ LE PAPE


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LE PAPE FRANÇOIS.
PHOTO TONY GENTILE

Les trois victimes d'un prêtre pédophile chilien invitées plusieurs jours dans la résidence hôtelière du pape François ont commencé vendredi une série d'entretiens privés avec le souverain pontife.
LES TROIS HOMMES ONT PROMIS DE RELATER LEURS
ENTRETIENS AVEC LE PAPE FRANÇOIS AU COURS D'UNE
CONFÉRENCE DE PRESSE MERCREDI PROCHAIN.
PHOTO ANDREAS SOLARO 
La presse.ca avec l'AFP
S'exprimant vendredi brièvement devant l'une des grilles d'entrée de la Cité du Vatican, les trois hommes ont promis de relater leurs entretiens avec le pape au cours d'une conférence de presse mercredi prochain.

Jose Andrés Murillo devait s'entretenir en privé dès vendredi avec le pape François, des rencontres étant prévues avec les deux autres victimes durant le weekend.

«L'invitation est pour parler, recevoir des suggestions sur le thème de l'abus sexuel clérical sur mineurs, l'abus de pouvoir, de conscience», a noté M. Murillo.

Il a souhaité que les rencontres «portent rapidement leurs fruits», «au nom de nombreuses personnes qui ont souffert d'abus sexuels du clergé et qui se sont suicidé» et au nom d'autres «en train de souffrir».

«Ce qui se passera à l'avenir dépend de beaucoup de facteurs et du pape», a estimé pour sa part James Hamilton, une autre victime.

«Ce n'est pas facile d'être là, en dépit du fait que nous ayons reçu un accueil plus que bon, très chaleureux», a-t-il confié, soulignant la nécessité de «maintenir la tranquillité» autour de ces rencontres avec le pape.

Les représentants des victimes espèrent apporter leur  contribution pour endiguer «une culture de l'abus et de la dissimulation parmi les évêques de l'Église», a commenté Juan Carlos Cruz, un Chilien qui vit désormais aux États-Unis.

Arrivé la veille, ce dernier avait déjà confié à une équipe chilienne de CNN qu'il ne souhaitait pas que cette invitation soit «un exercice de relations publiques». «C'est une vraie rencontre pour lui raconter ce qui se vit réellement au sein de l'Église chilienne», avait-il indiqué, en donnant les noms de «personnes toxiques» selon lui, dont un cardinal proche du pape.

Au cours de ces journées de rencontre «personnelle et fraternelle», le pape «désire leur demander pardon, partager leur douleur et sa honte pour ce qu'ils ont souffert», avait précisé mercredi le Vatican.

Jorge Bergoglio avait reconnu début avril avoir commis de «graves erreurs» d'appréciation de la situation au Chili, après avoir lu les conclusions d'une enquête qu'il avait diligentée sur des abus sexuels commis par le clergé.

Son voyage au Chili du 15 au 18 janvier avat été miné par le dossier de la pédophilie au sein du clergé chilien. Le pape avait été critiqué pour avoir défendu avec force l'évêque chilien Juan Barros, pourtant soupçonné d'avoir tu les crimes du vieux prêtre pédophile Fernando Karadima (condamné par la justice vaticane).

mercredi 25 avril 2018

AU CHILI, LE SORT PRÉCAIRE DES MIGRANTS HAÏTIENS

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AU CHILI, LE SORT PRÉCAIRE DES MIGRANTS HAÏTIENS DES
MIGRANTS HAÏTIENS LORS D’UNE RÉUNION LES INFORMANT
SUR LE DROIT DU TRAVAIL, À SANTIAGO, DÉBUT AVRIL.
PHOTO EDGAR CÓRDOVA 
L’afflux récent de dizaines de milliers d’Haïtiens a entraîné un durcissement des autorités.
Par Camille Lavoix (Santiago, envoyée spéciale)
UNE DU QUOTIDIEN CHILIEN 
« LA TERCERA » DU 04 AVRIL 2018
Huit heures, la capitale du Chili commence à peine à s’agiter, mais un millier de migrants sont déjà debout depuis quatre heures. Certains ont même dormi là. Ils forment une file de plus de 500 mètres devant le bureau des visas, complètement saturé. « Mais qui sont ces Negritos, ces Noirs, que font-ils là ? », murmurent, interloqués, quelques Chiliens qui traversent la Plaza de Armas, la place centrale.

La « une » du journal La Tercera semble leur répondre : « Le gouvernement affirme qu’il y a plus d’un million d’étrangers. » Le Chili est le pays d’Amérique latine où le nombre d’étrangers a le plus augmenté.

A l’intérieur du bureau des visas, les escaliers débordent, sur cinq étages, de personnes à bout de patience. Les gardes de sécurité peinent à faire barrage. Parmi ces étrangers qui font la queue pendant des heures et des jours, près de la moitié vient de Haïti. Ce sont eux, en réalité, qui sont au centre du débat migratoire. Et des relents racistes qui l’accompagnent. Le sujet agite ce pays de 17 millions d’habitants, coincé entre la cordillère des Andes et le Pacifique.

Désenchantement

FILE D’ATTENTE POUR LES SANS-PAPIERS EN PRÉFECTURE
PHOTO REINALDO UBILLA 
En 2017, 111 746 Haïtiens sont entrés au Chili, contre 4 053 en 2014, puis 13 299 en 2015, année où les données ont commencé à grimper. Les 400 Haïtiens qui arrivent désormais chaque jour, selon les derniers chiffres donnés par la police, ne représentent, actuellement, que la sixième communauté de migrants. Les Vénézuéliens ou les Colombiens sont bien plus nombreux, traduisant les crises du continent. Et ce sont les ONG, l’Eglise et les universités qui tentent de pallier les déficits de l’Etat, en offrant surtout des services juridiques.

Sebastian Piñera, le nouveau président conservateur entré en fonctions le 11 mars, vient de prendre une série de mesures. D’une part, il a annoncé qu’un projet de loi migratoire serait bientôt présenté devant le Parlement. De l’autre, il a déjà pris des mesures par décret, notamment concernant les Haïtiens et les Vénézuéliens.

Depuis le 16 avril, les Haïtiens – c’est déjà le cas pour la majorité des Latino-américains et des Caribéens, à l’exception des Equatoriens et des Argentins – doivent désormais, pour entrer au Chili, avoir un visa, qu’ils doivent demander au consulat chilien à Port-au-Prince, qu’il soit touristique, de travail ou humanitaire – ce dernier sera restreint à 10 000 Haïtiens par an. Jusqu’ici, aucun visa n’était exigé.

Les décrets présidentiels incluent aussi un processus de régularisation extraordinaire pour les 300 000 migrants – toutes nationalités confondues – actuellement en situation irrégulière. Depuis lundi 23 avril, ils ont un délai d’un à trois mois pour demander un permis de résidence d’un an, même si l’on ignore combien de personnes pourront en bénéficier.

« Les Haïtiens sont les plus exclus, de par la langue et de par leur afro- descendance », explique Pablo Valenzuela, le directeur du Service jésuite pour les migrants.

Dalinx Noel, 33 ans, est arrivé de Haïti, après neuf heures de vol, en juin 2016. « Un jour, j’ai vu une femme acheter cash cinq billets d’avion pour le Chili. Sans trop savoir pourquoi, je suis parti aussi », explique-t-il. Le durcissement des conditions d’entrée aux Etats-Unis et en Europe pousse en effet les migrants haïtiens vers d’autres destinations.

Le Brésil et le Chili se sont imposés presque naturellement en raison de la forte présence dans l’île de casques bleus de ces pays. Lorsque l’économie brésilienne a commencé à vaciller – après le Mondial et les JO –, les Haïtiens ont migré vers le Chili, le nouveau pays riche de la région. Parmi eux, 70 % sont des hommes et la moyenne d’âge est de 30 ans.

Dalinx est arrivé confiant au Chili : « Stabilité, travail, possibilité d’étudier et d’être soigné à l’hôpital », résume-t-il. Mais il va rapidement déchanter. Malgré une licence en administration économique et sociale de l’université d’Etat de Haïti et un bon niveau d’espagnol, les 300 CV qu’il a envoyés restent sans réponse. Découragé, il a effacé toutes les lignes de son curriculum et inscrit, en gros, un seul mot : plombier. On l’appelle la semaine suivante. Il découvre alors un monde d’abus contre lui et « ses frères », et fait une formation en droit pour apprendre à se défendre.

Au même moment, une Chilienne qui travaille à l’inspection du travail tombe sur un cas d’esclavagisme dans les champs. « Les patrons prenaient les passeports d’Haïtiens et les menaçaient de les dénoncer à la police », raconte-t-elle, souhaitant garder l’anonymat. Elle a aidé Dalinx à monter l’association Fupa (Fondation Urgence Pays). Il se rend chaque week-end en banlieue pour expliquer la législation aux autres Haïtiens.

Evens Clercema, lui, s’attache à donner une image positive des Haïtiens. Premier animateur noir de l’histoire de la télé chilienne, Evens est aussi danseur professionnel. Il a pu obtenir une licence de sociologie et danser, en prime time, devant la présidente d’alors, Michelle Bachelet. La compagne d’Evens, Maria Paz Hernandez, une Chilienne de 34 ans, est ingénieure. Le couple attend un enfant et symbolise une intégration réussie, mais Evens ne se leurre pas : « L’Europe a conquis l’Amérique puis a amené des Noirs pour y travailler. Nous avons toujours été vulnérables. »

Le « tabou » du racisme

Rodrigo Azocar, 30 ans, avocat à la tête du centre d’aide juridique de l’Université catholique, un système d’assistance gratuite offert par professeurs et étudiants en droit, ne prononce, pour sa part, le mot « racisme » qu’avec difficulté. « C’est tabou ici. Quand j’étais petit, je me retournais dans la rue quand je voyais un Noir tellement c’était rare. » Cependant, il corrobore sans hésiter la vulnérabilité des Haïtiens qu’il aide au quotidien.

Ces derniers sont souvent victimes d’agressions au couteau, de vols et d’expulsions par des propriétaires peu scrupuleux. Aucune statistique n’existe concernant le nombre de Haïtiens morts de froid dans les rues ou les résidences précaires. mais le cas de Benito Lalane, 31 ans, décédé en juin 2017, en plein hiver austral, a fait grand bruit dans le pays.

Pablo Valenzuela, 38 ans, est directeur du Service jésuite pour les migrants, la principale organisation non gouvernementale ayant pour vocation de protéger les migrants. Il en reçoit 5 161 par an, dont 47 % d’Haïtiens : « Ce sont les plus exclus, de par la langue et de par leur afro-descendance, dans un pays qui se croit plus blanc que ce qu’il n’est vraiment », dit-il en référence aux peuples indigènes du Chili. Sa priorité : éviter les expulsions ; 6 656 expulsions ont été prononcées entre 2016 et 2017, soit une toutes les trois heures.

« Début mars, 62 Haïtiens ont été détenus plusieurs jours à l’aéroport par la PDI, la police d’investigation. La Cour suprême a reconnu que c’était illégal, mais la police est passée outre et les Haïtiens ont été déportés », explique Pablo Valenzuela.

Tomas Greene, avocat au centre d’aide juridique, angoisse depuis l’annonce du président Piñera d’une nouvelle loi migratoire qui doit être débattue prochainement par le Parlement, et dont les contours sont encore flous : « Jusqu’ici, c’était dur, mais je pouvais les aider. Tout le système juridique et policier va désormais s’abattre sur eux. »