jeudi 29 décembre 2011

CHILI : 300 HECTARES DE FORÊT DÉTRUITS PAR LE FEU DANS UN PARC DE PATAGONIE


L'INCENDIE DANS LE PARC NATIONAL TORRES DEL PAINE,
CERCLE EN ROUGE ZONE D'INCENDIE. INFOGRAPHIE FRANCISCO CABEZAS. 
L'incendie dans le Parc national Torres del Paine, à plus de 2.000 km de Santiago, a été circonscrit dans une zone difficile d'accès, entre deux rivières et un lac, et ne met pas en risque la présence de touristes, a indiqué la Corporation nationale forestière (Conaf) dans un communiqué.

Une vingtaine de personnes ont toutefois été évacuées par précaution d'un refuge qui était situé près du Lac Grey, à 2 km environ de l'incendie, a souligné la Conaf. L'activite touristique dans le parc national n'a pas été affectée et tous ses accès sont ouverts.

Le feu s'est déclaré en bordure d'un sentier de randonnée près du Lac Grey, au nord des Torres del Paine, sommets donnant leur nom au parc de 230.000 hectares qui combine glaciers et lacs andins, forêts et steppe patagonienne. Il attire chaque année plusieurs milliers de visiteurs.

Quelque 300 hectares de végétation indigène ont été détruits, a précisé à l'AFP une source au Bureau national des urgences (Onemi) chilien.

Selon la Conaf, 67 pompiers chiliens étaient mobilisés pour combattre l'incendie, une tâche compliquée par les forts vents qui ont empêché un appui aérien. Des renforts venus du reste du Chili, ainsi que de l'Argentine voisine, étaient en chemin mercredi soir.



mardi 27 décembre 2011

JUGE PRONONCE DES CHARGES DANS PROCÈS EMBLÉMATIQUE POUR L’ASSASSINAT DE MARTA UGARTE

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LE GÉNÉRAL MANUEL CONTRERAS SEPULVEDA, ALIAS «EL MAMO», C.I. 2.334.882-9, FONDATEUR ET PREMIER DIRECTEUR DE LA DIRECTION D'INTELLIGENCE NATIONALE, LA SINISTRE DINA, GESTAPO LOCALE ET ARME PRINCIPALE DE LA DICTATURE DE PINOCHET POUR ÉLIMINER SES OPPOSANTS.   L’ANCIEN OFFICIER EST IMPLIQUÉ DANS D'INNOMBRABLES DOSSIERS DE DISPARITIONS ET MASSACRES, ET PURGE DES LONGUES CONDAMNATIONS À PUNTA PEUCO, PRISON «CINQ ÉTOILES» BÂTIE SPÉCIALEMENT POUR DES MILITAIRES CRIMINELS. PHOTO EL MERCURIO.

Elle a été arrêtée dans la rue le 9 août 1976 par des agents de la DINA et incarcérée à la Villa Grimaldi, une des maisons de tortures de la police politique de Pinochet dans la zone orient de Santiago.

Le 16 août, sa famille a présenté au tribunal un recours de habeas corpus et plusieurs démarches destinées à confirmer son arrestation et connaître son lieu de détention ont suivi.
Malgré l’intervention de la Croix-Rouge internationale qui s’est enquis de son sort auprès des autorités de l’époque, son arrestation a été démentie et le président de la Cour de justice a affirmé qu’elle n’était pas détenue par la DINA.

Le 12 septembre 1976, la presse de Santiago annonçait la découverte du cadavre d'une inconnue trouvé par un pêcheur, à l'intérieur d'un sac attaché avec des fils de fer, sur la plage de La Baleine. Les journaux de la chaîne El Mercurio —fervente adepte de la dictature— ont évoqué d’emblée la thèse d'un sordide crime passionnel, en laissant planer des doutes sur la moralité de la « jeune et très belle » victime.

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MARTA UGARTE ET SES SŒURS HILDA ET BERTA DANS LES ANNÉES 60.  COMME D’AUTRES MEMBRES DES FAMILLES DES VICTIMES DE LA DICTATURE, LES SŒURS UGARTE ONT CONSACRÉ LEUR VIE À OBTENIR JUSTICE ET ONT PARTICIPÉ ACTIVEMENT À L’ASSOCIATION DES PARENTS DES VICTIMES, L’AFDD. PHOTO FAMILLE UGARTE - MUSÉE DE LA MÉMOIRE ET DES DROITS DE L'HOMME, SANTIAGO.
Il s’est avéré par la suite qu’une opération de désinformation —à la charge des journalistes Beatriz Undurraga et Pablo Honorato— s'était déployée autour de cet assassinat, comme il a été le cas dans d’autres occasions, pour détourner l’attention de l’opinion publique et couvrir les vrais criminels.  

La longue enquête a établi que sous les ordres directs des deux officiers récemment accusés, les agents de la DINA ont donné la mort à Marta Ugarte après des jours d'atroces supplices dans des locaux secrets de la police politique. Elle a été finalement empoisonnée par injection dans un gymnase du camp militaire Peldehue et son corps, avec d’autres détenus qu’ont subi le même destin, a été lancé ensuite depuis un hélicoptère Puma à la mer lesté d’un bout de rail.

Un ex-agent de la DINA a avoué que lorsqu’ils s'apprêtaient à charger dans un hélicoptère Puma plusieurs sacs de cadavres de victimes, le corps de Marta Ugarte s’est mis à bouger. Elle avait survécu à l'injection létale.

L’agent a alors coupé l'un des fils de fer qui fixaient le morceau de rail au corps meurtri de la dirigeante communiste et l'a étranglé avec. Son corps a été lancé à la mer, mais défaite la ligature, le rail s’est détaché et la mer a ramené le cadavre vers le rivage.

Marta Ugarte est devenue ainsi la première détenue disparue à réapparaître durant une des campagnes d'extermination menées par la dictature militaire, dévoilant crûment les méthodes épouvantables des appareils d’extermination et le sort qu’ils ont réservé à des milliers de chiliens.


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MURAL MARTA UGARTE. JOSELYN ET JUAN ROJAS HENRÍQUEZ. PHOTO : JF ROJAS.

La mort de la militante et son martyre ont profondément ému le peuple du Chili en lutte contre la dictature, et diverses œuvres se sont inspirées en sa mémoire, des poèmes et des chants, des travaux audio visuels et plastiques.

Une fresque murale en hommage à Marta Ugarte a été réalisée en 2007 à la maison Prais d’Arica, au nord du Chili, selon une création de la brigade Ramona Parra, célèbre collectif de peintres muralistes.

L’écrivain et musicien Patricio Manns lui a également dédié une chanson qui figure dans son album « Lieux communs », interprétée par le groupe Inti Illimani.

Le compositeur et directeur d’orchestre Sergio Ortega a créée aussi une chanson chorale, Marta Ugarte reste, interprétée par l’ensemble Vents du Nord, qui fait partie de son œuvre « Andes Messe Criolla ».

jeudi 22 décembre 2011

HAÏTI - SÉCURITÉ : RETRAIT DES TROUPES CHILIENNES À PARTIR DE 2012


UN SOLDAT CHILIEN DE NATIONS UNIES À LA CÉRÉMONIE INAUGURALE DE LA MISSION DE STABILISATION DE NATIONS UNIES À HAÏTI (MINUSTAH), À PORT-AU-PRINCE À HAÏTI. LE 02 JUIN 2004.  PHOTO EVAN SCHNEIDER / ONU.
"Nous avons proposé au Conseil de défense latino-américain qu'en 2012, nous commencions à retirer nos troupes de manière progressive, proportionnelle et coordonnée", a déclaré M. Allamand.

Depuis 2004, environ 500 militaires et policiers chiliens ont été envoyés en Haïti. Sebastián Piñera Echenique, Président du Chili depui 2010 avait promis de réduire le nombre de soldats chiliens présents en Haïti. En mai dernier le Sénat chilien a approuvé a pétition gouvernementale portant sur le prolongement d'une année de plus de la présence militaire chilienne en Haïti.

mercredi 21 décembre 2011

NAISSANCE DE LATAM, NOUVEAU GÉANT DE L'AÉRIEN

Seules quelques restrictions relatives au trafic entre Santiago du Chili et São Paulo ont été imposées par le Cade, l'organe brésilien de défense de la concurrence. En outre, Latam a deux ans pour choisir entre Star Alliance (dont TAM est membre) et One World (alliance choisie par LAN).

Rapprochement Delta Airlines-Gol

L'union des deux entreprises d'origine familiale avait été annoncée en août dernier. Au terme du bouclage de l'opération boursière, les actionnaires actuels de LAN, une companie chilienne connue pour son efficacité, devraient contrôler la majorité du capital du nouveau groupe. Les héritiers de la famille chilienne Cueto détiendront 24% du capital, et les Amaro (brésiliens) 13,5%, mais selon un accord entre actionaires, elles détiendront un pouvoir égal au sein du conseil d'administration.
Ce feu vert intervient quelques jours après un autre rapprochement, opéré entre Delta Airlines et Gol. La compagnie aérienne américaine va acquérir 2,9% du capital du numéro deux brésilien pour 100 millions de dollars, afin de renforcer ses positions au Brésil avant la Coupe du monde de football en 2014. En août dernier, Delta avait déjà investi 65 millions de dollars pour une participation minoritaire au capital d'Aeromexico.
THIERRY OGIER, À SÃO PAULO

AU CHILI, LE VOTE N'EST PLUS OBLIGATOIRE

Le Sénat, après la Chambre des députés, a approuvé par une large majorité un projet de loi visant à combattre la non-participation politique des jeunes, un trait marquant de la démocratie chilienne depuis depuis la fin de la dictature en 1990. Jusqu'à présent, les Chiliens majeurs qui souhaitaient voter devaient effectuer une démarche administrative, puis une fois inscrits, se voyaient obligés de voter sous peine d'amende qui pouvait atteindre 200 dollars: double dissuasion qui avait contribué à une désaffection spectaculaire. Selon des estimations citées au Parlement lors du débat, a peine 7% des Chiliens âgés de 18 à 24 ans exercent leur droit de vote.

"Fin de l'hypocrisie et du cynisme"

Le ministre à la Présidence Cristian Larroulet a qualifié la loi de "moment historique", comparable au vote des femmes en 1949. Il a estimé qu'elle pourrait augmenter "d'environ 55%" le corps électoral, soient plus de 4 millions d'électeurs. La fin du vote obligatoire, une mesure datant des années 50, était une promesse électorale du président (droite) Sebastian Pinera, au pouvoir depuis début 2010, afin de moderniser la démocratie chilienne.

Les parlementaires des deux bords ont salué la mesure tout en notant la "grande incertitude" que va induire un électorat élargi, de jeunes surtout, sur les prochaines élections, municipales en 2012, et générales en 2013. L'ancien président (centre-gauche) Ricardo Lagos a estimé que cette incertitude "marque la fin de l'hypocrise et du cynisme au Chili, car les citoyens auront désormais la faculté de se lever et aller voter le jour de l'élection si cela leur semble opportun".

mardi 20 décembre 2011

COUR D'APPEL ORDONNE INTERROGER LES PILOTES DU 11 SEPTEMBRE 1973

L’ancien pilote raconte cet épisode dans son livre « Le 11 dans la mire d'un Hawker Hunter » —un des rares témoignages existants sur les détails de l’opération aérienne—, qu’il a publié en 1999 malgré les réserves de la l’armée de l’air et de ses compagnons d'armes. Il n’y révèle pas non plus l'identité des équipages à sa charge.

MARIO LOPEZ TOBAR, FERNANDO ROJAS VENDER, EITEL VON MÜLLENBROCK, TROIS DES PILOTES DES HAWKER HUNTER QUI ONT TIRÉ EN SEPTEMBRE 1973 CONTRE LE PALAIS DU GOUVERNEMENT ET LA RÉSIDENCE DES PRESIDENTS AU CHILI.  ILS SONT TOUS DEVENUS GÉNÉRAUX, ROJAS VENDER EST MÊME ARRIVÉ À COMMANDANT EN CHEF DE L’ARMÉE DE L’AIR.

Les noms des officiers qui ont participé en 1973 aux opérations du 11 septembre ont été strictement gardés durant quatre décennies, bien que ce n’est pas un secret à l'intérieur de l'institution armée, où plusieurs gradés connaissent précisément les identités de tous les pilotes qui ont volé ce jour-là et qu'ont ouvert le feu contre le palais du gouvernement  Chilien.
  
Dans un des volets de son enquête pour établir les causes de la mort du président Salvador Allende, le juge a demandé à la force aérienne et au ministère de la défense le listing des pilotes et il a déjà interrogé certains d'entre eux. Mario López Tobar a été le premier mais il a refusé de donner l'identité du personnel sous son commandement.

L’ancien commandant en chef de l’armée de l’air, le général Gustavo Leighun des instigateurs du coup d’état et membre de la junte militaire—, n'a pas voulu non plus à son époque autoriser la presse étrangère à interviewer les pilotes, mais il a reconnu que son fils était un des pilotes de cette unité.

« J'ai toujours été fier de ma Force aérienne, et le 11 septembre ils ont couronné mes aspirations. Les pilotes n'ont pas à apparaître à la télévision, je veux les maintenir anonymes pour des raisons évidentes. Même mon fils est pilote de cette unité, un lieutenant ».

Malgré la résistance des aviateurs, des nombreux témoignages et d’éléments concordants permettent d’affirmer que les équipages du 11 septembre 1973 étaient composés par Ernesto González Yarra, Mario López Tobar, Fernando Rojas Vender, Eitel von Müllenbrock, Enrique Montealegre Julliá et Gustavo Leigh Yates.

C’est le général Gustavo Leigh qui a ordonné l'attaque à La Moneda et à Tomás Moro. À Concepción les équipages —quatre pilotes, deux avions pour chaque cible— ont été briefés et on a décidé d’utiliser des fusées Sura P-3, une arme antiblindage, pour perforer les gros murs de la maison de gouvernement et limiter les dommages collatéraux.
 

Tous les avions qui ont participé à cette opération appartenaient au Groupe 7, basé à l’aérodrome militaire de Cerrillos, renforcés par 4 pilotes du Groupe 9. Dès le début août ces avions avaient été secrètement déplacés à l'aéroport Carriel Sur, à Concepción, par ordre du commandant en chef, qui craignait que l’aérodrome militaire fût attaqué en cas de troubles par des travailleurs de la « ceinture ouvrière » de Cerrillos.

La première frappe sur le siège du gouvernement est lancée peu avant 11.30 par Ernesto González Yarra. À trois mille pieds d’altitude et juste après passer sur la station Mapocho sont lancées les premières fusées, qui touchent la façade nord du palais et détruisent l'énorme porte principale. Ce pilote est décédé en 1995.
 
Le deuxième Hawker Hunter piloté par Fernando Rojas Vender fait feu sur le toit et déclenche tout de suite un grand incendie. Ce pilote est arrivé à commandant en chef de la force aérienne du Chili, et il est un des généraux mis en cause par l’enquête.
En huit passages successifs avec fusées et des arrosages de mitrailleurs de 30 mm, en 20 minutes les avions laissent La Moneda semi détruite.


AU LENDEMAIN DES BOMBARDEMENTS LES NOUVEAUX MAÎTRES DU CHILI ONT EXHIBÉ LE PALAIS DU GOUVERNEMENT ÉVENTRÉ, DEVANT UNE POPULATION ABASOURDIE PAR L'EXTRÊME VIOLENCE  DÉCHAÎNÉE EN QUELQUES HEURES CONTRE DES CIVILS DÉSARMÉS. PHOTO : PRIMAVERA SILVA MONGE, 1973.
Simultanément est bombardée la résidence du président Allende, à Tomas Moro, dans l’ouest de la ville de Santiago, par deux avions pilotés par le capitaine Eitel Von Mühlenbrock et le lieutenant Gustavo Leigh Yates. Peu expérimenté, ce jeune pilote du Groupe 9 manque sa frappe et touche l'hôpital de l’armée de l’air. Ce lieutenant —mort depuis de maladie—, était le fils du général homonyme, à l’époque commandant en chef de l’aviation et membre du quarteron de généraux qui prenait d’assaut le pouvoir au Chili.

Comme dans toutes les enquêtes qui tentent laborieusement d’élucider les faits de violence des militaires et de démêler les responsabilités lors du putsch, les participants se défaussent invariablement sur une vaste et imprécise responsabilité institutionnelle.

Le dictateur et la junte militaire —aux commandes pendant 17 ans—, ont entretenu l’idée fallacieuse que les troupes et officiers qui ont agi lors du putsch ont participé à un fait historique, une louable action patriotique, et c’est le discours toujours en vogue chez les militaires à la retraite. Ils réagissent pourtant tel un réseau maffieux qui se dérobe aux investigations, muré dans un pacte de silence similaire à l’omerta. Sans doute parce qu'ils savent que plus que de la reconnaissance de la patrie, leurs exactions relèvent de la félonie et de la haute trahison, et qu’ils méritent les geôles plutôt que des médailles.

LES PILOTES DES GROUPES Nº 8 ET 9 DE L’ARMÉE DE L'AIR CHILIENNE SUR LE TARMAC DE PUDAHUEL EN SEPTEMBRE 1976, SUITE AU DÉFILÉ MILITAIRE ANNUEL. PARMI EUX, LES PILOTES DES HAWKER HUNTER QU'ONT BOMBARDÉ LA RÉSIDENCE DES PRÉSIDENTS  À TOMAS MORO.

lundi 19 décembre 2011

CHILI : QUAND LE NÉOLIBÉRALISME TRIOMPHANT SE FISSURE

CAMILA VALLEJO DOWLING, JEUNE FEMME DE 23 ANS EST DEVENUE LE VISAGE DE LA CONTESTATION ÉTUDIANTE QUI SECOUE LE CHILI DEPUIS DES MOIS.  PHOTO AFP
Un mouvement social pour l'éducation d'une ampleur historique

Depuis plus de sept mois et la première marche des étudiants universitaires et élèves du secondaire, le 28 avril 2011, les actions collectives n'ont pas faibli. Bien au contraire[4]. Dès début mai, les expressions du mouvement se sont amplifiées et diversifiées. Le 12 mai, la première « grève nationale pour l'éducation » dépasse toutes les attentes. Le 21 mai, à Valparaiso, alors que le président de la République réalise – comme tous les ans – son bilan annuel devant la nation, des dizaines de milliers de personnes expriment leur colère. Progressivement, le mécontentement enfle. La popularité des "indignés" chiliens augmente. Ils sont 300 000 dans les rues le 30 juin et 500 000 le 9 août, jeunes, vieux, couches moyennes et classes populaires, ensemble. L'un des points d'orgue de cette escalade est la grève nationale des 23 et 24 août, appelée par la Centrale Unitaire des Travailleurs (CUT) et plus de quatre-vingt organisations syndicales, protestant à propos des conditions de travail déplorables mais aussi en soutien aux étudiants mobilisés. Les répertoires d'action collective utilisés sont variés et souvent originaux. Outre les stratégies de rue traditionnelles, l'aspect festif et créatif est au centre de la contestation de la jeunesse : carnaval, concours de baiser, danses et chansons originales, humour satirique, actions-spectacles[5]. Mais on retrouve aussi des instruments de la contestation plus classiques : grèves dans les universités (publiques essentiellement), avec le soutien des professeurs, multiplication des tomas (« occupations ») et même grèves de la faim, menée par des gamins qui comptent montrer au monde leur détermination. Toute une génération semble vent debout, alimentant la plus importante lutte sociale depuis les grandes protestas de 1983-84 : une génération qui n'a pas connu la dictature et qui est née sous les auspices de la démocratisation pactée néolibérale.

Les étudiants ont toujours été des protagonistes du mouvement social importants. Nous pourrions ainsi remonter aux temps des « acteurs du secondaire » qui affrontaient le régime militaire, avec courage et détermination[6]. Les protestations actuelles sont liées aux expériences acquises en 2001 (mochilazo) et, surtout, à la « rébellion des pingouins » (élèves nommés ainsi du fait de leur uniforme) de 2006. Cette mobilisation exemplaire avait fait trembler le gouvernement de la socialiste Bachelet. Elle a lézardé le ciment du consensus politique, tout comme les discours convenus sur la « gouvernabilité démocratique » néolibérale, qui règnent en maître depuis 1990, aussi bien chez les élites de centre gauche que de la droite[7]. Les révolté•es et indigné•es de 2011 sont en partie les collégien•nes mobilisé•es de 2006. Et ils ont beaucoup appris dans le feu de ces mouvements : l'organisation collective, les rythmes de luttes, l'insertion dans le champ médiatique et ses codes, mais aussi le goût amer des négociations sans lendemain et la duplicité gouvernementale ou encore l'importance du contrôle « par en bas » des porte-parole, en assemblée et la force de l'autogestion.

Pourquoi ces lycéens et étudiants protestent-ils depuis des mois ? 

Les problèmes sont nombreux, les difficultés quotidiennes de ces jeunes multiples, mais leurs revendications sont claires : une éducation gratuite, publique et de qualité. « Dans le secondaire, les lycéens et collégiens souhaitent en particulier le retour de leurs établissements dans le giron de l’État, remarque un chercheur de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC). Transférée au niveau municipal en 1990, à la toute fin de la dictature, l'éducation publique secondaire n'a depuis cessé de décliner, au profit d'établissements privés subventionnés. Dans l'éducation supérieure, le financement des études est particulièrement problématique. Les universités, publiques ou privées, exigent des frais de scolarité en général proches de 300 euros par mois.[8] La plupart des étudiants ont donc recours à des crédits pour financer leurs études, sans réelle certitude sur la capacité qu'ils auront à rembourser une fois sur le marché du travail. [...] De plus, malgré une loi, votée durant la dictature, qui stipule que les universités sont des institutions à but non lucratifs, de nombreuses universités privées ont mis en place des systèmes permettant d'extraire les profits générés. »[9] Héritage empoisonné, géré – voire perfectionné – fidèlement par la Concertation, coalition de socialistes et démocrates-chrétiens au gouvernement de 1990 à 2010, sans interruption. Jusqu’au coup d’État de 1973, l’éducation publique chilienne était connue dans tout le continent pour sa qualité et gratuité. Désormais moins de 25 % du système éducatif est financé par l’État. Le reste est assumé par les familles des étudiants : 70 % des étudiants doivent s’endetter et 65 % d'entre eux interrompent leurs études pour des raisons financières. D’ailleurs, l’État chilien ne consacre que 4,4 % du produit intérieur brut (PIB) à l’enseignement, loin des 7 % recommandés par l’Unesco[10]. On retrouve d'ailleurs la même logique dans tous les champs sociaux : santé, retraites (aux mains de fonds de pensions), transports, médias (contrôlés par une oligarchie), etc... Alors, la Concertation pourrait se réjouir de voir S. Piñera battre des records d'impopularité (avec seulement 22 % d'approbation). Mais si la population appuie à plus de 75 % les revendications étudiantes, s'égaye dans les quartiers dans d'immenses concerts de casseroles (caceroleos), c'est aussi qu'elle rejette vingt ans de gestion social-libérale, qui a renforcé un tel modèle économique. Le mea culpa du président du PS, Osvaldo Andrade, reconnaissant que « durant les vingt ans du gouvernement de la Concertation nous avons aussi été dans de nombreuses occasions partie prenante de cette politique abusive » n'y change rien... Les faits sont têtus.

MIGUEL KRASSNOFF MARTCHENKO LORS DE SON TRANSFERT AU PÉNAL CORDILLÈRE, L'UNE DES PRISONS "CINQ ÉTOILES" RÉSERVÉES AUX OFFICIERS CRIMINELS.   MALGRÉ LES INCULPATIONS QUI SE SUCCÈDENT ET LES PREUVES ACCABLANTES  PRODUITES DANS DIFFÉRENTES ENQUÊTES DEPUIS UN QUART DE SIÈCLE, KRASSNOFF N'A JAMAIS RECONNU ÊTRE UN TORTIONNAIRE NI UN MEURTRIER, SE BORNANT À ADMETTRE UN RÔLE "D'ANALYSTE" À L'APPAREIL DE TERREUR DE PINOCHET, LA DINA.
Négociations, jeu de dupes et criminalisation des luttes

À droite, de nombreux parlementaires sont inquiets de la crise de gouvernabilité. En juillet dernier, Joaquin Lavín, ministre de l'Éducation, lui-même entrepreneur de l'éducation et dirigeant de la puissante Union démocratique indépendante (UDI[11]), a été poussé à la démission. Le trouble des classes dominantes transparaît aussi dans les éditoriaux du journal conservateur El Mercurio ou au travers d'articles d'intellectuels, qui – jusque-là – se disaient libéraux, voire progressistes. Face au retour du spectre des luttes de classes, ils décrivent, tel l'historien Alfredo Jocelyn-Holt, leur « insaisissable malaise » et n'hésitent pas à disqualifier violemment les actions protestataires[12].


PAR SON PASSÉ INFAMANT D’AGENT DE LA RÉPRESSION DE PINOCHET, MAIS AUSSI PAR SES PRISES DE POSITION PROVOCATRICES, LE MAIRE CRISTIAN LABBÉ EST REJETÉ PAR LA POPULATION MAIS RESTE TRÈS PROTÉGÉ PAR LES POUVOIRS OCCULTES DE LA « FAMILLE MILITAIRE ».  AVEC D’AUTRES RESPONSABLES POLITIQUES DE LA DROITE QUI COMPOSENT AUJOURD’HUI LE GOUVERNEMENT PINERA, IL SYMBOLISE LE RETOUR DES « HOMMES DE PINOCHET » AUX AFFAIRES.  SUR L’AFFICHE, JEU DE MOTS AVEC LE SIGLE DINA, LA POLICE POLITIQUE A LAQUELLE IL A APPARTENU, ET ORDINAIRE : AU CHILI, QUELQU’UN DE TRÈS GROSSIER, DIGNE DE MÉPRIS. IMAGE : ANTROPONET.






















La rébellion étudiante dévoile aussi le vrai visage de cette « nouvelle droite » gouvernementale, qui n'était pas arrivée au gouvernement par les urnes, depuis 1956[13]. Tout au long du conflit, l'une des principales réponses de l'exécutif a été la répression et les disqualifications verbales, avec l'appui d'une machinerie médiatique hégémonique. L'esprit du « pinochetisme » s'affiche encore toutes voiles dehors. Le porte-parole du gouvernement Andrés Chadwick, ancien président de la Fédération des étudiants de l'Université catholique (désigné par Pinochet en 1978), et le maire de Santiago, Pablo Zalaquett (UDI), ont affirmé que les étudiants n'étaient pas propriétaires de La Alameda (avenue principale de Santiago), ce dernier suggérant l'intervention des forces armées pour empêcher les manifestations du 11 septembre (jour de commémoration du coup d’État)... Autre exemple, même rengaine : Cristián Labbé, maire de Providencia (Santiago) et ancien membre de la police politique du régime militaire (DINA), qui avait annoncé qu’il fermerait les lycées occupés, continue dans la surenchère : fin novembre, il a accueilli une cérémonie d'hommage vibrant à l'ex-général de brigade Miguel Krasnoff, qui purge actuellement une peine de cent ans de prison pour atteinte aux droits humains, séquestration, assassinats et « disparition » de citoyens durant la dictature. L'une des proches conseillères du président Piñera a d'ailleurs souhaité « les meilleurs souhaits de réussite » à Labbé, en vue de cette sinistre commémoration, avant d'être désavoué par sa hiérarchie, face au scandale suscité. 

D'autre part, la répression de la part des carabiniers est permanente. On compte des centaines de blessés, des milliers d'arrestations et même le décès de Manuel Gutiérrez (quatorze ans) assassiné par la police, à balles réelles. Dans ce contexte, une petite proportion d'étudiants a choisi l'auto-défense. Chaque manifestation est l'objet de batailles rangées, malgré les protestations des organisateurs, avec barricades enflammées, jets de pierre et cocktails molotovs contre voitures blindées, gaz lacrymogènes, armes à feu et police montée. Plusieurs dirigeants du mouvement ont été menacés, parfois de mort.

Face à la puissance d'une révolte qui ne ralentit pas, le gouvernement fait mine de négocier, puis rompt tout dialogue pour faire des annonces tonitruantes et unilatérales, pour ensuite dire qu'il souhaite à nouveau ouvrir les discussions... Globalement, le pouvoir parie sur l'essoufflement et les divisions du mouvement. La revue À l'encontre donne un aperçu de ce jeu de dupes permanent en retraçant la chronologie du mois de septembre : « Les dirigeants étudiants ont fait clairement savoir que toutes les propositions seraient soumises à la décision des assemblées qui représentent effectivement leurs bases. Ainsi, en date du 8 septembre, la Confech énonçait des conditions pour poursuivre des négociations. Elles sont, pour résumer, au nombre de quatre : premièrement, repousser la date fixée par le ministère pour le renouvellement des bourses et crédits ; l’instrument du chantage économique sur les étudiants est un des instruments utilisés par le pouvoir. Deuxièmement, suspendre le processus de mise au point des lois concernant l’éducation, lois que le Parlement doit présenter à l’exécutif. Troisièmement, les discussions doivent être transparentes, ce qui implique qu’elles soient filmées, afin que les citoyens puissent prendre connaissance des positions respectives des divers acteurs de ce conflit. Quatrièmement, la négociation doit porter sur la question centrale, celle d’une éducation publique, gratuite, de qualité, démocratique et sans profit. Le 15 septembre, le ministre de l’Éducation, Felipe Bulnes, récuse deux conditions : non-report de la date du 7 octobre pour la clôture du semestre ; et refus de l’interruption de la procédure de mise au point d’une loi sur l’éducation. Quant à la publicité des négociations, il se limite à indiquer que le procès-verbal des discussions sera mis à disposition du public. Le 15 septembre, le vice-président de la Confech, Francisco Figueroa, annonce le rejet des propositions du ministre et indique qu’une mobilisation nationale est prévue pour le 22 septembre. Le 19 septembre, le président Sébastian Piñera annonce à la télévision nationale que 70 000 étudiants du secondaire ont perdu leur année pour avoir paralysé les cours depuis 4 mois. Un coup de force. »[14] Malgré tout, la mobilisation du 22 septembre réunit quelque 180 000 participants. Et une semaine plus tard, 150 000 manifestants défilent à nouveau. Cette capacité de riposte est saluée par d'autres secteurs du mouvement social, à commencer par le Collège de professeurs. D'ailleurs, après les importants défilés du mois d'octobre et les actions en faveur d'un plébiscite national sur l'éducation, le Collège de professeurs a impulsé, avec la Confech, deux nouvelles journées de grève et manifestation nationale (17 et 18 novembre) ; une fois de plus, des milliers de personnes ont exprimé bruyamment leur mécontentement et leur volonté de soutenir les jeunes en lutte.

Une nouvelle structure d'opportunités politiques pour la transformation sociale ?

Selon le PNUD, si le Chili a réussi à faire baisser la pauvreté, il figure toujours au nombre des quinze pays les plus inégaux de la planète (le deuxième de l'Amérique latine). Suite à la stratégie du choc imposée par la dictature (1973-1990), la société chilienne a, de plus, dû se soumettre aux affres d'une transition pactée[15]. Pendant les vingt dernières années de « démocratie autoritaire », la société – fragmentée, atomisée – semblait avoir intégrée dans ses gènes ce modèle et ses institutions : malgré des réformes, la constitution de 1980 qui consacre la théorie néolibérale du « rôle subsidiaire de l’État » est toujours en vigueur. Le Parlement est verrouillé par un système électoral (dit binominal) qui assure un partage du pouvoir presque parfait entre la Concertation et la droite. Parallèlement, les champs judiciaire, médiatique et économique sont des bastions de l'ultralibéralisme ou du conservatisme.
Certains penseurs critiques décrivent ainsi la construction d'un néolibéralisme triomphant (Juan Carlos Gómez) ounéolibéralisme mature (Raphael Agacino) de longue durée, largement stabilisé, entre autres par des mécanismes de consommation à crédit, de fragmentation sociale accélérée, de société du spectacle sous la coupe d'un duopole médiatique et grâce à l'éviction des classes populaires de l'espace de la participation politique, c'est-à-dire de lapolis. Une caste de professionnels passe allègrement de l'administration de l’État à celle des entreprises, toutes liées d'une manière ou d'une autre à une poignée de grandes familles (tels les Luksic, Angelini, Paulman ou Matte). Cet ordre social n'exclut pas les explosions sociales, mais rend bien plus compliqué leur potentiel émancipateur[16]. Néanmoins, avec l'historien Sergio Grez, il est possible d'affirmer que l’année 2011 restera inscrite comme celle du « réveil des mouvements sociaux après plus de deux décennies de léthargie »[17]. Si l'on reprend la sociologie des politiques du conflit, il ne fait pas de doute qu'une structure d'opportunité politique s'est ouverte pour les mobilisations, mise à profit par une nouvelle génération qui, d'un conflit dans le champ de l'éducation, est parvenue à se constituer (au cours d'un brusque changement d'échelle), en acteur incontournable de la scène politique nationale[18]. Quels sont les facteurs qui expliquent ce saut qualitatif et quantitatif ? Citons la situation économique des étudiants dans une période de croissance profondément inégalitaire où le culte de la réussite individuelle est en contradiction permanente avec les conditions de vie quotidienne des grandes majorités. Plus largement, la crise de légitimité de l'ensemble du système politique joue à plein, alimentée par les provocations et l'arrogance du gouvernement. Certains des principaux dirigeants étudiants sont certes liés à des organisations partisanes, tels Camila Vallejo, figure très médiatisée ou encore Camilo Ballesteros, tous deux membres du Parti communiste. Giorgio Jackson est quant à lui considéré comme proche de la Concertation. D'ailleurs, des secteurs radicaux au sein de la Confech (notamment de province), des organisations d'élèves du secondaire, comme les franges étudiantes libertaires, de la « gauche autonome » ou anticapitalistes[19] critiquent la volonté du PC et de la Concertation d'orienter – coûte que coûte – le mouvement vers une issue institutionnelle et une négociation parlementaire, qui se ferait alors aux dépends du mouvement. Les grandes manœuvres sont déjà en cours dans les couloirs du Congrès[20]. Ces tensions internes se sont aiguisées par les élections (5 et 6 décembre 2011) pour la rénovation de direction de la Fédération des étudiants du Chili (Fech), principale fédération du pays et pour laquelle pas moins de neuf listes étaient en concurrence. Finalement, la FECH confirme son ancrage à gauche, mais le PC et Camila Vallejo perd la présidence (celle-ci sera néanmoins vice-présidente, sa liste arrivant en deuxième position) au profit d’une liste de la gauche dite « autonome » (plutôt modérée dans ses prises de positions) et dans le cadre d’une remarquable montée en puissance de la gauche radicale : la liste « Luchar », revendiquant son ancrage libertaire, arrive en troisième position et gagne le poste de secrétaire général de la fédération[21]. La campagne électorale universitaire, et ses divisions, a donc débuté en pleine mobilisation sociale. Mais, globalement, la pression à la base, la référence à l'horizontalité, le refus de l'instrumentalisation politicienne expliquent la durée et la dynamique de ces luttes, malgré quelques turbulences au sein des directions étudiantes.

Enfin, un dernier élément essentiel : la convergence de différentes révoltes sous la surface apparemment lisse d'un modèle d'accumulation qui semblait jusque-là « triomphant ». En effet, la conjoncture actuelle s'inscrit dans un flux plus large. Une accumulation moléculaire de conflits partiels, éparpillés, a eu lieu, avec une accélération depuis 2006-2007[22]. Rappelons les mobilisations de salariés tout d'abord, malgré un océan de précarité et de flexibilisation[23] et une CUT en partie cooptée par la Concertation. Rappelons aussi les luttes des travailleurs du cuivre, en particulier les subcontratistas (travaillant pour des entreprises sous-traitantes), qui en 2007 ont mené des grèves très dures. En 2010, la direction du travail a reconnu la perte de 333 000 jours de travail pour faits de grèves dans le privé, soit une augmentation de 192 % par rapport à 2000. Dans le secteur public, la magistrature, les travailleurs de la santé, les enseignants se mobilisent régulièrement (le 23 novembre, 10 000 manifestants réclamaient des augmentations de salaires et l'unité du mouvement social). C'est aussi le cas des militants qui se battent contre les discriminations et pour le droit à la diversité sexuelle (LGTB). Le cycle de protestation a pris une dimension insolite, en février 2010, avec le soulèvement de toute une région, la province australe de Magallanes, contre la hausse du prix du gaz naturel. Le gouvernement a dû reculer devant ce front du refus qui combinait revendications régionalistes et sociales. Les actions récentes des collectifs écologistes ont aussi réussi à mettre en échec la droite. Ainsi, en août 2010, à Punta del Choro, contre la construction d'un barrage thermoélectrique et plus récemment, avec le mégaprojet Hidroaysen en Patagonie qui a fait sortir dans la rue plus de 30 000 personnes. Il faudrait enfin mentionner les luttes urbaines pour le logement et le « droit à la ville ». Et, bien entendu, l'indomptable résistance du peuple Mapuche qui a connu des pics de combativité en 2010, notamment suite aux grèves de la faim de plusieurs prisonniers politiques indigènes[24].

L'un des défis pour le mouvement social est de réussir une désectorisation bien plus vaste encore, afin d'articuler toutes ses résistances, très souvent éparses. Une telle conjonction a montré son potentiel lors de la protestation du 21 mai. En vue des journées de grève nationale des 17 et 18 novembre, la mise en place d'une plateforme sociale pour l'éducation (Mesa social por la educación), regroupant entre autres la CUT, les organisations étudiantes, enseignantes, de droit de l'homme et écologistes aurait pu représenter un pas en avant, s’il avait été suivi d’initiatives concrètes. Progressivement, s'est imposée la compréhension qu'obtenir la gratuité de l'éducation signifie s'attaquer frontalement au capitalisme éducatif. D'autre part, les jeunes savent qu'ils font face aux principes fondateurs de la dictature. L'un de leurs slogans est : « Elle va tomber, elle va tomber, l’éducation de Pinochet ». La question désormais est bien celle de la construction d'alternatives radicales et pas de réformer, à la marge, l'héritage autoritaire[25].

Bifurcations intempestives et alternatives en chantiers : vers une assemblée constituante ?


Sous l'impact de cette mobilisation historique, la société chilienne s'est brusquement repolitisée, a réinvesti cette polis désertée, en même temps qu'elle occupait les places publiques, les avenues, les lieux d'éducation. Il s'agit là d'une bifurcation intempestive (une formule de Daniel Bensaïd), qui va marquer les prochaines années, « remettant en question des certitudes, des valeurs, des normes, des institutions et des manières de faire les choses qui paraissaient avoir acquis des caractéristiques "naturelles" pour des millions de citoyens et citoyennes soumis à l’hégémonie idéologique du néolibéralisme »[26]. Désormais, c'est la manière de changer la Constitution, l'impérieux besoin d'une assemblée constituante, l'urgence d'un référendum sur l'éducation ou la renationalisation du cuivre[27] qui émergent dans les discussions en assemblées et dans les défilés. Un besoin d'ouvrir portes et fenêtres pour une démocratisation réelle se fait sentir. L'objectif reste difficile à atteindre, alors qu'il ne faut pas sous-estimer les capacités du gouvernement à garder la main. Le mouvement est au bord de l'essoufflement après sept mois de lutte. La répression est toujours intense. La fin de l'année scolaire se rapproche, ainsi que le début de l'été austral et, au moment où nous écrivons, encore aucune avancée concrète à l'horizon. Certains voix parlent d’un « repli tactique » pour une reprise des mobilisations à la rentrée en février-mars 2012 et avec, durant l’été, des actions pour maintenir la pression.

Les enjeux sont de taille. Comment, face à l'oligarchie au pouvoir, obtenir – dès maintenant – la gratuité de l'éducation ? Comment imposer un processus constituant « par en bas », démocratique, avec participation des mouvements sociaux, tel qu'il a pu se construire récemment en Bolivie (malgré ses limites), pour abattre les institutions du « pinochetisme » et les enclaves autoritaires ? Cela signifie tout d'abord l'élaboration d'un formidable rapport de forces social et politique, pas encore à l'ordre du jour, mais en voie de construction. L'absence – de taille – de luttes massives du salariat et les atermoiements du mouvement syndical (et de leurs directions) pèsent énormément. Car un basculement des relations de classes passera nécessairement par une intervention consciente et décidée du mouvement ouvrier, au sens large du terme. Sans cela, les étudiants restent orphelins d'un moteur essentiel de la transformation sociale. D'autre part, la pression de l'agenda électoral et institutionnel peut s'avérer à double tranchant : élections municipales en 2012 et présidentielles et législatives en 2013, vont pousser les formations politiques parlementaires à « surfer » sur l'onde de propulsion du mouvement étudiant, souvent pour essayer de le canaliser, mais aussi – à droite – pour mobiliser l'électorat conservateur.

Le défi pour la jeunesse mobilisée, dans ce nouveau cycle, est d'arracher à court terme des réformes significatives sur la base de ses propres revendications (telle que la gratuité), tout en préparant les prochaines actions aux côtés d'autres secteurs en lutte en faveur de changements structurels plus larges, telle que la mise en place d’'une assemblée constituante. Les projets de loi cosmétiques sur l’éducation du gouvernement ne répondent en aucun cas aux problématiques sur la qualité, la municipalisation et la marchandisation de l'éducation secondaire et universitaire. Il est important d'éviter une fin de mobilisation démoralisatrice et donc de dresser des perspectives. À moyen terme, la question posée est celle de la construction d'une alternative politique qui n'existe pas encore dans le pays[28]. Si l'horizontalité, les expériences locales et territoriales, la pratique autogestionnaire sont des forces vitales à cultiver, elles ne remplacent pas l'indispensable édification collective d'un instrument politique, totalement indépendant de la Concertation et de ses satellites. Un outil capable de fédérer les résistances éparses et les classes populaires mobilisées, autour d'un projet anticapitaliste, latinoaméricaniste et écosocialiste cohérent. Ou encore comment passer de l'indignation, de la rébellion, des revendications collectives radicales à leur débouché politique et à sa construction collective démocratique[29].

Le chemin parait encore long ? Certes. Mais la dynamique en cours vient de tracer un horizon des possibles, encore insoupçonné il y a sept mois au Chili. Nous sommes là face à une irruption d'une grande potentialité. Dans la vieille Europe, les indigné•es de plusieurs pays inventent et expérimentent eux aussi contre l'austérité, la dette et l'arrogance des puissants. Alors que la marchandisation de l'éducation est en cours depuis plusieurs années dans toute l'Union européenne, l'exemple chilien pourrait donner des arguments à celles et ceux qui s'y opposent et tentent de penser une éducation alternative. Dans le monde arabe, des processus révolutionnaires essayent d'approfondir leurs conquêtes, malgré de nombreux obstacles. La jeunesse révoltée chilienne répond elle aussi, indirectement, à ces échos lointains. Et surtout, le « long mai chilien » rejoint les diverses rebellions populaires qui balaient depuis dix ans toute l'Amérique latine. Des étudiants de tout le continent, et au-delà, prennent désormais pour étendard les mobilisations de Santiago. En Colombie, le gouvernement Santos vient de retirer son projet de réforme éducative, assez proche du modèle chilien sur plusieurs points, sous pression de la rue[30]. Le 24 novembre a d'ailleurs été le jour d'une originale marche latino-américaine pour l'éducation, où se sont mobilisés, en parallèle, des fédérations étudiantes du Chili, Pérou, Équateur, Brésil, Argentine, Venezuela, Costa Rica et Salvador. Et se déroulent à l'heure actuelle d'importants mouvements protestataires à l'université de Sao Paulo (USP), qui se revendiquent ouvertement des indignés chiliens. Le pays de Salvador Allende semble ainsi retrouver – enfin – le pouls de peuples frères, par-delà la cordillère des Andes.
Franck Gaudichaud

Version actualisée pour Contretemps d'un article publié dans la revue Inprecor (octobre-novembre 2011).
Contact : franck.gaudichaud@u-grenoble3.fr.


Franck Gaudichaud est maître de conférences à l’université Grenoble 3 et coprésident de l'association France Amérique Latine.

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[1] Pour poursuivre cette analyse en terme de « révolution » capitaliste et néoconservatrice : Manuel Gárate, La « Révolution économique » au Chili. À la recherche de l'utopie néoconservatrice 1973-2003, thèse de doctorat en histoire et civilisations, EHESS, Paris, 2010 (en ligne sur http://tel.archives-ouvertes.fr).
[2] Palais présidentiel à Santiago.
[3] « El discurso de Piñera en la ONU y el movimiento estudiantil », Elmostrador.cl, 23 septembre 2011.
[4] Pour une analyse multiple du mouvement, nous renvoyons aux articles que nous avons réunis avec Mario Amoros dans le dossier Lecciones de la rebelión estudiantil : http://www.rebelion.org/apartado.php?id=411.
[5] Voir, par exemple, la danse du « Thriller de l'éducation » parodiant un classique de Michael Jackson :
http://www.youtube.com/watch?v=tR12Vi6BvrI&feature=related.
[6] Voir le film-documentaire de Pachi Bustos, Jorge Leiva, Marcela Betancourt et René Varas Actores secundarios, (80 min, 2004).
[7] Voir le film-documentaire de Simón Bergman : La Rebelión de los Pingüinos (23 min, 2007).
[8] Le salaire minimum est d'environ 280 euros par mois au Chili.
[9] A. Maillet, « Les indignés chiliens », Opalc.org, 17 août 2011.
[10] V. De La Fuente, « En finir (vraiment) avec l’ère Pinochet », http://www.monde-diplomatique.fr, 24 août 2011, et C. Vallejo, « Quand le mythe néolibéral vacille », Le Monde diplomatique, 2 novembre 2011, http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-11-02-Chili.
[11] Droite extrême, proche de l'Opus Dei, première force du Parlement et poids lourd du gouvernement.
[12] Voir la réponse de S. Grez dans : « ¿ Inasible malestar ? », The Clinic, n° 413, Santiago, 29 septembre 2011.
[13] Voir : F. Gaudichaud, « Au Chili, les vieilles lunes de la nouvelle droite », Le Monde diplomatique, Paris, mai 2011 et « Chili : Tremblement de terre politique et retour des Chicago boys », Recherches internationales, juillet 2010.
[14] http://alencontre.org/ameriques/amelat/chili/chili-laube-nouvelle-des-mouvements-sociaux-et-la-mobilisation-du-22-septembre.html.
[15] N. Klein, The shock doctrine. The rise of disaster capitalism, Metropolitan Books, New York, 2008.
[16] J.C. Gómez Leyton, "Protesta social y política en una sociedad neoliberal triunfante", Observatorio Social de América Latina, año VII, n° 20, CLACSO, Argentina, 2006.
[17] S. Grez, "Un nuevo amanecer de los movimientos sociales en Chile", The Clinic, n° 409, Santiago, 1erseptembre 2011.
[18] C. Tilly et S. Tarrow, Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution, Presses de Sciences Po, 2008.
[19] Voir l'entretien réalisé le 13 octobre 2011 par Jean Batou et Juan Tortosa avec Sebastián Farfán, l'un des dirigeants de la Confech : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?page=article_impr&id_article=23132.
[20] La proposition faite au gouvernement (mi-novembre) par la Concertation, et semble t-il acceptée par le PC, de sortir du conflit en mettant en place la gratuité pour environ 70 % des étudiants (les plus pauvres) des universités publiques, grâce à des subventions d’État, s'oriente dans ce sens. La municipalisation, la piètre qualité de l'enseignement et le maintien des gigantesques profits du « marché privé de l'éducation » ne seraient alors pas affectés, et surtout, les étudiants mobilisés dépossédés de leur droit à décider de l'issue de leurs luttes.
[21] Les accusations du PC chilien contre les listes concurrentes, accusées de travailler pour le compte du gouvernement et de la droite, n’ont pas vraiment relevé le niveau du débat… Voir :
http://www.rebelion.org/noticia.php?id=140949&titular=una-nueva-fech-completamente-de-izquierda-.
[22] E. Barozet, « De la démobilisation au réinvestissement local. Mouvements sociaux locaux et territoires au Chili », Cahiers des Amériques latines, n° 66, 2011 et C. Pulgar, « La revolución en el Chile del 2011 y el movimiento social por la educación », http://www.lemondediplomatique.cl, septembre 2011.
[23] Le code du travail est issu de la dictature. Seuls 5,9 % des salariés (2009) sont couverts par un contrat collectif, la règle étant le contrat individuel.
[24] Nous renvoyons aux articles que nous avons réunis avec Mario Amoros dans le dossier Pueblo Mapuche : Cinco siglos de resistencia : http://www.rebelion.org/apartado.php?id=152.
[25] R. Agacino, « Anticipando el futuro », Rebelion.org, 1er septembre 2011 et J. Massardo, « La significación histórica del movimiento estudiantil », Rebelion.org, 25 août 2011.
[26] S. Grez, « Un nuevo amanecer de los movimientos sociales en Chile », op. cit. Voir aussi : P. Mouterde, "En plein hiver chilien : les promesses d'un printemps social et politique", Alainet.org, 29 août 2011.
[27] Le Chili possède la première réserve de cuivre au monde, une ressource aujourd'hui majoritairement aux mains de concessions étrangères (http://www.defensadelcobre.cl).
[28] « La alternativa ausente », éditorial de la revue Punto Final, n° 743, 30 septembre 2011 et M. Acuña, « El futuro del movimiento estudiantil », Rebelion.org, 22 novembre 2011.
[29] Voir Jean Batou et Juan Tortosa, art. cit.
[30] Rosmerlin Estupiñan Silva, « Réforme à la chilienne dans les universités colombiennes », Mémoires des luttes, 7 décembre 2011 : http://www.medelu.org/Reforme-a-la-chilienne-dans-les.

mercredi 14 décembre 2011

LA BOLIVIE VEUT ACCÉDER À LA MER

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Les conquêtes chiliennes
"Nous avons établi que (2012) va être l'année de dépôt de notre requête", a déclaré Juan Lachipa, responsable de la Direction stratégique de revendication maritime (Diremar). La présentation, les arguments historiques, politiques, économiques "seront prêts en 2012", a-t-il précisé. Selon le haut fonctionnaire, la Bolivie peut saisir deux instances, la Cour permanente d'arbitrage (CPA) ou la Cour internationale de justice (CIJ), sises à La Haye. Le choix sera communiqué en temps voulu "pour raisons de stratégie".

Le "retour à la mer" est une revendication historique de la Bolivie, inscrite d'ailleurs dans sa Constitution. Le pays andin est enclavé depuis la Guerre du Pacifique (1879-83) perdue, avec le Pérou, contre le Chili. Après la défaite, la Bolivie céda une frange littorale de 400 km, au nord actuel du Chili.

La Bolivie, un des pays sud-américains les plus pauvres, ne s'est jamais remise économiquement de cette perte, entre richesses de la pêche et débouché maritime.
Le "retour à la mer" a été un thème nationaliste privilégié de générations de politiciens, dont l'actuel président socialiste Evo Morales, qui début 2011 a annoncé que La Paz préparait une action devant la justice internationale.

Le Chili a estimé que ces intentions constituaient un "sérieux osbtacle" aux relations bilatérales. Le ministre chilien de la Défense Andres Allamand a encore prédit ce week-end une année 2012 "compliquée dans la relation avec les voisins": la Bolivie si elle concrétise son action en justice, et le Pérou, en raison d'un litige sur la frontière maritime, actuellement examiné par la CIJ de la Haye.

mardi 13 décembre 2011

DICTATURE: LE BRÉSIL A FINANCÉ PINOCHET

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LES GÉNÉRAUX AUGUSTO PINOCHET ET JOAO FIGUEIREDO AU CHILI 1980 PHOTO MAÚ VERSIANI
Le régime militaire brésilien de l'époque a octroyé des crédits au gouvernement de Pinochet et a augmenté ses achats de cuivre au Chili jusqu'à devenir en 1976 son principal acheteur, devant l'Allemagne, selon les télégrammes diplomatiques alors confidentiels.

"C'est le moment de concentrer ici nos achats de cuivre. Cela nous donnera une influence et une voix indépendamment de qui gouverne le pays", souligne l'un des 266 télégrammes publiés par 'Folha Transparencia', une initiative lancée en juillet dans le but de révéler les secrets de la diplomatie brésilienne.

D'après ces messages, le gouvernement du général Pinochet (décédé en 2006) se trouvait dans une "situation économique difficile" et a demandé l'aide du géant sud-américain. La dictature brésilienne (1964-85) a obtenu en contrepartie le soutien de Santiago pour ses candidats à des postes internationaux et a exercé une pression pour éviter que le régime de Pinochet ne soit condamné dans des tribunaux latino-américains. "Le projet initial assez sévère de motion de condamnation du gouvernement chilien a été atténué à l'initatitive des délégations brésilienne et argentine", souligne un télégramme de 1975.

Dans un autre des messages, on rend compte de "l'appui enthousiaste" du Chili au souhait d'un diplomate brésilien d'occuper un poste dans un organisme juridique de l'Organisation des Etats américains (OEA).

lundi 12 décembre 2011

AU CHILI, LES MANIFESTATIONS ESTUDIANTINES S’ÉTIOLENT APRÈS AVOIR OBTENU DES CONCESSIONS MINEURES

Réforme de l’Université chilienne, épisode III

Le mois de novembre a marqué l’apogée de ce large mouvement de grève lancé dès avril dernier, au moment où le gouvernement cherchait à faire voter le budget de l’éducation pour l’année 2012. Plus de 250 000 étudiants chiliens étaient alors mobilisés et en grève pour obtenir la satisfaction de revendications affichées depuis longtemps, que soit mis fin à la recherche de profit par les universités privées, l’accès gratuit à l’université, et l’augmentation de la part dévolue à l’État dans le financement de l’enseignement supérieur. En juin, plusieurs milliers de travailleurs avaient rejoint les étudiants pour soutenir leurs revendications. En août, une grève générale de deux jours avait démontré l’écho qu’elles rencontrent au sein de la population. Il avait pourtant fallu attendre la mi-septembre pour que le gouvernement entame le dialogue, et début novembre pour que les représentants des étudiants soient reçus au Sénat.

Ce mouvement est le troisième épisode d’un cycle de manifestations estudiantines commencé en 2006. Entre avril et juin, les plus grandes manifestations de l’histoire du pays avaient alors réuni plus de 600 000 personnes autour du thème de la réforme de l’enseignement supérieur. Les manifestants revendiquaient une refonte complète de la Loi sur l’Enseignement de 1990 et la gratuité des concours d’entrée à l’université. Il s’agissait de la première grande remise en cause de l’organisation de l’enseignement supérieur telle qu’elle avait été mise en place sous Pinochet. Le gouvernement de gauche avait alors pris quelques mesures symboliques, comme l’ouverture de cantines scolaires et la création d’un système de bus scolaires gratuits pour le collège et le lycée à destination des plus nécessiteux, et promis qu’une nouvelle Loi Générale sur l’enseignement viendrait remplacer la Loi de 1990. Le vote de cette nouvelle loi en 2008 allait décevoir grandement les attentes de la population, et provoquer pendant plusieurs semaines un nouveau cycle de manifestations, car nombre d’étudiants jugeaient que si la nouvelle loi apportait des améliorations pour les plus pauvres, elle ne remettait pas en cause la base même du système.

L’éducation selon Pinochet : un monde privatisé

Quelques années après qu’il eut pris le pouvoir, Augusto Pinochet mit fin à la gratuité de l’université en 1981. De plus, il a également décidé de procéder à la municipalisation des écoles primaires, chaque commune devant dès lors assurer le coût financier des écoles qu’elles accueillent, ce qui a eu pour conséquence de cesser d’orienter des fonds destinés à l’éducation vers les plus défavorisés. Depuis lors, environ 60% des élèves du primaire et du secondaire sont accueillis dans des établissements privés ou semi-privés. Au niveau universitaire, sont apparus une trentaine d’universités privées qui aujourd’hui reçoivent les deux tiers des étudiants. L’ironie du sort veut que ce soient les étudiants les plus pauvres, ceux provenant du système éducatif municipal et qui ont obtenu les notes les plus basses au test d’entrée à l’université, qui doivent se diriger vers ces universités privées. Aujourd’hui, 70% des universitaires chiliens doivent s’endetter pour étudier, et ils participent à 75% du financement de l’université tandis que la part de l’État ne s’élève qu’à 25%.

Cette année, suite au vaste mouvement de manifestation, le gouvernement chilien a donc décidé d’effectuer un effort supplémentaire pour le budget de l’éducation en l’augmentant de 10%, soit deux fois plus que la croissance du PNB de 2011. Un tel effort n’est pourtant pas nouveau, puisque le budget de l’éducation nationale a été multiplié par deux entre 2006 et 2011. Malgré tout la part du PNB consacrée à l’éducation n’est toujours que de 4,5%, loin des 7% recommandés par l’UNESCO. Le gouvernement a également décidé de doubler le nombre de bourses attribuées aux étudiants de première année, en les faisant passer à 128 000. Au total, 280 000 étudiants devraient recevoir une bourse en 2012. Le gouvernement a également annoncé la création d’un Conseil Supérieur de l’Education, aux objectifs et aux moyens encore flous. Enfin, il a été décidé de baisser les exigences de l’examen d’entrée à l’université, ce qui aura sans doute pour effet de permettre à plus d’étudiants des classes moyennes et populaires d’entrer dans un système qui accueille déjà plus d’étudiants que ne peut en accueillir le marché du travail.

On le voit, revenir d’un système très privatisé n’est pas chose aisée, et après cinq ans de manifestations, de grève, et de négociation avec le gouvernement, les étudiants sont encore loin d’avoir obtenu une réforme remettant en cause les présupposés mêmes du système, la « responsabilité » individuelle à travers la municipalisation de l’éducation primaire et la prépondérance d’un système privée cherchant à dégager des profits, dans un secteur qui aurait pu être une des voies de la réduction des inégalités dans le continent le plus inégalitaire du monde.