vendredi 31 août 2018

MICHELLE BACHELET, HAUT-COMMISSAIRE D’UN CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME CHAHUTÉ

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LA PRÉSIDENTE CHILIENNE MICHELLE BACHELET PRONONCE
UN DISCOURS POUR LES DROITS DE L'HOMME ET LA PAIX À
L'UNIVERSITÉ NATIONALE AUTONOME DU MEXIQUE,
LE MARDI 7 AOÛT 2018.
PHOTO JOSÉ MÉNDEZ
L’ancienne présidente du Chili succède au Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein, alors que le Conseil des droits de l’homme observe une montée des populismes dans de nombreux pays et que son rôle et son fonctionnement sont remis en cause, notamment par les États-Unis qui ont préféré s’en retirer.
Ce vendredi 31 août, le Conseil des droits de l’homme change de haut-commissaire. Le Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein est remplacé par Michelle Bachelet. Les 193 États membres de l’ONU ont entériné le vendredi 10 août en assemblée générale la nomination de l’ancienne présidente du Chili de 2006 à 2010, puis de 2014 à 2018, à la direction du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

Sa candidature a été proposée par le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres. Entre ses deux mandats de présidence au Chili, Michelle Bachelet avait été chargée de gérer à sa création, ONU Femmes, l’agence des Nations unies promouvant l’égalité entre les sexes.

Michelle Bachelet est la fille d’un général opposé au coup d’État d’Augusto Pinochet, décédé en 1974 après des mois de cellule et de torture. En 1975, alors étudiante en médecine, elle avait eu affaire à la police politique.

Le Conseil accueille des pays peu soucieux des droits de l’homme

Le Conseil des droits de l’homme, basé à Genève, a pour vocation de passer en revue le sort réservé aux droits de l’homme par l’ensemble des pays de la planète. Chaque année, 42 pays tirés au sort font l’objet d’un examen complet.

Le Conseil des droits de l’homme a été créé en 2006 pour remplacer la commission des droits de l’homme, et compte 47 États membres. Ceux-ci sont élus par l’Assemblée générale de l’ONU pour un mandat de trois ans renouvelable une fois. Un quota de sièges est attribué à chaque continent : treize pour l’Afrique, treize pour l’Asie, huit pour l’Amérique latine et les Caraïbes, six pour l’Europe orientale et sept pour l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.


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Le Conseil a été critiqué pour la place qu’il a donnée à des pays peu respectueux des droits de l’homme comme la Libye, Cuba, l’Iran ou l’Arabie saoudite. En théorie, l’appartenance au Conseil implique pour un pays d’avoir des standards élevés en matière de droits de l’homme.

En 2011, la Libye avait été suspendue du Conseil après la répression des manifestants du printemps arabe par Mouammar Kadhafi. Une telle décision requiert une approbation des deux tiers de l’Assemblée générale de l’ONU.

« Nous ne sommes pas ici pour nous taire »

« Cette institution est révélatrice du nouveau poids des pays du Sud. Mais, ces derniers n’ont pas et ne veulent pas avoir de discours cohérent sur les droits de l’homme, explique Philippe Moreau Defarges, à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Les pays occidentaux, en matière de droits de l’homme, sont perçus comme très hypocrites, au vu des détentions arbitraires à Guantanamo ou de la condition des Palestiniens, par exemple. »

En juin dernier, les États-Unis ont signifié leur désaccord avec le Conseil en s’en retirant. Pourtant, le Conseil n’est pas dépourvu d’utilité aux yeux des ONG. Dès 2011, il a mis en place une commission d’enquête sur la Syrie dont les nombreux rapports se sont exclusivement fondés sur des sources de première main.

Michelle Bachelet hérite d’un poste sensible à l’heure de la montée des populismes. « Nous ne sommes pas ici pour nous taire », a déclaré Zeid Ra’ad Al Hussein le 27 août. Il a encouragé son successeur à ne pas hésiter à condamner publiquement les abus.

Pendant son mandat, le diplomate jordanien dit avoir compris que « tous les États étaient en construction et qu’une ou deux générations de politiciens irresponsables pouvaient détruire n’importe quel État», citant les États-Unis, la Hongrie, mais aussi le gouvernement de droite polonais.

mercredi 29 août 2018

CHILI: FACE À L'EXPLOITATION MINIÈRE, L'URGENCE DE PROTÉGER LES GLACIERS

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DES SCIENTIFIQUES OBSERVENT LE GLACIER CERRO BOLOGNA
DANS LA RÉGION DE SANTIAGO DU CHILI, LE 17 JANVIER 2018
PHOTO FABRICE LAMBERT

Le Chili compte 82% des glaciers d'Amérique du Sud et ils sont en danger, alertent les scientifiques: outre le changement climatique, les poussières issues de l'activité minière, secteur stratégique, accélèrent leur fonte, menaçant l'une des plus grandes réserve d'eau potable au monde.

Si le rapport de cause à effet reste encore difficile à établir, selon Fabrice Lambert, professeur de climatologie à l’université catholique de Santiago, l’activité minière pourrait représenter une menace pour les 24.114 glaciers que compte le Chili.

"La poussière que les mines génèrent va se déposer sur le glacier. La surface devient alors moins blanche, les particules absorbent l'énergie solaire et entraînent la fonte rapide des glaciers", explique-t-il à l’AFP. Il précise que: "la plupart des glaciers au Chili se situent aux alentours d’une mine".

Un argument nuancé par Joaquin Villarino, président du conseil minier chilien: "Plus de 70% de l’activité minière se développe dans des zones où il n’y a pas de glaciers”, assure-t-il à l'AFP. Selon lui, il existe dans la législation actuelle une "certaine protection qui empêche les compagnies minières de nuire aux glaciers".

"Il faut être réaliste, on ne va pas fermer les mines d’ici cinq ans. Il faut trouver un moyen de protéger les glaciers sans détruire l'industrie minière, qui est primordiale pour l’économie du pays", concède le scientifique.

Grâce au secteur minier, le Chili est le plus grand producteur mondial de cuivre, avec 5,6 millions de tonnes par an.

Au vu de l’urgence de la situation, Pilar Moraga, avocate et spécialiste en droit environnemental, pointe du doigt l’absence de cadre juridique qui puisse protéger tous les glaciers du pays.

En 2014, un projet de loi interdisant certaines activités industrielles dangereuses à proximité des glaciers avait été initié. Après diverses modifications, le projet a perdu son objectif initial. Jusqu'à ce que le gouvernement du président de droite Sebastian Piñera décide de l’enterrer définitivement, en juin dernier.

- Absence de cadre juridique -

Selon le gouvernement, l'action du Service de la Biodiversité et des Aires Sauvages Protégées (SBAP), qui protège notamment les parcs nationaux ou les réserves nationales, est suffisante.

Une solution qui n'est pas satisfaisante pour les spécialistes car, dans ce pays, les glaciers les plus menacés ne se situent pas dans ces zones surveillées par le SBAP.

"Au Chili, 86,4% des glaciers se trouvent dans des aires protégées. Mais là où les carences d’eau s’intensifient (centre et nord), les glaciers ne sont pas protégés", explique Fabrice Lambert. Le scientifique précise que dans ces régions "les projections climatiques annoncent une baisse additionnelle des précipitations de 30% d'ici à 50 ans".

"Depuis 2005, six ou sept projets de loi visant à protéger spécifiquement les glaciers ont été proposés. Mais à cause du blocage de la part du secteur minier, ils n´ont jamais vu le jour", s'indigne Sara Larrain, directrice de l’ONG Chile sustentable.

Pour leur part, les représentants des mines nient toute pression et se félicitent du récent retrait du projet de loi. "Le gouvernement a pris une décision responsable qui avait un coût politique (…) Un choix bien analysé", explique le président du conseil minier chilien.
DES SCIENTIFIQUES OBSERVENT LE GLACIER CERRO BOLOGNA 
DANS LA RÉGION DE SANTIAGO AU CHILI, LE 17 JANVIER 2018 
PHOTO FABRICE LAMBERT 
Tout en enterrant, pour l´heure, l’espoir d’une loi spécifique pour la préservation des blocs de glace, Marcela Cubillos, ministre de l'Environnement jusqu’au récent remaniement ministériel d'août, a annoncé la création de commissions régionales composées d’experts afin de trouver "une solution efficace pour protéger les glaciers".

En parallèle, deux projets restent en suspens. D'un côté, la réforme du code des eaux, afin d’interdire "les droits d’approvisionnement en eau des glaciers", dans un pays où les sources hydriques sont privatisées.

Et de l'autre, le projet de loi présenté par le député d’opposition Guido Girardi (PPD), qui veut accorder aux glaciers le statut de "biens nationaux d’usage public" protégés par le droit, afin de n’y autoriser que des activités touristiques ou scientifiques.

La diminution de la surface glaciaire du Chili correspond à la tendance mondiale, selon le service mondial de surveillance des glaciers. Pour l’heure, l’Argentine est le seul pays d’Amérique du Sud et l’un des seuls dans le monde à disposer d’une législation spécifique pour la protection des glaciers.
afp



samedi 25 août 2018

CHILI : 1,6 MILLION DE DOLLARS DE BIENS DE L’EX-DICTATEUR PINOCHET SAISIS


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ENTREÉ DU MUSÉE DE LA MÉMOIRE ET DES DROITS
DE L’HOMME CHILIEN, EN OCTOBRE 2017.
PHOTO CARLOS VERA / REUTERS
Cette décision de la Cour suprême, prise dans le cadre de l’« affaire Riggs », donne partiellement raison à la famille du despote décédé en 2006. La Cour suprême du Chili a ordonné vendredi 24 août la saisie de biens ayant appartenus à l’ex-dictateur Augusto Pinochet (1973-1990), « pour un montant équivalent à 1 621 554 dollars ».
FAC-SIMILÉ DES PASSEPORTS UTILISÉS 
PAR AUGUSTO PINOCHET POUR OUVRIR 
DES COMPTES DANS DIVERS BANQUES
Cette décision définitive intervient dans le cadre de l’« affaire Riggs » : enquête sur la manière dont des responsables chiliens avaient aidé Augusto Pinochet à cacher une partie de sa fortune dans la banque Riggs aux États-Unis. Elle revient en partie sur la restitution à la famille de Pinochet en 2017 d’avoirs d’une valeur de près de 5 millions de dollars qui avaient été saisis en 2004 dans ce même dossier.

L’État avait alors fait appel en demandant l’annulation de ce jugement. Ce vendredi, la Cour suprême donne donc partiellement raison à la famille de l’ex-dictateur qui peut conserver la majorité de ces biens.

Une centaine de comptes secrets

L’enquête de la justice chilienne sur les éventuelles malversations a commencé après la découverte à la banque Riggs de Washington et dans d’autres établissements bancaires d’une centaine de comptes secrets sur lesquels le général Pinochet avait caché à partir de 1981 près de 20 millions de dollars, grâce à des manœuvres financières complexes.

Le dictateur utilisait pour ces opérations une série d’identités alternatives, des variantes de son nom comme Augusto P. Ugarte, A. Ugarte, José Ramon Ugarte et J.P. Ugarte, ainsi que des pseudonymes comme Daniel Lopez ou John Long. En 2005, la banque Riggs a reconnu avoir caché ses comptes et a accepté de payer une amende de 16 millions de dollars.

Augusto Pinochet est mot d’un infarctus en 2006 à l’âge de 91 ans. Ses héritiers sont son épouse Lucia Hiriart, âgée de 95 ans, et leurs cinq enfants. Le général a dirigé de 1973 à 1990 une dictature au cours de laquelle 3 200 personnes ont été tuées ou ont disparu et 38 000 ont été torturées, selon des organisations de défense des droits de l’homme.


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vendredi 24 août 2018

CYBERATTAQUE CONTRE CUBAINFORMACION.TV!



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CYBERATTAQUE CONTRE LA PUBLICATION
CUBAINFORMACION.TV !
23 août 2018 (Prensa Latina) La publication digitale espagnole Cubainformación s'est plainte d'une attaque cybernétique contre sa page Internet qui a détruit une partie de ses données sur le web. Dans un communiqué diffusé ce mardi, ce journal digital, apparu en 2007 dans la communauté autonome du Pays Basque, a rappelé qu'il avait déjà été visé par des dizaines d'attaques informatiques depuis 11 ans.
MARTIRENA
Prensa Latina

"Mais aucune de l'importance de celle de vendredi dernier, 17 août 2018, qui est parvenue à détruire en partie notre site", souligne Cubainformación dont le but est de fournir une information alternative sur Cuba au service du mouvement de solidarité avec notre île.

Dans ses déclarations à Prensa Latina, José Manzaneda, le coordinateur de Cubainformación a confirmé que l'incursion avait réussi à détruire complètement tous les contenus publiés sur le web depuis le mois de février de cette année.

Nous avons tout de suit commencé à reconstruire certains d'entre eux, ce qui demandera du temps et des efforts, a précisé le journaliste dont la publication se fonde sur quatre supports: une chaîne de télévision dont les programmes sont diffusés sur internet, un programme de radio hebdomadaire,  un site web réservé à l'information et une publication trimestrielle sur papier.

CYBERATTAQUE CONTRE CUBAINFORMACION.TV!
"Depuis 2007, Cubainformación TV s'efforce d'être, comme l'indique sa devise, une brèche dans le blocus médiatique contre Cuba", précise le communiqué.

"Ses contenus", explique-t-il,  "brisent les moules et les clichés informatifs, tentent de coller au plus près aux réalités cubaines que les grands médias internationaux veulent étouffer, et met à bas les tergiversations, les décontextualisations et les mensonges médiatiques qui circulent sur Cuba".

Le journal ne traite pas uniquement de Cuba; il dévoile aussi les matrices médiatiques de guerre utilisées contre d'autres processus dont le but est d'affirmer la  souveraineté nationale de leur pays, comme c'est le cas, par exemple, pour le Venezuela, ajoute le communiqué.

Il rappelle que le 9 août dernier, une vidéo produite par "notre chaîne a été employée par le vice-président vénézuélien de la Communication et de la Culture, Jorge Rodriguez, pour expliquer "l'apologie du terrorisme à la carte" que les médias internationaux essaient de justifier quand il s'agit de mener des actions contre le Venezuela".

Cubainformación se demande si la diffusion de cette vidéo n'est pas à l'origine de la "brutale agression contre notre portail informatique".

La plateforme informatique est reconnaissante pour tous les messages de solidarité qu'elle a reçus, ainsi que pour tous les dons qui lui parviennent  du monde entier et qui rendent possible son  travail d'information sur le web. Sans oublier le "Mouvement de Solidarité avec Cuba et de l'Emigration Patriotique cubaine dont les dizaines d'organisations  et les sympathisants bénévoles fournissent à Cubainformación TV de nombreux reportages".

peo/rgh/edu

jeudi 23 août 2018

CHILI, LES ÉTUDIANTS MANIFESTENT CONTRE LE PROGRAMME ÉDUCATIF DU GOUVERNEMENT

Des étudiants chiliens vont manifester, jeudi 23 août, pour dénoncer le programme éducatif du gouvernement, qu’ils estiment insuffisant et qui revient progressivement sur la gratuité de l’enseignement supérieur.
C’est un refrain que les étudiants chiliens connaissent par cœur, car leurs revendications ne changent pas. Ils vont de nouveau descendre dans la rue, jeudi 23 août, pour critiquer le programme éducatif du gouvernement.

Pour les manifestants, les tentatives du gouvernement de Sebastián Piñera, au pouvoir depuis mars, pour améliorer la qualité et l’accès à l’enseignement supérieur sont insuffisantes. En avril dernier, une grande manifestation avait aussi dénoncé la décision de la cour constitutionnelle chilienne. Celle-ci invalidait une loi interdisant les entreprises à but lucratif de contrôler les universités. Cette loi tentait pourtant d’instaurer des limites, dans un pays où l’éducation supérieure est encore considérée comme un « business ».

L’enseignement supérieur, une histoire compliquée
En 1981, sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), le système éducatif avait en effet été complètement dérégulé et l’éducation supérieure s’était transformée en marchandise. En réaction à cela, de violentes manifestations étudiantes avaient éclaté en 2011. Les participants réclamaient alors une éducation publique, gratuite et de qualité.

Arrivée au pouvoir en 2014, la présidente de centre gauche Michèle Bachelet avait tenté de répondre à ces revendications et elle avait lancé une réforme pour la gratuité des droits de scolarité. Après le vote du budget de l’État de l’année 2016, le gouvernement avait pu financer l’université aux étudiants les plus pauvres du pays.

Un nouveau président sous surveillance

Dans ce pays d’Amérique du Sud, le sujet de la gratuité de l’enseignement supérieur est crucial pour les 17,5 millions de Chiliens. Selon l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE), le Chili est en effet l’un des pays au monde où les études supérieures coûtent le plus cher par rapport au niveau de vie, une grande majorité des Chiliens gagnant moins de 500 € par mois.

La campagne présidentielle de 2017 a ravivé l’inquiétude chez les étudiants chiliens. Sebastián Piñera affichait clairement une volonté de changer les règles. Ce qui est possible, car la gratuité de l’université instaurée par l’ancienne présidente n’est pas inscrite dans la loi. Elle est prise en compte chaque année dans le vote du budget de l’État et elle peut facilement être remise en cause.

À son arrivée au pouvoir, le nouveau président chilien avait tenté de rassurer la population, en annonçant que « la gratuité de l’éducation supérieure a vocation à rester en place et aucun profit ne sera fait sur le dos des universités ». Sans succès et pour cause. En 2011, lors des grandes manifestations étudiantes, le président chilien n’était autre que Sebastián Piñera, pour son premier mandat de 2010 à 2014, et il n’avait pris aucune mesure allant dans le sens des revendications étudiantes.

mercredi 22 août 2018

L’ÉGLISE CHILIENNE ET LA LOI DU SILENCE


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 ILLUSTRATION  SYLVIE SERPRIX 

Les abus sexuels dans l’Église chilienne (2/2). Dans ce second volet de son enquête, « Le Monde » revient notamment sur la manière dont les abus sexuels ont été couverts pendant des années.
En ce vendredi 27 avril 2018, trois Chiliens en colère séjournent au Vatican. Invités par le pape François, James Hamilton, Juan Carlos Cruz et José Andrés Murillo s’installent jusqu’au dimanche suivant à la résidence Sainte-Marthe, où loge le souverain pontife, à deux pas de la basilique Saint-Pierre.
JAMES HAMILTON, JUAN CARLOS CRUZ ET JOSÉ ANDRÉS MURILLO
PHOTO DOMENICO STINELLIS
Par Cécile Chambraud
Ces trois visiteurs, âgés de 43 à 55 ans, ont des profils particuliers : dans les années 1980 et 1990, ils ont été victimes d’abus de conscience et d’abus sexuels commis par un compatriote, le prêtre Fernando Karadima, aujourd’hui octogénaire. Dans sa paroisse d’El Bosque, un quartier bourgeois de Santiago, pendant des décennies, celui-ci avait instauré un système d’emprise mentale sur des jeunes hommes qui voyaient en lui un « saint ».

Lire le premier volet de l’enquête :   Fernando Karadima, le « saint » prédateur de l’Église du Chili

La colère des visiteurs s’explique en partie par l’attitude du pape lors de son voyage au Chili, en janvier. Pourquoi les avoir accusés, à cette occasion, de répandre des « calomnies » au sujet de Juan Barros, un évêque coupable, à leurs yeux, d’avoir tout fait pour protéger le prêtre fautif ? François n’aurait-il pas pris la mesure de cette affaire, qui valut au père Karadima d’être condamné en 2011 par la justice vaticane pour « abus de mineurs », « délit contre le sixième commandement [« tu ne commettras pas l’adultère »] commis avec violence » et « abus dans l’exercice du ministère » sacerdotal ?

Pour la première fois, un voyage papal a tourné au désastre : l’assistance aux messes était maigre, les journalistes concentrés sur le sort de Mgr Barros.

« Un tsunami de victimes »

Dès son retour à Rome, le pape François a donc cherché à comprendre ce qui lui avait échappé dans la situation chilienne. Le cardinal Francisco Javier Errazuriz, ancien archevêque de Santiago, vrai «patron » de ce clergé, qu’il connaît de longue date et qu’il a nommé dans son conseil rapproché de neuf cardinaux, le C9, ne lui aurait-il pas tout dit ?

Pour le savoir, le chef de l’Église catholique a dépêché sur place un spécialiste des affaires de pédophilie, l’archevêque de Malte, Charles Scicluna, secondé par un prêtre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Jordi Bertomeu. Leur mission : écouter toutes les victimes et lui faire un bilan de la situation.

Quelques jours plus tard, le rapport Scicluna était sur sa table. Un pavé de 2 300 pages. Son contenu n’a pas été divulgué, mais les décisions prises depuis par François laissent deviner à quel point il doit être chargé.

Au vu du nombre de témoignages récoltés, il fait probablement apparaître qu’au Chili les abus du curé d’El Bosque sont loin de constituer un cas isolé. « Le Chili est plein de Karadima. Il y a un tsunami de victimes », assure au Monde le père Eugenio de la Fuente, lui-même formé par celui que ses paroissiens surnommaient « El Santo » (le Saint).

À Rome, François prend plusieurs heures pour écouter chacun des trois Chiliens. Il veut leur demander pardon pour n’avoir pas su les entendre lors du fameux voyage, et entendre leur histoire de leur bouche. Il constate alors qu’au-delà des abus en eux-mêmes tous insistent sur un aspect déroutant de l’affaire : comment le père Karadima a-t-il pu agir en toute impunité pendant des décennies, au cœur de l’institution ecclésiale, même après les premières dénonciations ? Par qui, et comment, a-t-il été protégé ?

En espagnol, on parle d’encubrimiento, en anglais de cover up, mais le français ne s’est pas doté d’un substantif pour désigner l’action de camoufler ainsi la réalité des abus sous prétexte de préserver l’institution.

« Une chute de l’institution »

Le message du trio semble être si bien passé auprès du pontife que, le 15 mai, celui-ci convoque à Rome tous les évêques chiliens et obtient leur démission.

Quinze jours plus tard, dans une lettre aux catholiques de ce pays, il dénonce « la culture de l’abus » et « le système de camouflage qui a permis à cette dernière de se perpétuer ». Jamais un pape n’avait décrit aussi crûment la protection des abuseurs par leur hiérarchie. Devant ce qu’il appelle « l’ampleur des événements », c’est en fait toute l’Église chilienne qui chancelle. Il reste à savoir comment elle en est arrivée là…
LONGTEMPS, L’ÉGLISE A ÉTÉ TRÈS RESPECTÉE DANS LE PAYS. CETTE AURA DEVAIT BEAUCOUP À SON COMPORTEMENT DE RÉSISTANCE PENDANT LA DICTATURE DE PINOCHET
Dans les bureaux de l’institut de sondage qu’elle dirige à Santiago, Marta Lagos a été aux avant-postes pour mesurer la cassure qu’a représenté, en 2010, la mise en accusation publique de Fernando Karadima. La confiance des Chiliens dans l’Église catholique est passée de 61 % cette année-là à 36 % en 2017. « Il ne s’agit pas d’une chute de la foi, qui se maintient, précise-t-elle, mais bien d’une chute de l’institution. »

Ce plongeon est d’autant plus spectaculaire que, pendant longtemps, l’Église a été très respectée dans le pays. Cette aura devait beaucoup à son comportement pendant la dictature d’Augusto Pinochet, une posture de résistance tout à fait à part dans l’Amérique latine des années 1970.

Après le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 contre le gouvernement de Salvador Allende, alors que commencent les disparitions d’opposants et les cas de torture, l’archevêque de Santiago, le cardinal Raul Silva Henriquez, crée le Comité Pro Paz – auquel succédera en 1976 le Vicariat de la solidarité. Pendant des années, le groupe assiste les victimes du régime, rassemble des témoignages, interroge l’administration. Dans le texte remis aux évêques chiliens convoqués à Rome, le 15 mai, le pape François s’y réfère comme à une « Église prophétique».

Des militants communistes priant à genoux

Cet activisme du cardinal Raul Silva Henriquez fait de lui le seul contre-pouvoir à la junte militaire. Nombreux sont ceux qui, à l’époque, sans être nécessairement catholiques, collaborent avec le Comité Pro Paz puis avec le Vicariat. Un souvenir de la sondeuse Marta Lagos illustre cette proximité : un jour de 1983, elle assiste à une cérémonie dans la cathédrale de Santiago ; elle y voit des militants communistes qui avaient soutenu Allende prier à genoux, chanter l’Ave Maria et se signer.

Le diocèse aide aussi les enseignants de gauche chassés de l’université à monter, une fois rentrés au pays, des centres de réflexion pour pouvoir vivre et travailler. « L’archevêque signait les chèques de notre salaire », se souvient-elle.

Silva Henriquez est par ailleurs l’incarnation d’un fort engagement social. Il a restructuré le diocèse « pour favoriser une Église plus horizontale », d’après l’historien Marcial Sanchez, maître d’œuvre d’une récente histoire de l’Église chilienne en cinq volumes (Historia de la Iglesia en Chile, éd. Universitaria, 2009-2017). Sous son influence, celle-ci a été la première à donner des terres pour permettre la réforme agraire des années 1960.

Mais le cardinal Silva Henriquez est atteint par la limite d’âge en 1983 et le catholicisme chilien commence sa mue, parallèlement au lent retour à la démocratie. Depuis quelques années, un acteur travaille dans la discrétion à ce changement. Il s’agit du nonce apostolique, autrement dit l’ambassadeur du Saint-Siège au Chili, Angelo Sodano. Nommé en 1977 par Paul VI, cet Italien deviendra en 1991, après son retour à Rome, le secrétaire d’État de Jean Paul II, un très puissant numéro deux du Vatican.

Un nonce apostolique au mieux avec le régime Pinochet

Par son rôle crucial dans le choix des évêques (il est chargé de proposer au pape trois noms par poste vacant), Angelo Sodano contribue à faire de l’institution une communauté plus verticale, plus hiérarchique, plus élitiste et plus conservatrice.

« Durant les années 1980, cette Église socialement engagée qui avait favorisé l’implication des laïques, avec une base très large dans les paroisses, commence à se défaire », témoigne Benito Baranda, président exécutif de la fondation humanitaire América Solidaria et représentant de la présidente sortante (socialiste) Michelle Bachelet pour la visite de François, en janvier.

Le père Felipe Barriga, alors vicaire de la zone sud, pauvre, de Santiago, voit les évêques de l’ancienne école éloignés vers des diocèses périphériques et Angelo Sodano imposer sa marque dans le choix de leurs successeurs. Ceux-ci ont un profil différent « dans leur posture, dans leurs relations avec les paroissiens, dans leur recherche de la verticalité », confirme l’historien Marcial Sanchez.
«AUTOUR DE KARADIMA, LES GRANDES FAMILLES, L’ÉLITE, LE MONDE CONSERVATEUR, FAVORABLE À PINOCHET, SE RETROUVENT. SA PAROISSE ATTIRE »
Dès son arrivée, Sodano est au mieux avec le régime Pinochet. « Il avait établi des liens avec la classe supérieure, pas avec les classes populaires et très peu avec les évêques proches du peuple », résume Benito Baranda (América Solidaria).

Au sein de l’institution, globalement hostile à la dictature, le diplomate du Saint-Siège recherche le contact avec des prêtres moins contestataires, plus accommodants avec le pouvoir. C’est justement à cette époque que s’étoffe la Pia Union, une association sacerdotale contrôlée par Fernando Karadima et composée des prêtres qu’il a formés. « Autour de lui, les grandes familles, l’élite, le monde conservateur, favorable à Pinochet, se retrouvent. Sa paroisse attire », poursuit Marcial Sanchez. Même des collaborateurs du dictateur fréquentent ses messes.

James Hamilton, l’une des victimes d’abus sexuels, se souvient que Karadima tirait gloriole d’un épisode qu’il racontait fréquemment. En octobre 1970, après l’élection présidentielle mais avant l’investiture par le Parlement du socialiste Salvador Allende, un groupe d’extrême droite planifie l’enlèvement du général René Schneider, le commandant en chef des armées, réputé fidèle au pouvoir civil. Cet embryon de putsch se termine par la mort du militaire. Karadima se vantait d’avoir caché pendant plusieurs jours des membres du commando dans le campanile d’El Bosque, avant de les aider à fuir au Paraguay. Le frère d’un des membres du groupe d’extrême droite sera, pendant des décennies, son dévoué avocat…

Angelo Sodano, alors dans la cinquantaine, est bientôt chez lui à El Bosque. Dans l’une des nombreuses dépendances de l’église, une pièce est même connue comme « la sala del nuncio », autrement dit « sa » pièce. Le représentant du Saint-Siège y vient souvent s’entretenir avec le père Karadima, ce prêtre si bien informé sur la vie intime de certaines familles de notables.

Pour lui, cet appui du nonce est une aubaine. Les prêtres qu’il a formés et maintient sous son contrôle vont pouvoir devenir ses agents d’influence et un rempart contre d’éventuels ennuis. Son entregent se mesure à l’aune des positions stratégiques qu’il obtient pour eux dans l’archidiocèse de Santiago après le remplacement du très « social » cardinal Silva Henriquez, en 1983.

Pour commencer, Juan Barros, le futur évêque qui vaudra tant de déboires au pape François, est, de 1983 à 1990, le secrétaire du nouvel archevêque de Santiago Juan Francisco Fresno. Ce poste lui donne accès à toutes les informations sensibles du diocèse. « Je voyais et entendais les ordres que Karadima lui donnait pour obtenir des choses du cardinal Fresno », écrivait, en février 2015, Juan Carlos Cruz, l’une des trois victimes reçues dernièrement à Rome.

L’inertie prévaut

Dans les années 1990, lorsque Angelo Sodano est tout-puissant à Rome, ce même Juan Barros deviendra évêque, comme quatre autres condisciples d’El Bosque. Des proches du curé sont par ailleurs nommés à la direction du séminaire et à celle de la prestigieuse université catholique. L’un d’entre eux, Andrés Arteaga, est promu évêque auxiliaire de Santiago. Son supérieur, le cardinal Errazuriz, aujourd’hui proche collaborateur du pape François, dira, pendant l’enquête, s’être appuyé sur son avis pour ignorer les accusations contre « el Santo » Karadima.

Dans cet environnement ecclésial de plus en plus favorable, au sein duquel se développe « une culture élitiste où chaque groupe se croit le meilleur », selon la formule d’une autre de ses victimes, le maître d’El Bosque sera à l’abri pendant longtemps.

Pourtant, en 2003, s’enclenche en silence la mécanique qui débouchera sept ans plus tard sur le scandale public et la mise à l’écart du curé, alors âgé de 80 ans. Un jésuite auquel José Andrés Murillo, l’une des victimes, s’était confié remet en main propre son récit écrit à l’archevêque de Santiago, qui est alors le cardinal Errazuriz. Cette dénonciation n’aura aucune suite. Pourquoi ? « À cette époque, j’avais des doutes sur la véracité des faits relatés », répondra le prélat, huit ans plus tard, à une juge d’instruction.

L’inertie prévaut encore à l’archevêché lorsqu’en 2004 un prêtre apporte au cardinal le récit du calvaire de vingt ans enduré par James Hamilton et son épouse Veronica. Mgr Ricardo Ezzati, qui succédera à Mgr Errazuriz en 2010, est également présent. En juin, le promoteur de justice du diocèse (équivalent du ministère public dans la justice ecclésiastique) entend Veronica. Un an plus tard, en 2005, il enregistre le témoignage de José Andrés Murillo, revenu à la charge par l’intermédiaire d’un évêque auxiliaire. En janvier 2006, Veronica convainc son époux de témoigner à son tour. L’enquêteur remet ses conclusions, favorables à une procédure, au cardinal Errazuriz début 2006.

Puis, pendant trois ans, il ne se passera strictement plus rien. Ou plutôt si : en 2006, le cardinal demande juste à « el Santo » de renoncer à sa charge de curé de la paroisse. Mais que le vieux prêtre n’y voie surtout pas une sanction ! Il a simplement bien mérité de se reposer, lui dit Mgr Errazuriz, sans évoquer les plaintes. Pour faire bonne mesure, il désigne comme successeur son fidèle d’entre les fidèles, le père Juan Esteban Morales, et il lui permet de demeurer dans la paroisse. Autant dire que l’abbé conserve un contrôle total sur son fief.
« ON A PARALYSÉ DES PLAINTES, ON N’A PAS ENQUÊTÉ AVEC DILIGENCE. ET CELA DESSINE UNE DYNAMIQUE DE CAMOUFLAGE »
Les auteurs du livre Los Secretos del imperio de Karadima (« Les Secrets de l’empire Karadima », éd. Catalonia, 2011, non traduit) ont détaillé les multiples démarches de responsables de l’archevêché, Mgr Errazuriz compris, pour tenter de dissuader les plaignants et couper court à l’enquête, dès 2003. « On a paralysé des plaintes, on n’a pas enquêté avec diligence. Et cela dessine une dynamique de camouflage », assure le père Francisco Javier Astaburuaga, qui, dans l’ombre, a mis ses compétences de canoniste au service des victimes.

Mais en 2009, la pression se fait plus forte. Juan Carlos Cruz, une autre victime, décide à son tour de témoigner. Fernando Batlle, un quatrième plaignant, le rejoint. Or celui-ci rapporte des faits commis lorsqu’il était mineur. Conformément au droit canonique, le diocèse est contraint de faire remonter l’instruction à la Congrégation pour la doctrine de la foi, à Rome.

Après avoir négligé les plaintes depuis 2003, le cardinal Errazuriz peut d’autant moins temporiser qu’une autre procédure est enclenchée : James Hamilton demande l’annulation de son mariage avec Veronica. Il veut faire reconnaître qu’il était sous l’influence d’« el Santo » lorsqu’il s’est marié. Or l’absence de consentement libre est une cause d’invalidité du sacrement matrimonial. Il dépose une demande en ce sens en 2009 devant le tribunal ecclésiastique et cherche des témoignages à l’appui de son accusation.

Par différents canaux, il a pris contact avec José Andrés Murillo, puis avec Juan Carlos Cruz, qui demeurent à l’étranger. En se parlant, les trois hommes font une découverte stupéfiante : contrairement à ce que chacun croyait isolément, ils ne sont pas les seules victimes de leur ancien confesseur. Pour eux, cette nouvelle est libératrice. A force d’échanger sur ce qu’ils ont vécu, ils prennent conscience du caractère systématique du comportement d’emprise et d’abus du père Karadima. Leur sentiment d’être en partie responsables de ce qui leur était arrivé peut commencer à s’estomper.

Une enquête « rapide »

Le clan Karadima ne se rend pas sans combattre. Le président du tribunal ecclésiastique est un proche du curé. En violation de la règle de secret absolu qui le lie, il le fait prévenir du contenu du témoignage de James Hamilton. Le prêtre envoie l’un de ses affidés faire pression sur ce dernier pour qu’il le retire. En vain.

Jusqu’alors, rien de toute cette histoire n’a filtré publiquement. Mais leur rencontre a donné du courage aux victimes. « Il fallait agir publiquement, car tout le reste avait échoué », analyse le père Astaburuaga, le canoniste qui les a aidées dans l’ombre. Fin 2009, le cardinal Errazuriz prévient Karadima de se tenir prêt pour l’inévitable scandale public : le réseau de protection est sur le point de céder.

Le 26 avril 2010, quand les quatre accusateurs du maître d’El Bosque racontent leur histoire dans un reportage de la télévision nationale TVN, l’impact est énorme. « C’était la première fois que des victimes parlaient, raconte Marco Antonio Velasquez, un ancien responsable des laïques du diocèse et chroniqueur. J’étais très impliqué dans la vie de l’Église, mais là, j’ai décidé de prendre une année de recul pour réfléchir. Et je n’étais pas le seul. »

Puis ils portent plainte devant la justice civile. Un mois plus tard, le procureur national reçoit un visiteur de marque : Eliodoro Matte, la deuxième fortune du pays, lui dit toute l’estime qu’il porte à Fernando Karadima, qu’il reçoit souvent à sa table et dont il fréquente la paroisse. Aussi attend-il de ses services « une enquête rapide », autrement dit un classement sans suite.

« Rapide », l’enquête le sera. Mais si elle débouche sur un classement sans suite pour cause de prescription, elle établit les faits. En août 2010, le jugement canonique sur le mariage de James Hamilton constitue la première reconnaissance par l’Église de la culpabilité de Fernando Karadima. Il prononce sa nullité « en raison du manque de liberté interne [de James Hamilton] dû aux abus sexuels et psychologiques commis par son directeur spirituel, avant et après son mariage » qui ont eu « un impact destructeur profond sur [sa] personne ».

Le système Karadima est sur le point d’être démantelé. En février 2011, le Vatican le condamne dans sa propre procédure pénale et recommande qu’il soit renvoyé à « une vie de prière et de pénitence ». L’un de ses proches, Mgr Andrés Arteaga, est contraint d’abandonner ses fonctions de vice-chancelier de l’Université catholique en mars 2011, sous la pression des étudiants. Quant à Juan Esteban Morales, il cesse d’être le curé d’El Bosque en juin. La Pia Union est dissoute l’année suivante. Puis le silence retombe dans le diocèse et l’affaire glisse dans le passé.

Elle se réveillera une première fois quatre ans plus tard. Le 10 janvier 2015, Juan Carlos Claret, un étudiant en droit de l’Université du Chili, à Santiago, originaire de la ville méridionale d’Osorno, apprend que le pape vient de nommer Juan Barros comme évêque de son diocèse. Aussitôt sur les réseaux sociaux, Juan Carlos Cruz, l’une des victimes, accuse à grand bruit le prélat d’avoir couvert les abus de Karadima. Depuis des années, Juan Carlos Claret est très impliqué dans sa paroisse Santa Rosa de Lima, construite par les paroissiens eux-mêmes le soir après le travail. C’est un pur exemple d’Église horizontale : « On aime bien le prêtre, mais il n’est pas notre chef », résume ce laïque.

Sur le moment, la nouvelle de la nomination de Barros ne le perturbe pas plus que cela. « Ce n’est pas parce qu’il a été proche de Karadima qu’il l’a couvert », se dit-il. Dans une lettre au prélat, il se dit prêt à travailler avec lui pourvu qu’il réponde à une question : « Ce dont vous accuse Juan Carlos Cruz est-il vrai ? » Mgr Barros l’appelle. « En dix minutes de conversation, il n’a pas été capable de me dire oui ou non », se souvient l’étudiant. De retour à Osorno, il sonde les paroissiens et constate que la nomination passe mal. Ne trouvant pas de soutien du côté des clercs, les laïques décident de s’organiser seuls. Ils écrivent à Rome, mobilisent les médias pour éviter que Mgr Barros ne prenne ses fonctions.

C’est peine perdue. Mais le 21 mars 2015, à Osorno, la messe d’intronisation tourne à l’émeute. Des catholiques hostiles pénètrent dans la cathédrale et, sous les caméras, font tomber la mitre du nouvel évêque et le bousculent. Une petite femme aux cheveux blancs est parmi les plus véhéments. Elle raconte à Juan Carlos Claret que son petit-fils a été agressé sexuellement par un membre de sa famille et que la justice a laissé l’agresseur en liberté. « J’ai alors compris que Barros s’était transformé en symbole de l’impunité de tous les abus sexuels de mineurs dans le pays, analyse le laïque. Pour ces victimes et leurs familles, le voir, c’était se souvenir de l’agresseur laissé libre. »

« Le Vatican était au courant de tout »

Pendant trois ans, les catholiques d’Osorno qui ne se résolvent pas à la présence de Juan Barros lui mènent la vie dure. La mobilisation finit par s’émousser. Jusqu’à ce que la présence de l’évêque au côté du pape pendant sa visite, en janvier 2018, et les accusations de « calomnie » lancées par François à l’encontre des détracteurs du prélat leur redonnent de l’élan et déclenchent la crise actuelle.

Aujourd’hui, Juan Carlos Claret n’attend plus grand-chose du Saint-Siège. L’étudiant est convaincu que « le Vatican était au courant de tout : les abus, le camouflage, la destruction de preuve ». « Ce que nous dénonçons, conclut-il, c’est que dans cette Église rendue élitiste, le pouvoir vient du haut. Je ne me bats pas pour avoir un évêque irréprochable auquel obéir, mais pour que nous décidions par nous-mêmes. Il s’agit d’être adulte dans la foi. Pas de renforcer l’institution qui nous a conduits à la crise. »

James Hamilton, Juan Carlos Cruz et José Andrés Murillo, les trois hommes reçus à Rome par le pape, n’en ont pas terminé avec cette histoire. Ils attendent que la cour d’appel se prononce sur la réparation qu’ils réclament au diocèse de Santiago. Ils mûrissent une nouvelle procédure pénale, cette fois dirigée contre les mécanismes de camouflage et de protection de ses responsables.

Ces derniers « n’ont rien appris. Ils continuent encore aujourd’hui de mentir et de chercher à atténuer la gravité des faits », accuse leur avocat, Juan Pablo Hermosilla. Celui-ci compte utiliser les lettres accusatrices du pape François aux évêques et aux catholiques chiliens. « D’un côté, le diocèse dit qu’il n’a jamais rien couvert, de l’autre, son supérieur hiérarchique, le pape, parle de culture du camouflage ! », s’amuse Me Hermosilla.


Quant à ses clients, affirme-t-il, en dépit de tous les obstacles mis sur leur route, « ils ont finalement démontré qu’on pouvait affronter un pouvoir sans en sortir détruit. Aujourd’hui, ils ont réussi à être heureux. » Agé de 90 ans, doyen du collège des cardinaux, l’ancien nonce Angelo Sodano coule une retraite paisible à Rome. A 88 ans, Fernando Karadima purge sa peine de « pénitence et de prière » au foyer San José de la congrégation Santa Teresa Jornet, à Lo Barnechea, dans la banlieue de Santiago.

ARGENTINE : MORT DE « CHICHA », UNE DES FONDATRICES DES GRANDS-MÈRES DE LA PLACE DE MAI


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MARIA ISABEL CHOROBIK DE MARIANI
PHOTO GONZALO MAINOLDI
Maria Isabel Chorobik de Mariani s’est éteinte à l’âge de 94 ans, sans avoir pu retrouver sa petite-fille enlevée le 24 novembre 1976 par les militaires argentins.
Quarante-deux ans n’auront pas suffi. « Chicha » Mariani est morte, lundi 20 août, à l’âge de 94 ans, sans avoir retrouvé sa petite-fille Clara Anahi, enlevée le 24 novembre 1976, pendant la dictature militaire. Maria Isabel Chorobik de Mariani était l’une des fondatrices des Grands-mères de la place de Mai, l’ONG qui, en Argentine, recherche inlassablement les quelque 500 enfants volés par la junte pendant les années de plomb (1976-1983). « Chicha », comme elle était affectueusement surnommée, s’est éteinte des suites d’un accident vasculaire cérébral à La Plata (capitale de la province de Buenos Aires).

PETITE-FILLE CLARA ANAHI, ENLEVÉE LE 24 NOVEMBRE 1976
Clara Anahi, qui avait alors trois mois, a été enlevée lors d’une opération menée par une centaine de policiers et de militaires qui, pendant trois heures, ont criblé de balles la maison de ses parents – des opposants au pouvoir – qui abritait une imprimerie clandestine. Sa mère, Diana Terruggi, une étudiante de 25 ans, et quatre autres personnes ont été assassinées lors de cette opération. Son père, Daniel Mariani, 28 ans – le fils de « Chicha » –, a été assassiné en août 1977.

Après avoir parcouru sans relâche orphelinats, hôpitaux, tribunaux et églises à la recherche de sa petite-fille, sans jamais obtenir de réponse, « Chicha » Mariani, simple institutrice, décida de créer, avec onze autres femmes, le 21 novembre 1977, un an et demi après le coup d’Etat, l’association des Grands-mères de la place de Mai. Ces femmes avaient en commun d’avoir perdu leurs enfants, mais aussi leurs petits-enfants. Bravant le régime de terreur, les Grands-mères de la place de Mai menèrent leur lutte parallèlement à celle des Mères de la place de Mai, qui réclament la vérité sur le sort de leurs enfants disparus.

Une banque de données génétiques à disposition

Cinq cents enfants, selon l’association, ont été enlevés par les militaires. Certains après que leurs parents ont été tués, et d’autres sont nés dans les centres clandestins où leurs mères, que l’on a gardé en vie jusqu’à leur accouchement, étaient détenues, avant d’être assassinées. Ces bébés ont ensuite été illégalement adoptés, le plus souvent par des familles de militaires, de policiers ou de proches du régime. Cent vingt-huit ont, jusqu’à présent, été identifiés et récupérés par leur famille biologique.

Au retour de la démocratie, en 1983, « Chicha » devint la présidente des Grands-mères de la place de Mai. L’ONG dispose, depuis 1987, d’une banque de données génétiques unique au monde réunissant les profils de presque toutes les familles de disparus. Elle permet, lorsqu’un personne née pendant la dictature doute de son origine, d’effectuer les preuves ADN de filiation, avec 99,99 % de certitude.


En 1989, à la suite de divergences au sein de l’ONG, « Chicha » avait quitté le groupe des Grands-mères de la place de Mai pour créer sa propre fondation, Anahi, et se consacrer entièrement à la recherche de sa petite-fille. Par deux fois, elle avait cru l’avoir retrouvée, mais les analyses génétiques s’étaient, finalement, révélées négatives.

Après l’annulation des lois d’amnistie en 2003 et l’ouverture de procès contre les anciens tortionnaires de la dictature, « Chicha » avait dénoncé, le 5 juillet 2006, comme responsable de la disparition de sa petite-fille l’ex-policier Miguel Etchecolatz. Ce dernier a été condamné à la prison à perpétuité pour « crimes contre l’humanité ».

« J’ai l’espoir que ma petite-fille réapparaisse, même si je ne suis plus là pour la voir », avait-elle confié dans une interview récente. « Nous continuerons à chercher Clara Anahi », ont annoncé, dans un communiqué, mardi, les Grands-mères de la place de Mai, dont la présidente actuelle est Estela de Carlotto. Trente mille personnes ont disparu pendant la dictature, selon les associations de défense des droits de l’homme.

mardi 21 août 2018

ABUS SEXUELS AU CHILI. REPORT DE LA CONVOCATION DE L’ARCHEVÊQUE DE SANTIAGO

 « Le changement (de date) a été fait à la demande de l’avocat de la défense, afin que (son client) puisse disposer de plus de temps pour prendre connaissance des éléments du dossier, étant donné que nombre d’entre eux ont été saisis lors de récentes » perquisitions, a annoncé lundi soir le parquet.

La plupart des preuves qui ont permis d’accuser Mgr Ezzati ont été saisies au cours d’une perquisition à l’archidiocèse de Santiago, l’Église catholique ayant refusé jusqu’à présent de remettre à la justice des documents demandés, en invoquant le respect des victimes.

Prison préventive ?

Ricardo Ezzati, né en Italie, avait été convoqué à l’origine le 21 août par le procureur régional de Rancagua (centre) Emiliano Arias afin de répondre aux accusations de dissimulation des abus sexuels, en plein scandale de pédophilie et d’omerta qui ébranle le clergé chilien.

Ce procureur régional de Rancagua (centre) devra déterminer si ce cardinal a « respecté ou non ses devoirs » de protection des victimes, avait déclaré la semaine dernière ce magistrat.

Mais selon Emiliano Arias, il est peu probable que Mgr Ezzati soit incarcéré, car « la prison préventive est la mesure la plus sévère du code de procédure pénale avant une condamnation » et que le principe de «proportionnalité » s’applique.

« La peine d’un complice doit être inférieure à celle de l’auteur », précise-t-il.

Une église chilienne dans la tourmente

L’église catholique chilienne est en pleine tourmente alors que 158 personnes - évêques, prêtres ou laïcs liés à l’église - sont ou ont été visées par une enquête pour abus sexuels sur des mineurs et des adultes depuis les années 1960.

Pour l’heure, 38 enquêtes, visant 73 personnes, pour abus sexuels présumés sur 104 victimes, dont la majorité était mineure au moment des faits, ont été ouvertes.