vendredi 5 octobre 2007

« EL MERCURIO », ÉTERNEL CONSPIRATEUR

« CHILIEN : EL MERCURIO  MENT »

Le consortium de El Mercurio qui se partage près de la moitié du marché des journaux dans le pays et pratiquement la totalité des quotidiens régionaux reçoit plus de 80% du total de l’investissement en publicité dans la presse écrite et, ce qui n’est pas un détail, contrôle l’agenda public.
El Mercurio possède sans aucun doute bien davantage de pouvoir que ce qu’en disent les données ci-dessus. Plus de cent ans d’histoire, des relations géologiquement profondes avec tous les secteurs du pouvoir : économique, politique, militaire et, évidemment, culturel. Un pouvoir, en langage gramscien, hégémonique qui, dans ses registres, a non seulement la capacité d’influer sur la réalité, mais aussi celle de la modeler et de la transformer en une vérité apparente et intéressée. Mais il existe une autre vérité, jamais publiée par ce média, une vérité qui surgit d’avoir poussé l’histoire jusqu’à ses extrêmes, avec des attitudes évidentes de sédition et de putschisme. Il existe aujourd’hui suffisamment d’information écrite, évidemment non publiée par El Mercurio, qui lie le propriétaire de cet organe, Agustin Edwards Eastman, au coup d’État de 1973.

Citons certains de ces antécédents pour dessiner le profil du journal qui se revendique aujourd’hui comme le gardien des valeurs, des bonnes mœurs et de l’échafaudage politique chilien. En 1970, le propriétaire et directeur de El Mercurio entreprit des démarches auprès de la Maison Blanche pour que le gouvernement des États-Unis empêche l’arrivée au pouvoir du président élu, Salvador Allende. Si cette action échouait, le plan était de le renverser. El Mercurio reçut plus d’un million et demi de dollars de la Central Intelligence Agency (CIA) pour mettre le complot en marche. Les preuves de tels faits et d’autres sont décrites dans des documents publics tels que le rapport Church du Sénat des États-Unis, les mémoires de l’ex-secrétaire d’État nord-américain Henry Kissinger, des documents déclassés de la CIA, des témoignages d’anciens hauts fonctionnaires du gouvernement de Richard Nixon ou différents travaux d’enquête journalistique.

Parler de El Mercurio, ce n’est pas simplement se référer au plus grand consortium chilien d’information, c’est aussi faire allusion à un réseau complexe à la trame obscure qui, non content d’avoir dessiné l’histoire s’efforce de la reproduire, de consolider cette histoire – qui est la structure du pouvoir- dans le présent et de la répéter pour le futur. Dans ce processus de reproduction, il n’y a rien de plus conservateur que le vernis libéral dont se couvre le journal. Une couche de modernité, de technologie, de mondialisation commerciale, qui cache les toiles d’araignée d’une structure oligarchique reliée aux mêmes pouvoirs qui la soutenaient il y a plus d’un siècle, peut-être deux.

C’est cela sa condition historique. Sa fonction quotidienne est de déterminer l’agenda public, d’imposer des thèmes, d’en effacer d’autres, d’interpréter, de passer sous silence. Maintenir les équilibres politiques et économiques tels qu’ils ont été écrits durant les dernières années ou décennies, ou, selon les dires de cette oligarchie, comme cela a toujours été.

Faire pression sur le gouvernement

Ce qui a été auparavant existe aussi aujourd’hui. El Mercurio semble être inébranlable. Rien qu’au cours de l’année dernière, il a fait tombé deux ministres et empêché, jour après jour, le développement d’autres agendas, parmi lesquels celui du gouvernement. Le palais présidentiel de La Moneda a dû résoudre crise après crise, parmi lesquelles seules peut-être celle des étudiants, les cas de corruption et évidemment l’histoire du Transantiago ne viennent pas des intérêts des groupes de pouvoir en lien avec et consolidés par ce consortium. Les autres crises inscrites à l’agenda des médias – celle du gaz argentin, le conflit mapuche, l’insécurité urbaine, le vote chilien pour le Conseil de sécurité de l’ONU et la perception d’ingouvernabilité – répondent à des intentions bien déterminées. L’obsession contre le président vénézuélien Hugo Chavez est un thème et un fantasme ancestral à part.

On peut affirmer que El Mercurio intègre et condense tout l’imaginaire conservateur, aujourd’hui aussi néo-libéral, qui émerge avec force dans notre histoire la plus récente depuis le coup d’État de 1973. Une idéologie qui se réinstalle et se renforce avec la dictature sous la forme des politiques de marché, qui, en 1990, franchissent le seuil de la démocratie en toute facilité. El Mercurio, qui était l’inspirateur et la sentinelle de ces politiques depuis le milieu des années 70, a été et est encore leur organe officiel. L’application et l’approfondissement de ces politiques sous la démocratie de même que leur mise en oeuvre durant la décennie précédente dans pratiquement tous les pays de la région a consolidé le caractère « officiel » et « institutionnel » de El Mercurio non seulement en ce qui concerne ce qu’on appelle les réformes structurelles mais aussi à l’égard d’un certain sens de la réalité, à l’égard – comme l’ont répété plusieurs gouvernants chiliens – d’une « vision du pays ». A part quelques aspects ponctuels relatifs à certaines politiques publiques et économiques, l’harmonie s’écoulait de La Moneda jusqu’à Santa Maria de Manquehuc, siège de El Mercurio. Et vice-versa.

Par définition, le conservatisme ne change pas. Ce n’est pas dans sa nature. La plus grande pression de El Mercurio sur le gouvernement actuel comme son opposition ouverte aux relations extérieures du Chili avec des pays latino-américains considérés comme « populistes », à la tête desquels se trouve le Venezuela, ont mené à un tournant apparent dans la ligne éditoriale du journal. Un retournement, un changement en tout cas illusoire, dirions-nous : ce qui s’est transformé, c’est le cadre politique régional, avec d’évidentes influences au niveau interne. El Mercurio ne fait que soutenir la tradition, les intérêts, les richesses gagnées durant les décennies de politique de marché. Ce qui a primé pendant plus d’un siècle et durant les dernières décennies n’est rendu plus visible aujourd’hui que par contraste.

Les comparaisons hystériques entre le moment actuel et les moments antérieurs au coup d’État de 1973 faites par certains journalistes du quotidien et de nombreux lecteurs au travers des « lettres au directeur » n’expriment que le retour de vieux fantasmes de l’oligarchie nationale et régionale qui ont réinstallé en Amérique du Sud un climat de guerre froide. Ce sont des fantasmes soulevés par le même journal qui a provoqué et organisé le coup d’État de 1973.

Créer un climat de terreur et de haine à partir de cette tribune est beaucoup plus facile aujourd’hui qu’il y a 34 ans. Le pouvoir de El Mercurio n’a pas de contrepoids : il n’y en a pas du côté des autres médias – le groupe Copesa, avec La Tercera, n’est qu’un concurrent commercial -, il n’existe pas de société civile pensante et organisée, il n’y a pas un haut taux de syndicalisation, le système des partis maintient le statu quo et les locataires de La Moneda préfèrent tout simplement pactiser car ce pouvoir leur fait peur. Le journal a un pouvoir qui déborde le médiatique pur et s’imbrique avec les autres pouvoirs, entre autres, le politique et l’État lui-même. Devant cette capacité, les gouvernements de la Concertación, ont abdiqué de manière systématique – ils ont été cooptés, comme le dit le sociologue Felipe Portales - devant le puissant réseau que forment les pouvoirs représentés par El Mercurio.

Le pouvoir économique

Il y a le pouvoir économique qui s’exprime à travers et par el Mercurio. Comme on le sait déjà, la presse écrite au Chili est partagée en parts plus ou moins égales entre les groupes el Mercurio et Copesa, consortiums qui totalisent, avec leurs différents produits, environ 99% du marché et de la diffusion. Il reste 1% pour La Nación.

Cette concentration de la diffusion acquiert une densité encore plus grande dans d’autres domaines. Dans la publicité de la presse écrite, qui représente environ 30% de l’investissement publicitaire total, il existe une distorsion évidente. Théoriquement, ces 30% devraient se répartir en parts plus ou moins égales entre les groupes El Mercurio et Copesa qui se partagent environ la moitié de la vente des journaux nationaux. Pourtant, un seul quotidien, El Mercurio, concentre plus de la moitié de la publicité en presse écrite. La Tercera suit avec à peine 15%. Par conséquent, il y a d’autres facteurs qui expliquent cette distorsion. Même s’il est probable que El Mercurio ait un lectorat plus nombreux et plus ciblé, qu’il remplisse d’autres exigences des annonceurs, aucun de ces éléments – en terme de marché – ne peut expliquer cette énorme différence. Il y aurait par conséquent un biais idéologique chez la classe entrepreneuriale.

Mais s’il existe un tel biais chez la classe entrepreunariale, cela devient scandaleux quand il s’agit de l’État, aujourd’hui administré par la Concertación. D’après plusieurs sources, environ 70% des dépenses publiques en publicité ont été canalisées vers El Mercurio. Loin de chercher à mettre de l’ordre et à équilibrer ce marché, le secteur public contribue plutôt à sa distorsion. La cooptation soulignée par Portales est une des réponses.

Cette distorsion évidente des investissements publicitaires a une motivation idéologique, comme l’affirment les universitaires Osvaldo Corrales et Juan Sandoval dans leur étude Concentration du marché des médias, pluralisme et liberté d’expression, publiée par l’Institut de la Communication et l’Image de l’Université du Chili. Le comportement de la presse et sa relation avec la grande entreprise – qui est le grand annonceur dans les médias - va plus loin que la notion traditionnelle d’oligopole, qui « n’est pas suffisante pour comprendre la façon dont le marché de la presse s’est structuré au Chili  », disent les auteurs. Il faudrait, affirment-ils, incorporer un nouveau concept, celui de « monopole idéologique ».

Le monopole idéologique évoqué par les auteurs est une autre façon de se référer à la pensée unique qui est la symbiose entre le néolibéralisme économique et le conservatisme culturel. Les chefs d’entreprise, appuyés par l’industrie de la publicité, utilisent l’investissement publicitaire comme un outil pour renforcer les médias et les discours qui leur sont le plus proches, ceux qui renforcent le cadre qui favorise leurs affaires.

Le monopole idéologique opère sur différents terrains. Dans El Mercurio, on le trouve de façon évidente dans la ligne éditoriale. Mais il est incrusté aussi dans d’autres rubriques, telles que El Mercurio opina, País Digital, Fundación Paz Ciudadana et, de manière moins directe, dans l’Instituto Libertad y Desarrollo. Grâce à ces institutions qui produisent information et opinion, le journal renforce sa ligne éditoriale et incorpore ses propres thèmes à l’agenda politique. Ces institutions, présentes non seulement dans les pages du quotidien du matin mais aussi dans le reste des médias ont été légitimées par le monde politique et le gouvernement. Non seulement en raison de la prétendue crédibilité de leurs informations et opinions mais parce qu’ils en font partie.

Paz Ciudadana, (Paix citoyenne) qui, à travers les pages du quotidien, a un espace prioritaire, non seulement comme institution mais aussi dans ses thématiques, influence quotidiennement l’agenda national tout ce qui est des thèmes en lien avec la sécurité des citoyens. Un travail qui est imbriqué avec le gouvernement, car, sous la présidence d’Agustin Edwards, plusieurs figures de la Concertación font partie de sa direction : Sergio Bitar, président du Partido Por la Democracia (PPD, Parti pour la démocratie), personnage choyé de El Mercurio, la présidente de la Démocratie chrétienne, Soledad Alvear et les ex-ministres José Joaquin Brunner et Edmundo Perez Yoma. La légitimité de toute l’information produite par Paz Ciudadana a été ratifiée par la Concertación.

Dans País Digital, Pays digital, sous l’égide d’Agustin Edwards, comme dans les autres organisations, figurent, du côté de la Concertación Sergio Bitar, Eduardo Bitrán, Fernando Flores, Alejandro Foxley, Andrés Navarro, Yasna Provoste, Francisco Vidal et Eugenio Tironi. Avec un moins grand nombre de pages dans le quotidien, País digital est une fondation orientée vers le développement des technologies de l’information au Chili.

El Mercurio opina (L’opinion du Mercurio) est l’entreprise de sondages de El Mercurio. Au moyen d’enquêtes d’opinion plus ou moins fréquentes, il produit une information qui est publiée comme « nouvelle ». El Mercurio est son propre producteur d’informations ; qui malgré l’évident biais idéologique et politique, déterminent l’agenda public et font réagir le gouvernement. Les principaux changements dans le gouvernement de Michelle Bachelet ont été réalisés après des sondages de El Mercurio opina. Le dernier - « 77% veulent que Lagos se présente personnellement devant la commission d’enquête » (du Transantiago) - publiée le dimanche 10 juin cherchait à pousser l’ex-président à faire une déposition devant la Commission politique à la Chambre. Les intentions sont par trop évidentes.

Libertad y Desarrollo, Liberté et Développement, n’est pas une fondation de El Mercurio, mais est liée à l’Unión Demócrata Independiente (UDI, Union démocrate indépendante) et bénéficie d’un traitement et d’une couverture spéciale dans les pages du quotidien. Une grande partie de son information économique est évaluée et garantie par ce centre d’études qui a fini par devenir, comme Paz Ciudadana, une référence – apparemment impartiale – sur le devenir économique du pays. Le reste des médias, qui ne disposent pas de grandes usines de journalistes, rédacteurs et collaborateurs pour produire l’information politique et économique ont fini par cautionner l’Institut Libertad y Desarrollo, tout comme Paz Ciudadana, et reproduire ses opinions.

Sans tomber dans l’exagération, on peut dire que toute cette grande installation avec des liens dans le gouvernement et des relations avec tous les grands pouvoirs font pratiquement de El Mercurio l’unique producteur d’information politique du pays. Il crée l’agenda et le manie à son gré.

De même, il cherche à manipuler l’agenda au sujet de ce qui arrive en-dehors des frontières, un processus qu’il mène, soit individuellement, soit de façon coordonnée avec le Grupo de Diarios América (GDA) , un organisme collégial formé par la presse la plus réactionnaire de la région. Il est probable cela dit que ce soit El Mercurio, avec le complot qui a débouché sur le coup d’État de 1973, qui soit à la tête de la réaction. Avec le quotidien d’Edwards, il y a La Nación d’Argentine, O Globo du Brésil, El Tiempo de Colombie, La Nación de Costa Rica, El Comercio de l’Equateur, El Universal du Mexique, El Comercio du Pérou, El Nuevo Dia de Puerto Rico, El País d’Uruguay et El Nacional du Venezuela. Sa campagne la plus récente est le déploiement orchestré et simultané du 20 mai contre Hugo Chavez, qui est aujourd’hui le retour pour ces médias du fantôme de la guerre froide. Telles sont les vérités de El Mercurio. Un monde très dur.

Source : Punto Final (http://www.puntofinal.cl), n°641, 15 juin 2007.

lundi 1 janvier 2007

CÉSAR AUGUSTO SANDINO



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AUGUSTO NICOLÁS CALDERÓN SANDINO
Général des hommes libres.
Nicaragua, terre de lacs et de volcans, patrie d’un petit homme coiffé d’un grand chapeau : César Augusto Sandino. En ce temps-là, durant ces années qui bégayent, de 1909 à 1933, le pays vit, au sens propre, sous le joug des Américains.
Ce n’est pas par la porte de la grande histoire que Sandino entre dans sa geste aventureuse, mais par un banal fait divers. En 1920, embringué dans une « affaire d’honneur » demeurée mystérieuse, il blesse son adversaire d’un coup de pistolet. Pour éviter les conséquences de son acte, il prend le chemin de la côte atlantique — la Moskitia —, le bout du monde pour ainsi dire. Il s’exile ensuite en Amérique centrale, et au Mexique, dont la révolution l’influence au plus haut point. Il retrouve sa patrie en 1926, et c’est immédiatement pour y mener le combat.

« La souveraineté et la liberté d’un peuple ne sont pas destinés à faire l’objet de discussions, mais plutôt à être défendues par les armes. » La guerre menée par Sandino contre les marines débute en 1927 dans les montagnes de l’actuel département de Segovia, avec vingt et un combattants. Inventeur de la guérilla, à la tête de sa « petite armée folle » soutenue par des paysans en haillons, Sandino tient tête aux marines. Il finit par les expulser.

Il s’était engagé à cesser les hostilités dès que le dernier militaire américain aurait quitté le sol nicaraguayen. Il tient parole. En signant un accord avec le président Juan Bautista Sacasa, le 2 février 1933, il accepte de désarmer ses troupes et obtient de les transférer dans les environs du Río Coco, dans la Moskitia, pour y mener à bien une tâche constructive.

Cadeau empoisonné, bombes à retardement, les gringos ont créé, formé et laissé derrière eux une toute nouvelle garde nationale « apolitique ». Ils en ont confié le commandement à un chien bien dressé, Anastasio « Tacho » Somoza. Celui-ci fait abattre Sandino le 21 février 1934, alors qu’au terme d’une réunion il quitte la table de négociations. D’une balle dans le dos. Ainsi le premier des Somoza inaugure-t-il le règne de son clan. Quarante-cinq années de dictature et de sous-développement...