mardi 14 juillet 2020

LE CUIVRE PORTÉ PAR L’INQUIÉTUDE SUR L’OFFRE DU CHILI ET DU PÉROU

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MINE DE CUIVRE ZALDIVAR 
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    RADIO FRANCE INTERNATIONALE - RFII
    CHRONIQUE DES MATIÈRES PREMIÈRES
    « LE CUIVRE PORTÉ PAR L’INQUIÉTUDE SUR L’OFFRE DU CHILI ET DU PÉROU » 
    PAR CLAIRE FAGES DIFFUSION : MARDI 14 JUILLET 2020

    samedi 11 juillet 2020

    EN ESPAGNE, PEDRO SANCHEZ FLIRTE AVEC LES LIBÉRAUX DE CIUDADANOS

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    « LA TENTATION » 
    DESSIN ENEKO LAS HERAS 
    Sous l’impulsion de sa nouvelle présidente, Inès Arrimadas, Ciudadanos apporte son soutien à l’exécutif.
    Temps de Lecture 4 min.
    Il ne compte que dix députés. Le parti libéral Ciudadanos s’est cependant rendu indispensable au fragile gouvernement de gauche mené par le socialiste Pedro Sanchez. Alors que les indépendantistes de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), qui avaient soutenu son investiture, lui font défaut, ce sont les libéraux qui ont permis à la coalition entre le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et Podemos (gauche radicale) – qui ne compte que 155 des 350 députés au Parlement – de voter les prolongations successives de l’état d’alerte durant la pandémie due au coronavirus, le décret de «nouvelle normalité» qui régule les mesures de prévention sanitaire actuelles, ou les mesures économiques visant à préserver l’emploi.

    Vendredi 3 juin, c’est encore grâce à Ciudadanos que la coalition a pu faire approuver les conclusions de la «commission de reconstruction». Et le gouvernement devrait enfin pouvoir négocier avec lui la prochaine loi de finances 2021, clé pour l’avenir de la législature. De quoi éloigner le spectre de nouvelles élections anticipées, une échéance que pouvait redouter le gouvernement minoritaire, critiqué pour sa gestion de la pandémie.


    « Ciudadanos semble avoir décidé d’être un parti d’Etat, qui cherche des solutions à la crise. Nous allons voir jusqu’où va son soutien. Il est trop tôt pour savoir s’il est solide, mais notre intention se confirme de terminer la législature grâce au dialogue», souligne, auprès du Monde, un responsable du gouvernement. Du côté de Ciudadanos, on confirme une prédisposition à négocier la loi de finances « par responsabilité ». «Mais il est de la responsabilité de Pedro Sanchez de présenter un budget modéré, soutenu par le patronat et des syndicats, et destiné à résoudre l’urgence économique, sans sectarisme », explique une source de Ciudadanos.

    « Rompre la logique de blocs »


    Le parti libéral se rapproche ainsi du centre sous l’impulsion de sa nouvelle présidente, Ines Arrimadas, élue en mars à la tête du parti après le départ d’Albert Rivera. Et tente de faire oublier le virage à droite pris en 2018, alors dans l’idée de remplacer le Parti populaire (PP, droite), et qui s’est soldé par une débâcle électorale en novembre 2019.

    « Ciudadanos semble revenir à ce qu’il était en 2016 : un parti qui cherche à rompre la logique de blocs, entre droite et gauche, afin de régénérer la politique, et dont le principal objectif est d’empêcher que les partis nationalistes [régionaux] soient décisifs dans la politique espagnole », résume Pablo Simon, professeur de science politique de l’université Charles-III de Madrid. « Ciudadanos va essayer d’être utile », a simplement prévenu Ines Arrimadas début mai, se fixant deux objectifs : « Eviter que l’ERC marque la politique territoriale du pays et que Podemos définisse la politique économique. »

    mercredi 8 juillet 2020

    FRANCE : DES FÉMINISTES MANIFESTENT CONTRE LES NOMINATIONS DE GÉRALD DARMANIN ET ERIC DUPOND-MORETTI

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    PHOTO  UNE DE LIBÉRATION
    Au lendemain de la nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur et d’Eric Dupond-Moretti en tant que garde des Sceaux, le collectif #NousToutes a organisé un rassemblement pour "enterrer la Grande Cause du quinquennat" qu'était censée être l'égalité entre les femmes et les hommes.
    LES FEMEN ONT MANIFESTÉ DEVANT L'ELYSÉE
    «Remaniement de la honte ! », répètent à tue-tête les manifestantes réunies ce mardi 7 juillet, devant l'église de la Madeleine, à Paris. Elles ont été une centaine à répondre à l'appel du collectif #Noustoutes, qui souhaitait ainsi dénoncer les nominations de Gérald Darmanin, visé par une enquête pour viol, comme ministre de l'Intérieur et celle d'Eric Dupond-Moretti, nouveau ministre de la Justice, très critique du mouvement #MeToo.


    CAPTURE D'ÉCRAN
    La place de la Madeleine a rapidement été couverte d'une marée noire en raison du dress code choisi par les manifestantes. Ces dernières ont décidé de mettre en scène un enterrement, celui de la "grande cause du quinquennat", qu'était censée être, selon les promesses d'Emmanuel Macron, l'égalité femmes-hommes. Pour cette cérémonie d'adieu, deux hommes, cercueil en carton en main barré de l'inscription "Grande cause du quinquennat", montent les escaliers de l'église de la Madeleine. Sur leurs pancartes, on peut lire "Darmanin, accusé de viol" et "Eric Dupond-Moretti, antiféministe". Puis, dix jeunes femmes en deuil déposent des roses blanches.

    « C'est cracher à la figure des victimes »


    Quand elle a appris que ces deux hommes étaient nommés à de tels postes, Emma a "pleuré toute la soirée" parce qu'elle a été "victime de viol et que voir ça, ce n’est pas possible", confie-t-elle aux Inrockuptibles. Pour elle,"c'est juste cracher à la figure des victimes". La jeune femme est loin d'être la seule à estimer que ce remaniement est une insulte aux femmes victimes de violences sexuelles. Comme elle, Léna, militante de 24 ans, a "pleuré de rage", avant de "préparer les slogans".


    PHOTO IRÈNE AHMADI
    « La France, au moment de #Metoo avait déjà un wagon de retard et là on voit qu’en fait, elle a tout le train de retard... On est en train de banaliser les violences sexuelles et sexistes et c’est ça qui produit la culture du viol», déplore de son côté Laura qui estime que « lutter contre les violences sexistes et sexuelles, ce n'est pas juste porter un petit badge qu'on met le 8 mars [Journée internationale des droits des femmes, ndlr] et le 25 novembre [Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, ndlr] - pour faire joli ». Si elle a participé à l'organisation de ce rassemblement, c'est avant tout « une façon de réagir et de dire que le gouvernement ne peut pas banaliser les violences sans qu'il y ait de réactions en face. À chaque fois que le gouvernement bafouera le droit des femmes, nous serons là », assure la jeune femme, mégaphone en main.

    « On continuera à se battre autant qu'il le faudra »


    Plus tôt dans la journée, d'autres militantes avaient manifesté devant le Ministère de l’Intérieur. Si l'appel pour l'enterrement symbolique a été lancé par #Noustoutes, plusieurs collectifs étaient présents sur les pavés de la place de la Madeleine. Parmi eux : Osez le féminisme, On Arrête Toutes, ou encore des "colleuses". Susie, 67 ans, est membre d'On Arrête Toutes. Cette femme, qui milite depuis cinquante ans est venue aujourd'hui "parce qu'[elle] se met à la place des victimes" et craint, comme d'autres, que porter plainte en cas d'agression sexuelle ou de viol ne soit encore plus compliqué que ça ne l'était déjà. « La France à l’ère de #Metoo a réussi un doublé fantastique en nommant ces deux ministres », ironise-t-elle, amère.

    Si la colère et l'inquiétude sont palpables, les manifestantes ne veulent pas se laisser abattre. Comme Léna, pour qui « la nomination de Darmanin et de Dupond-Moretti s'inscrit dans la continuité de tout ce que l’on craint », mais qui assure qu'elle « continuera à se battre autant qu’il le faudra. » Pour elle, l'histoire n'est pas finie. « D'autres rassemblements auront lieu. »

    CHILI: LES SECOURISTES DES MANIFESTATIONS D’OCTOBRE EN PREMIÈRE LIGNE CONTRE LE COVID-19

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    DU PERSONNEL HOSPITALIER AUTOUR D'UN MALADE DU COVID-19 À SANTIAGO DU CHILI, À L'HOPITAL POSTA CENTRAL, L'UN DES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS LES PLUS IMPORTANTS DE LA CAPITALE CHILIENNE, LE 27 JUIN 2020 (PHOTO D'ILLUSTRATION).
    PHOTO IVAN ALVARADO /
     REUTERS
    Au Chili, gros plan sur ces soignants qui étaient secouristes pendant les manifestations lancées en octobre dernier contre les inégalités dans le pays. Alors en première ligne pour soigner les manifestants blessés, lors des rassemblements qui ont souvent été réprimés, ils sont nombreux aujourd'hui à travailler dans les hôpitaux, en pleine pandémie de Covid-19 dans le pays. Le nouveau coronavirus a déjà fait près de 9 000 morts au Chili (au 1er juillet selon méthodologie OMS), qui compte aussi le plus grand nombre de cas au monde par rapport à sa population, derrière le Qatar. Notre correspondante au Chili a recueilli les témoignages d'anciens secouristes bénévoles, aujourd'hui en première ligne pour prendre en charge les patients atteints du coronavirus.
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    ÉMISSION « REPORTAGE INTERNATIONAL»,
    «LES SECOURISTES DES MANIFESTATIONS D’OCTOBRE 
    EN PREMIÈRE LIGNE CONTRE LE COVID-19 »
    PAR JUSTINE FONTAINE, DIFFUSION DU MERCREDI 08 JUILLET 2020
    Sebastian n'a pas encore fini ses études d'infirmier, et pourtant, il travaille déjà depuis début juin dans une clinique privée de Santiago : « À cause de la pandémie, les établissements de santé embauchent des étudiants en soins infirmiers, aides-soignants, étudiants en kiné, pour pouvoir satisfaire leurs besoins actuels en personnel. »

    De nombreux soignants ont attrapé le coronavirus, ce qui explique en partie les besoins accrus en personnel. Et même si les autorités chiliennes n'ont jamais parlé de saturation des établissements de santé dans la capitale, jusqu'à maintenant, Sebastian affirme que cela ne correspond pas à ce qu'il voit au quotidien : « La clinique où je travaille est saturée. Quand un patient meurt, son lit est de nouveau occupé au bout de deux heures. »

    Et la situation est pire dans les hôpitaux publics, où se soignent la majorité des Chiliens, les plus pauvres, et les plus précaires. Makarena, 27 ans, a elle aussi été secouriste bénévole pendant le mouvement social né en octobre contre les très fortes inégalités sociales au Chili. Étudiante infirmière, elle travaille en même temps dans un grand hôpital public de la capitale : «Ici il y avait une dizaine de lits de réanimation, et ce chiffre est passé à 68 ! Il n'y aucun étage de l'hôpital et aucun service de l'hôpital sans patients atteints du Covid-19. »

    Le Chili a plutôt un bon système de santé par rapport à d'autres pays d'Amérique latine, mais il reste très inégalitaire. Une réalité qui rappelle à Makarena pourquoi il était si important pour elle de participer, à sa manière, aux manifestations lancées en octobre : « C'était le sens des demandes sociales... Car ici les inégalités sont abyssales. »


    Et comme la plupart des soignants, elle considère que le gouvernement, mené par le milliardaire de droite Sebastian Pinera, a beaucoup trop tardé à mettre en place le confinement dans le grand Santiago : « À un moment donné, le gouvernement a voulu privilégier l'économie, devant la santé. Aujourd'hui ces deux domaines sont au bord du gouffre. Et pour les gens qui ont perdu des membres de leur famille à cause du coronavirus, c'est irréparable. »

    Conséquence des manifestations lancées en octobre, un référendum sera organisé dans un peu moins de quatre mois, pour ou contre l'abandon de la Constitution actuelle, héritée de la dictature du général Pinochet. Makarena espère que les Chiliens choisiront une nouvelle Constitution. Pour, peut-être, rendre moins inégalitaire le système de santé du pays.

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    lundi 6 juillet 2020

    VÉNÉZUÉLA. L’OPPOSANT JUAN GUAIDO ORGANISE LE CASSE DU SIÈCLE

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    GUAIDONALD JUANTRUMP.
    DESSIN ENEKO LAS HERAS
    La justice britannique a autorisé le président [fantoche] autoproclamé du Vénézuéla à disposer des réserves d’or du pays détenues par la Banque d’Angleterre. L’institution avait refusé le transfert de 930 millions d’euros pour lutter contre le Covid-19.
    Main basse sur l’or vénézuélien. Le 2 juillet, la justice britannique a autorisé l’accès aux réserves du Venezuela, déposées à la Banque d’Angleterre, à l’opposant vénézuélien Juan Guaido, autoproclamé président en 2019. Ce dernier, reconnu par le tribunal « président constitutionnel intérimaire » « sans équivoque », espère de longue date contrôler la Banque centrale vénézuélienne (BCV) et empêcher ainsi le gouvernement d’avoir accès aux actifs à l’étranger. Le juge Nigel Teare a indiqué qu’il n’était pas de « (s) on ressort » d’estimer si les nominations faites par Guaido au conseil d’administration de la BCV étaient illégales, comme l’indique la Cour suprême de Caracas. Cette décision constitue un nouveau coup de force pour paralyser Nicolas Maduro depuis l’extérieur. Faute d’y être parvenu par un coup d’État, la violence, le blocus, la pénurie et l’inflation, le durcissement des sanctions, l’envoi de barbouzes ou le déploiement de l’armada américaine en mer des Caraïbes. Au moment où Donald Trump se dit prêt à discuter avec le président Maduro, Londres, dont la banque retient 15 % des réserves d’or vénézuélien, choisit de donner les clés du coffre à l’opposition. Le Royaume-Uni n’est pas à un paradoxe prêt. S’il permet à Juan Guaido de disposer des fonds, il reconnaît toujours officiellement l’ambassadeur du Vénézuéla nommé par les autorités chavistes.

    Cet arrêté intervient suite au contentieux qui oppose la Banque d’Angleterre à l’administration vénézuélienne, qui souffre déjà des mesures de rétorsion américaines qui entravent presque complètement l’accès aux marchés financiers. En janvier, le président de la BCV, Calixto Ortega, et le ministre de l’Économie, Simon Zerpa, s’étaient rendus à Londres pour demander la restitution de l’or. Refus catégorique. Pourtant, pour faire face au Covid-19, et suite aux refus de prêts du Fonds monétaire international, Caracas avait tenté la triangulation en formulant une demande de transfert de 930 millions d’euros des réserves d’or vers un fonds des Nations unies. Il entendait ainsi parer aux accusations de pillage des ressources. Après une nouvelle fin de non-recevoir, Caracas intente une action en justice.

    Éviter de voir l’or national détourné par la droite


    La décision britannique, susceptible de faire jurisprudence, pourrait également servir à solder le litige qui oppose la Deutsche Bank et Citibank au gouvernement vénézuélien. En 2019, les banques allemande et américaine avaient pris le contrôle d’environ 1,2 milliard d’euros suite au non-remboursement des fonds empruntés via un « swap or », une opération financière où le précieux métal sert de garantie à un prêt. Le conseil d’administration de la Banque centrale du Venezuela, nommé par le gouvernement légal, a déclaré qu’il ferait appel de la décision britannique afin d’éviter de voir l’or national détourné par la droite.

    L’accès aux actifs à l’étranger est une bataille de longue date. En janvier 2019, Juan Guaido annonçait prendre le contrôle des titres dont dispose la République hors de ses frontières avec le soutien d’une quarantaine de pays afin, disait-il, d’«empêcher qu’au moment de sa sortie (…) l’usurpateur et sa bande (le pouvoir légal – NDLR) cherchent à “gratter les fonds de tiroir” ». Dans la foulée, Washington annonçait de nouvelles sanctions contre la compagnie pétrolière nationale PDVSA, accusée par le Trésor américain d’être un « véhicule de corruption ». Si la transparence fait défaut, le camp Guaido n’est pas exempt de critiques, alors que des soupçons de corruption pèsent sur neuf députés proches de Juan Guaido. Ces derniers seraient intervenus en faveur d’un chef d’entreprise colombien lié à une affaire de blanchiment d’argent dans le programme « Clap », créé par le gouvernement de Nicolas Maduro pour fournir de la nourriture à bas prix aux plus pauvres. Un scandale qui avait prouvé, s’il en était encore besoin, que les préoccupations de l’opposition étaient tout sauf humanitaires. Juan Guaido, lui-même, est mis en cause dans ses déclarations de patrimoine et pour 91 voyages hors des frontières vénézuéliennes réalisés grâce à des fonds étrangers.

    dimanche 5 juillet 2020

    CHILI: LES MANIFESTANTS PRÊTS À REPRENDRE LE MOUVEMENT SOCIAL

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    ÉMISSION « MONDE EN DIRECT  / AMÉRIQUES»,
    « CHILI: LES MANIFESTANTS PRÊTS À REPRENDRE LE MOUVEMENT SOCIAL »
    PAR JUSTINE FONTAINE, DIFFUSION DU DIMANCHE 05 JUILLET 2020

      CHILI: LES MANIFESTANTS PRÊTS À REPRENDRE LE MOUVEMENT SOCIAL

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      LA QUEUE DEVANT LA CAISSE D'ASSURANCE CHÔMAGE
      À SANTIAGO DU CHILI, LE 28 MAI 2020.
      PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP
      Une série de manifestations a éclaté dans de nombreux quartiers des principales villes du Chili vendredi soir. En banlieue de Santiago des barricades enflammées ont été dressées à différents carrefours, et les habitants ont participé à des concerts de casseroles. Objectif : exprimer leur mécontentement, contre la manière dont le gouvernement a géré la pandémie de coronavirus et ses conséquences économiques et sociales. Avec plus 9 000 morts le Chili est proportionnellement l'un des pays d’Amérique latine les plus touchés par le Covid-19, et ses habitants réclament davantage d'aides sociales pour faire face à la crise.
      En première ligne lors des manifestations lancées au Chili en octobre dernier contre les inégalités sociales, Layne, la vingtaine, est de nouveau sorti protester contre la politique du gouvernement vendredi soir, en banlieue de Santiago. « Oui, c'était assez agité, dit-il, les gens ont protesté dans plusieurs quartiers de ma commune, avec des concerts de casseroles, des barricades... »

      Rosa Cornejo, esthéticienne de 63 ans, s'est retrouvée sans travail à cause de la crise sanitaire, et attends avec impatience la fin de la pandémie pour retourner manifester : « Je crois que les gens sont encore plus en colère qu'avant, car ils ont perdu leur travail... Et il y aura une nouvelle explosion sociale, j'en suis certaine. »

      Une conviction partagée par Ramiro Valdés, président d'une association de quartier, qui distribue 400 repas par jour aux habitants d'une commune pauvre de la banlieue de Santiago. Il se dit prêt à reprendre le mouvement social. « En tant que dirigeant associatif, je crois que nous devons revendiquer les droits de tous, et par exemple le droit de changer la Constitution de 1980 », explique-t-il.

      Une Constitution adoptée en pleine dictature du général Pinochet, et toujours en vigueur aujourd'hui. Un referendum est prévu le 25 octobre prochain, pour demander aux Chiliens s'ils souhaitent oui ou non rédiger un nouveau texte pour la remplacer.


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      jeudi 2 juillet 2020

      CHILI : CASO QUEMADOS



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      VEILLÉE FUNÈBRE DE RODRIGO ROJAS DE NEGRI 
      PHOTO LA NACION.
      1986 - 2 JUILLET - 2020
      34ème ANNIVERSAIRE DE LA MORT
      DE RODRIGO ROJAS DE NEGRI
      Il fait nuit, déjà, ce 2 juillet 1986, lorsque la patrouille militaire les encercle. Plus d’échappatoire, le piège se referme sur Rodrigo Rojas de Negri et Carmen Gloria Quintana. Le premier a 19 ans. Exilé aux États-Unis, il vient tout juste de rentrer au Chili, où le général Pinochet fait régner la terreur depuis treize ans. La seconde a 18 ans, elle est étudiante. Elle accompagne son camarade, venu photographier des manifestants dans un quartier populaire de Santiago en ce jour de grève nationale contre la dictature. Les soldats se saisissent des deux jeunes gens, les traînent dans une ruelle et, se croyant à l’abri des regards, ils les cognent et les frappent, encore et encore, à coups de pied, à coups de crosse. Carmen se souvient qu’ils devaient être trente, au moins, à s’acharner sur eux. La rage des tortionnaires est inextinguible, tabasser ne leur suffit plus. Ils aspergent leurs victimes d’essence, craquent une allumette et savourent le macabre spectacle des deux jeunes corps en flammes, avant de les enrouler dans des couvertures et de les jeter dans un camion. 

      VERÓNICA DE NEGRI, MÈRE DE RODRIGO ROJAS,
      LORS DES OBSÈQUES DE SON FILS
      PHOTO LA NACION.
      Carmen et Rodrigo sont laissés pour morts au fond d’un fossé, à l’extérieur de la ville, avant d’être découverts, quelques heures plus tard, par des passants qui les transportent à l’hôpital. Le photographe agonise quatre-vingt-seize heures durant, avant de rendre son dernier souffle. Son amie, elle, est sauvée in extremis mais, brûlée à 62 %, elle est défigurée et conservera toute sa vie de douloureuses séquelles.

      DES MILLIERS DE PERSONNES EMPRISONNÉES, TORTURÉES, TUÉES...

      Devant la colère et l’indignation que soulève cet acte de barbarie, le général Pinochet lui-même est contraint de s’exprimer sur l’affaire, laissant entendre que les deux victimes auraient été brûlées par l’explosion accidentelle de produits inflammables. La presse, à l’époque, livre une version tout aussi saugrenue, mettant en scène des émeutiers victimes d’un barrage de feu allumé pour repousser les militaires. Finalement, il faudra attendre 1993, après le départ de Pinochet, pour que le chef de la patrouille, le capitaine Pedro Fernández Dittus, soit condamné… pour « négligence ». Il écope d’abord de six cents jours de prison, avant de voir sa peine, qu’il purge dans la prison de luxe pour tortionnaires de Punta Peuco, réduite à un an pour « raisons de santé ».

      Le déni de justice du « Caso quemados » (« l’affaire des brûlés ») sera-t-il enfin réparé ? Le 24 juillet, près de trente ans après les faits, la justice chilienne a inculpé sept anciens militaires, six comme auteurs et un comme complice, pour homicide dans le cas de Rodrigo Rojas de Negri et pour tentative d’homicide dans le cas de Carmen Gloria Quintana, aujourd’hui exilée au Canada. Le magistrat Mario Carroza avait rouvert le dossier en 2013, ordonnant l’arrestation des ex-officiers impliqués dans l’affaire après le témoignage d’un militaire, Fernando Guzman, ayant contredit ses précédentes déclarations. Une entaille dans le « pacte du silence » liant les tortionnaires d’une dictature sanglante, durant laquelle des dizaines des milliers de personnes ont été emprisonnées arbitrairement, torturées, violées, tuées ou soumises à des disparitions forcées. « Avec ces poursuites, l’affaire ne s’arrête pas là, il faut voir comment elle suivra son cours, a commenté la mère du jeune photographe assassiné, Veronica de Negri. Nous devons insister encore pour que cesse ce pacte du silence, pour que tous les militaires ayant commis des crimes contre l’humanité soient dégradés. » Deux jours plus tôt, le 22 juillet, le juge Miguel Vázquez inculpait dix autres anciens militaires, accusés de l’enlèvement et de l’assassinat de Víctor Jara et de l’ex-chef de la police militaire, Littré Quiroga Carvajal. Auteur, compositeur, interprète, militant communiste, Victor Jara est l’un des symboles de la sauvage répression qui s’est abattue sur le peuple chilien au lendemain du coup d’État du 11 septembre 1973 contre le président Salvador Allende et le gouvernement d’Unité populaire. Arrêté durant le coup d’État, détenu à l’Estadio Chile, qui porte aujourd’hui son nom, puis à l’Estadio Nacional, le musicien a succombé à des sévices atroces, ses tortionnaires allant jusqu’à lui détruire les mains pour s’assurer que jamais plus il ne pourrait jouer de la guitare. Témoin lors d’un premier procès, en 2009, Hector Herrera décrit la dépouille du chanteur « couverte de boue, mains écrasées, criblée de dizaines d’impacts de balles », au milieu des « corps entassés dans les couloirs, les escaliers ». La nouvelle de l’assassinat du musicien avait, à l’époque, profondément affecté Pablo Neruda, lui inspirant ces mots terribles : « La morgue est pleine de cadavres en pièces. Victor Jara est l’un de ces cadavres en pièces. Mon dieu ! C’est comme tuer un rossignol… »

      Du Caso quemados à Victor Jara, ces nouveaux développements judiciaires témoignent d’une volonté de mettre fin à la longue nuit de l’impunité qui a prévalu longtemps après la chute de la dictature. Pinochet lui-même, protégé par son statut d’ancien chef d’État et de sénateur à vie, n’est-il pas mort paisiblement, sans avoir à rendre compte de ses innombrables crimes ? Si cette page semble se tourner, pour les victimes de disparitions forcées et de torture, pour leurs familles, l’attente est longue, interminable. « Les autorités doivent tout mettre en œuvre pour que toutes les victimes et leurs familles obtiennent justice et les réparations auxquelles elles ont droit », insiste Ana Piquer Romo, directrice d’Amnesty International Chili. À ce jour, seules 262 personnes ont été condamnées pour des violations des droits humains commises pendant la dictature.


      mercredi 1 juillet 2020

      PALESTINE. UN 1ER JUILLET EN FORME DE DEUIL POUR LA PAIX

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      INFOGRAPHIE L'HUMANITÉ
      Dévoilé fin janvier à Washington par Donald Trump et Benyamin Netanyahou, le plan d’annexion visant à dépouiller les Palestiniens de leur terre et qui pourrait entrer en vigueur dès ce mercredi est de plus en plus contesté.
      CHILI :  SOLIDARITÉ AVEC 
      LE PEUPLE PALESTINIEN
       FLYER DU PCCH
      Selon l’accord passé en mai entre Benyamin Netanyahou et son ancien rival électoral, Benny Gantz, leur gouvernement d’union doit se prononcer ce mercredi 1er juillet sur la mise en œuvre du plan états-unien pour le Proche-Orient, qui prévoit notamment l’annexion par Israël de l’ensemble de la vallée du Jourdain en plus des colonies d’implantation en Cisjordanie occupée. Actuellement, plus de 2,8 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie, où résident également quelque 450 000 Israéliens dans des colonies illégales au regard droit international. Un plan rejeté en bloc par les Palestiniens, qui n’ont même pas été consultés, mais évidemment salué par Netanyahou comme une « opportunité historique ». Ce qu’on est bien en mal de déceler. Une chose est certaine, il ne s’agit pas de grignoter une nouvelle une partie des territoires palestiniens mais bien de les avaler et donc d’en finir une fois pour toutes avec la « question palestinienne » et le droit à l’autodétermination.

      Un État qui ne serait qu'un leurre


      Trump et son gendre, Jared Kushner, à l’origine de cette initiative – concoctée avec les Israéliens – ont pris soin de mentionner la création possible d’un État palestinien mais un coup d’œil sur les cartes (voir ci-dessus) montre qu’il s’agit en réalité d’un leurre. Jérusalem étant reconnue comme capitale d’Israël par Washington, les Palestiniens sont sommés de considérer un petit faubourg, Abou Dis, comme le lieu d’établissement officiel de leurs institutions. Quant à l’État proprement dit, il s’apparenterait plutôt à un archipel. Le maillage routier prévu par l’occupant a cela de vicieux : en moins de 24 heures l’ensemble des îlots palestiniens pourraient être isolés les uns des autres. Les colons, eux, continuant à circuler sur des voies réservées. Dans un message adressé il y a quelques jours au sommet des chrétiens évangélistes, le premier ministre israélien parlait d’une « solution réaliste » où « Israël et Israël seul a le contrôle de toutes les questions de sécurité sur terre et dans les airs, à l’ouest du Jourdain ». Il osait ajouter : « C’est bon pour Israël, c’est bon pour les Palestiniens, c’est bon pour la paix. »

      Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’Autorité palestinienne, la marge de manœuvre est réduite. Ramallah a coupé ses liens avec Washington et vient de cesser sa coopération sécuritaire avec Tel-Aviv. En cas « d’annexion totale ou partielle, Israël devra prendre l’entière responsabilité de ce qui adviendra dans les territoires palestiniens et sera considéré comme une force occupante », a fait savoir un porte-parole de Mahmoud Abbas. Les Palestiniens se disent néanmoins prêts à relancer des négociations directes avec les Israéliens et à des modifications mineures de frontières sur la base de celles du 4 juin 1967, selon un texte remis au Quartet (Union européenne, ONU, Russie et États-Unis) et consulté par l’AFP.
      « L’annexion est illégale. Point final. Toute annexion. Qu’il s’agisse de 30 % de la Cisjordanie ou de 5 % », Michelle Bachelet, haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme
      Que l’annexion soit lancée aujourd’hui ou dans deux semaines, totalement ou partiellement, c’est bien un processus qui est en cours visant à changer totalement la face du Proche et du Moyen-Orient. Si Donald Trump et Netanyahou parviennent à leurs fins, ce sera évidemment un camouflet pour le droit international. « L’annexion est illégale. Point final. Toute annexion. Qu’il s’agisse de 30 % de la Cisjordanie ou de 5 % », a dénoncé Michelle Bachelet, la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. Depuis des semaines maintenant, des voix s’élèvent pour dire stop ! À l’initiative de l’ancien président de l’Agence juive mondiale, Avraham Burg (lire l’entretien ci-après), plus d’un millier de parlementaires de toute l’Europe ont exprimé leur désaccord. En France même, plusieurs appels ont été lancés (dont l’un par le PCF) en ce sens, partagés y compris par des personnalités habituellement peu critiques envers Israël.

      Un rôle de levier pour la France


      L’Union européenne (UE), malgré quelques déclarations, est malheureusement loin d’être à la hauteur de la catastrophe en marche. Emmanuel Macron, d’habitude si disert pour dire le droit, est, cette fois totalement aphone. Pour ne pas gêner son « cher Bibi » ? Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, a bien averti Israël qu’une annexion d’une partie de la Cisjordanie « affecterait » ses relations avec l’UE. Une série de mesures peuvent être prises « à titre national » et de manière « coordonnée », notamment entre la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Il a souligné que Paris restait « déterminé » à reconnaître l’État palestinien mais seulement « le moment venu ». Le faire aujourd’hui serait pourtant aider à redonner corps à la voie diplomatique. Si la France prenait cette décision, elle rehausserait son rôle. Une dizaine de pays européens, bloqués aujourd’hui par l’extrême droite au pouvoir en Hongrie et en Autriche, qui refusent toute décision de l’UE en matière de sanctions, suivraient le même chemin.

      Malgré les rodomontades, le ton hautain et méprisant de Benyamin Netanyahou, la machine lancée a toutefois des hoquets et la mise en œuvre de cette annexion n’est pas aussi simple. Le premier ministre doit tenir compte des manœuvres de Benny Gantz, son allié de gouvernement, qui veut avancer à petits pas. On parle des gros blocs de colonies autour de Jérusalem (Maale Adumim, Ariel et Goush Etzion). Mais d’un autre côté, il voudrait que l’annexion soit terminée avant les élections américaines, au cas où Trump ne passerait pas (lire ci-contre). Washington justement est soucieux d’avancer avec prudence. Car la deuxième étape du plan, après le dossier palestinien « réglé », concerne l’Iran. En fait, le véritable but. Pour cela, un rapprochement entre les pays arabes, notamment du Golfe, et Israël est en cours et même très avancé. Or, d’Amman à Abu Dhabi en passant par Riyad et Le Caire, ça renâcle sérieux. Ces pouvoirs étant déjà instables, ils préfèrent maintenant temporiser afin de ne pas avoir à affronter leurs opinions publiques pour lesquelles la Palestine signifie encore quelque chose.

      Vendu comme « express », le train de l’annexion est en train de se transformer en « omnibus ». Mais il est encore sur les rails. Ce qui est en jeu, c’est bien son déraillement.
      Pierre Barbancey

      NOUVELLE ARRESTATION DE SALAH HAMOURI À JÉRUSALEM
      GRAFFITI DE SALAH HAMOURI
      À D’IVRY-SUR-SEINE
      PHOTO JULIEN JAULIN
      C’est en se rendant à un centre médical de Jérusalem pour effectuer un test du Covid-19, obligatoire pour prendre l’avion pour la France, un départ prévu le 4 juillet, que l’avocat franco-palestinien a une nouvelle fois été arrêté par les autorités israéliennes. Il devrait être présenté devant un juge ce mercredi matin, et le consulat de France situé dans la ville sainte a été alerté. Selon son comité de soutien, qui appelle les autorités françaises à agir pour obtenir sa libération immédiate et sans conditions, il a été conduit au centre d’interrogatoire de Moskobiyeh, à Jérusalem, et aucun motif pour justifier son arrestation n’a été communiqué. Salah Hamouri avait subi le même traitement en août 2017, à quelques jours d’un voyage en France pour retrouver son épouse et son fils, puis purgé treize mois de détention administrative, sans jugement ni accusation prouvée. La mobilisation des acteurs publics et de la société civile, portée par le journal l’Humanité, avait été décisive lors de la première libération anticipée de Salah Hamouri en 2011, six ans après sa première arrestation.

      EN BOLIVIE, SUR LA ROUTE AVEC L’ÉLITE DE SANTA CRUZ

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      PHOTO ÁLVARO GUMUCIO LI.
      Du « Wall Street Journal » aux franges les plus écervelées de la gauche internationale, la quasi-totalité des commentateurs ont défendu l’idée que le président bolivien Evo Morales avait fraudé lors du scrutin présidentiel de novembre 2019. Leur erreur a contribué à priver le chef d’État sortant de sa victoire au premier tour, au profit d’une élite réactionnaire, établie à Santa Cruz. Cette dernière rêve de prendre les rênes du pays, mais ses espoirs devraient être douchés lors du nouveau scrutin, prévu le 6 septembre.
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      LE MONDE DIPLOMATIQUE - AUDIO 
       « EN BOLIVIE, SUR LA ROUTE AVEC L’ÉLITE DE SANTA CRUZ »
       Lu par Lou Chauvain 
      Un reportage de Maëlle Mariette
      6Temps de Lecture 18 min 27 s
      COLLECTIF CARTO 2009
      Arriver à Santa Cruz de la Sierra est une expérience déroutante. Dès l’aéroport, on croise des hommes gominés en costume trois-pièces, des familles mennonites aux cheveux roux, des femmes qu’une coutume locale semble contraindre — dès qu’elles atteignent un certain niveau de vie — à passer sous le scalpel d’un chirurgien esthétique et des chauffeurs de taxi en quête de clients (souvent à la peau moins mate que la leur). Puis, en roulant vers la ville, sur une ligne droite interminable, on découvre la chaleur brûlante, les plaines arides, les charrettes que dépassent de gros quatre-quatre, et les concessionnaires de moissonneuses-batteuses dernier cri, exposées tels des véhicules de luxe, qui rappellent d’où vient la richesse de la région. On longe aussi des quartiers périphériques misérables auxquels succèdent des résidences de luxe avec piscine sur le toit et salle de fitness au rez-de-chaussée. Avant d’arriver, enfin, dans le vieux centre-ville, au charme colonial.

      Située dans les plaines orientales de la Bolivie, Santa Cruz de la Sierra est la capitale du département de Santa Cruz, le plus grand et le plus peuplé du pays. D’une superficie supérieure à celle de l’Allemagne, il couvre un tiers du territoire bolivien et compte plus de deux millions d’habitants, dont la grande majorité dans sa capitale. La présence d’hydrocarbures dans le sous-sol et un puissant secteur agro-industriel ont élevé le département au rang de poumon économique du pays, représentant plus de 30 % du produit intérieur brut (PIB).

      Lors d’un précédent voyage, en décembre 2018, nous avions rencontré Mme Natalia Ibañez dans un avion. Elle avait ensuite chaleureusement proposé de nous accueillir dans sa ville. « Santa Cruz, c’est la ville la plus moderne de Bolivie. Vous avez vu tous ces condos, avait-elle alors interrogé, en référence aux lotissements privés et gardés, qui pullulent ici. C’est normal, nous, à Santa Cruz, on sait investir l’argent ; on sait le faire fructifier. Pas comme ces Indiens qui enfouissent le leur dans la terre, en offrande à leur “Pachamama”. » À l’époque, Mme Ibañez ne rêvait que d’une seule chose : évincer du pouvoir le président Evo Morales, cet « Indien illettré ».

      Le nec plus ultra, ici, consiste à ressembler à un Américain


      Près d’un an plus tard, Mme Ibañez nous a donné rendez-vous au Divine, un nails bar (littéralement «bar à ongles ») flambant neuf, tout de marbre et de verre. Les employées, nombreuses, portent blouses blanches courtes, chaussures compensées et lentilles de couleur bleue, les rendant semblables aux chanteuses substituables qui défilent sur les écrans accrochés aux murs, branchés sur la chaîne MTV. Les clientes du salon, quant à elles, s’évertuent à ne parler entre elles qu’en anglais (jusqu’à ce qu’un manque de vocabulaire les contraigne à repasser à l’espagnol). C’est que le nec plus ultra, ici, consiste à ressembler à un Américain. C’est ainsi qu’à l’aéroport nombre d’habitants de la ville dotés de la double nationalité bolivienne et américaine préfèrent faire la queue à l’immigration en utilisant leur passeport américain plutôt que de passer dans une file pourtant beaucoup plus rapide avec leur document bolivien. Tout en faisant rafraîchir sa manucure, Mme Ibañez nous dit sa joie d’avoir été exaucée. Non sans une certaine fierté. C’est son cousin qui a « libéré la Bolivie de l’enfer de la dictature » : M. Luis Fernando Camacho, avocat millionnaire à la quarantaine dynamique — et qui, d’après les informations divulguées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) en avril 2016, a créé trois sociétés offshore au Panamá qui ont permis à des particuliers, dont lui-même, ainsi qu’à des entreprises boliviennes de dissimuler et blanchir leur argent et d’établir des plans d’évasion fiscale…

      Au mois de novembre 2019, en effet, un coup d’État soutenu par la police et les militaires a renversé M. Morales, désormais en exil (1). L’épisode a été précédé d’une grève générale de vingt et un jours, consécutive aux résultats contestés de la présidentielle d’octobre 2019, qui donnaient le président sortant vainqueur de justesse au premier tour. Pendant toute cette période, le Comité civique pro-Santa Cruz, présidé par M. Camacho, s’est employé à attiser les flammes de la colère. L’organisation jouirait, selon son administrateur Diego Castel, du « plus fort pouvoir de mobilisation du pays ». Désormais candidat à l’élection présidentielle (initialement prévue le 3 mai 2020, mais repoussée au 6 septembre en raison de la pandémie de Covid-19), M. Camacho appelle à l’époque à se rassembler autour de la statue monumentale du Christ rédempteur, une des places fortes de la ville, afin de communiquer ses consignes pour la suite des mobilisations. « 80 % du renversement de l’“Indien”, c’est grâce à Santa Cruz, d’un point de vue économique et logistique », conclut Mme Ibañez. L’« Indien » ? Le président renversé Evo Morales. Une autre Crucénienne, que nous rencontrons plus tard, nous le confirmera : Mme Sirce Miranda nous raconte avoir vu, chaque soir, son compagnon et plusieurs membres du Comité civique pro-Santa Cruz faire le tour des points de blocage de la ville afin de « récompenser » les manifestants pour leur mobilisation, avec de l’argent et du riz. Effarée de ce qu’elle a observé, elle a depuis rompu avec son concubin.

      PHOTO ÁLVARO GUMUCIO LI
      Situé au centre de la ville, rue Canada Strongest, dans un joli bâtiment colonial entouré d’une grande cour ombragée où flotte le drapeau vert et blanc de Santa Cruz, le Comité civique pro-Santa Cruz est « le gouvernement moral des Crucéniens », nous explique M. Castel. Son rôle ? « Défendre les intérêts de Santa Cruz face à l’État. » Bien que composé de quelque trois cents organisations de la « société civile », le comité est depuis sa fondation, en 1950, une institution d’élite, fermement tenue par l’oligarchie locale. Pour être candidat à sa présidence, il faut être parrainé par des entrepreneurs influents et mener une campagne qui « coûte cher », explique M. Herland Vaca Diez Busch, 72 ans, président de l’institution de 2011 à 2013.

      Concernant les autres conditions à remplir, « il faut être né à Santa Cruz et y vivre depuis plus de quinze ans », complète M. Castel. Avant d’ajouter : « Monde moderne oblige ! Jusqu’à récemment, il fallait, en plus, être fils de parents crucéniens. » « Fils », car, oublie-t-il de dire, l’influence du « monde moderne » n’est pas allée jusqu’à permettre aux femmes de présider le puissant comité de cette ville conservatrice. S’il abrite une « section féminine », celle-ci demeure périphérique et cantonnée aux relations sociales.

      Lors de notre visite dans les locaux du comité, nous croisons justement l’une des figures de la « section féminine » : Mme Maria Carmen Morales de Prado, affectueusement surnommée « Negrita », dont la fête d’anniversaire de ses 60 ans a fait le bonheur des pages mondaines des magazines de la ville. Elle nous explique que « le comité est un tremplin pour entrer en politique ». C’est ainsi que la plupart des responsables politiques de Santa Cruz ont été formés à l’école du comité, qu’un de ses ex-présidents en est à son sixième mandat à la tête de la ville, tandis qu’un autre en est à son troisième à la tête de la province. Elle raconte avec émotion les derniers mois intenses passés avec les jeunes du comité « prêts à tout pour faire triompher la démocratie ». Ces jeunes, qui l’appellent affectueusement « tia » (tante), forment l’Union de la jeunesse crucéniste (Unión juvenil cruceñista). L’engagement passionné pour la « récupération de la démocratie » de cette « équipe de choc du comité » conduit fréquemment ses membres en prison pour violences.

      « Moi, je veux que mes enfants baignent dans l’odeur de l’argent »


      L’Union de la jeunesse crucéniste dispose de locaux au sein du comité. Ses militants se retrouvent au fond de la cour, au premier étage, sous une climatisation glaciale et sur un sol jonché de mégots. Ils sont près de trois cents, âgés de moins de 30 ans, blancs, souvent étudiants et issus des classes moyennes et supérieures (quoique les membres des classes populaires soient de plus en plus nombreux). Ici, on ne rechigne pas à faire le salut fasciste, bras tendu, lors des réunions : considérée comme un groupe paramilitaire par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), l’Union de la jeunesse crucéniste a été fondée en 1957 par Carlos Valverde Barbery, dirigeant de la Phalange socialiste bolivienne, créée vingt ans plus tôt sur le modèle des brigades franquistes en Espagne. Être phalangiste demeure une condition pour rejoindre l’Union de la jeunesse crucéniste, comme nous le confirmera plus tard M. Gary Prado Araúz, avocat en vue de la ville. Dans un film retraçant l’histoire de l’organisation (2), Valverde Barbery explique : « L’Union de la jeunesse crucéniste a été créée pour être le “bras armé” du comité, se chargeant non seulement de la lutte de rue mais aussi de l’endoctrinement populaire et du soutien militaire au comité. » C’est au sein de cette union que M. Camacho a fait ses premiers pas, avant d’en devenir en 2002, à 23 ans seulement, le plus jeune vice-président.

      Dans sa clinique privée, assis derrière un bureau recouvert de photographies de ses enfants et petits-enfants et jonché de livres anciens sur l’histoire de la région, M. Herland Vaca Diez Busch nous explique être l’un des fondateurs et idéologues du Mouvement de libération de la nation camba (MNC L]). D’après ce mouvement, nous dit-il avec fierté, entre un drapeau vert et blanc de Santa Cruz et une Vierge posée sur une étagère à côté des armoiries de la ville, la Bolivie est « une sorte de Tibet sud-américain, composé de groupes ethniques arriérés et misérables, aymara et quechua, où règne une culture du conflit, pré-républicaine, non libérale, syndicaliste et conservatrice, et dont le centre bureaucratique [La Paz] pratique un exécrable centralisme d’État colonial qui exploite ses “colonies internes”, s’approprie nos excédents économiques et nous impose la culture du sous-développement, sa culture ». D’un côté, donc, les camba, habitants de l’orient du pays, plutôt blancs et « occidentalisés » ; de l’autre, les colla, terme stigmatisant les « indigènes » andins de l’ouest du pays.

      « Santa Cruz ne doit rien à la Bolivie, poursuit-il. Lorsque je suis né en 1948, cette ville n’était qu’un village, aucune rue n’était goudronnée, il y avait à peine quarante mille habitants. Regardez maintenant comme c’est prospère ! Et nous sommes aujourd’hui plus d’un million et demi ! Nous étions abandonnés par l’État central, qui préférait aider les départements miniers. Nous, les Crucéniens, réclamions de l’aide, mais comme l’État ne nous la donnait pas, nous avons fait les choses par nous-mêmes : notre propre système d’eau, de télécommunications et d’électricité. On en est fiers. » Et d’ajouter : « Tout ce qui s’est fait à Santa Cruz, c’est à la sueur de notre front. » Que ce soit l’État bolivien qui ait construit les infrastructures de Santa Cruz, comme ses routes ou ses gazoducs, et qu’il ait massivement investi pour le développement de l’agro-industrie dans la région, dont elle tient l’essentiel de sa richesse, semble de peu d’importance aux yeux de notre interlocuteur.

      Soucieux que nous nous fassions une juste représentation de la région, de sa culture et de ses valeurs, M. Herland Vaca Diez Busch nous propose de l’accompagner pour le week-end, avec son frère Tulio, à Concepción, une petite ville de la province située à trois cents kilomètres au nord-est de Santa Cruz. Dans la BMW qui nous y conduit, les deux frères sont très enthousiastes à l’idée de nous faire découvrir « leur Santa Cruz », auquel ils se sentent profondément attachés. « Les collas sont une race spéciale, tu vois. Ils sont paresseux et ignorants. Ils attendent que les aides tombent. Ils n’ont jamais été de l’avant. Moi, j’ai toujours fait en sorte que mes enfants ne fréquentent pas de pauvres pour qu’ils ne deviennent pas paresseux. Je veux qu’ils baignent dans l’odeur de l’argent pour y prendre goût. Qu’ils apprennent des gens qui ont réussi et qui travaillent, car la richesse appelle la richesse. »

      Après avoir vanté les luxueuses options de sa berline allemande, le docteur poursuit : « Nous, à Santa Cruz, on aurait pu se développer beaucoup plus, mais l’“Indien” [Evo Morales] nous en a empêchés. Les gens de l’Ouest comme lui sont nés en nous détestant. C’est pour ça qu’ils nous ont freinés. Avec les droits sociaux, les aides publiques et compagnie, ils ont foutu en l’air nos entreprises. Il suffit que dans ta boîte tu aies trois femmes qui tombent enceintes en même temps, et tu dois mettre la clé sous la porte. Tu sais qu’on doit leur verser une “prime d’allaitement” qui vient s’ajouter au doble aguinaldo [double treizième mois] pour tous les salariés de l’entreprise ? C’est ça le risque de faire travailler des femmes… »

      À mi-chemin, nous passons par la ville de San Julián, sortie de terre il y a trente ans, dont la plupart des 48 000 habitants sont des colons, des paysans indiens ayant migré depuis l’intérieur du pays. « Cette jungle », comme l’appellent les deux frères, est « un exemple de l’invasion colla  », dont sont «victimes » les Crucéniens. « Ces sauvages nous jettent des pierres lorsqu’on traverse le village en voiture. En plus de nous avoir envahis, ils nous frappent et parfois nous tuent. Il faut se séparer de ces fous », expliquent ces partisans d’une autonomie de la région. Alors que nous traversons l’endroit sans encombre et croisons plusieurs femmes coiffées de tresses et de jupes bouffantes traditionnelles de l’Altiplano, le frère du médecin commente : « Ils n’ont rien à faire ici, ils ne sont pas adaptés au milieu. Par exemple, les animaux, en hiver, ils ont plus de poils ; c’est ça s’adapter à son milieu. Eux, ils ont chaud, ils transpirent et ils puent. » Incontestablement, ces Indiennes ne correspondent pas aux canons de beauté crucéniens qu’incarnent les « magnificas », ces mannequins à la peau claire et à la silhouette élancée qui, chaque mois de septembre, posent en petite tenue parmi les moissonneuses-batteuses rutilantes et les bovins gonflés aux hormones de la foire économique internationale de Santa Cruz (Fexpocruz), véritable institution de la région.

      Le livre d’Hitler ? « C’est un classique. Tu connais ? »


      Nous roulons au milieu d’immenses champs de soja et de maïs en écoutant les voix suaves d’Aldo Peña et de Gina Gil, chanteurs populaires cambas, qui interprètent leurs plus grands titres, La cruceñidad, Pena cruceña ou encore Viva Santa Cruz. Mais qu’est-ce au juste que la cruceñidad ? La question plonge les deux frères dans la perplexité. Ils mûrissent longuement leur réponse, à la manière de la Crucénienne Gabriela Oviedo, Miss Bolivie 2003, qui, lorsqu’on l’interrogea sur son pays lors du concours de Miss Univers, répondit : « Malheureusement, les gens qui ne connaissent pas la Bolivie pensent que nous sommes tous indiens. La Paz renvoie cette image, avec ses pauvres de petite taille, ses peuples autochtones. Moi je viens de l’autre moitié du pays, la partie est, où il ne fait pas froid mais très chaud, où nous sommes grands et blancs, où nous connaissons l’anglais. Cette idée reçue selon laquelle la Bolivie n’est qu’un pays andin est fausse. » Après quelques minutes de réflexion, M. Herland Vaca Diez Busch répond à notre question en citant de mémoire un passage de… Mein Kampf. Pensant avoir mal compris, nous lui demandons : « Le livre d’Adolf Hitler ? » « Bien sûr, nous répond-il, c’est un classique ! Tu connais ? »

      Nous roulons depuis plus de trois heures. Les paysages sont à présent plus vallonnés et luxuriants. Nous traversons de petits villages aux maisons coloniales assez basses et aux avancées couvertes, alignées de part et d’autre de rues en terre battue. Nous croisons en chemin plusieurs Harley-Davidson que chevauchent, cheveux au vent, d’adipeux hommes blancs en chemise de cow-boy, et qui dépassent les petites motos pleines de boue des familles à la peau plus mate. Les deux frères sont excités de retrouver l’atmosphère de leur jeunesse, une partie de leur famille étant originaire de la région. M. Tulio Vaca Diez Busch, nostalgique, se souvient : « Hey Gros [le surnom qu’il donne à son frère], tu te souviens quand il y avait un Indien qui se faisait taper là dans la rue, quand ils l’ont fait tomber de son vélo ? »

      Nous arrivons enfin à San Javier, où nous sommes attendus par des camarades « autonomistes » réunis pour planter un mojón (piquet de bois de 2,20 mètres de hauteur et de 20 centimètres de large) sur la place principale, devant la mairie. L’organisateur de l’événement, M. Joe Nuñez Klinsky, un entrepreneur crucénien à la moustache rousse, nous explique, animé d’une conviction sincère et enthousiaste, que « l’objectif de cette action citoyenne est de laisser des jalons du courant autonomiste dans chaque ville du pays, accompagnant ainsi le processus qui doit mener à une Constituante fédérale en Bolivie, premier pas vers l’autonomie de Santa Cruz ». Il y a là environ cinquante personnes, pour la plupart des hommes d’une soixantaine d’années, en jeans et chemises, chaussés de mocassins ou de santiags, chapeaux vissés sur la tête, étuis à couteau à la ceinture, Ray-Ban sur le nez, grosses montres en or au poignet. Après son discours, M. Herland Vaca Diez Busch — qui n’a pas manqué de faire référence à son oncle Germán Busch Becerra, fils de médecin allemand devenu fameux pour ses prouesses lors de la guerre du Chaco ayant opposé la Bolivie au Paraguay de 1932 à 1935 et qui se proclama président du pays en 1937 — tire sur le drapeau vert et blanc qui recouvre le mojón, sous les applaudissements de l’assemblée. Celle-ci entonne alors l’hymne crucénien la main sur le cœur en agitant des drapeaux aux couleurs de la région. Ces personnes qui composent l’élite crucénienne ont pour la plupart des terres par ici. Alors que nous leur faisons remarquer : « C’est étonnant, vous avez presque tous les yeux bleus comme moi ! », ils nous répondent : « Mon père ou mon grand-père étaient européens » et ajoutent : «Il y a beaucoup de descendants d’Allemands par ici. »
      PHOTO ÁLVARO GUMUCIO LI
      La cérémonie terminée, nous nous remettons en route pour Concepción, vers l’hacienda d’un troisième frère, multimillionnaire (« Et je parle en dollars ! », précise M. Tulio Vaca Diez Busch), propriétaire de concessions de bois et de canne à sucre ainsi que d’élevages bovins, comme la plupart des grands propriétaires terriens environnants. Une fois arrivés sur la place principale de ce joli village colonial indiqué dans tous les guides touristiques, notre compagnon de route ajoute que ce n’est pas son seul atout. « Ici est né un grand homme », énonce-t-il, le général Hugo Banzer Suárez, qui fut président de la République à deux occasions : la première fois de 1971 à 1978, à la suite d’un coup d’État, où il mit alors en place un régime militaire dont le conseiller spécial concernant les techniques de répression était l’officier nazi Klaus Barbie ; puis de 1997 à 2001, où il fut cette fois démocratiquement élu. Nous prenons notre repas dans un restaurant de la place dont les restes sont mis dans un sac plastique qui sera ensuite donné à « l’Indien » qui garde l’hacienda du frère multimillionnaire. M. Herland Vaca Diez Busch explique, à propos de son acte de générosité : « Les gens qui avaient le pouvoir à La Paz ont la haine contre nous, car nous avons toujours su travailler en bonne harmonie avec nos Indiens. » Cette cohabitation fraternelle ne nous sautera cependant pas aux yeux le lendemain matin, lorsque nous nous rendrons à la messe dominicale de la mission jésuite de Concepción. D’un côté, des bancs occupés par des patrons blancs aux traits européens, dont les enfants regardent des dessins animés Disney sur l’iPhone de leurs parents, de l’autre des péons indiens, dont les enfants envient leurs petits camarades. Quant au prêtre, il commence ainsi : « Nous sommes tous, mes bien chers frères et mes bien chères sœurs, unis ici pour que le sauvage Evo Morales ne revienne plus.»

      Les trois frères réunis, nous partons pour l’hacienda Berlin, à vingt kilomètres de là. C’est une propriété de 1 200 hectares, où nous attend son propriétaire, M. Oscar Mario Justiniano, dans son imposante maison coloniale ceinte d’une large pergola. Nous ne sommes pas seuls : une quinzaine d’hommes, déjà présents à la cérémonie autonomiste, viennent d’arriver. Ce petit monde évolue ensemble depuis l’enfance : ils étaient les camarades de classe de M. Justiniano et de M. Tulio Vaca Diez Busch lorsque ces derniers fréquentaient l’école La Salle de Santa Cruz. Cet établissement privé religieux, fréquenté par les enfants de l’élite locale, est « le meilleur de la ville, car c’est celui qui coûte le plus cher », m’explique l’un d’eux, avant d’ajouter : « Ils ont su faire fructifier l’argent, ils ont investi, entre autres choses, dans le bois et l’élevage. »

      Un agneau et deux cochons rôtissent sur des broches, le personnel de M. Justiniano nous apporte des rafraîchissements, l’ambiance est à la fête. Durant le repas, on nous explique : « La France, vous êtes un grand pays car vous avez une grande armée, et aussi le nucléaire. C’est ça un pays développé, avoir une capacité militaire. » Un de ses camarades réagit : « Santa Cruz, c’est grand comme la France et il y a beaucoup de richesses. Imagine si on pouvait avoir l’armée de la France : on pourrait lutter contre l’invasion de ces barbares d’Indiens, pour en finir. » Une fois le repas terminé, certains se jettent dans des hamacs pour digérer les kilos de viande ingérée, d’autres boivent de la bière. Nous apprenons alors que tout ce petit monde célèbre chaque année, le 9 octobre, l’assassinat d’Ernesto « Che » Guevara dans la province de Santa Cruz, souhaitant d’ailleurs le même destin funeste à tous les communistes.

      Car le communisme, c’est l’impôt. Or, sous la présidence de M. Morales, les Crucéniens auraient été victimes d’une forme d’« extorsion », comme nous l’explique M. Pablo Mendieta Ossio, directeur du centre d’économie de la chambre de l’industrie, du commerce, des services et du tourisme de Santa Cruz : « Le problème n’est pas tant le taux d’imposition, nos impôts sont très bas en Bolivie, que les contrôles qui se sont intensifiés ces dernières années, qui multiplient les possibilités d’erreur de la part des services fiscaux et donc les amendes. Les entreprises ont ainsi accumulé des dettes fiscales qui représentent des sommes très importantes, dont le remboursement les mettrait en situation délicate. » Depuis l’arrivée au pouvoir du général Banzer Suárez s’était instaurée en Bolivie une tradition dite de l’amnistie fiscale (perdonazo tributario) : lorsqu’un nouveau président était élu, il annulait les dettes fiscales des élites. Or, arrivé à la tête du pays, M. Morales a dérogé à la coutume, de sorte que beaucoup de grosses fortunes ont aujourd’hui des dettes fiscales de plusieurs millions de dollars. Mais le gouvernement de facto de Mme Jeanine Añez, instauré après le coup d’État de novembre 2019, est bien décidé à rétablir l’ordre des choses et à « mettre fin à l’extorsion menée par le gouvernement précédent », comme l’a déclaré son ministre de l’économie, M. José Luis Parada. C’est ainsi qu’il planche actuellement sur une nouvelle loi d’amnistie, en dépit des critiques selon lesquelles pareilles évolutions législatives ne sauraient relever d’un gouvernement par intérim.

      « Ici, les filles sont belles. Rejoignez-nous ! »


      À Santa Cruz, un défilé de quatre-quatre vient se garer devant l’Église chrétienne de la famille (évangélique) et laisse peu de doutes quant à la prospérité des ouailles. C’est jour de culte, aujourd’hui. Dans un immense patio où chacun attend l’heure de la célébration, on croise dans une ambiance bon enfant, où tous se connaissent, des femmes en talons aiguilles, des hommes bodybuildés à l’étroit dans leurs chemises de marque ou des jeunes en jeans et baskets dernier cri. Une fois entrés dans une grande salle, la célébration commence en musique. Accompagné d’un batteur, d’un bassiste, de trois guitaristes et d’un claviériste, un chanteur entonne des chansons chrétiennes reprises par l’assistance. Les paroles défilent sur fond de levers de soleil, de flammes ou de ciels étoilés sur deux écrans géants accrochés au mur, tandis qu’un technicien fait danser les spots de couleur au rythme de la musique. Rapidement, le ton du chanteur-chauffeur de salle, qui reprend des forces grâce à quelques gorgées de Red Bull entre les chansons, se fait plus incantatoire. L’assistance lève alors les bras, chante plus fort, s’agenouille, pleure, ferme les yeux.
      C’est à ce moment qu’entre en scène le pasteur, la quarantaine, vêtu comme ses fidèles « branchés », un iPad sous le bras, sur lequel il va lire son prêche. Quand la cérémonie s’achève, le pasteur invite les fidèles à « remercier Dieu » et ajoute : « Tout le monde doit donner, même si l’on n’a pas beaucoup d’argent. Car, pour montrer à Dieu qu’on l’adore, il faut faire quelque chose qui nous coûte. » Un étui de guitare déposé sur la scène se remplit alors rapidement de grosses coupures. Animé par la foi, le pasteur fait la promotion de son Église sur sa page Facebook, où il annonce la venue de stars pour des concerts de rock chrétien « hallucinants ». Entre des montages photographiques de jeunes femmes de l’Église légendés « Ici les filles sont belles, rejoignez-nous ! », on trouve aussi des photographies du pasteur en compagnie de M. Camacho, qui, « grâce à la force de Dieu, nous a surnaturellement libérés du Mal ».
      Maëlle Mariette
      Journaliste.
      Notes :
      (1) Lire Renaud Lambert, « En Bolivie, un coup d’État trop facile », Le Monde diplomatique, décembre 2019. 
      (2) « Historia de la Unión juvenil cruceñista », vidéo consultable en ligne.
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