lundi 23 décembre 2013

CHILI : LES DÉFIS POLITIQUES DU GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE MAJORITÉ

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Alors que la NM était en train de se constituer, deux personnalités sont venues au Chili pour obtenir des appuis politiques. La fille du dissident cubain Oswaldo Payá, invitée par la DC, est venue demander de l’aide au gouvernement chilien pour une enquête sur le décès de son père [1]. Plus tard, le malheureux candidat à la présidence vénézuelienne, Henrique Capriles, a souhaité, sans succès, s’entretenir avec la candidate Bachelet [2]. Ces deux visiteurs, connus pour leurs liens avec les USA, ont sans trop de mal déclenché des polémiques entre la DC et d’autres partis de la NM, notamment les communistes. En effet on connaît les désaccords qui existent entre les partis de la NM par rapport à certains gouvernements progressistes d’Amérique Latine.


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La droite locale ne s’est pas non plus privée d’intervenir. Elle a vigoureusement dénoncé l’appui apporté à la candidate Bachelet par les communistes qu’elle accuse d’être partisans « de la voie chaviste », ce qui constitue un péché majeur pour les idéologues du néo-libéralisme [3]. En effet, ceux-ci sont bien conscients que le danger le plus grave et sérieux pour le système néo-libéral chilien est la constitution d’une alliance politique large, dotée d’un programme réaliste destiné à démonter les bases de l’œuvre du dictateur Pinochet.


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Et à l’intérieur même de la NM cette fois, ce sont les démocrates-chrétiens qui ont tenté l’opération, en reprochant au PCCh sa politique de lutte frontale, y compris armée, contre la dictature [4] et sa permanente solidarité avec la révolution cubaine. De même, ils se sont déclarés inquiets de la forte implantation du PCCh dans les mouvements sociaux en soulignant qu’une telle implication rendait impossible sa participation à un gouvernement [5].

Toutes ces manœuvres n’ont pas réussi à empêcher la constitution de la coalition qui a donc présenté sa candidate, mais elles se poursuivent néanmoins.

L’ultime tentative ne date que de quelques jours, lorsque Gutemberg Martínez, ex-responsable du Parti Démocrate Chrétien, a déclaré que « ce serait une erreur » de la Présidente Michelle Bachelet si elle incluait des ministres communistes dans son gouvernement [6]. Ses propos ont, par la suite, été relayés par Ricardo Israel, ex-candidat au poste de Président pour le Parti Régionaliste (PRI) qui obtint 0,57% des voix [7]. Celui-ci est même allé plus loin en préconisant la création d’une Fédération des Partis du Centre, composée de Rénovation Nationale (RN), de la DC et du PRI, ce qui aurait comme résultat l’éclatement de la coalition de centre gauche.

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DRAPEAU DU PARTI DÉMOCRATE-CHRÉTIEN DU CHILI

Ces dernières démarches ont reçu une avalanche de critiques des responsables de la NM, y compris de la propre DC [8]. Michelle Bachelet, quant à elle, a tenu à clarifier la situation en déclarant que la composition des futurs cabinets ministériels relevait « de la compétence exclusive de la présidente » [9]. Cette précision n’est ni inutile, ni, comme le prétendent certains analystes, « préoccupante » [10]. En effet, lors de son précédent mandat, le pouvoir décisionnel revenait à M. Velasco, son ministre du budget, lequel non seulement fixait la priorité, pour des raisons budgétaires, des mesures politiques mais en définissait aussi la pertinence [11]. Ce ne sera désormais plus le cas et le programme de la NM sera vraisemblablement respecté, n’en déplaise à certains.

En conséquence, une des tâches qui attend le nouveau gouvernement nous semble être la lutte contre le néo-libéralisme qui a aussi ses partisans à l’intérieur de la majorité.


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UN PARTISAN DE MICHELLE BACHELET S'ABRITE SOUS UN DRAPEAU COMMUNISTE, LE 12 DÉCEMBRE 2013 À SANTIAGO. PHOTO IVAN ALVARADO 








Mais, il en existe une autre, celle de convaincre un secteur politique qui pour l’instant doute de sa volonté politique de changement, celui de l’extrême gauche. Dès le pacte électoral entre l’ancienne Concertation et le PCCh pour les municipales d’octobre 2012, les représentants de la gauche « révolutionnaire » avaient dénoncé la « trahison » des communistes et voulu se positionner comme avant-garde du mouvement politique et social. Le principal reproche qu’ils adressent aujourd’hui à la NM, qu’ils s’entêtent d’ailleurs à appeler Concertation [12], est que cette alliance va appliquer, malgré ses promesses, une politique néo-libérale. Et pour justifier ce rejet ils ne cessent de rappeler la politique de l’ancienne Concertation, en particulier sous le mandat de Michelle Bachelet, occultant que les partis qui composent la NM ne sont pas les mêmes que ceux de la coalition précédente. Dans l’histoire du Chili, on a vu que de nouvelles conditions politiques pouvaient favoriser des changements de position, ce que l’extrême gauche refuse de croire. Si on l’écoutait, il serait impossible d’expliquer comment certains des plus proches collaborateurs d’Allende avaient, en 1952, soutenu l’élection du général Carlos Ibañez del Campo, ex-dictateur des années 27-31 [13].

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LA MAIN QUI N'ARRIVE PAS AUX URNES. DESSIN  AHUMADA DANS LA JORNADA

Pour conclure, nous pensons que la mise en œuvre concrète des mesures contenues dans le programme de la NM, prévues pour être appliquées dès la première année du mandat [14], serait un bon antidote contre l’indifférence citoyenne à la politique.
Aujourd’hui les attentes sont énormes, y compris chez ceux qui jusqu’ici s’étaient auto-exclus et qui persistent à ne pas reconnaître la portée de cette élection. On peut même imaginer que la disparition de la constitution pinochetiste ouvrira des perspectives de luttes, auxquelles seront certainement tentés de se joindre de nombreux chiliens pour, à terme, terrasser le néo-libéralisme.

J.C. Cartagena et N. Briatte









Reportages Andrés Velasco :
  • Todos los ojos sobre el “niño maravilla” : Passer de ministre à politique n’est pas facile non plus. Même si l’on peut penser que le ministère du Budget est un ministère plutôt technique [,,,] il ne l’est qu’en apparence car la variable politique conditionne chacun des projets générés.
  • Improbable héros : Lorsqu’elle a dévoilé qu’elle lui demandait régulièrement pourquoi on ne pouvait pas dépenser plus, Bachelet a insinué qu’elle voulait dépenser, mais que son ministre ne le permettait pas.

  • [13] Parti Socialiste Populaire (Chili) : Parmi les principaux collaborateurs de Ibañez on trouve Oscar Schnake et Clodomiro Almeyda, entre autres, qui eurent des responsabilités ministérielles.



samedi 21 décembre 2013

QUILAPAYUN - 1970 - SANTA MARIA DE IQUIQUE, CANTATA POPULAR

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 « QUILAPAYUN - 1970 - SANTA MARIA DE IQUIQUE, CANTATA POPULAR »  
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CHILI : RETOUR SUR LA VICTOIRE DE MICHELLE BACHELET

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Thomas Huchon, journaliste français, ancien correspondant au Chili et auteur de Salvador Allende, l’enquête intime (éd. Eyrolles), répond aux questions de Laurent-David Samama suite à la victoire sans surprise de la socialiste Michelle Bachelet à la présidence du Chili.
Laurent-David Samama : Avec plus de 62% des suffrages, Michelle Bachelet vient d’être élue Présidente du Chili. Ce sera son deuxième mandat. Qu’est-ce qui explique ce large succès?
Thomas Huchon : Michelle, comme l’appellent les Chiliens, possède une forte popularité, elle est assez fédératrice. Sa campagne avait pour slogan principal « Le Chili pour tous ». Elle a gagné avec plus de 60% des suffrages, après avoir quasiment gagné dès le premier tour (47%). Désormais, elle se sait attendue par ceux qui ont voté pour elle et, au delà de ça, par tout un pays.
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UN SLOGAN EN FAVEUR DE MICHELLE BACHELET, LE 14 DÉCEMBRE 2013 À SANTIAGO. PHOTO JORGE SAENZ 
L.D.S. : Un bémol pourtant, la forte abstention lors de ce scrutin… Comment l’interpréter ?

T. H. : C’est le point noir de cette élection. 58% des Chiliens n’ont pas voté… C’est énorme. 7,5 millions des 13 millions d’inscrits sur les listes électorales n’ont pas voulu participer à ce moment traditionnellement important au Chili. Ce qui ne fait que 3,5 millions d’électeurs pour la nouvelle Présidente. C’est très peu. Surtout dans un pays où la politique est un sport national. C’est là la preuve du rejet massif du système politique chilien par un peuple qui refuse de participer à cette mascarade de démocratie. Il faut savoir que la constitution chilienne date de 1980, elle a été mise en place en pleine dictature par Pinochet et ses sbires… Et jamais remise en cause depuis.

→ A (re)lire : MICHELLE BACHELET : MAJORITÉ D’UN ÉLECTORAT MINORITAIRE


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UN PARTISAN DE MICHELLE BACHELET S'ABRITE SOUS UN DRAPEAU COMMUNISTE, LE 12 DÉCEMBRE 2013 À SANTIAGO. PHOTO IVAN ALVARADO 

L.D.S. : Bachelet a porté un ambitieux programmes de 50 réformes en 100 jours. Quelles en sont les plus emblématiques ? Ne s’agit-il pas de promesses vaines ?

T. H. : La première des mesures, c’est le changement de constitution justement. Mais la voie légale est très compliquée (Pinochet avait bien prévu son coup), et les alliés électoraux de Mme Bachelet ne sont pas d’accord sur la méthode à adopter : les communistes veulent faire table rase du texte, alors que les démocrates chrétiens et les sociaux démocrates se satisferaient d’une modification de la loi fondamentale.
Le deuxième gros chantier, c’est l’éducation gratuite et pour tous, que les étudiants appellent de leurs vœux, dans la rue, depuis plusieurs années. Le Chili est le seul pays du continent à ne disposer d’aucune université gratuite ! Il est pourtant loin d’être le plus pauvre. Mme Bachelet se sait attendue sur ces deux questions, et pourtant sa marge de manœuvre sera extrêmement réduite.

Il y a aussi deux questions de société qui ont agité les débats de campagne : le mariage gay et la question de l’avortement, qui est un crime au Chili et donc sévèrement réprimé. Sur ces deux sujets, la volonté de la nouvelle Présidente est claire et affichée. Mais ses alliés démocrates chrétiens lui laisseront-ils les coudés franches? C’est l’une des questions de cette première année de mandat. Maintenant, savoir si ces propositions sont vaines… Je préfère rappeler cet adage : les promesses n’engagent que ceux qui y croient !
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MICHELLE BACHELET À LA «DEMEURE DU CHAOS»

L.D.S. : On le sait peu en France mais Bachelet a vécu la dictature dans sa chair, ayant elle-même fait l’objet de tortures sous le régime de Pinochet…

T. H. : Oui, Madame Bachelet a connu les centres de torture de Pinochet, en particulier la Villa Grimaldi à Santiago. Sa mère aussi. Quant à son père, le général Bachelet, il est l’un des rares militaires chiliens à avoir refusé le putsch. Il est mort torturé en prison en 1974. L’histoire personnelle de Michelle Bachelet reflète la douloureuse histoire de ce pays.


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À SANTIAGO, LE 15 DÉCEMBRE 2013. PHOTO MARTIN BERNETTI

L.D.S. : Bien qu’il demeure un pays très conservateur, le Chili offre pourtant au monde le spectacle d’une démocratie qui oppose, dans les urnes, deux femmes puissantes… Est-ce là le signe d’une société qui progresse ?

T. H. : On peut le voir comme ça. Mais ce n’est pas si simple. Deux femmes pour une présidence, c’est sûr qu’on en est très loin en France ! Pour autant, l’adversaire de Mme Bachelet, Evelyn Matthei, représente ce que la droite chilienne a de plus conservateur voire réactionnaire. Catholique intégriste, proche de l’Opus Dei, farouchement néo-libérale, viscéralement opposée à l’idée même de réforme sociale ou de remise en cause des lois de la dictature, elle reste fidèle à celui qu’elle appelle encore « mon Général », le dictateur Augusto Pinochet… Donc si le Chili progresse, en effet, une partie de la population demeure hermétique au changement.

L.D.S. : Peut-on aller jusqu’à dire qu’avec cette large victoire de la candidate socialiste c’est un peu de l’esprit d’Allende qui fait son retour au Chili ?

T. H. : L’esprit d’Allende n’habite plus les socialistes    [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

KAROL CARIOLA. PHOTO PABLO SANHUEZA
Chiliens depuis longtemps. Pourtant, le Président a enfin, 40 ans après sa mort, trouvé ce qui ressemble fort à des héritiers. Camila Vallejo, Giorgio Jackson, Gabriel Boric et Karol Kariola, tous ont moins de 30 ans, tous sont issus du mouvement étudiant qui secoue le Chili depuis 2011. Tous sont sur des postures radicalement de gauche qui rappellent l’Unité Populaire d’Allende. Ils incarnent la relève, mais aussi le présent du Chili. Une chose est sûre : leurs ainés au parlement vont avoir du boulot car l’arme de ces jeunes, c’est le travail et la connaissance méticuleuse des dossiers. Espérons que leur fraîcheur, qui est un atout, leur permette de changer enfin ce pays. Le Chili en a grand besoin.

MICHELLE BACHELET : MAJORITÉ D’UN ÉLECTORAT MINORITAIRE

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C’est ainsi que des milliers de nouveaux abstentionnistes sont venus s’ajouter à ceux déjà existants, car, au Chili, le vote par procuration ou à l’étranger n’existe pas. Tous ceux qui vivent hors des frontières, les grabataires, ceux qui sont en déplacement, etc., ne peuvent simplement pas voter. Pas étonnant alors que la réforme ait fait monter en flèche le nombre d’abstentionnistes !

Certes, ce nouveau phénomène ne doit pas nous faire oublier qu’une partie significative de l’abstention chilienne est le produit d’une extraordinaire désaffection vis-à-vis des partis politiques et du personnel politique en place.

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LA MAIN QUI N'ARRIVE PAS AUX URNES. DESSIN  AHUMADA DANS LA JORNADA
Les électeurs ne réussissent 
pas à faire la différence entre gauche et droite, la droite ayant un discours populiste, désirant faire oublier 
son passé « pinochétiste » et la gauche « renouvelée » ayant échoué 
à son devoir d’en finir avec l’héritage 
de la dictature, à commencer par 
la Constitution autoritaire de 1980.

Il est fort à parier que la droite revancharde ne manquera pas 
de faire remarquer le manque 
de « représentativité » de la nouvelle présidente.

Ricardo Parvex, vice-président de l’association d’ex-prisonniers politiques chiliens-France.

L'EGLISE CHILIENNE S'ADRESSE À MICHELLE BACHELET

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LE BIEN COMMUN SE CONSTRUIT AVEC LA COLLABORATION DE TOUS 

Se référant en particulier aux thèmes controversés de l’avortement et du mariage homosexuel affrontés pendant la campagne électorale, Mgr. Ezzati a affirmé que les propositions de l’Église « mettent en évidence que le respect et la promotion de la vie, concernent beaucoup d’autres problèmes comme le travail, le logement, l’éducation et le respect des anciens, des problèmes parmi tant d’autres ».« Pour l’Église, a-t-il ajouté, les thèmes liés aux valeurs sont en lien étroit avec les valeurs qui permettent le plein développement et la réalisation de la vie humaine ». 

Se référant à la faible participation au vote lors du ballotage de dimanche, Mgr. Ezzati a affirmé respecter la liberté de tous ceux qui ont choisi de ne pas voter, en ajoutant néanmoins, que « le bien commun, qui est un droit, se construit par la contribution de tous ». Il a donc conclu avec le souhait « qu’une vraie éducation civique, une haute conception de la politique et une construction de la polis deviennent un vrai patrimoine pour tous les hommes et toutes les femmes du Chili ».

En vue du prochain tour électoral, les évêques du Chili avaient publié en novembre un message pour exhorter les citoyens chiliens à exercer en conscience leur propre droit de vote et pour exhorter les politiciens à contribuer au développement social du pays. Dans le document, les évêques avaient attiré l’attention des fidèles sur trois points: la défense inconditionnelle de la vie à partir de sa conception jusque la mort naturelle, donc contre les brèches des deux candidates pour une possible modification de la loi actuelle sur l’avortement; la protection de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme, contre l’hypothèse de légaliser les mariages homosexuels, auquel le vainqueur s’était déclaré favorable. 

Enfin, le message attirait l’attention sur le thème de la justice sociale. « La société chilienne continue d’être blessée par de honteuses divergences d’opinion qui excluent des milliers de citoyens des conditions nécessaires pour leur développement intégral, une réalité qui ne concerne pas seulement les secteurs les plus pauvres et les plus vulnérables mais aussi la classe moyenne ». 

mardi 17 décembre 2013

CHILI: LES DÉFIS QUI ATTENDENT MICHELLE BACHELET

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LES REVENDICATIONS DES ÉTUDIANTS  « POUR TOUS, TOUT ! EDUCATION PUBLIQUE GRATUITE ET DIGNE. LA VOIX DU PEUPLE SE FAIT ENTENDRE ») RFI / CLAIRE MARTIN

C’était un résultat attendu, Michelle Bachelet revient à la Moneda, le palais présidentiel de Santiago du Chili, quatre ans après l’avoir quitté. Présidente entre 2006 et 2010, elle s’est imposée dimanche 15 décembre au second tour de la présidentielle avec plus de 62% des voix, contre 35% pour son adversaire, Evelyn Matthei. Avec un programme ambitieux, Michelle Bachelet se sait attendue. Elle dispose d’un peu moins de trois mois pour peaufiner son programme avant de prendre ses fonctions le 11 mars 2014.


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CHILI: LES DÉFIS QUI ATTENDENT MICHELLE BACHELET  INTERVIEW DE ALEXANDRA CAGNARD  CHILI -  ARTICLE PUBLIÉ LE : LUNDI 16 DÉCEMBRE 2013 
DURÉE : 00:07:51



JEAN-JACQUES KOURLIANDSKY

Jean-Jacques Kourliandsky: « Michelle Bachelet avait laissé un très souvenir en dépit du fait qu'un certain nombre de dossiers n'avaient pas pu être réglés» chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) en charge de l’Amérique Latine.


Michelle Bachelet va vite devoir se mettre au travail. Lors de sa campagne, la candidate de la coalition de gauche n’a pas hésité à faire des promesses qui semblent, pour certaines, difficilement tenables. Elle s’est notamment engagée à mettre en œuvre 50 réformes dans les 100 premiers jours de son mandat.
→ à (re)lire : Michelle Bachelet remporte la présidentielle chilienne

La première d’entre elle, qui consiste à changer la Constitution héritée de la dictature, pourrait ne jamais voir le jour. Car pour prétendre à une telle réforme, il faut bénéficier d’une majorité qualifiée dans les deux chambres, ce dont la gauche ne dispose pas. Michelle Bachelet devra donc négocier avec les élus de droite, très peu enclins à un tel changement.

Donner satisfaction aux jeunes sur le dossier de l'éducation

Son deuxième grand chantier doit permettre à la jeunesse chilienne d'accéder à une éducation publique de qualité. Les jeunes ont majoritairement voté en sa faveur et attendent avec impatience la mise en œuvre de ce chantier. Mais si la réforme tarde, cette jeunesse pourrait très vite retrouver le chemin des manifestations et des barricades, comme ce fut le cas ces derniers mois.

Une telle réforme coûtera forcément de l’argent. D’où le troisième grand chantier: une large réforme fiscale. Michelle Bachelet désire avant tout réduire les inégalités sociales dans un Chili prospère. Et avec un taux de croissance élevé, elle dispose de la manne financière nécessaire pour atteindre la plupart de ses objectifs.


CHILI : LE PCF SALUE LA VICTOIRE DE MICHELLE BACHELET

COMMUNIQUE DE PRESSE        [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
PIERRE LAURENT. 

PHOTO MATTHIEU ALEXANDRE
Le Parti communiste français salue la victoire de Michelle Bachelet, candidate de la coalition «Nouvelle majorité » à l'élection présidentielle de ce dimanche 15 décembre. Les résultats montrent la volonté claire de changement qui existe dans le peuple chilien.
Les défis à relever sont nombreux dans un pays marqué par l'empreinte du néolibéralisme hérité des années de la dictature.
Le résultat obtenu par Michelle Bachelet, plus de 60% des voix exprimées, incarne l'espoir des étudiants, des mineurs du cuivre, des fonctionnaires, des défenseurs de l'environnement, du peuple  Mapuche, des défenseurs des Droits de l'Homme qui se battent depuis des années pour des changements. Ce résultat est aussi le résultat d'un rejet déterminé des politiques mises en place par la droite héritière de la politique et de l'idéologie des années les plus noires de l'histoire du Chili.

Le PCF félicite le peuple chilien et toutes les forces du progrès engagées dans cette bataille électorale dans laquelle le Parti communiste du Chili a joué un rôle inestimable. 
Pierre Laurent secrétaire national du PCF
Paris, le 16 décembre 2013.

dimanche 15 décembre 2013

LA CANDIDATE MICHELLE BACHELET SOUHAITE MODIFIER LA CONSTITUTION CHILIENNE

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UN SUPPORTER DE LA PRÉSIDENTE CHILIENNE MICHELLE BACHELET S'EST FAIT TATOUER SON PORTRAIT SUR SA CUISSE, LE 17 NOVEMBRE 2013. PHOTO CLAUDIO REYES

Dimanche, elle espère l'emporter haut la main pour renouveler ses engagements. « J'ai besoin d'une large majorité », affirme-t-elle, admettant « être préoccupée » par la perte de crédibilité des partis politiques et la faible participation électorale – 55 % – lors du premier tour de la présidentielle, le 17 novembre. Pour la première fois dans ce type de scrutin, le vote n'était pas obligatoire.

« NOUVEAU CYCLE POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIAL »

« Les trois actions phares de mon gouvernement seront la réforme de la Constitution, une réforme fiscale et une réforme pour instaurer une éducation publique de qualité et la gratuité des études supérieures d'ici six ans », poursuit-elle.



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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE

Et d'ajouter : « C'est un nouveau cycle politique, économique et social qui s'ouvre. La société exige une plus grande participation dans la vie du pays, une meilleure répartition des richesses, un système de santé et de retraites plus efficace et équitable. »

Le Parti communiste a soutenu sa candidature. « Je n'ai rien promis à personne », répond-elle quand on lui demande si elle va nommer des ministres communistes, comme au temps de l'ancien président socialiste Salvador Allende (1970-1973). Elle admet que « rien n'est simple » au sein de la coalition de centre-gauche Nouvelle majorité, avec en particulier les réticences de ses alliés de la Démocratie-chrétienne à l'égard de certains de ses projets.

Elle confie « avoir des rêves, mais aussi les pieds sur terre » : « Je suis une personne responsable et je crois pouvoir gouverner et obtenir une cohésion sociale, de par mon histoire et mon expérience. »

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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE

« DIVERSITÉ »

Michelle Bachelet et sa mère ont été arrêtées et torturées après le coup d'Etat militaire de 1973. Son père, le général Alberto Bachelet, est mort à 51 ans, dans une prison militaire, des suites des tortures infligées par ses pairs. A leur libération, les deux femmes ont dû partir en exil. Première femme élue à la présidence du Chili en 2006, elle a été ministre de la santé en 2000 et, deux ans plus tard, la première femme ministre de la défense d'Amérique latine.

Le Chili a changé, Michelle Bachelet aussi. Elle a vécu ces trois dernières années à New York où elle a été directrice de l'ONU Femmes, « un travail en or, où j'ai beaucoup appris », précise-t-elle. Pédiatre de formation, divorcée et agnostique dans un pays où l'Eglise catholique est puissante, elle veut ouvrir un débat sur la dépénalisation de l'avortement thérapeutique et le mariage entre personnes du même sexe : « La diversité nous enrichit, je veux combattre toutes les formes de discrimination, entre les sexes, entre les citoyens des villes et ceux de la campagne, et envers les peuples indigènes. »

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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE

Son premier mandat avait été ébranlé par les manifestations étudiantes. Elle n'avait pas pu tenir ses promesses « d'un pays sans exclusion, ni discrimination, avec une égalité des chances pour tous ». Elle fait son mea culpa sur le recours à la loi antiterroriste, datant de la dictature militaire, pour réprimer les révoltes des Indiens Mapuche du sud du Chili. « J'ai tenté en vain de l'abolir », dit-elle. Soulignant « l'énorme dette à l'égard des peuples indigènes », elle promet de leur consacrer un ministère.

« Aujourd'hui, les étudiants se mobilisent pour l'éducation et les communautés indigènes n'ont plus peur de s'exprimer et de réclamer. C'est le même élan historique qu'il y a quarante ans, du temps d'Allende », conclut-elle.

mercredi 11 décembre 2013

MICHELLE BACHELET, UN RETOUR ET UN RECOURS


PHOTO REVUE ANFIBIA 

« Vous auriez pu refuser.
— Si je n’étais pas née comme ça, peut-être. Mais on dirait que le lait de ma mère contenait les mots devoir et responsabilité. » 

Les années passées par la candidate hors du Chili (2011-2013) ont sans conteste été celles de la plus grande agitation sociale qu’ait connue le pays depuis la chute de Pinochet [1973-1990]. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. La principale cause de ces turbulences était l’éducation, mais ce n’était pas la seule. Il ne s’agissait pas seulement d’exprimer le mécontentement suscité par le gouvernement de Sebastián Piñera, le premier gouvernement de droite depuis l’avènement de la démocratie : c’était une récrimination plus vaste, engendrée principalement par les gigantesques inégalités de revenus. De revenus et de pouvoir. Presque tout l’argent est concentré entre les mains de quelques groupes économiques. Si vous demandez qui est le patron de tel grand magasin, média, mine ou de n’importe quel autre grand machin, moins de cinq noms reviennent tout le temps. Nous sommes devenus les paladins du néolibéralisme et avons laissé se fissurer les piliers du secteur public. La communauté s’est atomisée, les manifestants sont sortis pour réclamer à nouveau le courage d’avancer à l’unisson et appeler à la reconstruction de quelque chose qui nous rappelle que nous ne sommes pas seuls. Beaucoup de manifestations ont montré du doigt la Concertation [large coalition des partis du centre et de la gauche formée à la fin de la dictature pour assurer la transition]. La coalition, autrefois synonyme de démocratie, était devenue avec le temps un univers fermé, toujours plus vieux et lent, où l’on n’avait pas laissé entrer la vie. Les manifestations [étudiantes] de 2011 ont également eu lieu contre cela. Les gens voulaient être de nouveau écoutés. Ils avaient leur mot à dire en ce qui concernait leur vie. 

Bachelet n’était pas là quand tout cela a explosé. Mais le mouvement étudiant avait commencé sous son gouvernement [Michelle Bachelet a fait un premier mandat de présidente entre 2006 et 2010], en 2006, avec le pinguinazo (appelé ainsi à cause de l’uniforme des lycéens manifestants qui leur donnait un air de pingouins). Il a repris cinq ans plus tard, porté cette fois par les étudiants des universités. Bachelet n’était pas précisément l’objet de leur dévotion. De nombreuses pancartes s’en prenaient à elle. Dans aucune de ces manifestations on n’a vu les visages emblématiques de la Concertation, ni les banderoles de leurs partis. Se trouver au milieu de la foule leur faisait peur. 

PHOTO REVUE ANFIBIA 
Dans le même temps, la popularité de Bachelet a augmenté (de façon incompréhensible) dans les sondages. Ce sont eux qui ont fini par la ramener au Chili. 

« Peut-être que, dans quelques années, les analystes expliqueront cette étrange situation – une personne qui n’est pas dans son pays, mais reste très présente dans les conversations, le discours ambiant, le quotidien – par le fait que j’ai voulu être prudente et laisser tout le monde faire ce qu’il avait à faire, que j’ai essayé de ne pas interférer, etc. On a dit que ma présence empêchait la montée de nouveaux leaders, alors que j’étais à dix heures d’avion. Mais, curieusement, j’ai été plus présente que jamais. »  Lorsque je l’ai rencontrée au début de l’année, de grands journaux comme La Tercera et El Mercurio se battaient pour avoir la primeur d’une interview, mais elle a choisi un magazine alternatif, The Clinic, pour s’adresser à la presse pour la première fois depuis son retour. Le monde politique chilien ne parlait que d’elle. La droite pensait qu’elle était le pion caché et silencieux dans un plan soigneusement ourdi par la candidate et sa coalition de partis, mais la campagne était déjà bien avancée et personne ne savait rien dans les dépendances du Parti socialiste. Même aujourd’hui, personne ne sait rien. Bachelet est revenue au pays plus hermétique que jamais. Son cercle de confiance est constitué de deux amies intimes avec lesquelles elle passe l’été depuis des décennies dans des chalets en bois au bord du lac Caburgua, et deux jeunes aides qui préféreraient mourir plutôt que de lui tourner le dos. Elle n’est pas descendue de l’avion avec un plan conçu à l’avance, ni rien de ce genre. 

Femme d’Etat. Entre avril et ces élections, sept mois ont passé. La droite a changé trois fois de candidat. L’un d’eux a renoncé pour cause de dépression. C’est finalement Evelyn Matthei qui a été choisie. Ce pourrait être l’intrigue d’un feuilleton télévisé, ou d’un grand roman, ou figurer dans Les Vies parallèles des hommes illustres, de Plutarque. Evelyn et Michelle. Evelyn est la fille du général Fernando Matthei, ami d’Alberto Bachelet (le père de Michelle) et ancien membre de la junte militaire. Enfants, elles se sont côtoyées sur la base militaire de Cerro Moreno. L’une aimait le piano et l’autre la guitare ; l’une a fait des études d’économie et l’autre de médecine ; puis il y a eu le coup d’Etat et la guitare de l’une a été brisée sur sa tête pendant que l’autre interprétait les Nocturnes de Chopin. Michelle, torturée, exilée et socialiste. Evelyn, l’un des visages de la dictature. Au premier tour [du 17 novembre dernier], la pianiste a obtenu 25,04 % des voix et la guitariste 46,75 %. 

Beaucoup espéraient que les élections se dérouleraient en un seul tour, mais la présence de huit autres candidats – dont sept partagent la soif de réformes de Michelle Bachelet – et l’instauration du vote volontaire [jusque-là le vote était obligatoire au Chili] ont rendu la chose impossible. Personne – même ses adversaires les plus farouches – ne doute qu’elle l’emporte au second tour. Elle est plus sérieuse. Elle est aussi, peu à peu, devenue une femme d’Etat. On m’a dit que, maintenant, elle sépare davantage le public et le privé. Elle ne fait presque plus de blagues spontanées. « Elle ne sera plus jamais la femme qu’elle était » , m’a confié l’une de ses proches collaboratrices. 

Grandes tâches. « Elle porte désormais la tristesse de sa charge. »  Je l’ai suivie de près lors d’un événement de campagne à la mi-octobre. Lorsque des danseuses sont apparues en dansant Dale cuerda a la cadera, elle aussi a dansé, mais elle n’était plus simplement quelqu’un qui faisait la fête avec les autres. Il ne s’agit plus d’« en finir avec la patrie pour inaugurer la matrie » , comme l’a crié sur scène l’actrice Malucha Pinto le jour où Michelle a été élue pour la première fois [en 2006]. Cette fois-ci, les revendications sont nombreuses et l’influence modératrice des partis (qui ont beaucoup perdu en légitimité) bien moindre. La population est plus exigeante et elle sait qu’elle ne pourra pas éviter certains changements structurels. Elle s’est engagée à transformer de fond en comble le système éducatif, à engager une profonde réforme fiscale et, comme si cela ne suffisait pas, à élaborer une nouvelle Constitution. 

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Les résultats des élections parlementaires montrent que toutes ces revendications ont pris une force incontestable. Presque tous les leaders étudiants qui ont dirigé le mouvement social des dernières années et se sont présentés comme candidats au Parlement (Camila Vallejo, Giorgio Jackson, Gabriel Boric, etc.) ont été élus avec une large majorité. Exactement le contraire de ce qui est arrivé à certains des visages les plus emblématiques de la politique chilienne des dernières décennies. La demande de rénovation s’est fortement fait sentir. 

Les politiques chiliens ont enfin arrêté de faire comme si « la Bachelet »  n’existait pas. Ils ont longtemps voulu croire qu’elle n’était qu’un phénomène superficiel, un caprice des foules, une femme sans poids particulier. Au début de sa présidence, elle s’est publiquement insurgée contre le machisme du monde du pouvoir en parlant de « féminicide politique » . La loyauté qu’elle demande n’admet pas de demi-teintes. La relation avec les partis qui la soutiennent a été difficile. Elle sait qu’ils dépendent d’elle. Elle a réussi à fédérer beaucoup de monde autour d’elle, des démocrates-chrétiens aux communistes, en passant par une bonne partie du mouvement étudiant. Ses détracteurs clament qu’elle s’est peu exposée, qu’elle évite de débattre avec ses adversaires, qu’elle n’a pas été claire sur son programme. Et, effectivement, cette Bachelet-ci s’est davantage protégée que la précédente. Elle n’irradie plus la même légèreté et ne cherche pas à feindre l’innocence ni la spontanéité. 

Michelle Bachelet a fêté ses 62 ans en septembre. En mars prochain, sauf si quelque chose vient l’en empêcher, ce qui serait très surprenant, elle acceptera pour la deuxième fois la présidence du pays. Mais les eaux ne dorment pas. Le dimanche du premier tour, un groupe de jeunes anarchistes, parmi lesquels se trouvait la nouvelle présidente des étudiants de l’Université du Chili, a envahi son siège de campagne. La même nuit, montrant bien plus d’enthousiasme que ses collaborateurs, elle s’est adressée à ses sympathisants et leur a dit ceci : « Nous ne croyons pas que le travail se fera en un jour. Nous savons que les choses ne vont pas être faciles. Mais cela ne nous décourage pas, parce que les grandes tâches d’un pays sont toujours complexes et demandent de l’union, de la patience, de la diversité et de la volonté. »  Ce ne sera pas un gouvernement aisé. Elle le sait. Mais ce que Michelle Bachelet aime plus que tout au monde, elle l’a souvent dit, c’est danser. Et, au Chili, la musique sonne aujourd’hui très fort. 


—Patricio Fernández*


Note : * Journaliste et écrivain chilien, fondateur. du journal satirique The Clinic.