mardi 19 janvier 2016

QUAND MICHEL TOURNIER SOUHAITAIT QU'ON RÉTABLISSE LA PEINE DE MORT POUR LES AVORTEURS

Tenus à plusieurs reprises dans la presse dans les années 80, les propos outranciers de l'écrivain, décédé lundi, sur l'IVG, ont fait polémique.
Par Johanna Luyssen
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

 PHOTO CATHERINE CABROL
Michel Tournier, prix Goncourt 1970 pour Le Roi des aulnes, est mort lundi, à l’âge de 91 ans. Dans la flopée d’articles qui ont suivi l’annonce de sa mort, cette phrase : «En 1986, ses propos anti-avortement avaient fait beaucoup de bruit», peut-on lire dans les différentes nécrologies qui lui sont consacrées.

Dans un entretien paru dans Le Nouvel Observateur du 12 septembre 1986, Tournier établit en effet un parallèle contestable entre avortement et famine : «Actuellement, il y a le tiers-monde et les nations industrielles. Chacun porte sa plaie purulente. Dans le tiers-monde, c’est la famine due à la surnatalité. Dans le monde industrialisé, c’est l’avortement, crime abject, attentat contre la femme et déshonneur des médecins qui bafouent leur vocation et sauvent des vies».

Avant d’embrayer sur la question, toute aussi sensible, de la peine de mort (rappelons qu’en 1986, elle n’est abolie que depuis cinq ans) : «Je le dis comme je le pense. Je suis résolument contre la peine de mort. Mais si elle devait être rétablie, je voudrais qu’elle le fût d’abord pour les avorteurs.»

Ces propos sont violents, mais ils ne sont pas pour autant à ranger parmi les rengaines outrancières des catholiques réactionnaires de type Civitas. Car Michel Tournier développe son propos, qui va à l’encontre d’une quelconque position de l’Eglise en la matière : «D’où vient le mal ? Le mal tient en deux chiffres. L’homme fait en moyenne l’amour entre cinq mille et dix mille fois dans sa vie. L’aberration, c’est la confusion vécue entre sexualité et procréation. Vouloir les faire coïncider, comme le demande l’Eglise, c’est, pour reprendre une comparaison évangélique, vouloir faire passer un chameau dans le chas d’une aiguille. C’est en tout cas assumer la responsabilité des petits cadavres recroquevillés du tiers-monde et des fours crématoires installés désormais dans toutes les maternités du monde industrialisé».

Une chose est sûre : quel que soit l’apport de Michel Tournier à la littérature - et il est immense -, établir un parallèle entre les cliniques pratiquant l’avortement en faisant référence aux «fours crématoires» - et donc, possiblement au système concentrationnaire nazi - rappelle de pénibles heures de l’Histoire, celles, par exemple, où le droit à l’IVG débattu à l’Assemblée donnait l’occasion à certains députés d’établir les parallèles les plus consternants (le 27 novembre 1974, le député centriste Jean-Marie Daillet argumentera ainsi : «On est allé -­ quelle audace incroyable ! ­- jusqu’à déclarer tout bonnement qu’un embryon était un agresseur. Eh bien ! Ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles.»). En 1989, dans un entretien donné à Newsweek, Tournier persiste et signe (et atteint enfin le point Godwin) avec cette phrase : «Les avorteurs sont les fils et les petits-fils des monstres d’Auschwitz».


Concluons avec la reproduction de cette longue brève publiée dans le Libération du 2 novembre 1989, où l’on voit un Michel Tournier manifestement en roue libre pendant toute la durée de l’entretien de Newsweek, puisqu’il est même question d’un «Rambo aurait certainement plu à Hitler».

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]