jeudi 20 mai 2010

Parisot rêve 
d’une « réforme » 
à la sauce Chili



Adieu pincettes, circonlocutions et précautions oratoires  ! Après avoir, ces derniers mois, mis la pédale douce sur ses revendications en matière de retraites par capitalisation, la patronne des patrons tombe le masque. Hier matin, rassérénée après le désistement de tous ses concurrents potentiels à la tête du Medef, et surtout encouragée par le « document d’orientation», remis dimanche soir par le gouvernement aux organisations syndicales et patronales, Laurence Parisot voit repousser dans son dos ses ailes les plus néolibérales. Derrière le trompe-l’œil d’une « taxation du capital » ultrafloue et non chiffrée, le gouvernement se plie en fait à toutes les exigences du patronat  : report de l’âge légal de départ à la retraite, allongement de la durée de cotisations, refus net d’une augmentation des prélèvements obligatoires, exclusion nette de l’hypothèse d’une cotisation sur la valeur ajoutée, reconnaissance de la pénibilité au cas par cas, etc.

Mise à mort de la répartition…

C’est donc sur ce velours que le Medef choisit de passer à l’attaque. Alors que les chiffrages des déficits du régime par répartition dépassent toutes ses espérances – « toutes nos craintes », corrige la tragédienne à la tête du patronat –, il manquerait, selon Laurence Parisot, dans le récent document élaboré sur des bases maximalistes par le secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (COR), « une piste essentielle qui a pourtant été choisie par de nombreux pays ». Cette « piste », c’est évidemment, aux yeux des pousse-au-crime néolibéraux, la retraite par capitalisation. « Nous, nous avons toujours eu conscience de la gravité de la situation, pérore la présidente de l’organisation patronale, et c’est pour cela que nous avons été les premiers à casser le tabou de l’âge légal de départ à la retraite. Le relèvement des bornes d’âge et de durée de cotisation est absolument nécessaire. La question ne se pose plus. » En vérité, le Medef veut interpréter les scénarios présentés au nom du COR comme entérinant la mort « naturelle » du régime par répartition à brève échéance. « On dit sans cesse, dans un bel unanimisme et avec une sacrée dose de conformisme, qu’on veut préserver le système par répartition, raille Laurence Parisot. À l’horizon 2030, même en repoussant l’âge légal de départ à 63 ans et en instaurant 45 ans de cotisations, nous aurons encore besoin de 13 milliards d’euros par an. Avec un complément d’une telle ampleur à trouver, nous ne serons plus en aucun cas dans un système par répartition où les cotisants paient pour les retraités. »

… Et capitalisation généralisée obligatoire

Bien sûr, la perspective d’une extinction à petit feu du régime par répartition ne fait pleurer que les crocodiles au Medef. Et dans le même temps, les effets d’annonces gouvernementaux sur une contribution des hauts revenus et du capital n’émeuvent pas les cuirs tannés du patronat. « C’est tellement flou qu’on ne peut pas se prononcer, ce n’est pas du tout chiffré », sourit Laurence Parisot. Avant de carrément tourner en dérision cette perspective et tirer une balle dans le pied du gouvernement Fillon  : «Résoudre les questions de retraites ne passe pas par du symbolique… Ce n’est pas avec du symbole qu’on va payer les pensions, c’est une monnaie qu’on ne connaît pas  ! » Pour le patronat, il n’y a donc ni obstacle ni alternative au boursicotage et à la capitalisation. Et il s’agirait désormais simplement de déterminer, comme y invite Laurence Parisot, « en plus de ce que nous pourrions garder comme système de répartition, un nouveau système, très incitatif, voire obligatoire, par capitalisation »… Et la présidente du Medef d’ajouter  : « C’est la seule voie pas simplement raisonnable, mais réaliste que nous ayons  ! »

Soucieuse de démontrer que les régimes par capitalisation sont florissants sur la planète et que, comme toujours, les Français ne sont pas assez « réalistes », Laurence Parisot ne développe qu’un seul exemple de pays ayant réussi la « transition » d’un régime par répartition à la capitalisation, et il est terriblement éloquent. « Le Chili fonctionne avec un système par capitalisation et ça marche très bien, estime-t-elle. J’ai eu l’occasion, ici même, de recevoir Michelle Bachelet (ex-présidente socialiste du Chili battue en mars dernier – NDLR), elle a été la première à me dire que ça a été un élément de stabilité d’avoir un système qui fonctionne, qui ne crée pas de nouvelles incertitudes. » Le Medef a les modèles sociaux qu’il peut  : le régime par capitalisation a été mis en place au Chili en 1981, sous le joug du dictateur Augusto Pinochet et la houlette des Chicago Boys du pape américain de l’ultralibéralisme, Milton Friedman. Un joli modèle absolu de « stabilité » et de lutte contre les « incertitudes ».

Thomas Lemahieu