lundi 20 janvier 2014

COMMENT LA DROITE CHILIENNE A RÉUSSI À ISOLER LE CHILI DES AUTRES PAYS DE LA RÉGION

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Depuis plusieurs décennies les conflits limitrophes dans le sous-continent américain sont toujours réglés par la négociation ou l'arbitrage, indépendamment des régimes politiques. Ce fut le cas de deux disputes entre Argentine et Chili : à la fin des années 70, pour trois îlots du canal Beagle reconnus finalement au Chili, et en 1994 pour la souveraineté de la zone du Lac du Désert, attribuée à l'Argentine. Aujourd'hui encore il reste un contentieux entre ces deux pays au sujet des champs de glace situés en Patagonie.


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CARTE ÉTABLIE POUR LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CHILI, PAR LE « BUREAU HYDROGRAPHIQUE DU ROYAUME-UNI»,   (UNITED KINGDOM HYDROGRAPHIC OFFICE, UKHO)
Mais la demande la plus ancienne et la plus grave concernant les territoires est celle faite par la Bolivie au Chili d'une issue souveraine vers la mer. Toute la côte bolivienne fut annexée par le Chili après la guerre du Pacifique de 1879 à 1883.



La décision prochaine du tribunal de La Haye risque de dévoiler la très mauvaise politique extérieure menée par le gouvernement dit « d'excellence » de Sebastian Piñera et la droite chilienne.


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Mais ce qui est d'ores et déjà visible c'est l'isolement dans lequel le Chili s'est cantonné (2). La détérioration des relations avec les pays voisins est la conséquence d'une part, des prises de position impertinentes des institutions chiliennes héritées de la dictature de Pinochet, notamment le Sénat. Et d'autre part, des idées développées dans la presse qui appartient totalement à un duopôle constitué des consortiums El Mercurio et Copesa (La Tercera) et qui craint de perdre ce privilège.

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La droite chilienne a toujours imaginé que c'était grâce à elle que le mur de Berlin était tombé. En effet, la chute du gouvernement d'Allende en 1973 aurait été, d'après elle, dans le cadre de la guerre froide, le premier coup de marteau dans le mur. Depuis, relayée par la presse, et avec le soutien de certains démocrates chrétiens, elle se croit investie de la mission de combattre, partout dans le monde, n'importe quelle lueur de communisme et elle est partie en croisade contre tous les processus progressistes qui se développent un peu partout dans le continent, à commencer par Cuba.

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Un décompte chronologique sommaire des gestes inamicaux de la réaction chilienne pourrait inclure les événements suivants:

  • Avril 2002, le Chili approuve la résolution de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU (CDH) condamnant Cuba (3).
  • Avril 2002, le Chili est un des rares pays à reconnaître, pour quelques heures, le gouvernement du putschiste Pedro Carmona au Venezuela (4).
  • Avril 2004, le Chili condamne Cuba au sein de la CDH de l'ONU pour la « violation des droits de l'homme » dans l'île (5).
  • Juillet 2006, le Sénat chilien condamne « l'emprisonnement pour des motifs politiques à Cuba » et la fin de la concession à Radio Caracas TV au Venezuela (6).
  • Juin 2007, le Sénat chilien condamne Cuba pour l'emprisonnement des dissidents stipendiés par Washington en 2003 (7).
  • Décembre 2007, le Sénat chilien vote une motion de condamnation du président Hugo Chávez : ce dernier a traité Aznar de « fasciste », dans le cadre du XVII sommet ibéro-américain de Santiago du Chili. Le texte souligne également que « l'attitude solidaire du vice-président de Cuba envers les offenses à Chávez confirme un axe politique qui empêche le dialogue » en admettant l'existence de deux pôles opposés dans la région (8).
  • Juin 2009, poursuite de la croisade du duopôle chilien contre le Venezuela (9).
  • Juillet 2009, le journal El Mercurio lance une violente attaque contre les Kirchner en les qualifiant d'autoritaires (10).
  • Août 2009, le Sénat chilien condamne « l'abus de pouvoir » pour le non renouvellement de concession des radios d'opposition, en soulignant son inquiétude pour « la détérioration de la qualité démocratique » au Venezuela (11).
  • Novembre 2009, le Sénat chilien condamne les propos de l'ex-président du Pérou, Alan García (12).
  • Mars 2010, le Sénat chilien condamne fermement le gouvernement cubain pour « l'indolence qui a provoqué la mort d'Orlando Zapata Montoya », conséquence d'une grève de la faim (13).
  • Mars 2010, le Président Piñera condamne Cuba pour la situation des opposants en grève de la faim (14).
  • Septembre 2010, après la tentative de coup d'État contre Rafael Correa en Équateur, l'ambassadeur chilien a mésestimé une telle possibilité, contrairement à l'opinion de beaucoup de Présidents de la région (15).
  • Janvier 2011, le secrétaire général de l'Organisation des États Américains (OEA), le chilien José Miguel Insulza, s'est déclaré inquiet de l'adoption, par l'Assemblée Nationale Vénézuelienne, de la Loi Habilitante, qui allait affecter, selon lui, le rôle du prochain Congrès (16).
  • Mai 2011, un policier chilien dénonce, devant le ministre de l'intérieur chilien, que la CIA et le DEA font du trafic de drogue au Chili afin de lever des fonds pour le renversement du Président Rafael Correa (17).
  • Janvier 2012, l'éditorial du journal La Tercera accuse le « régime » équatorien d'être hostile à l'exercice du journalisme et de provoquer un recul de la liberté de presse en approuvant une disposition qui « limite l'information que les médias pourraient mettre à disposition du public » (18).
  • Février 2013, un éditorial d'El Mercurio met en doute le caractère démocratique de l'Équateur en accusant Rafael Correa d'avoir un style démagogique et populiste et de ne pas respecter «les libertés fondamentales des Equatoriens telles que celles d'expression et de presse » (19). Ces propos ont obligé l'ambassadeur d'Équateur à intervenir publiquement (20).
  • Février 2013, le policier qui a dénoncé l'ex-ministre de l'intérieur chilien - l'actuel ministre de la défense Rodrigo Hinzpeter - d'être impliqué dans le trafic de drogue et la déstabilisation du gouvernement équatorien, a du se réfugier dans l'ambassade d'Équateur au Chili (21).
  • Mai 2013, le directeur du journal El Mercurio avertit que « plusieurs gouvernements démocratiques d'Amérique Latine harcèlent la presse libre de leurs pays ». Parmi ces gouvernements il cite l'Argentine, l'Équateur et la Bolivie (22).
  • Juillet 2013, Henrique Capriles, le malheureux candidat à la présidence vénézuelien, est reçu par Piñera et appuyé par El Mercurio dans sa campagne de dénigrement des institutions vénézueliennes (23). Le Sénat chilien défend le sénateur de droite Jovino Novoa, ex sous-secrétaire général de la dictature de Pinochet, contre les déclarations du président vénézuelien, N. Maduro (24)
  • Octobre 2013, le Sénat chilien exprime son «inquiétude devant une possible extraction de pétrole en zone déclarée Réserve Mondiale de la Biosphère en Équateur» (25).

Certaines de ces agressions arrivaient particulièrement à point lorsque le gouvernement américain entreprenait des campagnes déstabilisatrices et de diffamation contre les pays progressistes, servant ainsi de relais aux offensives de l'empire.

Les autorités chiliennes, d'habitude si soucieuses de leur indépendance, n'ont rien trouvé à dire de ces grossières ingérences dans les pays voisins ni de l'hostilité affichée envers leurs peuples. Si le gouvernement de Michelle Bachelet de l'époque qualifia le recours du Pérou de geste « inamical » (26), de quelle manière les autres pays pourraient-ils percevoir et comment pourraient-ils qualifier les interventions et agressions des institutions chiliennes dans leur vie interne ?

Au fil des années l'arrogance de la droite chilienne et ses agissements entraînant parfois le gouvernement de la Concertation, ont fini par détériorer les relations avec les pays de la région. Tour à tour chacun d'eux a pris position pour se défendre de ces intrusions. Actuellement le Chili se retrouve pratiquement seul face à ses voisins (2), d'autant plus que le Pérou déclare ouvertement s'inscrire dans le courant intégrationniste de la région (27). Le seul pays qui applaudit l'attitude chilienne sont les USA (28).

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LA CONVOCATION SOUDAINE DU COSENA A PROVOQUÉ L'ÉTONNEMENT DES JURISTES, DES POLITIQUES ET EX CHANCELIERS, DONT BEAUCOUP S'INTERROGENT SUR SA SIGNIFICATION. LE COSENA AVAIT, AVANT LA RÉFORME DE LA CONSTITUTION, LE POUVOIR DE SE CONVOQUER LUI-MÊME, DE SIGNALER AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET TOUS LES POUVOIRS DE L'ÉTAT, TOUTE ATTEINTE AUX INSTITUTIONS OU À LA SÉCURITÉ DE L'ÉTAT ET DE DÉSIGNER DEUX SÉNATEURS. IL EST COMPOSÉ DE NEUF MEMBRES : LES CHEFS DES 4 BRANCHES ARMÉES (TERRE, MARINE, AVIATION, CARABINIERS), LE CONTRÔLEUR DE LA RÉPUBLIQUE ET LES PRÉSIDENTS DE LA RÉPUBLIQUE, DU SÉNAT, DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS ET DE LA COUR SUPRÊME DE JUSTICE. DANS SON PREMIER MANDAT LA PRÉSIDENTE M. BACHELET A PROPOSÉ INFRUCTUEUSEMENT, À CAUSE DE LA RÉSISTANCE DES PARTIS DE LA DROITE, LA SUPPRESSION DE CET ORGANE.

Paradoxe ou hasard de l'histoire, le verdict de la CIJ coïncidera avec le changement de gouvernement. Il est essentiel que la droite chilienne minoritaire et ses pouvoirs de fait ne puissent plus imposer ni leur vision, ni leur discours au gouvernement. Déjà, Iván Moreira, représentant la droite dure et membre de la Commission des Relations Extérieures de la Chambre des Députés, a déclaré que les Chiliens « ne sont pas prêts d'accepter un nouveau Lac du Désert » signifiant ainsi la possibilité de méconnaître la sentence de La Haye si elle était défavorable au Chili (29). Par ailleurs, le Président Piñera vient (le lundi 20 janvier 2014) de convoquer soudainement le Conseil de Sécurité Nationale (Cosena) pour prendre son avis sur la prochaine décision de la CIJ. Ce Conseil institué par Pinochet, et composé de représentants des instances les plus hautes de l'État, dont les 4 chefs des armées - attribuant ainsi un rôle délibératoire aux militaires -, est destiné à se prononcer sur la sécurité de l'État (30). Ainsi, la réunion du Cosena pourrait trahir le malaise souterrain des forces armées chiliennes s'estimant écartées de la prise de décision et la résolution de cette question (31).

Espérons que les nouveaux responsables de la politique externe du Chili, la Nouvelle Majorité avec M. Bachelet à sa tête, seront assez clairvoyants pour déterminer que l'intérêt de la nation se trouve dans l'intégration régionale.

Indépendamment du jugement de la cour de La Haye, il paraît évident que désormais les problèmes dans cette partie du monde seront résolus en commun, et non pas bilatéralement comme le prétend la position chilienne, car les destinées de tous ces pays sont liées. La revendication bolivienne d'accès à la mer en est une bonne illustration. Au moins 11 pays de la région appuient une résolution favorable à la Bolivie (32).

En effet, dans une région de plus en plus intégrée et solidaire, il n'est pas absurde d'imaginer qu'un règlement de la demande bolivienne, bénéfique à tous, impliquant les trois pays (Bolivie, Chili, Pérou), puisse permettre au Chili de retrouver sa crédibilité et toute sa place parmi ses voisins tout en consolidant la confiance mutuelle.

Radomiro Tomic, candidat à la présidence de la République de la démocratie chrétienne en 1970, avait l'habitude de souligner que « lorsqu'on gagne avec la droite, c'est la droite la gagnante ». Nous pouvons aujourd'hui compléter cette formule en disant que «c'est aussi le pays tout entier qui perd ».

J.C. Cartagena & N. Briatte


NOTES

  1. (2) « Même si la Moneda ne le reconnaît pas publiquement, sous l'actuelle administration les relations avec les pays voisins et les alliés se sont détériorées. Le coup de grâce à la politique menée par la chancellerie chilienne a été donné par Rafael Correa lui-même, Président de l'Equateur autrefois allié inconditionnel du Chili, qui, en visite officielle en Bolivie, n'a pas hésité à soutenir publiquement la demande maritime bolivienne contre le Chili ».
  2. « La visite de la Présidente du Brésil Dilma Roussef à Lima et le récent accord de coopération militaire avec le gouvernement de sa Majesté Britannique mettent en évidence les succès de la diplomatie péruvienne qui a réussi à se rapprocher d'alliés historiques du Chili, en affaiblissant les liens internationaux de notre pays.»
  3. « Le chancelier chilien Mariano Fernández a confirmé que son pays demandera des explications à l'Argentine et au Brésil pour les déclarations de leurs ambassadeurs au Pérou, en relation avec le litige frontalier qui oppose Santiago et Lima »
(3) Malgré la reconnaissance d'avancées dans la matière, les voix du Mexique et du Chili « ont été déterminantes pour que vendredi soit approuvée une résolution de condamnation de Cuba dans la CDH de l'ONU »





(8) « Le Sénat chilien a approuvé aujourd'hui un projet d'accord qui rejette les expressions et actes du Président Hugo Chávez au Sommet Ibéro-américain en novembre à Santiago du Chili » 
http://www.revolucionaldia.org/index.php?option=com_content&view=article&id=2425:el-senado-chileno-condena-la-actitud-de-hugo-chavez-en-la-cumbre-iberoamericana&catid=35:internacionales&Itemid=56


(10) L'éditorial de El Mercurio affirme que le rejet du gouvernement argentin est provoqué par « l'autoritarisme du couple [Kirchner] et de son cercle intime» en listant une série de politiques erronées et maladroites





  1. (17) Un policier chilien dénonce : La CIA et la DEA trafiquent la drogue au Chili pour lever des fonds pour financer le renversement du président équatorien Rafael Correa
  2. http://www.legrandsoir.info/selon-un-journaliste-chilien-la-cia-prevoirait-d-assassiner-le-president-rafael-correa.html
  3. http://revoluciontrespuntocero.com/puentesur/chile-policia-que-denuncio-a-ministro-de-defensa-por-conspirar-contra-gobierno-de-ecuador-pide-asilo-a-correa/



(20) Aux accusations d'absence de liberté d'expression l'ambassadeur équatorien, Francisco Borja, a répliqué qu'« en Équateur il y a une très riche et plurielle liberté d'expression ». Par ailleurs, il a mis en question le traitement que font les grands médias , nationaux et étrangers, du processus politique dans son pays.





(26) En 2008 le Chili a considéré la demande du Pérou comme un « geste inamical »




(30) La convocation soudaine du Cosena a provoqué l'étonnement des juristes, des politiques et ex chanceliers, dont beaucoup s'interrogent sur sa signification. Le Cosena avait, avant la réforme de la Constitution, le pouvoir de se convoquer lui-même, de signaler au Président de la République et tous les pouvoirs de l'État, toute atteinte aux institutions ou à la sécurité de l'État et de désigner deux sénateurs.
Il est composé de neuf membres : les chefs des 4 branches armées (Terre, Marine, Aviation, Carabiniers), le Contrôleur de la République et les Présidents de la République, du Sénat, de la Chambre des Députés et de la Cour Suprême de Justice. Dans son premier mandat la Présidente M. Bachelet a proposé infructueusement, à cause de la résistance des partis de la droite, la suppression de cet organe.