Elu chef de l’Etat, en janvier, le leader de Rénovation nationale (RN) conquiert la première magistrature au nom de la coalition « Alliance pour le Changement » (qui regroupe néolibéraux et ultraconservateurs). Ainsi que nous le rappelions au moment de l’élection, c’est un tournant historique et politique : le dernier président de droite élu était Jorge Alessandri, en… 1958. Se référant à la transition démocratique qui mit fin à la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1989), certains analystes n’hésitent pas à parler d’une « deuxième transition ». Après dix-sept ans d’un terrorisme d’Etat contre-révolutionnaire qui mit fin à l’expérience de l’Unité populaire de Salvador Allende, et à deux décennies d’une démocratie sous tutelle issue d’une « transition pactée », conduite par la Concertation des partis pour la démocratie — coalition entre le Parti socialiste (PS) et de le Parti démocrate chrétien (DC) —, le peuple chilien connaîtrait désormais les joies de l’alternance… [1]. Face au terne ex-président Eduardo Frei (DC), le médiatique Piñera – « Berlusconi chilien » avec bronzage permanent et dents éclatantes – a promis monts et merveilles à grands coups d’ingénierie marketing et télévisuelle : croissance soutenue de 6% destinée à faire oublier la crise capitaliste mondialisée, création d’un million d’emplois, combat de la pauvreté et surtout, accompagné d’un discours sécuritaire bien aiguisé, fin de la délinquance (du moins celles des classes populaires car les cols blancs ne seront sûrement pas inquiétés…).
La défaite est amère pour la Concertation qui croyait pouvoir encore faire jouer la logique du « vote utile » face aux fantômes d’une droite marquée au fer rouge par son appui à la dictature. Mais Piñera, s’affirmant «humaniste », a su rappelé qu’il avait voté « non » à Pinochet en 1988, sans pour autant pouvoir se départir de son passé de nouveau riche issu du régime militaire, ni de son alliance avec l’Union démocratique indépendante (UDI), droite réactionnaire « pinochetiste » (proche de l’Opus Dei et première force au Congrès). Les députés du centre-gauche espéraient que l’imposante popularité de la Présidente Bachelet et ses récentes réformes en faveur des plus pauvres pourraient faire oublier le passif de décennies de social-libéralisme : justice pour les victimes de la dictature « dans la mesure du possible », alors que la loi d’amnistie de 1978 est toujours en vigueur et que Pinochet est décédé sans avoir été jugé ; « économie sociale de marché » où le social est trop souvent un faire valoir destiné à faire accepter un projet macro-économique fondamentalement au service du grand capital ; absence de volonté politique au moment de mettre définitivement fin à la constitution autoritaire de 1980 ; accords multiples avec la droite au Parlement ; politique environnementale désastreuse car soumise au caprice des transnationales ; répression non démentie des revendications historiques du peuple Mapuche et autisme face aux revendications étudiantes et salariales… [2]
A ce rythme comment s’étonner qu’il y ait toujours plus de citoyens qui s’éloignent des urnes et des grands partis institutionnels (31 % des Chiliens en âge de voter, soit 3,8 millions de personnes, ne sont même pas inscrits sur les registres électoraux) et que ceux qui se déplacent pour mettre un bulletin dans l’urne aient majoritairement choisit « l’original » (un patron milliardaire ambitieux) plutôt que pour « la copie » (un sénateur DC dont la présidence n’a pas laissé de bons souvenirs aux classes populaires et aux organismes de défense des Droits humains) ? Frei a bien essayé d’agiter un chiffon rouge entre les deux tours : « Au cours de la campagne, nos adversaires ont toujours dit que la Concertación est au bout du rouleau parce qu’elle a déjà gouverné pendant 20 ans. Mais eux-mêmes ont été au pouvoir pendant 17 ans et le Chili s’est beaucoup mieux porté avec la Concertación que durant leurs années [de dictature, NdE] ». Cela n’a pas suffit, pas plus d’ailleurs que l’appui reçu du Parti communiste et de sa coalition, Juntos Podemos…
Le dernier jour de Bachelet. Privatiser le littoral de la mer australe?
Et s’il fallait essayer d’expliquer pourquoi la Concertation est honnie de toute une partie du mouvement social et critiquée par de nombreux militants de gauche (y compris du Parti socialiste) ; s’il fallait tenter de montrer de quoi le social-libéralisme est-il le nom au Chili, on pourrait alors s’en tenir au denier jour de la présidence Bachelet. Ce 10 mars 2010, c’est avec l’approbation du dernier exécutif de la Concertation qu’est paraphée la réforme de la Loi générale de pêche et d’agriculture. L’objectif ? Tout simplement, venir en aide aux transnationales de saumon d’élevage qui ont inondé les côtes du sud du pays depuis des années et connaissent de graves difficultés. Crise sanitaire tout d’abord, conséquence d’un mode de production aberrant qui a dévasté une partie du littoral à coup de colorant, hormones, antibiotiques, surpêche (pour nourrir les saumons !). Crise économique ensuite. Alors que cette industrie était censée être un des moteurs de l’économie, elle a été engagée sur la voix d’une rentabilité à tout prix, basée sur une exportation de masse aux quatre coins de la planète (Japon, Etats-Unis, UE). Le développement exponentiel d’un virus (virus ISA) a affecté toute la chaîne, et c’est ce modèle d’élevage intensif entièrement dépendant du marché mondial s’est affaissé violemment [3]. Cette « agonie du saumon » a provoqué une chute de la production de plus de 30% entre 2007 et 2008 et le licenciement de milliers travailleurs (plus de 15.000) [4].
Vues les conditions offertes, en 20 ans, les capitaux ont afflué de toute part, à commencer par la transnationale hollandaise Nutreco (plus grosse productrice mondiale) mais aussi des entreprises norvégiennes, japonaises, canadiennes et espagnoles. Le patronat chilien n’est pas en reste puisqu’il détient 55% de la filière. N’en déplaise aux écologistes et aux pécheurs artisanaux (dont la vie a été ruinée), le Chili est devenu le second producteur de la planète, avec plus de 650 000 tonnes de saumon en 2007 et, en valeur, cette denrée représente le 4° poste d’exportation nationale [5]. Rapidement c’est un véritable lobby du saumon qui a fait son apparition au sein des institutions et de la société civile. Ainsi, alors que le secteur affiche désormais une dette de deux milliards de dollars, la proposition du gouvernement Bachelet a été de garantir le déblocage d’un fonds public de 450 millions de dollars. Les banques restant méfiantes, le projet de loi prévoit aussi une modification des règles de production, un meilleur confinement des poissons, une rotation régulière dans les lieux d’élevage et… la concession de milliers d’hectares de mer et de terre ferme offerte comme garantie hypothécaire auprès des banques ! Comme le rappellent les responsables de la campagne « Sauvons la mer chilienne », « Jamais dans l’histoire aucun pays n’avait permis d’hypothéquer la mer. Ce n’est pas seulement un scandale, c’est aussi le renoncement de notre pays à la souveraineté sur son territoire » [6]. Au lieu de s’inscrire dans le sillage d’Allende qui avait exproprié les grandes compagnies de cuivre (“le salaire du Chili”), le gouvernement Bachelet se sera montré beaucoup moins glorieux aux yeux de l’histoire… [7]
Les premiers jours de Piñera. Le retour des « Chicago boys »
« Se van los capataces y vuelve el patrón » : les contremaîtres partent et le patron revient… [8]. C’est le sentiment d’une partie des citoyens avec cette élection. En effet, la majeure partie du personnel politique de la Concertation n’était pas issu du milieu des affaires, bien que ses membres dirigeants s’en soient rapidement rapprochés au contact du pouvoir. Le président socialiste Ricardo Lagos n’avait-il d’ailleurs pas été proclamé, à la fin de son mandat, comme l’un des meilleurs hommes politiques du XX° siècle par le syndicalisme patronal chilien ? Cependant, l’arrivée de Piñera représente la fin d’une médiation politique : désormais, c’est un capitaliste décomplexé qui tient les rênes du pays. Certes, ce que certains sociologues nomment la démocratie « des compromis » ou encore « du consensus » [9] va se poursuivre, avec ses divers accords entre droite et gauche, alors que « l’Alliance pour le changement » ne possède pas de majorité absolue au parlement [10]. Il n’empêche : ce grand patron compte bien gouverner pour les siens. A la tête d’une fortune de plus d’un milliard de dollars et placé au 701ème rang du classement Forbes des personnes les plus riches du monde, son groupe est présent dans la télévision (Chilevision), la banque, la santé, la grande distribution, l’énergie, le transport aérien (Lan Chile) et même le football avec un club très populaire (« Colo Colo ») [11]. Grand admirateur du Président français Sarkozy, S. Piñera compte administrer l’Etat comme il gère ses entreprises, alors que la côte de ses actions en bourse a connu une envolée remarquée dès l’annonce de son élection. Si l’on regarde qui sont les actuels ministres [12], il est intéressant de noter que le nouveau président a choisit de choyer avant tout les élites économiques plutôt que la droite politique. Pablo Longueira, fondateur de la UDI, s’en est d’ailleurs ému, ce qui pourrait laisser augurer des tensions entre néolibéraux et ultraconservateurs dans un futur proche. « En effet, le nouveau cabinet ministériel ressemble par certains côtés à un véritable conseil d’administration du pays ! Le Président avait beaucoup insisté sur sa volonté de former un « gouvernement des meilleurs » […]. De fait, 13 des 22 ministres ne sont pas des militants. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de conviction politique, mais au moins n’en ont-ils pas fait leur profession. Finalement, le politicien le plus aguerri est probablement Jaime Ravinet, ancien de la Concertation (DC) qui redevient ministre de la Défense […]. S’ils ne sont pas de purs politiques, d’où proviennent donc les nouveaux ministres ? Principalement du secteur privé et du monde universitaire. Si ce gouvernement n’incarne pas la « transversalité » annoncée, au sens de la représentation de différentes sensibilités politiques, il est par contre généreusement équilibré du point de vue de la représentation des groupes et familles qui pèsent dans l’économie chilienne. Alfredo Moreno, membre du directoire de Falabella (grande distribution) et de Penta (banque), devient ainsi ministre des Affaires Etrangères. Son expérience en matière de diplomatie est surtout fondée sur son rôle dans l’expansion internationale de l’entreprise, notamment vers le Pérou. Laurence Goldborne, ancien directeur général d’un concurrent direct dans la grande distribution (Cencosud), hérite du ministère des mines, secteur clé dans le pays du premier producteur mondial de cuivre. Magdalena Matte, issue d’une prestigieuse famille connue pour son opposition au gouvernement de Salvador Allende, occupera le portefeuille du logement. Au Sernam (Service National de la Femme), on trouvera Carolina Schmidt, qualifiée par le passé par une revue du monde des affaires de « première dame des Luksic », famille qui apparaît au 76ème rang du classement Forbes » [13]. Les autres responsables de portefeuille sont des universitaires (6 d’entre eux sont titulaires d’un doctorat). 16 membres du gouvernement ont étudié dans les amphithéâtres de la très conservatrice Université Catholique et une majorité exhibe fièrement des diplômes d’universités étasuniennes, particulièrement d’Harvard et de Chicago. On assiste à une sorte de retour d’une nouvelle génération de “Chicago boys”, prête à perfectionner le modèle débuté en dictature par leurs prédécesseurs, nourris dans les années 70 au biberon des économistes Milton Friedman et Arnold Harberger, pionniers du néolibéralisme [14]. Le meilleur représentant de ces idéologues de combat est sans aucun doute Juan Andrés Fontaine, nommé ministre de l’économie. Directeur du Centre d’études publiques (CEP), l’un des principaux réservoirs d’idée de la droite libérale, Fontaine est lié au groupe Matte et membre du directoire de plusieurs grandes entreprises. Ce gouvernement est ainsi formé par une majorité d’hommes, sans presque aucune expérience politique mais qui représentent à merveille la dimension de classe qu’ils se proposent de défendre.
Quand la terre tremble. Stratégie du choc néolibéral contre reconstruction démocratique et solidaire
A en croire que les dieux eux même en frémissent de colère ! C’est dans un pays partiellement détruit et une population mis à mal par un séisme (puis un tsunami) d’une magnitude exceptionnelle, que S. Piñera a dû assumer ses premiers moments de gouvernance. La droite n’aura pas pu fêter trop ouvertement sa victoire. Comme le soulignait la journaliste Claire Martin : « Pas de cotillon ni de célébration. La prise de pouvoir de Sebastian Pinera sera ce jeudi 11 mars d’une sobriété exemplaire ». La tragédie qui a fait plus de 800 morts et terrorisée les habitants de la région du Maule et Bío-Bío a bouleversé l’agenda du président qui a appelé à « sécher ses larmes » et à se mettre au travail.
L’exécutif a d’abord tout fait pour étouffer la défaillance complète de l’ONEMI, organisme lié au ministère de l’intérieur et à la marine qui est chargé d’organiser les évacuations en cas de danger de tsunami. Les familles des centaines de disparus et noyés crient pourtant au scandale devant l’incompétence de l’administration et l’arrogance de l’Amiral Edmundo González qui en est responsable [15]. Selon certaines estimations, ce ne sont pas moins de 30 milliards de dollars qui devront être investis au cours des prochaines années pour reconstruire les infrastructures et la droite pourrait en profiter pour avancer une logique de « stratégie du choc ». D’autant qu’elle a de l’expérience en la matière. Noami Klein a rappelé à quel point dans des moments de grande vulnérabilité, de désorganisation suite à des catastrophes naturelles ou des coups d’état, les individus comme les sociétés peuvent être plus facilement soumis à des thérapies de choc économique ou des formes croissantes d’autoritarisme [16]. En déployant plus de 10 000 militaires dans le sud du pays et en déclarant l’Etat de siège dans certaines régions au nom de la lutte contre les « saccages », à grand renforts de reportages télévisés, le signal est clair. La priorité a été donnée à une intervention sécuritaire musclée défendant la grande propriété privée, notamment celle des chaînes de distribution (telle Líder qui appartient à Wall-Mart), alors que dans de nombreuses zones affectées, souvent très pauvres, aucune action publique d’urgence n’avait été mis en place et que les services de base (comme l’eau potable ou l’électricité) n’étaient pas encore rétablis. Le chaos, une assistance défectueuse produit du modèle semi-public chilien, les manques de ravitaillement et la spéculation de certains commerçants peu scrupuleux ne pouvaient manquer de favoriser les comportements d’angoisse, y compris de violence. Mais certaines scènes de pillage ou d’achat compulsif, y compris dans le grand Santiago (pourtant peu affecté par le séisme), ont aussi mis en lumière certains comportements collectifs marqués par le « chacun pour soi » d’une société éclatée et anomique, dont le terreau est composé d’un mélange toxique de valeurs ultraindividualistes, d’appels à la consommation permanente (mais à crédit) combinés avec une brutale fracture sociale et un passé autoritaire, toujours présent en filigrane [17]. Sans aucun doute, il faudra dans les mois à venir prendre plus de temps pour décrypter ce qu’il s’est passé durant ces journées, mais il n’est pas exagéré d’affirmer, qu’une fois de plus, le mythe du « jaguar » de l’Amérique du sud, celui du pays riche et « développé », a été mis à nu dans toutes ses immenses contradictions : le Chili reste l’un des dix pays les plus inégalitaire de la planète.
Dans ce contexte, Piñera s’apprête à appliquer une politique de « capitalisme du désastre » (Noami Klein) où les discours « d’union nationale » sont au service d’une perspective de reconstruction qui se fera au profit de la bourgeoisie [18]. Déjà les grandes manœuvres on débuté. Au sein du cercle proche du pouvoir ont retrouve plusieurs personnages clefs des entreprises de construction du pays. Certains d’entre eux ont mené par le passé des actions immobilières importantes avec le groupe de l’actuel président, dont l’intendant (préfet) de la région Maule (l’une des plus touchées par la catastrophe), le ministre de l’économie et l’intendant de Santiago. Fernando Echeverría est d’ailleurs passé directement de la Chambre chilienne de la construction (syndicat patronal) à l’intendance de la région métropolitaine ! Pour les spéculateurs immobiliers les plus en vue (dont l’ami d’enfance de Piñera, Carlos Alberto Délano) les prochaines années s’annoncent on ne peut plus juteuses, même si par « malchance » leur responsabilité pénale est actuellement engagée du fait de la mauvaise qualité des édifices construits (et qui ont mal résisté au tremblement de terre)… Des projets fleurissent de partout et aiguisent les appétits, ainsi dans l’historique quartier Brésil de Santiago. Le Ministère des travaux publics (MOP) est quant à lui aux mains du lobby de l’Association des concessionnaires d’œuvres et d’infrastructures publiques (COPSA). « Nous voulons parler un peu avec le nouveau ministre et avec le Président Piñera pour que toutes ses routes, mais aussi ces écoles, hôpitaux, prisons et bâtiments publics qui se sont écroulés, soient transformés en concessions » a déclaré le dirigeant de la COPSA (et cousin de Piñera). Ce à quoi répondait le lendemain matin le ministre du MOP : « Le processus de concessions a aidé au développement du pays et je crois qu’il pourrait aider désormais à la reconstruction » [19]. Dans un Chili où quasiment tous les champs sociaux sont déjà dominés par le secteur privé et des logiques de rentabilité immédiates, de telles déclarations donnent le tournis.
Reconstruire les alternatives
Face à ce scénario du pire où la catastrophe géophysique rétroalimente le tremblement de terre politique, plusieurs lueurs d’espoirs pointent le bout de leur nez. Certes, le mouvement ouvrier, la Centrale unitaire des travailleurs, la gauche radicale, les associations de quartiers ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient avant le coup d’Etat de 1973. Cependant, depuis le début des années 2000, la « gueule de bois » de la transition pactée semble s’éloigner et une nouvelle génération de militants se mobilise et renouvelle les répertoires de l’action collective, en lien avec l’expérience des plus anciens. De multiples initiatives de solidarité active parcourent le pays, bien loin du show télévisé du « téléthon », sponsorisé par les mêmes entreprises qui pensent s’enrichir grâce au séisme. Syndicats, collectifs étudiants, associations de femmes ou indigènes, militants de gauche tentent, à contre-courant, de montrer que la notion de solidarité est encore possible face à la morgue du « tout marché » [20]. Ainsi que le déclare Carlos Gajardo, dirigeant social de la commune de La Florida (Santiago), « L’heure est à la réflexion lorsqu’on parle de reconstruction. Voulons-nous reconstruire un pays où prédominent les décisions de quelques uns, l’emploi précaire, le clientélisme, la corruption ? Ou bien faire ce qui correspond à un peuple digne : exiger la reconstruction du pays sur les bases de la solidarité, la justice sociale et la souveraineté nationale ? » [21]. L’alternative se pose effectivement en ces termes : choc néolibéral par en haut ou reconstruction solidaire par en bas ? Néanmoins, pour que le retour en fanfare de la droite ne soit qu’un mauvais souvenir et qu’il n’annonce pas un retour de bâton plus ample sur le plan régional, ce gouvernement et ses alliés devront être combattus sur leur terrain : celui de la lutte des classes.
Il faudra ainsi poser la question de la reconstruction politique d’une gauche populaire et combative : une « politique de l’opprimé » (selon la belle formule de Daniel Bensaïd), qui ne renonce pas à son indépendance devant les atermoiements de la Concertation et qui sache briser la fatalité de la fragmentation en proposant des alternatives concrètes. Nul doute qu’un gouvernement progressiste aurait pu mettre en branle un autre projet de reconstruction, financé notamment par une taxe immédiate (royalty) sur les entreprises minières transnationales, qui exploitent les multiples concessions sans quasiment rien laisser. Une telle fiscalité, pourtant très modérée, rapporterait au bas mot la coquette somme de 2,5 milliards par an [22].
Plus largement, c’est une véritable re-nationalisation du cuivre sous contrôle des salariés, comme des services de base (eau, électricité, communication, transports) qui devrait être annoncée comme mesure d’urgence sociale et nationale. Une décision de salut public soutenue par une imposition sur les revenus des transnationales, des classes aisées et à la mobilisation du mouvement social et syndical pour défendre une telle politique. Cette dynamique suffirait à démarrer une reconstruction gérée alors au travers d’un organisme public ad hoc, sous contrôle des populations concernées et favorisant les multiples initiatives d’auto-organisation qui ont surgit çà et là. Cette épreuve que traverse le peuple chilien serait, dans ces conditions, une opportunité de refondation démocratique et, pour les gauches sociales et politiques, l’occasion de reprendre le chemin des ouvriers des cordons industriels lorsqu’ils clamaient durant l’Unité populaire : « Créer, créer, pouvoir populaire ! ».
Première publication : revue Recherches Internationales.
Reproduction par initiative de l’auteur.
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Notes
[1] Pour une analyse de l’élection : F. Gaudichaud, « Un entrepreneur multimillionnaire à la tête du Chili », Le Monde Diplomatique, 19 janvier 2010, www.monde-diplomatique.fr/ca... et pour plus d’informations, voir la sélections d’articles que nous avons réalisé (avec Mario Amoros) pour Rebelion.org : « Elecciones Presidenciales 2009-2010 », www.rebelion.org/apartado.ph....
[2] « Le Chili. Un pays modèle ? » in F. Gaudichaud (dir.), Le Volcan latino-américain. Gauches, mouvements sociaux et néolibéralisme en Amérique latine, Paris, Textuel, 2008, pp. 315-336.
[3] Voir le dossier « Industria salmonera en Chile » de l’OLCA (Observatorio Latinoamericano de Conflictos Ambientales), www.olca.cl/oca/chile/region....
[4] Darío Zambra B., « La agonía del salmón », La Nación Domingo, 15 mars 2009.
[5] Arnaldo Pérez Guerra, “Chile : Salmoneras, crecimiento a cualquier costo”, 28 août 2003, www.ecoportal.net/content/vi....
[6] Cette loi pourrait d’ailleurs être déclarée inconstitutionnelle puisqu’un recours a été présenté par 34 députés et 12 sénateurs devant le tribunal constitutionnel.
[7] Certains journalistes et militants ont même eu le mauvais gout de faire le parallèle avec le Général Pinochet qui avait lui aussi la veille de son départ, fait passer subrepticement (et en dictature) une loi léonine favorisant les intérêts de l’éducation privée dans le système scolaire du pays.
[8] M. Bercerra, « Se van los capataces y vuelve el patrón », www.elciudadano.cl/2010/01/1....
[9] M. A. Garretón, Alfredo Alejandro Gugliano (coord.), Democracia en las Américas : desafíos, peligros, expectativas, Editora Universidad Católica de Pelotas, Brasil, 2003.
[10] La droite obtient 55 députés sur 120 et 17 sénateurs sur 38 : http://especiales.americaeconomia.c....
[11] Piñera a annoncé qu’il pensait se séparer des propriétés qui pourraient représenter un conflit d’intérêt avec son rôle de Président de la République, à commencer par ses actions au sein de Lan Chile. Une annonce qui mérite d’être suivie de près…
[12] Pour voir la composition complète du gouvernement : www.elciudadano.cl/2010/02/0...
[13] Antoine Maillet, « Nouveau gouvernement chilien : le monde des affaires au pouvoir ? », www.opalc.org, 15 Février 2010. Voir également C. Rivas Arenas, « Asesor de A. Edwards y ejecutivo de Falabella es el nuevo canciller », El Mostrador.cl, 10 de febrero 2010.
[14] F. Marin, « El regreso de los Chicago Boys », www.elciudadano.cl/2010/02/2...
[15] T. Tricot, « El criminal “error” de la Armada », Barómetro Internacional, 18 mars 2010.
[16] N. Klein, La Stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2008.
[17] Voir les textes que nous avons réunis (avec Mario Amoros) pour Rebelion.org sur ce sujet : « Un terremoto destruye el mito chileno », www.rebelion.org/mostrar.php....
[18] « La tempestad social que se aproxima », Editorial de la revue Punto Final, edición Nº 705, 19 de marzo 2010 et V. Haya de la Fuente, « Que el terremoto no sea excusa », Le Monde diplomatique (Chili), N° 106, avril 2010.
[19] Francisca Skoknic y Juan Pablo Figueroa « Los hombres del Presidente. Los vínculos de Piñera con las empresas de los edificios dañados », CIPER Chile, 18 mars 2010.
[20] Parmi de nombreuses autres, citons les initiatives en faveur de la reconstruction des locaux de syndicats portuaires, notamment du port de Talcahuano, très touché par le tsunami qui a aboutit à la création du Regroupement des syndicats pour la reconstruction de Talcahuano (voir aussi l’action lancée par l’ONG « Plataforma Nexos » : www.plataforma-nexos.cl).
[21] Carlos Gajardo Álvarez, « A reconstruir un Chile solidario », 25 mars 2010, www.rebelion.org/noticia.php....
[22] C Cademartori, « El royalty de la minería del cobre debe financiar la reconstrucción », 25 mars 2010, www.rebelion.org/noticia.php....