lundi 17 septembre 2012

CHILI : LETTRE OUVERTE À MICHELLE BACHELET, DE LA COMMISSION ÉTHIQUE CONTRE LA TORTURE

PHOTO TOMAS MUNITA POUR THE NEW YORK TIMES

Nous pouvons à peine croire que, depuis votre haut rang , vous manquiez  d'information sur ce qui se passe dans votre pays, alors que vous n'avez jamais cessé vos activités politiques depuis que vous avez quitté vos fonctions de Président du Chili et que votre nom est constamment présent dans la vie quotidienne des chiliennes et des chiliens depuis que votre successeur a pris ses fonctions en Mars 2010.

La Commission Éthique Contre la Torture,  organisme de défense des Droits de l'Homme au Chili, ayant une structure organisationnelle à l’extérieur, nous vous  invitons formellement à rompre le silence et à répondre aux questions qui suivent:

Le 26 Août, le New York Times a publié un article intitulé "Volunters Keep Watch on Protests in Chile" qui fournit, non seulement, des données sur la répression actuelle mais aussi sur les nouvelles formes qu'elle a prise en termes de harcèlement et de torture sexuelle appliquée à des lycéennes mineures, des jeunes étudiantes et des femmes adultes. L’ACES (Assemblée de Coordination des Élèves du Secondaire), a recueilli plus de vingt cinq plaintes contre la police pour violence sexuelle, qui seront présentées devant la Cour inter américaine des Droits de l’Homme le 28 octobre prochain.  Ainsi, à Washington, sera présenté l'état de violations policières lors des manifestations. La protestation sociale est criminalisée alors que la Constitution chilienne garantit le droit de réunion sans autorisation, mais applique le décret suprême n°1086 qui a été émis au début de 1980, en pleine dictature militaire. A cette occasion, le «Conseil juridique citoyen», la «Asesoria Ciudadana» argumentera sa plainte s'appuyant sur le Protocole d'Istanbul (08.09.1999 - Le Haut-Commissariat  des Droits de l'Homme de l'ONU), fixant les modalités et les mécanismes d'enquête sur les détentions illégales, l'usage excessif de la force et de la torture, entre autres et les actes illégaux de la force publique chilienne.

À cette fin, depuis les manifestations étudiantes de 2011, des groupes d'observateurs de Droits de l'Homme ont été créés. Leur mission est de trouver, assister et de recueillir les témoignages des victimes de la répression, dans la rue ou tout endroit où ces violations flagrantes de Droits de l'Homme auraient lieu. Nous avons comme exemple, le cas de notre Présidente, Juana Aguilera, qui a été agressée par un civil, probablement "pas si civil que ça", en plein exercice de ses droits de citoyenne, avec son badge de fonction clairement repérable, le 23 août, lors d'une  grande manifestation d’étudiants à côté du siège de l'Université du Chili, assaillie par les forces spéciales.  

Les "disparitions express" dont beaucoup de filles furent victimes,  enfermées dans un fourgon de police, elles furent «disparues» pendant  5 à 8 heures sans que personne ne puisse obtenir des informations sur leur arrestation illégale. Est-ce que ce type de pratiques sordides n’évoque pas  les années de la dictature dont tant de chiliennes et chiliens ainsi que votre famille et vous même furent victimes ?

Les attaques extrêmement violentes contre les communautés mapuche,  font maintenant partie de la «culture de la répression» de l'État chilien. Vous auriez peut-être quelque chose à dire à ce sujet, puisque c'est sous votre mandat présidentiel que furent assassinés les jeunes Mapuche Matias Catrileo, le 3 janvier 2008, et Jaime Mendoza Collio, le 12 Août 2009, tous les deux tués par la police du Groupe des Opérations de Police Spéciales (GOPE). Ces pratiques ne cessent de s’accroître,  bien au contraire, elles se renforcent et touchent de plus en plus de femmes et d'enfants, sans que vous ayez  fait le moindre commentaire.

Saviez-vous que dans les territoires mapuche de Temucuicui, le 23 Juillet dernier, la police militaire des forces spéciales ont pris d'assaut l'hôpital à proximité de Collipulli en blessant à coup de feu quatre enfants après avoir attaqué leur propre communauté ?

Saviez-vous que le 26 Juillet 2012, trois femmes mapuche, l'une avec sa fille de 2 ans, toutes membres de l'Alliance Mapuche Territoriale, ont pris le siège de l'UNICEF à Santiago du Chili pour demander l'intervention  des Nations Unies à l’égard du gouvernement du Chili et le ministère de l'Intérieur, pour exiger la fin de la militarisation de leurs territoires et que l'une d'entre elles, la porte-parole Mewlen Huencho, a mené une grève de la faim du 27 Août au 3 septembre?

Sans aller plus loin, le 3 Septembre, les mêmes forces spéciales de la police ont brutalement battu les manifestantes qui s'opposaient à l'exécution d'un plan de construction de barrages dans les environs du lac Neltume, parrainé par deux multinationales que vous connaissez bien: Endesa et Enel …

Le 9 Septembre, au cimetière général de Santiago, les Forces Spéciales ont violemment réprimé un pèlerinage organisé par des associations de Droits de l'Homme qui se remémoraient les 39 années du coup militaire de 1973. 

Et nous pourrions ainsi citer de nombreuses situations qui touchent directement les femmes et les Mapuche du Chili.

Les organisations des Droits de l'Homme au Chili et à l'étranger, ainsi que  la société civile, sont profondément étonnées de votre silence assourdissant vis à vis de ces faits, d’autant plus que vous étiez la Présidente du Chili, et que vous êtes aujourd'hui, directrice des Nations Unies pour la Femme.

Que faire pour revitaliser votre sensibilité de femme et de responsable d'un organisme international  si important? 

Devrions-nous vous rappeler que le 8 Mars, Journée Internationale de la Femme, lors de l'occupation du  SERNAM, le Service National de la Femme à Santiago, quatorze femmes du Parti de l'Égalité, du Mouvement des Résidentes en Lutte, des femmes mapuche, de Andha, ont été arrêtées pour avoir défendu les droits de leur sexe ?

Que c'est sous votre administration que  la militante Mapuche Patricia Troncoso, a fait une grève de la faim de 112 jours, du 10 Octobre 2007 au 30 Janvier 2008, également pour revendiquer son droit de femme et sa condition de prisonnière politique, et qu’à ce moment-là vous l'avez  privée de son droit légitime de communiquer avec la Commission  Inter américaine des Droits de l'Homme,  communication demandée personnellement par le  Secrétaire exécutif de ce corps ?

Que, à l’occasion de la première Conférence Européenne sur les Mapuche, qui s'est tenue au Parlement Européen à Bruxelles le 26 Mars 2011, vous avez été interpellée avec vigueur par la dirigeante Mapuche Juana Calfunao qui a été emprisonné, (elle fut victime d’un avortement d'une grossesse de six mois en raison de la violence policière) pendant que d'autres membres de sa famille étaient également incarcérés et que sa fille mineur de 10 ans devait partir en exil en Suisse ? C'est bien la même chef de la communauté Juan Paillalef qui à l’occasion de la 4ème session du Mécanisme d'Experts sur les Droits des Peuples Autochtones qui s'est tenue à Genève le 15 Juillet de la même année au siège de l'ONU, a fait un bref discours et que vous lui avez répondu en anglais sans qu'elle ne bénéficie de traduction ?

Et quand vous aviez reçu la distinction honorifique de l'Université de Santander, en Espagne, le 2 Septembre 2010, alors que trente deux mapuche faisaient la grève de la faim dans leurs prisons respectives, n'avez-vous pas déclaré: «En tant que médecin je dois dire: les plaies contaminées qui ne sont pas propres, ne guérissent jamais " ?

Nous ne pouvons pas oublier que pendant votre mandat, en tant que chef de l'État, a été appliqué pour la première fois la Loi antiterroriste (LAT) contre les Mapuche et que le nombre de détenus a été le plus important de ces dernières décennies, pour atteindre 140.

Madame Michelle Bachelet, conformément  à  notre argumentation, nous vous exhortons solennellement  à vous prononcer sur les éléments exposés et à faire connaître votre opinion sur ces graves violations des Droits de l'Homme et de la valeur universelle qu’elles comportent, car en tant que haut fonctionnaire d’une instance comme l’ONU, vous ne pouvez plus garder le silence.

Nous vous prions de recevoir nos saluts cordiaux,

Juana Aguilera J., Présidente de la Commission Éthique Contre la Torture -Chili

José Venturelli B., Porte parole du Secrétariat extérieur de la Commission Éthique Contre la Torture

15 Septembre 2012



Traduction : Marie-Christine Rybarczyk Aguirre – CECT France