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André Jarlan (dont Libération a évoqué la mort dans son supplément Chili des 14 et 15 novembre) et Pierre Dubois, deux prêtres français, exerçaient leur ministère à La Victoria: une poblaciòn construite sur une ancienne décharge dans la périphérie de Santiago où s'entassaient 32 000 habitants.
André Jarlan, âgé de 44 ans, avait le physique d'un rugbyman et le calme serein d'un homme de la campagne tout entier dévoué à son sacerdoce. Originaire de Rignac, près de Rodez, il était prêtre de l'Action catholique ouvrière. Avec Pierre Dubois, il s'efforçait de conjurer la dislocation du tissu social rongé par la misère. Les deux prêtres français dérangeaient les paramilitaires de l'Association chilienne anticommuniste, qui, à plusieurs reprises, les avaient menacés de mort.
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Vers 19 heures, un caporal et deux hommes s'avancent vers le petit groupe de journalistes que nous formons, deux photographes chiliens, un radioreporter américain et moi. Le sous-officier ordonne à l'un de ses hommes d'ouvrir le feu en me désignant parce que je porte un sac photo. Le carabinier met un genou à terre, vise posément et lâche une rafale. Je me mets à courir, les balles me loupent et foudroient le père Jarlan, qui est chez lui, au premier étage de sa bicoque. Une balle a traversé la mince cloison de bois et l'a frappé à la nuque. Il s'effondre sur la bible ouverte sur le psaume 129: «Ils m'ont beaucoup attaqué depuis que je suis jeune mais ils ne m'ont pas vaincu.» La nouvelle de la mort de Jarlan se propage. Les habitants se rassemblent à l'église, dont la cloche sonne le glas. Les carabiniers tirent des fumigènes, tabassent avec sauvagerie les fidèles. Le couvre-feu est imposé. Le lendemain, un porte-parole du pouvoir annonce que le père Jarlan a été tué par des voleurs. Je publie un démenti par le canal de l'AFP. Quelques mois plus tard, le caporal est condamné à une peine symbolique.
Bernard Mathieu est romancier et journaliste. Dernier ouvrage: «Zé», Gallimard («la Noire»).