samedi 29 septembre 2012

L'ARMÉE CHILIENNE A TUÉ LE PRÊTRE FRANÇAIS. COMMENT JARLAN EST MORT.


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

ANDRÉ JARLAN ÉTAIT UN PRÊTRE AVEYRONNAIS QUI A ÉTÉ TUÉ EN 1984 À LA VICTORIA. IL ÉTAIT ARRIVÉ DANS CE QUARTIER POPULAIRE (POBLACION) DE SANTIAGO DU CHILI DIX HUIT MOIS PLUS TÔT, EN 1983. PHOTO ÉGLISE CATHOLIQUE DU CHILI




André Jarlan (dont Libération a évoqué la mort dans son supplément Chili des 14 et 15 novembre) et Pierre Dubois, deux prêtres français, exerçaient leur ministère à La Victoria: une poblaciòn construite sur une ancienne décharge dans la périphérie de Santiago où s'entassaient 32 000 habitants.
Par Bernard MATHIEU
Libération du 19 novembre 1998
André Jarlan, âgé de 44 ans, avait le physique d'un rugbyman et le calme serein d'un homme de la campagne tout entier dévoué à son sacerdoce. Originaire de Rignac, près de Rodez, il était prêtre de l'Action catholique ouvrière. Avec Pierre Dubois, il s'efforçait de conjurer la dislocation du tissu social rongé par la misère. Les deux prêtres français dérangeaient les paramilitaires de l'Association chilienne anticommuniste, qui, à plusieurs reprises, les avaient menacés de mort.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
SON DÉPART AU CHILI AVAIT ÉTÉ LONGUEMENT MÛRI ET RÉFLÉCHI. LES CONTACTS NATIONAUX QU'IL AVAIT À LA JOC ET À L'ACO, SON EXPÉRIENCE LOCALE DE PRÊTRE OUVRIER EN AVEYRON, SES RENCONTRES AVEC LES MISSIONNAIRES DE PASSAGE ET SES LIENS AVEC LE MOUVEMENT MONDIAL DE TRAVAILLEURS CHRÉTIENS L'ONT POUSSÉ À CHOISIR LE CHILI. LE PAYS ÉTAIT ÉTAIT ALORS EN PLEINE DICTATURE MAIS LE CHILI AVAIT EU UNE LONGUE TRADITION DÉMOCRATIQUE ET ÉTAIT DOTÉ D'UN MOUVEMENT OUVRIER ORGANISÉ. PHOTO ÉGLISE CATHOLIQUE DU CHILI
Le 4 septembre 1984, la gauche chilienne appelle à une manifestation dans le centre de Santiago pour célébrer le 14e anniversaire de l'élection d'Allende. Dès le matin, les carabiniers abattent Hernan Barrales, un habitant de La Victoria, au prétexte qu'il a eu le mauvais goût de crier son hostilité à leur passage. A la fin des rassemblements, je me rends à la maison des deux prêtres, rue Ranquil. La Victoria est paisible. Quelques pneus en feu donnent l'illusion d'une barricade, une foule clairsemée bavarde sur les pas des portes. A la tombée de la nuit, trois fourgons de carabiniers s'arrêtent à l'angle de la rue Ranquil. Terrorisés, les gens se calfeutrent chez eux. Sans qu'aucun crime les provoque, les carabiniers fracassent les portes, jettent les habitants dehors, les battent à coups de crosses. Un chauffeur de bus est en partie scalpé, ses jambes sont tailladées à coups de baïonnette: un gosse qui a jeté une pierre sur les flics s'est réfugié dans sa cour.

Vers 19 heures, un caporal et deux hommes s'avancent vers le petit groupe de journalistes que nous formons, deux photographes chiliens, un radioreporter américain et moi. Le sous-officier ordonne à l'un de ses hommes d'ouvrir le feu en me désignant parce que je porte un sac photo. Le carabinier met un genou à terre, vise posément et lâche une rafale. Je me mets à courir, les balles me loupent et foudroient le père Jarlan, qui est chez lui, au premier étage de sa bicoque. Une balle a traversé la mince cloison de bois et l'a frappé à la nuque. Il s'effondre sur la bible ouverte sur le psaume 129: «Ils m'ont beaucoup attaqué depuis que je suis jeune mais ils ne m'ont pas vaincu.» La nouvelle de la mort de Jarlan se propage. Les habitants se rassemblent à l'église, dont la cloche sonne le glas. Les carabiniers tirent des fumigènes, tabassent avec sauvagerie les fidèles. Le couvre-feu est imposé. Le lendemain, un porte-parole du pouvoir annonce que le père Jarlan a été tué par des voleurs. Je publie un démenti par le canal de l'AFP. Quelques mois plus tard, le caporal est condamné à une peine symbolique.

Bernard Mathieu est romancier et journaliste. Dernier ouvrage: «Zé», Gallimard («la Noire»).