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DES MILLIERS D’ENSEIGNANTS DÉFILENT À SANTIAGO,
LE 3 JUILLET, POUR UNE MEILLEURE ÉDUCATION PUBLIQUE
PHOTO ALBERTO PEÑA/EFE/SIPA
Les professeurs du secondaire entament leur septième semaine de grève. Outre la discrimination salariale au sein de leur corps, ils dénoncent la municipalisation de l’enseignement.
Les enseignants chiliens ont de la suite dans les idées, et surtout une grosse dose de persévérance. Lundi, ils ont entamé leur septième semaine de grève, faute de réponses crédibles de la part du gouvernement ultralibéral de Sebastian Piñera, dont l’intransigeance n’est pas étrangère à la chute de sa cote de popularité. À l’appel du Collège des professeurs, le syndicat le plus important du pays, les grévistes avancent douze revendications, touchant à la fois aux questions salariales, statutaires, ainsi qu’à leurs conditions de travail. « Les enseignants au Chili sont très mal payés. C’est un secteur des plus productifs et pourtant ses acteurs sont historiquement précarisés », soutient Javiera Olivares, ancienne présidente du Collège des journalistes. La décision de l’exécutif de modifier les heures d’enseignement de l’éducation physique et de l’histoire dans le secondaire, abaissant sensiblement les heures de cours dans ces deux matières, a mis le feu aux poudres. « C’est d’autant moins compréhensible que le pays est confronté à un problème grandissant d’obésité dans la jeune génération. Quant à l’histoire, qui serait moins enseignée, c’est tout aussi dramatique au vu de l’importante dépolitisation de la société », poursuit Javiera Olivares.
Un autre axe revendicatif concerne l’absence de traitement égalitaire entre les professeurs. 94 % des éducatrices d’enfants du premier cycle ont un salaire inférieur car leur spécialisation n’est pas reconnue. Cette discrimination salariale frappe en premier lieu les femmes, qui occupent majoritairement ce type de postes. Outre les conditions de travail qui se sont terriblement dégradées, faute de financements adéquats, le corps enseignant plaide pour que la « dette historique » héritée de la dictature d’Augusto Pinochet soit enfin soldée. Le satrape, qui, après le coup d’État, a fait du Chili le laboratoire du néolibéralisme, est à l’origine de la municipalisation de l’enseignement. « L’État s’est ainsi vu privé de coordonner les activités éducatives et les matières à enseigner. Ce sont les maires qui décident des spécialisations retenues ou non, en fonction du montant des financements privés dont ils jouissent. L’État a ainsi perdu son droit de garant d’une éducation nationale. Dans les faits, celle-ci est devenue ségrégative », explique Javiera Oliveras. Les professeurs, qui dépendent des villes, ont ainsi vu leur carrière et leur salaire se rabougrir, faute d’un réajustement annuel, à la différence des autres fonctionnaires.
Il y a une semaine, la seconde rencontre entre la ministre de l’Éducation, Marcela Cubillos, et une délégation d’enseignants a tourné court, ces derniers estimant que l’exécutif ne répondait pas à leurs revendications, notamment en matière salariale. « Durant tout ce temps (le ministère) a cherché à minimiser notre mouvement, mais sans grand résultat », a estimé Mario Aguilar, le président du Collège des professeurs. De son côté, le ministère a conditionné un futur dialogue à la reprise des cours. La ministre, qui a superbement ignoré le mouvement de protestation durant plusieurs semaines, est même allée jusqu’à menacer de retirer des subventions à des établissements en grève. Cette intolérance n’est pas sans rappeler la posture du président et multimilliardaire Sebastian Piñera, qui a osé dire que les grévistes « causaient un grand tort à l’éducation publique ». « J’aimerais dire oui à tout ce qu’ils demandent, mais malheureusement on ne peut pas », a tranché le locataire du palais de la Moneda.
Le désengagement de l’État au profit des entreprises privées est au centre des révoltes lycéennes et estudiantines de cette dernière décennie. En 2011, le Chili a été paralysé par les étudiants qui refusaient que l’éducation soit un bien de consommation ultracher au point d’acculer 70 % des élèves à l’endettement. Encore aujourd’hui, la théorie du dictateur Pinochet fonctionne à bloc : les capitaux privés sont devenus les maîtres des centres d’éducation au nom de « la liberté d’enseigner ». C’est en filigrane ce que dénoncent les professeurs depuis sept semaines.
Cathy Dos Santos
« L’éducation nationale est devenue ségrégative »
Un autre axe revendicatif concerne l’absence de traitement égalitaire entre les professeurs. 94 % des éducatrices d’enfants du premier cycle ont un salaire inférieur car leur spécialisation n’est pas reconnue. Cette discrimination salariale frappe en premier lieu les femmes, qui occupent majoritairement ce type de postes. Outre les conditions de travail qui se sont terriblement dégradées, faute de financements adéquats, le corps enseignant plaide pour que la « dette historique » héritée de la dictature d’Augusto Pinochet soit enfin soldée. Le satrape, qui, après le coup d’État, a fait du Chili le laboratoire du néolibéralisme, est à l’origine de la municipalisation de l’enseignement. « L’État s’est ainsi vu privé de coordonner les activités éducatives et les matières à enseigner. Ce sont les maires qui décident des spécialisations retenues ou non, en fonction du montant des financements privés dont ils jouissent. L’État a ainsi perdu son droit de garant d’une éducation nationale. Dans les faits, celle-ci est devenue ségrégative », explique Javiera Oliveras. Les professeurs, qui dépendent des villes, ont ainsi vu leur carrière et leur salaire se rabougrir, faute d’un réajustement annuel, à la différence des autres fonctionnaires.
Il y a une semaine, la seconde rencontre entre la ministre de l’Éducation, Marcela Cubillos, et une délégation d’enseignants a tourné court, ces derniers estimant que l’exécutif ne répondait pas à leurs revendications, notamment en matière salariale. « Durant tout ce temps (le ministère) a cherché à minimiser notre mouvement, mais sans grand résultat », a estimé Mario Aguilar, le président du Collège des professeurs. De son côté, le ministère a conditionné un futur dialogue à la reprise des cours. La ministre, qui a superbement ignoré le mouvement de protestation durant plusieurs semaines, est même allée jusqu’à menacer de retirer des subventions à des établissements en grève. Cette intolérance n’est pas sans rappeler la posture du président et multimilliardaire Sebastian Piñera, qui a osé dire que les grévistes « causaient un grand tort à l’éducation publique ». « J’aimerais dire oui à tout ce qu’ils demandent, mais malheureusement on ne peut pas », a tranché le locataire du palais de la Moneda.
Le désengagement de l’État au profit des entreprises privées est au centre des révoltes lycéennes et estudiantines de cette dernière décennie. En 2011, le Chili a été paralysé par les étudiants qui refusaient que l’éducation soit un bien de consommation ultracher au point d’acculer 70 % des élèves à l’endettement. Encore aujourd’hui, la théorie du dictateur Pinochet fonctionne à bloc : les capitaux privés sont devenus les maîtres des centres d’éducation au nom de « la liberté d’enseigner ». C’est en filigrane ce que dénoncent les professeurs depuis sept semaines.
Cathy Dos Santos