mercredi 17 juin 2020

FRANCE : HÔPITAL. MOBILISATION MASSIVE EN FAVEUR DU SYSTÈME DE SANTÉ

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PLUSIEURS MILLIERS DE MANIFESTANTS ONT DÉFILÉ, SOIGNANTS ET
SOUTIENS, MARDI 16 JUIN 2020 À PARIS. UNE MANIFESTATION MARQUÉE
PAR DES HEURTS VIOLENTS AVEC LA POLICE.
PHOTO (©SL / ACTU PARIS)
Des milliers de personnels hospitaliers, salariés des Ehpad et usagers se sont rassemblés dans toute la France pour le premier mouvement social d’ampleur depuis la pandémie. Le Ségur de la santé est sous pression.
VIOLENTE INTERPELLATION D'UNE INFIRMIÈRE LORS
 DE LA MANIFESTATION DES SOIGNANTS À PARIS
PHOTO POLITIS
Une marée humaine sous les fenêtres d’Olivier Véran. L’avenue de Ségur, à Paris, qui a donné son nom à la concertation très décriée menée par le gouvernement, résonnait des « On est là ! » des soignants hospitaliers, des personnels des Ehpad et des usagers. Pour cette grande journée d’action post-confinement, seize mois après le début du mouvement social dans les hôpitaux, les premiers de corvée face au ­Covid, piliers du système de santé, se sont rassemblés par milliers à l’appel de syndicats et collectifs (CGT, FO, Unsa, SUD, collectif Inter-Hôpitaux…) pour refuser le retour à « l’anormale ». Dans toute la France comme à Paris. En tête du cortège dans la capitale, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, n’y va pas par quatre chemins : « Ça fait un moment que le diagnostic de ce qui ne va pas est posé. Il faut donner des réponses aux personnels tout de suite et annuler la dette des hôpitaux ! On donne bien 10 milliards d’euros aux entreprises ! »

Les oubliés du champ de bataille


UNE DU QUOTIDIEN L'HUMANIÉ
DU MARDI 16 JUIN 2020
Dans la foule compacte, la gestion catastrophique de la crise a imprimé les consciences au fer rouge. Olivier Youinou, cosecrétaire de SUD santé AP-HP, résume cette déflagration au micro : « La situation a pété à la gueule de tout le monde. » Vétérante des luttes sociales, Marie a collé sur son uniforme bleu d’infirmière anesthésiste une photo d’elle en manifestation en 1988. Elle n’avait jamais vu ça en trente ans de carrière : « Je me suis retrouvée à intuber des gens sans masque FFP2. Je gagne 2 500 euros par mois avec 17 heures supplémentaires en plus. Je suis obligée de travailler en intérim dans d’autres hôpitaux pour m’en sortir seule avec deux enfants à Paris, alors que nous avons la vie des gens entre nos mains. Notre profession n’est absolument pas représentée dans le Ségur de la santé, c’est une honte. En ce m oment, nous avons 3 000 opérations, reportées pendant le Covid, à rattraper, nous sommes toujours au bloc à 21 heures, je ne peux plus accepter ça ! »

« Ni bonne, ni nonne, ni conne ! » brandit en écho Léa, étudiante infirmière. Jetées en pâture dans les services de réanimation sans même avoir fini leur formation, les futures diplômées se remettent à peine de cette période de surtension. « Nous avons toutes été réquisitionnées, poursuit sa camarade Laura, élève dans une école à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne). On a fait office d’aides-soignantes et d’infirmières. Le tout payé 1,40 euro de l’heure, somme que nous n’avons toujours pas reçue. Nous n’avons pas non plus le droit à la prime Covid. Nous sommes diplômées dans un mois, mais nous n’avons pas envie de gérer 14 patients en même temps pour gagner 1 600 euros. On ne veut pas exercer notre futur métier comme ça. »

Le camion rose de « Vos gâteaux » détonne dans la vague de blouses blanches. Véronique a monté cette opération de distribution de nourriture pour les soignants pendant la pandémie. 9 000 bénévoles continuent toujours d’offrir aux hospitaliers douceurs et repas en tout genre. Des applaudissements au balcon à la rue, il n’y a qu’un pas, qu’ont franchi de nombreux usagers ce mardi, à l’image d’Amaury et Rémy. Ces deux comédiens ont revêtu des uniformes de soldats avec une pancarte explicite : « Plus de brancards et de lits d’hôpitaux, moins de branquignoles au sommet de l’État. » « On est en guerre, comme l’a dit Emmanuel Macron. Les revendications des soignants sont totalement justifiées », souligne le poilu d’un jour. Les personnels des Ehpad se sentent, eux aussi, les oubliés du champ de bataille. Le matin, ils avaient manifesté devant le siège du groupe Korian dans le 8e arrondissement de Paris. Alors que les actionnaires ont renoncé à 54 millions d’euros de dividendes, les salariés ne voient rien venir pour le versement des primes. « Nous avons eu des renforts, notamment d’agents de services hospitaliers, mais une fois la crise finie, ils sont partis, du coup, on se retrouve à faire une partie de leur boulot, dénonce Orneli, auxiliaire de vie dans une structure parisienne. Mais on nous dit qu’il n’y a pas d’argent pour recruter. »

Urgences saturées, personnel épuisé


Si des tensions ont éclaté en marge de la manifestation parisienne, 220 rassemblements se sont tenus dans toute la France, rappelant l’élan revendicatif dans la santé de l’automne dernier. Environ 12 000 personnes s’étaient ainsi donné rendez-vous hier devant l’hôpital Édouard-Herriot, à Lyon. Personnels soignant et paramédicaux, du public comme du privé, mais aussi des salariés du secteur médico-social et plus largement des cheminots, des étudiants, des gilets jaunes et d’autres se sont joints au cortège qui s’est ébranlé jusqu’à l’agence régionale de santé d’Auvergne-Rhone-Alpes. « Ça fait plus d’un an qu’on se mobilise, qu’on n’est pas entendus. On a répondu présent pendant le Covid, on a espéré que les choses allaient changer. Mais depuis le déconfinement, c’est comme si rien ne s’était passé : les services d’urgences sont saturés, le personnel épuisé. On manque toujours autant de matériel et de lits ! » s’insurge une médecin urgentiste rattachée à l’hôpital Édouard-Herriot et à Lyon-Sud.

Le mot qui revient dans toutes les bouches ? Le besoin de reconnaissance. Salariale mais aussi professionnelle. « Pendant la crise du Covid, on s’est rendu compte que c’étaient les petites mains qui faisaient tourner le pays, pas le gouvernement », pointe Claude. Cette infirmière à la clinique privée de la Sauvegarde, en fin de carrière, manifeste pour la première fois de sa vie. « Chez nous, ce genre de mobilisation est exceptionnelle, ça montre le niveau du ras-le-bol ! » Solidaires des agents du public, elle et ses collègues espèrent une revalorisation générale des salaires.

« Il faut redonner du pouvoir aux soignants », exige également une médecin psychiatre à l’hôpital psychiatrique du Vinatier qui préfère rester anonyme. « À l’heure actuelle, les soins sont organisés par des managers avec beaucoup de violence institutionnelle. Contrairement à ce que dit le gouvernement, on a des lits qui continuent à être fermés alors que les urgences sont saturées. On se retrouve avec des patients qui décompensent en milieu extra-hospitalier, une vraie dégradation de la qualité des soins et une énorme souffrance au travail des so ignants », déplore-t-elle. Une dégradation de la psychiatrie qui a un impact sur le secteur médico-social. « Comme les hôpitaux psychiatriques ne sont plus en état d’accueillir tous les patients qui le nécessiteraient, on se retrouve de plus en plus avec des publics qui présentent des troubles psychiques et autistiques, alors qu’en parallèle, on subit une déqualification de nos métiers qui fait qu’on est de moins en moins outillés pour ce genre de mission », explique Nabila Machetto, responsable syndicale CGT à l’Adapei du Rhône.