samedi 2 février 2019

CHILI : LA JUSTICE RECONNAÎT QUE PINOCHET EST RESPONSABLE DE LA MORT DE L’ANCIEN PRÉSIDENT FREI MONTALVA


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L’ANCIEN PRÉSIDENT FREI MONTALVA
Il a fallu attendre trente-sept ans pour que la justice chilienne établisse que l’ancien président démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva (1964-1970) était mort en 1982, empoissonné par le général Augusto Pinochet (1973-1990), et non pas des suites d’une opération comme l’indiquait l’acte officiel de décès, en pleine dictature militaire. Six personnes ont été condamnées, le 30 janvier à Santiago, à des peines allant jusqu’à dix ans de prison pour complicité et dissimulation du crime. Parmi eux, quatre médecins, un agent de la police secrète de Pinochet et le chauffeur personnel de l’ancien chef d’État.
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«C’est l’unique cas de magnicide de l’histoire du Chili » a déclaré Carmen Frei, fille de l’ex-président et ancienne sénatrice, ajoutant que « la sentence du juge démontre que [son] père a été assassiné par la dictature de Pinochet. » La famille d’Eduardo Frei Montalva avait porté plainte dès le retour de la démocratie. Son fils aîné, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, qui fut président du Chili entre 1994 et 2000, avait accusé le régime militaire d’être responsable de la mort de son père.

En novembre 1981, Eduardo Frei Montalva avait été admis dans une clinique de Santiago, pour une opération de hernie, a priori bénigne. Mais quelques semaines plus tard, il est mort brutalement – officiellement, à cause de complications liées à l’opération.

« Un des principaux objectifs à abattre »

« Il y a eu deux expertises disant que de très petites quantités et espacées dans le temps de thallium et de gaz moutarde, se sont mêlées pour affaiblir les défenses immunitaires du président Frei, expliquant qu’il n’ait pu se remettre », a précisé Nelson Caucoto, avocat de la famille Frei Ruiz-Tagle. Le juge Alejandro Madrid a pour sa part confirmé l’usage d’« une substance chimique ».

Pendant son gouvernement, Eduardo Frei Montalva avait entrepris une ambitieuse réforme agraire et avait nationalisé une partie de la production de cuivre, principale richesse du pays, dans les années 1960. En 1973, il avait soutenu le coup d’État militaire contre le président socialiste Salvador Allende (1970-1973). Mais déçu par la junte militaire, il était ensuite devenu une figure importante de l’opposition et « donc un des principaux objectifs à abattre pour la dictature », a souligné maître Caucoto. Fondateur de la démocratie-chrétienne, Frei Montalva était considéré comme un opposant dangereux par Pinochet, car il était resté au pays alors que les dirigeants de la gauche chilienne avaient dû s’exiler.

La mort suspecte de Pablo Neruda

Troublante coïncidence : la clinique Santa Maria de Santiago dans laquelle avait été interné Frei Montalva est la même où est mort le Prix Nobel de littérature Pablo Neruda, en 1973, quelques jours après le coup d’Etat militaire. Le poète était proche de l’ex-président Allende. En octobre 2017, un groupe de seize experts internationaux mandaté par la justice chilienne a déterminé que la mort de Neruda n’était pas due à un cancer de la prostate, comme rapporté sur le certificat officiel de décès.


Ces spécialistes ont découvert une bactérie non cancéreuse qui est à l’étude dans des laboratoires au Canada et au Danemark et qui pourrait permettre d’éclaircir si des bactéries ont pu être inoculées au Prix Nobel par des agents de la dictature. Une enquête judiciaire a été ouverte alors que plusieurs témoignages coïncident pour signaler une mystérieuse injection faite au poète. Les restes de Neruda ont été l’objet ces dernières années de nombreuses expertises. Exhumés en 2013, ils ont finalement été remis en terre en avril 2016, sans que le mystère soit totalement levé.

La redoutable agence de renseignement, DINA, créée par Pinochet, avait embauché un biochimiste chilien, Eugène Berrios, concepteur de poisons sophistiqués, dont le gaz sarin, qui est fortement suspecté dans plusieurs cas d’assassinats. Il a fui le Chili en 1991 pour se réfugier en Uruguay, où il a été mystérieusement assassiné en 1995.
Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)