samedi 9 mai 2009

VISITE DU NAVIRE-ÉCOLE ESMERALDA: LE PASSÉ TROUBLE D'UN FLEURON CHILIEN

Un double affront pour les hommes et femmes qui rapportent y avoir été torturés, alors que d'autres seraient morts à son bord. Des faits que la marine chilienne a niés pendant 30 ans, mais pour lesquels 19 de ses membres sont aujourd'hui accusés.

Le navire est grandiose. Son arrivée promet d'être spectaculaire.

Pour Patricio Henriquez, Chilien établi au Québec depuis 1974 après avoir fui la dictature d'Augusto Pinochet, le blanc immaculé du navire qu'on appelle la «Dame blanche» s'oppose de façon draconienne aux horreurs qui se seraient déroulées en son bord. La précédente visite du voilier à Québec, en 2000, a incité le réalisateur à faire la lumière sur ces faits, pour lesquels 19 marins sont devant les tribunaux chiliens aujourd'hui, alors que les autorités niaient tout neuf ans plus tôt. Il a lancé son film Le côté obscur de la Dame blanche en 2006.

«Je voulais mettre en parallèle la beauté de l'objet et l'horreur qui a été vécue à partir de 1973», explique-t-il en entrevue au Soleil. «On ne torture jamais dans des lieux qui sont jolis, poursuit-il. D'habitude, c'est dans des endroits sombres, lugubres, mais là, c'est un beau voilier.» Un navire noble, objet d'une grande fierté pour le peuple chilien, dit-il, raison pour laquelle l'affront était double : «on les emprisonne, on les torture, c'est terrible, mais que ce soit sur l'Esmeralda, c'est encore pire

En 1973, la marine chilienne, l'instance militaire la plus conservatrice de ce pays, a joué un rôle clé dans le putsch qui a mené le dictateur Augusto Pinochet au pouvoir. Le 11 septembre 1973, alors accostée au port de Valparaiso, fleuron maritime du Chili, la «Dame blanche» est transformée en prison flottante, par manque d'espace. Des personnes montées à son bord rapportent avoir subi les pires sévices, tandis que d'autres sont carrément disparues.

Dans son film, Patricio Henriquez raconte l'histoire de trois de ces survivants, que les autorités chiliennes accusaient de mentir jusqu'à l'an dernier. C'est en effet en 2008 que comparaissaient devant les tribunaux les premiers marins chiliens depuis la chute du dictateur. Le procès devait se conclure ce mois-ci, mais sera retardé.

«Partout où il va, les gens manifestent toujours, remarque M. Henriquez. Des visites sont souvent annulées», entre autres en Europe. Son film sera diffusé au Musée de la civilisation demain à 19h. L'Office national du film procédera aussi au lancement de son DVD.

Amnistie internationale fera aussi signer des pétitions qui seront pliées en forme de bateaux, et remises au capitaine du navire. Évidemment, il n'est pas question de blâmer les gens qui se trouvent sur le navire aujourd'hui, mais Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale, «dénonce que le Chili se serve de ce bateau comme bateau ambassade», alors qu'il a un passé obscur. Elle souhaite «que le gouvernement chilien engage des procédures pour savoir réellement ce qui s'est passé sur l'Esmeralda». Les témoignages et les rapports sont nombreux, mais la marine continue de tout nier, déplore-t-elle.

Le voilier arrive à 8h15 en face de la Citadelle. Il saluera la Canada de 21 coups de canon, que la Citadelle lui retournera. Au quai 21, une heure plus tard, le quatre-mats sera accueilli par le Royal 22e Régiment qui entonnera l'hymne national chilien, ce à quoi l'équipage du navire répondra en chantant le Ô Canada. La «Dame blanche» quitte Québec mardi en direction de Halifax.