samedi 7 juin 2008

LA DERNIÈRE BATAILLE DE TIROFIJO


Pedro Antonio Marín est le vrai nom de Manuel Marulanda
dit "Tirofijo" ("En plein dans le mille") Photos Agences Reuters, EFE, AFP et AP.

Pedro Antonio Marín [le vrai nom de Manuel Marulanda] est mort [le 26 mars 2008]. De mort naturelle, deux mois avant de fêter ses 80 ans. Il était né à Génova (département du Quindío). Il était plus âgé – d’un jour – qu’Ernesto Che Guevara. Contrairement à Guevara, c’était un paysan et il l’a été jusqu’à sa mort.

Il avait pris les armes en 1948 lorsque ses oncles, de simples libéraux, avaient été condamnés par les “corbeaux” de la bourgade où ils vivaient [pendant la Violencia, la guerre civile qui opposa les conservateurs aux libéraux et qui fit plus de 300 000 morts]. Il les avait ensuite quittés pour tenter d’être commerçant dans le Valle del Cauca [département du sud de la Colombie].

Il aurait pu être un homme riche. Mais il reprit le sentier de la guerre en suivant ses cousins dans le sud du Tolima. Il avait du sang indien, ça se voyait dans ses yeux, qu’il avait petits et vifs. L’utopie communiste l’avait attiré non seulement par identification idéologique, mais aussi pour des raisons pragmatiques : les armes n’appartenaient pas au guérillero qui les gagnait mais au patrimoine de l’organisation.

Le gouvernement d’Alberto Lleras Camargo [1958-1962] lui avait concédé l’amnistie, et Pedro Antonio Marín était devenu ouvrier dans les travaux publics ; il construisit la route entre Planadas et Gaitania [dans le département du Tolima]. Mais il avait repris les armes lorsque les militaires l’avaient poursuivi.

C’est à cette époque que sont nées les Autodéfenses paysannes et Marquetalia [la république éphémère et autonome de Marquetalia, détruite par l’armée en 1964], qui n’a rien été d’autre qu’une tentative de gouvernement autonome dans une zone de colonisation. C’est à cette occasion que sont nées les FARC, avec une douzaine d’insurgés.

J’ai parlé deux fois avec Tirofijo [le surnom de Marulanda]. La première fois, c’était dans un campement situé à 80 kilomètres de Bogotá. C’est Alfonso Cano qui me l’a présenté. Il était accompagné d’un chien et portait une carabine M1. Plus que timide, il était prudent et sagace. Nous avons parlé toute une matinée et, de mauvais gré, il m’a raconté tout ce que je vous raconte.
La seconde fois, c’était en 1990, quelques jours avant le bombardement de son camp de la rivière Duda. Il a chargé son barda sur son dos et s’est échappé avec ses hommes. Malgré ce que l’on peut croire, Marulanda combattait : il faisait face à l’armée, il tendait des embuscades, il dormait dans des camps et il n’était pas étranger aux enlèvements et aux opérations.

Franchement, je ne crois pas qu’un bombardement [de l’armée] ait précipité son attaque cardiaque. Ni qu’il soit mort de peur comme le pense le ministre de la Défense [Juan Manuel Santos, qui a annoncé le 24 mai la mort de Marulanda, confirmée ensuite par les FARC].

Pour un guérillero, mourir à 80 ans est en soi un triomphe militaire. Marulanda est mort selon sa loi, c’est-à-dire de mort naturelle, ce qui représente une véritable victoire sur l’ennemi, qui n’a réussi ni à l’attraper ni à l’obliger à se rendre. Même si l’armée a réussi bien d’autres coups contre les FARC.