lundi 3 février 2014

«COMANDANTE ANA» : ARRESTATION D’UNE MYSTÉRIEUSE FRANÇAISE RÉCLAMÉE PAR LE CHILI

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PHOTO NON DATÉE DE MARIE-EMMANUELLE VERHOEVEN

Son visage est inconnu en France. Au Chili, Marie-Emmanuelle Verhoeven fait les gros titres. La Française de 54 ans, surnommée «Comandante Ana», a été arrêtée à l’aéroport de Hambourg en Allemagne le 25 janvier. Le Chili demande son extradition depuis les années 90.
Mathilde Gracia
Cette femme originaire de Nantes aurait appartenu au mouvement du Front patriotique Manuel Rodriguez (FPMR), l’aile armée du Parti communiste chilien, créée au début des années 80 en pleine dictature d’Augusto Pinochet.

Le Front est notamment à l’origine d’un attentat raté contre le despote en 1986, mais aussi de l’assassinat du sénateur Jaime Guzmán en 1991, un homme politique d’extrême droite considéré comme l’idéologue du régime militaire chilien, à une période où le Chili était redevenu démocratique.

Selon la police chilienne, «Comandante Ana» était la sixième tête du Front patriotique. Le juge en charge de l’affaire la considère aujourd’hui comme le cerveau de l’assassinat du sénateur.

Le mystérieux parcours de la militante PS

Mais qui est Marie-Emmanuelle Verhoeven ? Les journalistes chiliens la présentent comme «psychologue» et soulignent le mystère qui plane autour de la vie de cette Française : «La réalité se confond avec la légende», affirme Lilian Olivares qui a écrit un livre sur l’assassinat du sénateur Guzmán – précisons que ce livre lui a été commandé par la fondation Jaime Guzmán

Certains témoins affirment qu’elle était un agent des services secrets français, rapportent des journalistes chiliens qui ont accédé au dossier de l’enquête.

Militante socialiste selon un ex-ami, originaire de la région de Nantes, de Saint-Herblain plus exactement, dont le maire a longtemps été Jean-Marc Ayrault – «un de ses amis », affirme une personne qui vivait avec elle à l’époque – elle a travaillé au début des années 80 à la mairie de Rezé, dont elle connaissait très bien le maire (Jacques Floch), toujours selon cette personne. L’entourage de Jean-Marc Ayrault et Jacques Floch démentent connaitre Marie-Emmanuelle Verhoeven.

Elle aurait travaillé comme « psychologue », un travail qui lui aurait servi de « couverture » pour ses activités avec les services de renseignement. Dans ce contexte, elle aurait rencontré alors des exilés chiliens ayant fui la dictature de Pinochet, nouant ainsi ses premiers liens avec le pays d’Amérique du sud.

« Elle fréquentait beaucoup de latinos »

Un exilé chilien, qui tient à rester anonyme, raconte :

«Elle fréquentait beaucoup de latinos, elle appartenait à l’association France Amérique latine. En 1983, elle a rencontré un Chilien exilé à Nantes, ils se sont mariés et sont partis vivre là-bas en 1985. Avec un premier fils qu’elle avait déjà. »

Son mari Italo Retamal, avec qui elle aura un deuxième enfant, est un documentariste engagé, dont elle se sépare en 1987 et avec lequel elle aura des conflits à propos de la garde de leur enfant.

En 1984, raconte un de ses amis de l’époque, Marie-Emmanuelle Verhoeven s’envole pour le Nicaragua au moment où des militants d’extrême gauche du monde entier affluent dans ce petit pays d’Amérique centrale pour construire l’après-dictature Somoza. C’est là-bas qu’elle aurait fait la connaissance des membres les plus influents du FPMR.

De nombreux Chiliens participaient à la révolution et avaient suivi des formations militaires à Cuba ou en URSS.

Au Chili, alors sous la dictature de Pinochet elle travaille pour un organisme des Nations-Unies, la Commission économique pour l’Amérique latine et les caraïbes (Cepal). On lui prête de nombreuses relations.

«Comandante Ana», une figure secondaire du mouvement ou un agent double ?

L’assassinat du sénateur Jaime Guzmán, en 1991, ainsi que la séquestration du patron de presse Christian Edwards la même année par le FPMR se produisent alors que le Chili vient de renouer avec la démocratie. Pinochet a été écarté du pouvoir lors d’un référendum en 1989.

Le premier gouvernement démocratique post-dictature, celui de Patricio Aylwin, décide alors de créer une structure spéciale. Surnommée « La Oficina », la brigade est chargée de démanteler les derniers groupuscules pratiquant la violence au Chili, notamment le FPMR. Elle recrute des informateurs parmi les militants du Front.

Marie-Emmanuelle Verhoeven aurait fait partie de ces militants, choisissant de mener une vie de double agent, trahissant ainsi le Front, et ses ex-compagnons.

Les anciens membres du Front affirment que la Française n’a cependant jamais eu de poste important au sein du mouvement, selon des déclarations faites à la presse chilienne. Son rôle se serait limité à celui de « déléguée », appuyé par ses relations personnelles avec les chefs du mouvement, ceux rencontrés au Nicaragua.

Certains voulaient «lui faire la peau»

Mais le juge Carroza, lui, la considère comme l’auteure intellectuelle de l’assassinat de Guzmán. Il souhaite l’entendre pour éclaircir le rôle des différents acteurs du Front dans les autres affaires impliquant le FPMR (la séquestration de Christian Edwards ou évasion spectaculaire en hélicoptère de deux condamnés dans l’affaire Guzman en 1996).

La collaboration de la Française avec La Oficina lui aurait permis de quitter le pays dans de bonnes conditions, avec son fils franco-chilien. Selon un journaliste qui a travaillé sur le dossier, cette trahison est la raison qui l’a poussée à vivre cachée. Certains de ses ex-camarades « voulaient lui faire la peau ».

Le parti politique Union démocrate indépendante (UDI), dont Jaime Guzmán est le fondateur, dénonce sans relâche l’impunité dont auraient bénéficié les auteurs du crime contre le sénateur à Cuba.

Plusieurs membres hauts placés du FPMR, évadés de prison au Chili en 1996, sont réfugiés sur l’île, selon la journaliste Lilian Olivares. Marie-Emmanuelle Verhoeven aurait également effectué plusieurs voyages à Cuba : en 1990 puis en 1996 au moment de l’évasion des prisonniers.

Plusieurs médias chiliens indiquent qu’elle aurait également été liée aux renseignements cubains.

Sa famille ignorait son arrestation

Depuis le milieu des années 90, Marie-Emmanuelle Verhoeven a en tout cas rejoint la France. Que fait-elle depuis son retour dans son pays natal ? Se cache-t-elle, de peur de représailles de la part de ses ex compagnons du FPMR ? Bénéficie-t-elle de la protection de son pays d’origine ?

Selon la presse chilienne, elle travaille dans un foyer pour mineurs près de Nantes et tente de construire une nouvelle vie en oubliant son passé. Mais pour le quotidien allemand Bild – qui assure que Marie-Emmanuelle Verhoeven arborait un sourire tendre, amical à l’aéroport avant son arrestation –, elle est journaliste... Le mystère reste entier.

Sa famille, que nous avons contacté dans la banlieue de Nantes, n’était pas au courant de son arrestation et la pensait en route pour l’Inde. Ils semblaient sans voix devant l’annonce de sa détention et ne souhaitent pas communiquer davantage à son sujet.

Quid de l’attitude de la France ?

La procureur d’Hambourg a annoncé à la presse que la justice devait décider si la Française allait être extradée ou non. Le ministère des Affaires étrangères français nous a confirmé la détention de Marie-Emmanuelle Verhoeven en Allemagne. Le consul sur place a pu s’entretenir avec elle et lui présenter une liste d’avocat pour la défendre.

Selon le Quai d’Orsay, la Française rendait visite à une amie en Allemagne. Elle nie les faits qui lui sont reprochés par le Chili. « C’est une situation que nous suivons attentivement, nous faisons notre possible pour qu’elle soit défendue correctement », affirmer-t-on au ministère.

La France a-t-elle collaboré avec la justice chilienne dans cette affaire ? Selon le quotidien La Tercera, le Chili a demandé une commission rogatoire en 2010 après avoir localisé la Française à Nantes. Une demande qui serait restée lettre morte.

Une enquête a-t-elle alors été ouverte en France pour éclaircir les torts reprochés à la Française ? La chancellerie refuse de répondre : « Le ministère de la Justice ne s’occupe pas des affaires judiciaires [sic]», nous assure-t-on, avant de nous conseiller de nous tourner vers «les magistrats en charge de l’affaire».


Pour le ministre de l’Intérieur chilien Andrés Chadwick (du parti de droite UDI fondé par Jaime Guzman), il s’agit d’une étape extrêmement importante, dans un dossier pour lequel il a été très difficile, durant toutes ces années d’obtenir des éléments pour déférer devant un tribunal les responsables ou les présumés responsables de l’assassinat».