lundi 3 février 2014

LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, LE PÉROU, LE CHILI ET QUELQUES QUESTIONS DE FORME

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INFOGRAPHIE PRÉSENTANT LES ZONES REVENDIQUÉES PAR LE CHILI ET LE PÉROU. K. TIAN / G.HANDYSIDE/AFP
La ligne retenue par la CIJ (reproduite dans sa décision à la page 66) tente de faire la part des choses (et des arguments) entre les deux Etats: un premier segment de frontière maritime "convenue", puis une ligne équidistante tracée sans circonstances spéciales ou situation qui résulterait en une situation inéquitable. S'agissant d'une décision de 69 pages seulement (édition dans une seule des langues officielles de la CIJ), on pourrait croire naturellement que l'on se trouve en présence d'une décision qui (au premier abord) ne semble pas soulever de difficultés majeures au plan de la technique juridique. On est alors en droit de se demander ce qui a bien pu mener la CIJ à prendre autant de temps pour se décider sur des choses aussi simples (en apparence). La myriade d'opinions individuelles, dissidentes, certaines écrites à titre individuel, d'autres à titre collectif, semble indiquer que le consensus n'a pas été vraiment de mise dans les débats internes entre les juges: sur 16 juges, 12 se sont sentis presque obligés de faire savoir leurs appréciations personnelles sur la décision finalement adoptée. Cet aspect des choses peut indiquer plusieurs problèmes internes: un président de la CIJ peu enclin à parvenir avec ses collegues à un accord sur un texte de base; ou bien un Comité de Rédaction dans lequel la cohésion est loin de voir le jour; ou encore, une capacité inusitée des juges ad hoc en vue de persuader les autres juges titulaires du bien fondé de leur position; ou enfin, un mauvais moment pour discuter collégialement, ce qui peut, somme toute, arriver parfois, même au Palais de la Paix. On lit à la fin de la décision de la CIJ que: " MM. les juges TOMKA, président, et SEPÚLVEDA-AMOR, vice-président, joignent des déclarations à l'arrêt ; M. le juge OWADA joint à l'arrêt l'exposé de son opinion individuelle ; M. le juge SKOTNIKOV joint une déclaration à l'arrêt ; Mme la juge XUE, MM. les juges GAJA et BHANDARI ainsi que M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joignent à l'arrêt l'exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme la juge DONOGHUE et M. le juge GAJA joignent des déclarations à l'arrêt ; Mme la juge SEBUTINDE joint à l'arrêt l'exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint une déclaration à l'arrêt ; M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joint à l'arrêt l'exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente".

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On rappellera que pour cette affaire le Pérou avait désigné comme juge ad hoc l'ancien juge et Président francais de la CIJ, Gilbert Guillaume, tandis que le Chili avait désigné le juriste chilien Francisco Orrego Vicuña. Sur la pratique (et l'éthique) des juges ad hoc à la CIJ, la plume fine et pénétrante d'un juriste sollicité à plusieurs reprises par les Etats pour siéger comme juge ad hoc, Nicolas Valticos, permet d'éclairer le lecteur sur les avatars, les joies, et les angoisses de tout ordre que souffre un juge ad hoc lors de son séjour à La Haye (Note 3). Dans un modeste article récemment publié, nous avions eu l'occasion de faire part du grand soin que doivent avoir les Etats lors de la désignation de leur juge ad hoc (voir article en espagnol).

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Qu'on le veuille ou non, exhiber de cette façon le débat interne de la CIJ (pour une décision n'atteignant pas les 70 pages) n'aide malheureusement pas celle-ci à asseoir son autorité, s'agissant notamment de questions de délimitation toujours fort délicates du point de vue politique, et notamment en Amérique Latine: le Pérou et le Chili avaient quelques semaines auparavant souffert quelque peu les effets d'une attente anxieuse sur fond de fuite d' informations de La Haye (Note 4). Ceci sans compter les effets de la fronde du Président de la Colombie qui a déclaré "non applicable" le 10 septembre dernier la décision rendue par la CIJ en l'affaire qui l'opposait au Nicaragua et que nous avons eu l'occasion d'analyser récemment dans ces pages. Etant donné les vents adverses qui soufflent en provenance de Bogota pour la CIJ et pour le droit international en général, on se serait attendu à ce que les juges de La Haye se montrent un petit peu plus discrets sur leurs débats intimes.

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Note 1: Cf. BEDJAOUI M., "La "fabrication" des arrêts de la Cour Internationale de Justice", Mélanges Michel Virally, Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, pp. 86-107.

Note 2: Ibidem, p. 105

Note 3: Cf. VALTICOS N, "La pratique et l'éthique d'un juge ad hoc à la Cour Internationale de Justice", Liber amicorum Judge Shigeru Oda, disponible ici.

Note 4: Cf notre modeste article BOEGLIN N., "Innecesario nerviosismo entre Peru y Chile ante lectura del fallo de la CIJ", TribuGolgal. Disponible ici.