L’affaire Pinochet, emblématique pour la justice internationale
Le coup d’Etat militaire du général Pinochet de 1973 au Chili a rendu la pratique de la torture systématique et la "disparition" une politique d’Etat. Dès lors, Amnesty International (AI) a mené un travail d’enquête et de soutien aux victimes. AI a été la première organisation non gouvernementale (ONG) internationale à appeler l’attention des gouvernements européens sur la nécessité d’exercer leurs responsabilités dès qu’elle a su qu’Augusto Pinochet allait se rendre en Europe en septembre 1998. Le mois suivant, suite à un mandat d’arrêt international émis par le juge espagnol Baltasar Garzón, le général Pinochet, de passage à Londres, est placé en état d’arrestation puis assigné en résidence surveillée le 16 octobre. Cette arrestation a marqué une étape clé du travail d’Amnesty International dans sa lutte contre l’impunité et pour l’application d’une justice internationale effective. Tout en rappelant qu’aucune immunité ne protège les anciens chefs d’Etat accusés de crimes, elle a constitué une nouvelle étape dans l’acceptation de la compétence universelle, qui impose de juger les crimes heurtant l’humanité toute entière quel que soit l’endroit où ils ont été commis (génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, torture, disparition forcée…). Reconnue en droit international avant même la création du Tribunal militaire international de Nuremberg, la compétence universelle est aujourd’hui admise par une grande majorité d’Etats. Cependant, ils sont une minorité à exercer pleinement cette compétence alors même que des suspects notoires se trouvent sur leur territoire. Il reste encore beaucoup à faire, notamment en France.
Timidités françaises
Si la France a ratifié un certain nombre de conventions internationales lui imposant de poursuivre les auteurs de crimes internationaux trouvés sur son territoire, dont le Statut de Rome fondant la CPI, elle ne se donne pas les moyens de les faire appliquer. L’exemple récent du projet de loi d’adaptation en droit français du Statut de Rome montre comment un Etat peut chercher à limiter la portée de ses engagements internationaux. Le 10 juin dernier, la majorité sénatoriale a vidé la compétence universelle de l’essentiel de sa substance en réservant cette compétence « aux personnes résidant habituellement dans notre pays ». Une personne qui aurait commis des crimes contre l’humanité pourrait alors circuler librement tant qu’elle n’a pas l’idée de s’installer durablement. Les victimes se verraient ainsi privées du droit de provoquer les poursuites et la compétence des juridictions françaises serait subordonnée à la condition que les crimes soient punissables dans le pays d’origine de l’auteur. Depuis sa création en 1998, la Cour pénale internationale ne peut juger que les dossiers les plus graves et les plus emblématiques. Pour tous les autres, les plus nombreux, son Statut l’énonce en toutes lettres : « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». C’est un principe fondateur d’un espace de droit international que la France refuse par une législation interne réductrice et favorable aux auteurs des crimes internationaux. De plus en plus d’Etats, en Europe mais aussi sur d’autres continents, ont mis leur législation en conformité avec ce principe. La France fait figure d’exception : avec le texte voté par le Sénat, les Pinochet de ce siècle éviteront de voyager en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis et dans des dizaines d’autres pays, mais pourront trouver refuge dans notre pays s’ils veillent à ne pas y résider durablement.