mercredi 22 octobre 2008

Dix ans après l’arrestation de Pinochet, la compétence universelle menacée ?

La «Caravane de la mort» était un groupe militaire qui se déplaçait en hélicoptère dans le nord et le sud du Chili, après le coup d’État d’Augusto Pinochet en 1973, afin d’ordonner la mise à mort des opposants politiques présumés.

Selon un responsable de la Cour suprême, Sergio Arrelano Stark, qui dirigeait le groupe, se trouvait parmi ces personnes emprisonnées pour une durée de quatre à six ans. Cet homme a été condamné à six années d’emprisonnement.

Le 16 octobre 1998, Augusto Pinochet était arrêté à Londres à la suite d’une demande d’extradition émanant d’un juge espagnol. Des proches des milliers de victimes avaient soumis des plaintes aux tribunaux espagnols et à d’autres États. Par la suite, la Belgique, la France et la Suisse ont demandé l’extradition de l’ancien président chilien pour des crimes relevant du droit international.

Pendant la présidence d’Augusto Pinochet au Chili, soit quelque vingt années de régime militaire, plus de 1 100 personnes ont été victimes de disparitions forcées, plus de 2 000 ont été tuées au cours d’exécutions extrajudiciaires ou sous la torture, et plus de 20 000 ont été torturées.

Amnesty International a été la première organisation non gouvernementale internationale à attirer l’attention des gouvernements sur la nécessité d’exercer leurs responsabilités au titre de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, lorsqu’elle a su qu’Augusto Pinochet allait se rendre en Europe en septembre 1998.

L’organisation a mobilisé ses membres afin de faire pression sur le gouvernement du Royaume-Uni pour obtenir l’extradition de l’ancien président chilien. Elle s’est également rendue aux tribunaux, avec les victimes et d’autres organisations non gouvernementales, et devant la Chambre des Lords, pour convaincre le Royaume-Uni d’accepter la demande d’extradition. Elle est ainsi parvenue à obtenir une décision historique : l’extradition d’un ancien chef d’État en vue de son jugement sur la base de la compétence universelle.

Cette affaire a contribué à concrétiser la notion de compétence universelle dans la pratique, et a aussi eu une influence sur l’arrestation de l’ancien président tchadien Hissene Habré au Sénégal. Ce dernier était accusé de tortures, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis pendant son mandat. Elle a également ouvert une voie en matière de lutte contre l’impunité au plus haut niveau, notamment avec le procès de l’ancien président du Pérou, Alberto Fujimori.

Amnesty International a toutefois déclaré que, malgré le message d’avertissement envoyé aux responsables d’atteintes aux droits humains, partout dans le monde, dans le cadre de l’affaire Pinochet, la règle de la compétence universelle était menacée.

« L’arrestation d’Augusto Pinochet a constitué un tournant dans la pratique de la compétence universelle. Cette affaire a démontré que les chefs d’État n’étaient pas au-dessus des lois, et qu’ils pouvaient être arrêtés et jugés devant des tribunaux étrangers pour des crimes commis dans leur propre pays, a déclaré Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International.

« Dix ans plus tard, il reste encore beaucoup à faire pour concrétiser l’espoir de justice suscité par l’arrestation d’Augusto Pinochet. Partout dans le monde, des milliers de responsables de crimes visés par le droit international sont en liberté et échappent à la justice. »

Amnesty International a condamné les situations dans lesquelles les États où les crimes ont eu lieu n’exercent pas la compétence universelle pour lancer des enquêtes ou des poursuites. Depuis l’arrestation historique d’Augusto Pinochet, seul un faible nombre d’affaires relevant du droit international ont donné lieu à des poursuites ou à des jugements. Amnesty International exige donc l’adoption de lois efficaces qui renforcent la compétence universelle et permettent à la police et aux procureurs de faire leur devoir.

Dans ce contexte, le Secrétariat international d’Amnesty International publie deux études : l’une sur l’Allemagne et l’autre sur l’Espagne. Ces deux documents sont les premiers d’une série d’outils juridiques destinés à aider les avocats des victimes à déterminer quand la compétence universelle peut être appliquée, et à permettre à la société civile d’exiger des réformes de la législation et des pratiques nationales afin de rendre cette compétence effective.

La justice internationale est attaquée sur un autre front, celui de la Cour pénale internationale, qui essaye de faire rendre des comptes au Soudan, au plus haut niveau du gouvernement. On pourrait encore déplorer d’autres atteintes à la compétence universelle, notamment si la campagne menée par le Rwanda, aux Nations unies, contre les « abus » de la compétence universelle par des juges étrangers était fructueuse.

« Il est temps de se souvenir de tous les efforts déployés par les proches des victimes d’Augusto Pinochet, qui ont conduit à son arrestation en 1998, en vertu de la compétence universelle, a ajouté Irene Khan. Cet événement a créé un précédent que la communauté internationale doit prendre comme base en vue de l’arrestation, du jugement ou de l’extradition des personnes soupçonnées de crimes relevant du droit international. »