mercredi 8 octobre 2008

La légine des grands fonds


Le poisson nommé la légine, très apprécié dans de nombreux pays notamment au Japon, arrive en France

Alors, qu'en est-il réellement de ce poisson si prisé des grandes tables chinoises, japonaises et américaines ? Nous l'avons goûté chez Isse, où Toshiro Kuroda l'a fait macérer dans un fin potage miso pendant 72 heures jusqu'à atteindre le fondant d'un foie gras, sans perdre la richesse de sa texture grâce à une cuisson à la vapeur.

Autre préparation, en friture, avec une sauce au radis qui conserve au poisson son extrême finesse. Gilles Epié, du Citrus Café, connaît bien la légine qu'il servait à ses clients, il y a une dizaine d'années, lorsqu'il était chef de L'Orangerie à Los Angeles. Sa recette préférée était une cuisson à l'étouffée dans une feuille de bananier, avec pour seuls assaisonnements un peu de gingembre râpé, un bâtonnet de citronnelle et une pointe de piment mexicain. "C'est un poisson fabuleux, dit-il, qui ouvre un champ nouveau de saveurs incroyables."

Nous l'avons comparé chez lui, grillé au naturel, parfumé d'un trait d'huile d'olive et de vinaigre balsamique, puis dans une préparation en marinade de miel, de saké et de soja, sans sel ni poivre, simplement cuit à la salamandre, accompagné d'une brunoise minute de courgettes. Un véritable coup de foudre, si toutefois cet état est applicable au palais pour un poisson surgelé, pêché à des milliers de kilomètres de Paris !

Dans l'Atlantique, on le pêche autour de la Géorgie du Sud et dans les hauts fonds du secteur subantarctique, au voisinage des îles Crozet et des Kerguelen, où il est fort apprécié des cachalots. Découvert au début des années 1980, ce poisson des profondeurs (jusqu'à 2 000 m) est au menu des grands restaurants de la planète, aux Etats-Unis notamment, où il a obtenu, en 2001, le titre de "plat de l'année" décerné par le magazine américain Bon appétit.

Les pêcheurs n'ont pas tardé à l'appeler "or blanc", car sa chair, extrêmement fine et fondante, est d'un blanc immaculé et son prix d'environ 40 dollars le kilo (environ 29,50 euros).

En France, la légine est une quasi-inconnue, bien que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) constituent l'une des principales zones de pêche potentielle. A vrai dire, les pêcheurs pirates ne se sont pas privés de décimer l'espèce, dans ces territoires et ailleurs, au point de la mettre en péril. Car, si la légine est adaptée aux eaux froides des mers proches de la banquise, grâce à une couche de graisse protectrice et la présence dans son sang de composés antigel, elle n'est pas à l'abri du braconnage.

Dans son rapport préalable au vote d'un accord de pêche avec l'Australie, Louis Guédon, député, notait, le 5 février, que des bateaux pirates battant pavillon nord-coréen, cambodgien et de Guinée équatoriale avaient été repérés par le système radar ASAR d'Envisat mis en place par la France dans la zone économique exclusive (ZEE), espace maritime sur lequel l'Etat côtier exerce des droits souverains en matière économique.

Aux Etats-Unis même, où la légine constitue un must depuis le milieu des années 1990, une campagne de protection de ce poisson a été lancée récemment, à laquelle s'est associé Eric Rippert, le chef du fameux restaurant Les Bernardins à New York.

C'est le moment choisi pour lancer en France, prudemment, la commercialisation de la légine australe, ce poisson des 50es hurlants, en provenance de l'île de la désolation chère à Jean-Paul Kaufmann (L'Arche des Kerguelen. Flammarion 1993, 14, 48 euros).

C'est une flotte privée de cinq bateaux (Sapmer) basés à La Réunion, bénéficiant d'un droit de pêche accordé par l'administrateur des TAAF, sous le contrôle du muséum d'histoire naturelle, qui approvisionne, à compter du 9 octobre, un point de vente parisien destiné à la restauration, et quelques points tests.

Une approche prudente, car les Français ne sont guère aventureux dans leurs goûts ichtyophagiques. Ils disent aimer la sole et le turbot, mais c'est le saumon d'élevage - bien souvent médiocre - qui est en tête des ventes. Et les restaurateurs rechignent à servir à leurs clients autre chose que des poissons nobles.

Le stock de légines de la zone des Kerguelen est estimé à 120 000 tonnes, car il s'est reconstitué depuis 2004, une fois jugulé le braconnage.

"Les résultats sont rassurants pour la légine", estime Guy Duhamel, spécialiste des écosystèmes (pélagique et démersal) de l'océan Austral et professeur au Muséum d'histoire naturelle. Les quotas de pêche sont fixés avec son accord, et vérifiés par un scientifique embarqué pour chaque campagne de pêche sur les bateaux de la Sapmer, équipés d'une puissante chaîne du froid qui permet la surgélation immédiate des prises effectuées à la palangre de fond dans un strict respect des données environnementales. C'est donc une pêche sous haute surveillance scientifique.


En vente (professionnels) : Métro Intra Muros. 108, rue des Poissonniers, 75018 Paris. Nouvel espace de vente ouvert le 9 octobre 2008. Prix : 29, 90 euros HT le kilo.

Vente aux particuliers (fin octobre) : Isse & Cie. 11, rue Saint-Augustin, 75002 Paris. Tél. : 01-42-96-26-74.

Citrus Etoile. 6, rue Arsène-Houssaye, 75008 Paris. Tél. : 01-42-89-15-51.

Jean-Claude Ribaut