jeudi 8 juillet 2010

Les Etats-Unis prêts à autoriser un saumon OGM

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Rien ne promet cependant aux poissons génétiquement modifiés le même succès commercial que celui obtenu, depuis deux décennies, par les OGM végétaux. Le saumon à croissance accélérée, dit AquAdvantage, a pris un retard certain sur ces derniers : voilà près d'une décennie qu'AquaBounty, la société américano-canadienne à l'origine de son développement, demande son autorisation de mise sur le marché. Quant à la première publication scientifique décrivant l'introduction, dans le génome de Salmo salar, d'un gène issu d'une autre espèce de salmonidés et codant une hormone de croissance, elle remonte... au début des années 1990.
L'idée semble pourtant prometteuse. Pourvu de ce gène, Salmo salar atteint sa taille de mise sur le marché deux fois plus vite : un an et demi au lieu de trois. De plus, le mode de reproduction des poissons - les oeufs, produits en grandes quantités, sont fécondés ex vivo - rend très simple la production de générations entières d'animaux pourvus du même trait.
Reste que le procédé ne fait pas l'unanimité : "Depuis le temps que le saumon transgénique attend son autorisation, les méthodes de sélection classique ont permis d'obtenir des souches dont la croissance est déjà proche du double de celle des individus sauvages, explique Marc Vandeputte, chercheur au groupement INRA-Ifremer d'amélioration génétique des poissons. Pour ceux qui travaillent sur l'amélioration génétique des espèces piscicoles, la transgénèse est un domaine très marginal."
A l'occasion du 9e Symposium international de génétique appliquée à l'aquaculture, organisé en 2006 à Montpellier, "sur les 277 contributions scientifiques présentées, une seule était consacrée à la transgénèse", illustre M. Vandeputte. L'intérêt de développer un saumon transgénique repose ainsi principalement sur la possibilité de protéger la souche par un brevet d'invention - chose impossible pour les souches issues de la sélection classique.

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"Gène de Troie"
La contamination possible des souches sauvages par les lignées génétiquement modifiées est au coeur des préoccupations. Au début des années 2000, des travaux théoriques suggéraient qu'en s'échappant en pleine mer les individus transgéniques pourraient fragiliser leurs congénères sauvages en se reproduisant avec eux (théorie du "gène de Troie").
Cependant, des expériences en milieu naturel simulé n'ont pas mis en évidence un avantage reproductif des poissons modifiés. "Les constructions humaines destinées à améliorer une espèce sur un trait particulier ont peu de chance de succès dans la nature, estime François Bonhomme, chercheur à l'Institut des sciences de l'évolution (CNRS et université Montpellier-2) et spécialiste de génétique des populations de poissons. Dans le cas où les populations sauvages ne seraient pas submergées par un afflux de poissons transgéniques, il est très vraisemblable que ces derniers ne prendraient pas le dessus et que leur descendance éventuelle serait rapidement éliminée. Le véritable problème n'est pas génétique mais écologique, à travers les réservoirs de pathogènes que constituent les exploitations intensives et la pollution du milieu qu'elles engendrent."
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Filets de saumon. Photo AquaBounty
En dépit de ces doutes, le dossier déposé par AquaBounty et examiné par la FDA précise que le saumon AquAdvantage devrait n'être élevé qu'à terre, en bassins, et ne concernerait que des femelles stériles pour éviter toute contamination. "Aujourd'hui, plus de 90 % de la production mondiale de saumon provient d'élevages en mer, où les poissons sont confinés dans des cages flottantes, explique M. Vandeputte. Je ne vois pas les grandes exploitations chiliennes ou norvégiennes changer leur mode de production pour se convertir au saumon génétiquement modifié."
L'acceptabilité, par les consommateurs, de ces animaux modifiés est un autre obstacle. Pour le biologiste Gilles-Eric Séralini, président du conseil scientifique du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), il sera en outre nécessaire de mener des tests toxicologiques pour s'assurer de l'innocuité de la chair du poisson OGM. "Son métabolisme étant modifié, il est possible que ses facultés d'accumuler certaines toxines dans son organisme soient différentes", dit M. Séralini.
D'autres expériences de transgénèse ont été menées sur le tilapia et sur la carpe, en Chine en particulier. Mais aucune de ces tentatives d'accélérer la croissance de ces animaux n'a, pour l'heure, abouti à une mise sur le marché.
La récente propagation de pathologies mortelles dans de grandes exploitations - au Chili en particulier - ouvrira-t-elle de nouvelles voies à la transgénèse, par exemple pour développer des animaux résistants à certaines maladies ? "Là encore, les méthodes de sélection classiques sont généralement efficaces, juge M. Vandeputte. Pour l'heure, la transgénèse sur le poisson ne permet pas d'obtenir de résultats impossibles à atteindre autrement, comme c'est le cas pour les plantes."
Stéphane Foucart