Le gouvernement de Sebastian Piñera, qui en 2010 a ramené la droite au pouvoir au Chili pour la première fois depuis la fin de la dictature en 1990, s'efforçait jeudi de désamorcer l'indignation et semblait préparer une marche arrière.
Enseignants et textes scolaires "pourront utiliser le terme de dictature, ou tous les termes qu'ils jugent appropriés", a insisté jeudi face à la presse le nouveau ministre de l'Education Harald Beyer, assurant que la reformulation "n'impose rien" à l'enseignement, mais se veut "une invitation au débat".
M. Beyer, un universitaire respecté de 46 ans, ministre depuis un remaniement il y huit jours à peine, avait mercredi expliqué que la modification tenait de considérations non politiques, mais d'usage du "terme plus général de régime militaire".
Il a aussi assuré à titre personnel reconnaître "sans problèmes que cela a été un régime dictatorial", en référence à l'ère du général Augusto Pinochet, et son bilan de 3.225 morts et disparus et 37.000 cas de torture et de détentions illégales.
Le Sénat, que contrôle l'opposition de gauche, n'en a pas moins annoncé une session spéciale sur le sujet, à laquelle il convoquera M. Beyer.
"Ce qu'ils sont en train de faire, c'est occulter les faits survenus pendant une dictature, à travers une action cosmétique, en disant que la dictature n'a pas été une dictature", a dénoncé Guido Girardi, président de la Chambre haute.
"Il est surprenant qu'une telle proposition soit sortie du ministère (...) quand c'est la tâche de l'Etat de perpétuer dans le temps la vérité, pour contribuer à ce que cela (la dictature) ne se répète jamais", a dit Lorena Fries, directrice de l'Institut national des droits de l'homme.
La gauche y a vu la main d'un aile dure de la droite chilienne toujours influente 21 ans ans après. L'un des deux partis de la majorité de M. Piñera est la très conservatrice UDI, jadis base politique du dictateur Pinochet.
"Ca a des oreilles de chat, un corps de chat, ça miaule comme un chat, mais il y en a qui veulent l'appeler un chien", a ironisé le socialiste Osvaldo Andrade.
"Quelqu'un a essayé de marquer un point, pour s'attirer les faveurs de je ne sais qui", a noté Alejandro Goic, médecin et universitaire, qui a néanmoins avoué une boulette du CNE auquel il siège. "Personne ne s'est rendu compte du changement de phrase", a-t-il avoué. "Mais nous n'avions pas été avertis".
Le CNE a demandé jeudi au ministère "une nouvelle session pour étudier une nouvelle proposition de formulation de l'expression en question".
Cela, d'autant qu'au sein même de la majorité le vice-président du parti de M. Piñera, Rénovation nationale, a parlé "d'erreur, pour un conflit gratuit dans l'éducation". "L'histoire ne se change pas par décret, laissons-là aux historiens", a déclaré Manuel Jose Ossandon.
Pour autant, la polémique, qui ne dominait pas les premières pages de la presse, restait confinée aux milieux intellectuels et politiques, signe selon Guillermo Holzman, politologue de l'Université du Chili, "que le thème n'est pas si puissant pour les gens".