mercredi 27 avril 2011

Cultiver son jardin

GONZALO ROJAS À LA HABANNE
On cherche. On voudrait quelque chose à lire. Se rendre compte, se faire son opinion, paraître un peu moins bête. On ne trouve pas ou presque rien : trois lignes qui semblent tirées d’un de ses rares volumes parus en français, dans une maison d’édition belge d’ailleurs, mais rien qui puisse parler et faire entendre la voix de quelqu’un que tout le monde paraît pourtant avoir lu.
Gonzalo Rojas était chilien, fils d’un mineur chilien, ambassadeur du Chili d’Allende, il est mort à 93 ans, l’âge des best-sellers. Et tout ce que je peux vous dire de lui est ceci : ce qu’il répondit il y a quelques années à quelqu’un qui lui demandait ce qu’il pensait de ce Chili sorti de la dictature : "Il se porte bien, tout comme le théâtre, contrairement au roman qui est en régression". Disons-le tout net : on regrette déjà de ne pas l’avoir feuilleté de son vivant.
Heureusement, le Chili compte un autre poète qui s’appelle aussi Rojas et qui est toujours bel et bien là. Exilé aussi sous Pinochet. C’est Waldo Rojas. Il vit en France. Il écrit notamment ceci qui devrait intéresser qui de droit : "La nature ne laisse pas de ruines, elle berce les décombres". Et nous qui avons passé les quinze derniers jours à regarder comment on berce les décombres, on se dit : la mort d’un poète est possiblement le seul événement portant encore à commentaires.
Sinon, nous en serions réduits à célébrer des anniversaires : les ruines laissées par l’industrie en Ukraine, les décombres sur lesquels subsiste une démocratie réduite aux aguets, la nôtre. C’est à cela que l’on nous invite aujourd’hui et ne doutons pas qu’à cet anniversaire d’une crise en prolongation permanente — un de plus, mais n’en a-t-on pourtant déjà pas célébré deux ? — en succédera un autre : les plumes s’affûtent déjà pour le 13 juin prochain : ah comme nous aimons que notre histoire vieillisse avec nous…
Nous en étions là, avec un poète et des anniversaires, quand ce matin à la radio, chez Martine Cornil — Pierre Rahbi était invité, c’est un vieil agriculteur écologiste natif d’Alger, un printemps arabe à lui tout seul — l’on entendit que cultiver son jardin était désormais un acte politique. Voyez-vous comme les choses changent. Cultiver son jardin était auparavant un geste philosophique. C’est Voltaire qui faisait dire cela à Candide. Qu’il nous restait à cultiver notre jardin. Candide répondait ainsi à Pangloss qui lui faisait savoir que tout bien considéré, malgré toutes les catastrophes qui s’abattent et les malheurs qui foudroient, le monde tourne encore, que ça pourrait être pire, mais que tout reste finalement pour le mieux dans le meilleur des mondes. "Oui", répondit Candide, "cela est bien dit, mais il faut cultiver notre jardin".
Je vous signale, à toutes fins utiles, que mes pommes de terre ont montré leur tête, qu’il va falloir penser à démarier les bettes et les carottes et à les manger avant le 13 juin. Allez belle soirée et puis aussi bonne chance.
Paul Hermant