jeudi 20 octobre 2011

DICK CHENEY À LA SAUCE PINOCHET





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POCHOIR QUI REPRÉSENTE LA BARONNE MARGARET THATCHER ET L'ANCIEN DICTATEUR CHILIEN AUGUSTO PINOCHET. PHOTO.  PHOTO GALERIE DE PHOTOS DE NOAZ CHEZ FLICKR  
Et ce qui empêche de dormir l’ancien vice-président (et qui devrait également priver de sommeil l’ancien président Bush), c’est l’idée qu’un matin, alors qu’il serait en train de siroter un café crème à Paris ou qu’il se promènerait au bord de la Tamise ou bien admirerait Guernica de Picasso au musée Reina Sofia, à Madrid (pourrait-il seulement y reconnaître la dévastation de l’Irak ?), quelqu’un vienne lui taper sur l’épaule pour l’inviter à le suivre au commissariat le plus proche. Tout cela aurait lieu dans la plus grande courtoisie, bien évidemment. Personne n’irait le rouer de coups ni l’envoyer expérimenter les délices d’un cul-de-basse-fosse en Corée du Nord, par exemple. Jamais personne n’aurait l’idée de le soumettre à la torture par simulation de noyade (le fameux waterboarding) à Guantanamo Bay pour le forcer à avouer, personne n’irait lui susurrer à l’oreille : “Si tu n’as rien à cacher, tu ne devrais pas avoir peur.” Une fois qu’on lui aurait pris ses empreintes digitales, conformément à la procédure, Dick Cheney serait conduit devant un magistrat et informé que, en vertu des lois internationales, il est accusé d’avoir favorisé des actes de torture, ce que condamne la convention internationale ratifiée par les Etats-Unis en 1994. Ensuite, il aurait la possibilité, contrairement à ses victimes présumées, de se faire défendre par des avocats et aussi de récuser les arguments de ses accusateurs. 


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L'ANCIEN VICE-PRÉSIDENT DICK CHENEY, DANS UNE DISCUSSION À WASHINGTON CE MOIS-CI, IL PARLE DU TRAVAIL DANS LA MAISON BLANCHE APRÈS 9/11. PHOTO CNN
L’ancien vice-président, bien entendu, peut éviter un tel désagrément en restant à l’abri des frontières de son pays, sans plus jamais s’aventurer à l’étranger, sauf peut-être pour une escapade touristique à Bahreïn ou au Yémen, deux pays qui n’ont pas ratifié les traités réprouvant la torture. Ce que Cheney ne pourra éviter, en revanche, c’est la honte et le déshonneur de voir son nom accolé à celui de Pinochet. 

Et cette infamie salit malheureusement également le pays où Cheney est né et qui aujourd’hui lui offre refuge et impunité. En s’opposant à toute enquête (sans parler de procédure judiciaire) concernant les membres du gouvernement de Bush accusés de crimes contre l’humanité, les Etats-Unis avouent au monde entier qu’ils ne respectent ni les traités qu’ils ont signés ni leurs propres lois. Le pays reconnaît que certains de ses citoyens – les plus influents – sont au-dessus des lois. Et ce faisant, il rejoint le groupe des Etats voyous qui torturent et humilient les prisonniers en leur déniant les droits élémentaires. Ce sont autant de dégâts infligés à la patrie de Lincoln, autant de discrédit jeté sur ce pays en passe d’effacer des centaines d’années de lutte pour les droits de l’homme, ces droits universels qui nous humanisent – un pays qui méprise la Magna Carta, foule aux pieds le legs des pères fondateurs de son indépendance et, en outre, viole la Charte des Nations unies, que les Etats-Unis eux-mêmes avaient aidé à rédiger après la Seconde Guerre mondiale ; un pays qui applaudit au procès de Moubarak en Egypte, déplore la torture en Libye et s’indigne des massacres en Syrie, mais n’est pas disposé à réclamer des comptes à ses propres élites. Les Etats-Unis peuvent encore redorer leur blason et, par la même occasion, déterminer si Cheney, qui clame son innocence (comme Pinochet avant lui), dit la vérité. 

Que Cheney soit jugé dans son propre pays. Qu’un jury décide si oui ou non, comme il l’a lui-même déclaré, il était immoral de “ne pas faire tout ce qui était nécessaire” (c’est-à-dire de torturer) “afin de protéger le pays d’autres attaques semblables à celles du 11 septembre 2001”. Que soit examiné publiquement le bien-fondé de ces “interrogatoires soutenus” (enhanced interrogations) pour protéger la sécurité des Américains et que l’on juge si, au contraire, ces interrogatoires n’ont pas eu pour effet de menacer la paix du pays en dégradant son image à l’étranger et en incitant encore davantage de fanatiques du djihad à lancer de nouveaux assauts terroristes.


 ARIEL DORFMAN. PHOTO EAMONN MCCABE
Ariel Dorfman, écrivain, professeur de littérature et d’études latino-américaines à l’université Duke (Caroline du Nord), est né à Buenos Aires en 1942. Il a passé son enfance à New York, son adolescence au Chili et a dû s’exiler sous la dictature de Pinochet. Son œuvre tourne principalement autour du thème de la dictature et des tortionnaires. Parmi ses livres publiés en France : Exorciser la terreur : l’incroyable procès du général Pinochet (Grasset, 2003) et La Jeune Fille et la Mort (Actes Sud, 1997).