GENARO LEDESMA IZQUIETA. PHOTO WIKIPEDIA |
Dans un rapport daté du 1er février qui réclame l'extradition et un mandat d'arrêt international contre l'ancien dictateur péruvien Francisco Morales Bermúdez – officiellement président du Pérou de 1975 à 1980 -, Norberto Oyarbide qualifie l'opération du 25 mai 1978 de crime contre l'humanité et demande aussi la comparution du dictateur argentin Jorge Rafael Videla [condamné à la prison à vie] et de son ministre de l'Intérieur de l'époque, Albano Harguindeguy, les 22 et 23 février prochains. "Il était intéressant pour Videla de nous accueillir en tant que prisonniers de guerre en échange d'une victoire contre le Pérou pendant le Mondial : ce triomphe était nécessaire pour faire oublier la mauvaise réputation de l'Argentine dans le monde," affirme Genaro Ledesma Izquieta.
Les 13 citoyens péruviens, capturés pour avoir participé à la grève générale qui a fini par faire tomber la dictature péruvienne en mai 1978, ont été enchaînés dans un avion militaire et remis au régiment de Jujuy sans aucun document officiel. On les a ensuite forcés à demander l'asile politique en Argentine, mais ils ont refusé. Ils ont été transférés de force à Buenos Aires et mis en détention dans des prisons qui avaient déjà vu passer d'autres "disparus", selon tous les témoignages remis à la justice. "Nos proches ont prévenu les organisations de défense des droits de l'homme. Depuis Paris, le gouvernement argentin a été sommé de nous libérer, mais il a refusé. Comme la pression ne diminuait pas, le gouvernement de Videla a accepté de nous relâcher si la France payait les frais liés à notre libération," raconte Genaro Ledesma Izquieta, dont les déclarations et celles des autres prisonniers ont été recueillies par le juge Oyarbide au Pérou. Avant l'expulsion, le consulat péruvien leur a donné de nouveaux passeports et il a été confirmé que les documents qui leur avaient permis d'entrer sur le territoire argentin avaient été falsifiés. "C'est aussi la version des faits qui m'a été communiquée," a certifié Ricardo Napurí Schapiro s'agissant de l'hypothèse selon laquelle la dictature argentine aurait tiré profit de ces détentions d'un point de vue politique, dans le cadre de l'opération Condor. Cet ancien candidat à l'élection présidentielle péruvienne, qui faisait partie des 13 victimes, a été le premier à dénoncer Francisco Morales Bermúdez.
Le 6 à 0 encaissé par le Pérou, grâce auquel l'Argentine a pu accéder à la finale du Mondial 1978 [elle avait besoin de 4 buts d'écart], a toujours été suspecté d'être le résultat d'un arrangement ou de pressions exercées sur les joueurs. Un emprunt de la Banque centrale argentine à la dictature du général Francisco Morales Bermúdez et l'envoi d'une cargaison de 14 000 tonnes de grain cette année-là ont contribué à alimenter les soupçons pesant sur cette victoire sportive.
Dans son livre intitulé Fuimos Campeones [Nous étions champions], le journaliste Ricardo Gotta analyse en détail toutes les hypothèses existantes. Il confirme l'enlèvement et le transfert en Argentine de plusieurs représentants de la gauche péruvienne, d'un journaliste et de deux membres de l'armée, et ajoute que "Paquito" Morales Bermúdez, le fils du dictateur péruvien, se trouvait en Argentine pour accompagner les joueurs de son équipe. La nouvelle hypothèse, jusqu'ici insoupçonnée, qui vient compléter le dossier judiciaire, révèle l'ampleur de la coopération des dictatures latino-américaines dans le cadre de l'opération Condor, puisqu'elle pouvait même assurer à l'une d'elle une place en finale de la Coupe du monde.