samedi 11 février 2012

SYSTÈME ÉDUCATIF CHILIEN : UN MODÈLE POUR SARKOZY ?


Laboratoire ultralibéral à l'échelle d'un pays de 17 millions d'habitants, le Chili institue les fondements de son école dans sa constitution, rédigée en 1980, sous la dictature de  Pinochet : « Les écoles et les universités, jusque là toutes publiques et gratuites, deviennent soit totalement privées, soit privées et subventionnées par l'État, soit des institutions municipales. Quiconque possède sa « licencia de secundaria* » et des locaux adaptés, a la possibilité de créer sa propre école privée à but lucratif. » Fabiola Rojas, 31 ans, enseigne l'Histoire depuis 6 ans à des classes de 45 élèves, cumulant les temps partiels sur plusieurs établissements. « Les médias, les politiques ne cessent de critiquer les enseignants et de les citer comme responsables de la mauvaise qualité de l'éducation, quand un professeur à temps plein travaille 44 heures hebdomadaires devant élèves. »

Au préalable, cette enseignante a suivi 5 ans de formation pédagogique, qui lui ont coûté plus de 1000 euros par an, dans un pays où le salaire minimum est de 270 euros mensuel. Issue d'une famille modeste, elle a dû emprunter 2500 euros pour ses seules deux dernières années d'études. Elle s'est ainsi endettée jusqu'en 2018, et remboursera au total près de 11500 euros à une banque, soit quatre fois et demi ce qu'elle a emprunté au départ.

Profitant de l'été, la municipalité de Valparaiso a décidé de mettre à la porte 250 professeurs, certains ayant eu des absences répétées, d'autres ayant été en congé maternité, d’autres encore étant à quelques années de la retraite. Fabiola Rojas en fait partie, et ne recevra aucune indemnité, n'étant pas titulaire de son poste. « Pour moi, la raison invoquée est une mauvaise évaluation pédagogique, alors que personne n'est jamais venu m'inspecter dans ma classe, et que la procédure légale n'a pas été respectée. »

Pendant ce temps, au niveau national, les étudiants reprennent leur mouvement pour une éducation gratuite, réclamant la fin des profits faits sur le dos de l'éducation par les écoles et par les banques. Après un an de mobilisation sans précédent depuis le départ de Pinochet, ce mouvement a fait démissionner le ministre de l'éducation, sans toutefois réussir à imposer aucune de leurs revendications. Fraîchement arrivé au gouvernement, la première mesure adoptée par le nouveau ministre Beyer est de réécrire l'Histoire à sa manière, remplaçant le terme de « dictature militaire » par celui de « régime militaire » dans tous les manuels
scolaires. La période dictatoriale n'est de toute façon en général même pas enseignée, toujours
placée en fin de programme...

« Il est difficile d'imaginer un vrai changement dans l'éducation sans revenir sur le problème de la constitution. La constitution chilienne a été écrite sous la dictature, n'a depuis jamais été questionnée par les gouvernements de la Concertación**, et ne permet aujourd'hui aucune remise en cause du système néolibéral qu'elle a mis en place. Les marges de manœuvre des syndicats sont minimes, les manifestations spontanées sont interdites, et la répression des carabineros est féroce. »

Toutefois, à Valparaiso, la mobilisation des enseignants a évité la fermeture de nombreuses écoles, mais tous les moyens sont mis en place par le gouvernement actuel, issu d'un parti complaisant vis-à-vis de la dictature, pour mettre un terme au mouvement étudiant comme à tout mouvement contestataire, et à la réflexion concernant l’établissement d'un autre système éducatif.


* équivalent BAC
** alliance entre Parti Socialiste, Démocratie Chrétienne et Parti pour la Démocratie