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LES SÉISMES CHILIENS DU 27 FÉVRIER 2010 ET 1ER AVRIL 2014 |
Les zones de subduction sont des régions où les risques de grands tremblements de Terre et de tsunamis sont les plus élevés, comme l’ont rappelé douloureusement durant la dernière décennie, les séismes de Sumatra-Adaman (2004, Mw 9.2), Maule (2010, Mw 8.8) et Tohoku-Oki (2011, Mw 9.1). Le Chili est situé au-dessus d’une des zones de subduction les plus actives au monde, composante de la zone de subduction andine qui s’étend tout le long de la côte ouest de l’Amérique du Sud. Sur les cent-vingt dernières années, quatre des plus grands tremblements de terre ont frappé les côtes chiliennes en 1906, 1922, 1960, et 2010, et en moyenne un séisme de magnitude 8+ a été enregistré tous les dix ans. Le séisme de Valdivia (Mw~9.5, 1960), qui a rompu un segment de plus de 1000 km le long de la côte du Sud Chili, est le plus grand tremblement de terre jamais enregistré jusqu’à aujourd’hui. Il provoqua un gigantesque tsunami ressenti au travers de tout le Pacifique, avec des dégâts catastrophiques le long des côtes de Hawaï et du Japon.
Cette activité sismique est le résultat de la convergence rapide (~7 cm/an) de la plaque Nazca qui plonge sous la plaque Amérique du Sud (Figure 1). Le mouvement est légèrement oblique mais il est entièrement accommodé le long de la zone de contact entre ces deux plaques. Une petite part de cette convergence (environ 1cm/an) est prélevée pour fabriquer le raccourcissement andin et contribuer à l'élévation de la chaîne des Andes, mais la plus grande part est localisée sur la subduction. De ce fait, La sismicité au Chili est caractérisée par de grands tremblements de terre de subduction le long de la zone de contact, des séismes de profondeur intermédiaires, au sein de la plaque Nazca, et des séismes plus superficiels, au sein de la plaque Amérique du Sud, associés aux failles actives des Andes.
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La zone de subduction chilienne est segmentée. Une longue collaboration scientifique entre les équipes françaises et chiliennes, structurée aujourd’hui dans le cadre du laboratoire International Associé « Montessus de Ballore » entre le CNRS-INSU et l’Université du Chili (Santiago), avait permis d’identifier trois de ces segments comme des segments à très fort risque sismique (Figure 2, zones entourées en rouge) : deux segments dans la région centrale du Chili, les segments Constitución-Concepción (35°S-37°S), Coquimbo-Illapel (30°S-32°S) et le segment Antofagasta-Arica (18°S-27°S) au Nord Chili. Le premier a rompu en 2010 lors du séisme de Maule (Mw 8.8). La crise sismique d'aujourd’hui se situe dans le segment Nord Chili.
Pour autant cette segmentation le long de la zone de subduction chilienne est compliquée et caractérisée par des variations du couplage le long de la zone de contact entre les plaques de Nazca et d’Amérique du Sud ; variations qui ont pu être précisées grâce à des travaux géodésiques et géologiques récents. Ces résultats, discutés en particulier dans des articles récents à Nature Geoscience [Bejar et al., 2013] et au GJI [Métois et al., 2013], qui concluaient à une très forte probabilité de rupture quelque part dans le segment Nord.
Le contexte du segment Nord Chili
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La segment Nord-Chili (18°S-27°S), entre Antofagasta et Arica, constitue une région d’environ 500 km x 250 km, et définit la lacune de la region chilienne de Tarapacá (dite lacune « d'Arica » ou « du coude d'Arica » ou encore « du grand nord Chili ») qui n’a pas subi de très grands tremblements de terre depuis les séismes de 1869 et 1877, de magnitude M~8.8. La zone de rupture du séisme de 1877, au large d’Iquique, est aujourd’hui relativement bien connue en particulier grâce aux études sur le tsunami associé à cet événement. Cette lacune du grand nord Chili est aujourd’hui bornée au sud par la zone de rupture du tremblement de terre d’Antofagasta (1995, Mw 8.1) et au nord par la zone de rupture du tremblement de terre d’Arequipa (2001, Mw 8.4). Au cours du siècle dernier, cette lacune est caractérisée par une faible activité de tremblements de terre de subduction, avec seulement un petit nombre de séismes de magnitudes 7 – 7.5, proches de la côte. Contrastant avec cette faible activité sismique le long de la zone de contact, ce segment est caractérisé par une activité soutenue de séismes de profondeurs intermédiaire, au sein de la plaque de Nazca, avec deux grands évènements en 1950 (Mw 8) dans la terminaison sud du segment et en 2005 (Mw 7.7) dans la région de la ville de Tarapacá. Sur plus de 140 ans, avec une vitesse de convergence, de la plaque Nazca en direction de la plaque Amérique du Sud, d’environ 7 cm/an (donnant lieu à 6 cm/an d'accumulation sur la subduction), c’est près de 10 m de déficit de glissement qui s’est accumulé en moyenne dans cette zone.
Un important effort d’instrumentation, combinant réseaux sismologique, géodésique et inclinométrique, a été réalisé dans le cadre des collaborations entre le CNRS-INSU et l’Université du Chili (LIA Montessus de Ballore) et le GFZ Potsdam. Le résultat de ces efforts a permis le déploiement en 2006 du réseau IPOC dans la lacune Nord-Chili, avec plus de 25 sites instrumentés et un système de transmission continue. Par ailleurs, un réseau dense géodésique associant le CNRS-INSU, l’Université du Chili et Caltech a été déployé en coordination avec le réseau IPOC.
En 2007, le séisme de Tocopilla (Mw 7.6) a rompu sur plus de 130 km la partie profonde de la zone couplée le long de la côte. La rupture complexe, caractérisée par deux aspérités, de ce séisme est restée confinée dans la partie profonde et n’a pas rompu toute l’interface de contact, relachant seulement partiellement la déformation accumulée dans cette zone depuis le séisme de 1877. En particulier la zone de contact plus superficielle au large de la côte, vers la fosse est restée probablement chargée. Ce séisme a été particulièrement étudié par les équipes franco-chiliennes, grâce en particulier aux données géodésiques et sismologiques des réseaux d’instrumentation disponibles dans cette zone, et a fourni un éclairage nouveau de la complexité de l’activité sismique dans ce segment de subduction. Une des conclusions importantes de cette étude était une augmentation importante de la probabilité d’évènements de magnitudes 7.5 – 8 le long de ce segment de subduction, qui pourraient préparer cette zone à un futur très grand tremblement de terre.
Depuis le séisme de Tocopilla, l’activité sismique dans ce segment a augmenté, en particulier dans la région d’Iquique qui a été associée à une ou plusieurs aspérités. La géométrie de la zone de contact et les variations spatiales du couplage le long de la zone de contact ont été déterminées grâce à de nombreuses études géodésiques (InSAR/GPS) des équipes franco-chiliennes. En particulier des zones de faibles couplages, où des transitoires de déformations peuvent se produire, et des zones de plus fort couplage le long de la côte et en profondeur ont pu être précisément cartographiées attestant d’une forte hétérogénéité de couplage de l’interface de contact dans ce segment (Figure 3). Enfin des études tectoniques ont permis de mieux préciser les systèmes de failles actives associées à la subduction et à l’orogénèse Andine. La lacune Nord-Chili était donc identifiée comme une région à très haut risque sismique.
La crise sismique de mars-avril 2014 au Nord Chili
Une crise sismique a démarré depuis environ un an dans la lacune Nord-Chili, dans la région d’Iquique. Ces derniers mois ont vu une augmentation importante de cette activité sismique, avec des séismes de magnitudes croissantes. En Mars 2014, plusieurs séismes de magnitudes 6 – 6.7 ont été enregistrés. Cette activité sismique (Figure 4), de type essaim, était caractérisée par une migration vers le Nord, et des profondeurs de l’ordre de 10 – 20 km. Une composante importante de cette activité était associée à des séismes le long de l’interface de contact, mais également à des ruptures de failles plus superficielles.
Le 12 avril 2014, un séisme de magnitude 8.2 (Figure 5a) a rompu l’interface de contact, au large de la côte entre Iquique et Pisagua, sur plus de 130 km. L'épicentre est localisé en bordure sud du segment dit de « Camarones », identifié comme une zone de plus fort couplage. La surface de rupture semble avoir été limitée par les variations de couplage le long de la surface de contact dans cette zone, avec un glissement important vers le sud-est. Le plus gros de cette zone de rupture semble confiné dans une zone relativement profonde, seule une petite partie du glissement semble avoir repris une partie de la surface de contact plus superficielle associée à l’essaim de séisme.
Le 3 Avril 2014, un deuxième événement de magnitude 7.6 (Figure 5b), plus profond a rompu l’interface de contact, près de la côte au sud d’Iquique. Ce deuxième événement semble s’être initié dans une zone proche de la terminaison sud-est de la zone de rupture du séisme de magnitude 8.2. Ces deux évènements attestent de l’hétérogénéité de couplage de la surface de contact de la zone de subduction dans le segment Nord-Chili (Figure 3). L’origine de la migration de l’essaim de séisme qui s’est développé dans une zone de relativement plus faible couplage, et son rôle dans la préparation de ces deux évènements reste encore aujourd’hui à analyser grâce aux nombreuses observations disponibles dans cette zone du fait des efforts d’instrumentation.
Cette crise sismique soulève de nombreuses questions, dans la prolongation de celles qu’avait soulevées le séisme de Tocopilla. Entre autres, quel a été le contrôle de l’activité sismique par le couplage entre déformation transitoire asismique et déformation sismique, et sur l’augmentation du risque sismique dans ce segment ? La quantification et la localisation des transitoires de déformation asismique, de l’activité sismique associée à cet essaim, et de la source des deux grands évènements (Mw 8.2 et 7.6), grâce aux observations locales disponibles, est essentielle et permettra une évaluation exacte de la déformation relâchée au cours de cette crise, et de sa possible évolution.
La remarquable corrélation entre l’essaim sismique, les zones de ruptures associées aux deux grands évènements sismiques et la variation du couplage sur la surface de contact doit être plus précisément quantifiée et souligne la complexité de l’activité sismique dans ce segment de la zone de subduction chilienne.
Enfin, cette crise sismique n’a probablement que très partiellement relâchée la déformation accumulée dans ce segment depuis 1877, et elle doit être analysée à la lumière du séisme de Tocopilla (2007) plus au sud. Les séismes du 1 & 3 Avril 2014 ont chargé les zones au Nord et au Sud : doit-on voir cette crise comme la préparation d’un plus grand tremblement de terre dans le segment nord, ou doit-on anticiper d’autres évènements de ce type le long du segment Nord-Chili ? Il est malheureusement très difficile de répondre de manière scientifique à cette question aujourd’hui.
Un important travail commence aujourd’hui qui devra extraire le maximum d’information à partir de la masse de données sismologiques et géodésiques disponibles grâce aux réseaux d’instrumentation déployés depuis presque dix ans dans cette zone, ainsi que des données fournies par les réseaux télésismiques et l’imagerie spatiale.
Contacts
Jean-Pierre Vilotte, IPGP, directeur du laboratoire international associé CNRS-GFZ, tél : 01 83 95 75 83 - 06 61 82 71 34
Christophe Vigny, CNRS-ENS co-directeur (français) du LIA « Montessus de Ballore », tél : 01 44 32 22 14