À son arrivée à Londres, des membres de la diaspora chilienne, dont beaucoup avaient été victimes des tortures perpétrées sous le régime cruel de l’ancien dictateur, ont voulu saisir cette occasion rêvée et faire en sorte qu’il soit soumis à des investigations, le Chili s’y étant systématiquement refusé.
MANIFESTATION À SANTIAGO DU CHILI. PHOTO MIGUEL CARRASCO |
Jamais auparavant la Convention n’avait permis d’engager des poursuites contre un ancien chef d’État soupçonné d’avoir ordonné ou commis la torture, et les résultats furent surprenants. Un juge espagnol émit un mandat d’arrêt international contre Augusto Pinochet, en vue de le poursuivre en justice pour sa responsabilité dans les meurtres, les actes de torture et les disparitions forcées commises de manière systématique sous son régime.
LA PREMIÈRE VICTOIRE DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
Ce sont les milliers de témoignages de torture émanant du Chili après l’arrivée au pouvoir de Pinochet par la force en 1973 qui avaient inspiré la création de la Convention contre la torture. Vingt-cinq ans plus tard, Pinochet était la première personne à être poursuivie sur la base du principe de compétence universelle inscrit dans ce traité.
Sir Nigel Rodley, avocat britannique et ancien conseiller juridique auprès d’Amnesty International, fut l’une des fondateurs de ce traité d’avant-garde :
« L’affaire Pinochet a donné à beaucoup un sentiment de victoire. C’était un triomphe pour les droits humains. Il est passé du statut de dictateur arrogant qui se croyait invulnérable à celui de prisonnier qui a passé un an en détention à l’étranger. »
L’affaire Pinochet a montré que la Convention contre la torture était un instrument juridique puissant dans le combat pour la justice.
LA PREMIÈRE CAMPAGNE MONDIALE
Dans la lutte contre la torture, 1973 fut une année riche en événements. Le coup d’État de Pinochet au Chili, marqué par les arrestations, les exécutions, la torture et les disparitions forcées, permit de prendre conscience du fait que la torture, loin d’être un démon du passé, appartenait bien au présent. En partie en réponse à ces terribles événements, nous avons lancé la toute première campagne mondiale visant à éradiquer cette pratique cruelle.
Parallèlement, des avocats se rassemblèrent pour trouver des recours juridiques : pour lutter contre la torture, il fallait se doter d’un traité international solide et juridiquement contraignant. La torture était déjà illégale dans de nombreux pays ; en obtenant un consensus international, elle devenait interdite au niveau mondial et constituait un crime relevant du droit international. Autre élément majeur, les États seraient tenus de garantir que tout tortionnaire présumé puisse être jugé dans n’importe quel pays ayant ratifié la Convention.
Le moment semblait parfait. D’intenses négociations s’ensuivirent aux Nations unies à New York et au sein des gouvernements de la planète. Pour Nigel Rodley :
De nombreux pays ont opposé une vive résistance à cette notion mais peu à peu les différents pays se sont laissés convaincre et ont adhéré à cette idée : l’idée fondamentale selon laquelle il ne devait pas y avoir de refuge sûr pour les tortionnaires »
Au terme de longues discussions, le 10 décembre 1984, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
DE PLUS EN PLUS D'ETATS CONDAMNENT LA TORTURE
Selon Nigel Rodley, le traité a désormais un effet dissuasif important : « La Convention est une nouvelle voie pour la justice : les leaders mondiaux responsables de torture y réfléchissent à deux fois avant de se rendre dans un pays où ils risquent d’être arrêtés.»
Le succès de la Convention ne se limite pas aux poursuites. Au fil des ans, un nombre croissant d’États a criminalisé la torture, mis en place des garanties telles que la possibilité de consulter rapidement un avocat et d’entrer en contact avec sa famille à la suite d’une arrestation, interdit la détention au secret et autorisé la venue d’observateurs indépendants dans les prisons.
LE COMBAT CONTINUE
Pourtant, le fait que la torture soit toujours pratiquée dans de nombreuses régions du globe démontre qu’il reste encore beaucoup à faire.
Trente ans après l’entrée en vigueur de la Convention, Amnesty International poursuit sa lutte contre la torture. Malgré les écueils persistants, notre organisation continue de dénoncer les auteurs de ces agissements et les pays où la pratique est monnaie courante, dans le cadre de son action visant à en finir avec la torture.