La requête judiciaire, formulée par le procureur général Rodrigo Janot, devenu l’ennemi juré des responsables politiques en délicatesse avec la loi, fait suite à une enquête lancée, à la mi-mai, pour « corruption passive », « obstruction à la justice » et « participation à une organisation criminelle ». Une procédure déclenchée par la divulgation de vidéos compromettantes et de l’enregistrement d’une étrange conversation tenue le 7 mars vers onze heures du soir entre le chef de l’Etat et un dirigeant d’entreprise véreux, Joesley Batista.
Selon le rapport du procureur, « entre les mois de mars et d’avril 2017, en sa liberté pleine et consciente, le président Michel Miguel Temer Lulia, se prévalant de sa condition de chef du pouvoir exécutif et de leader politique national, a reçu, par l’intermédiaire de Rodrigo Santos da Rocha Loures un bénéfice indu de 500 000 reais [135 000 euros] offerts par Joesley Mendonça Batista ».
Appui d’une partie significative du Congrès
DESSIN |
Pour être suivie d’effet, la demande du procureur doit être avalisée par deux tiers des députés du Congrès. Ce n’est que dans ce cas que la demande de mise en examen provoquerait la suspension immédiate du mandat présidentiel de Michel Temer jusqu’au jugement de la Cour suprême, qui pourrait confirmer ou infirmer les soupçons en provoquant le départ définitif ou le retour en grâce du chef de l’Etat.
À en croire les analystes, en dépit d’un faisceau d’indices accablants, le président a de fortes chances d’échapper à la sanction ultime. « La probabilité qu’il reste est de 70 % », calcule Joao Augusto de Castro Neves, du cabinet d’analyse de risques politiques Eurasia.
Rusé, habitué des tractations en coulisse, Michel Temer bénéficie de l’appui d’une partie significative du Congrès. Selon le site de suivi de l’actualité parlementaire Congresso em Foco, entre 240 et 250 députés lui sont fidèles. Soit bien davantage que les 172 nécessaires pour interrompre le cours de la justice.
Absence d’alternatives
Le cabinet Eurasia souligne encore que, au début de juin, le chef de l’Etat avait déjà échappé à la cassation de son mandat par la justice électorale à la suite de soupçons d’utilisation d’argent de la corruption pour le financement de la campagne présidentielle de 2014, qu’il avait menée conjointement avec Dilma Rousseff du Parti des travailleurs (PT, gauche)
« Le président a perdu toute légitimité. Il laissera au pays une marque infamante, mais le jeu politique lui permet de terminer son mandat », observe, dépité, Pablo Ortellado, professeur de gestion de politiques publiques à l’Université de Sao Paulo, évoquant un « pacte » conclu entre les élites politiques et économiques. Michel Temer, de fait, bénéficie de l’appui des milieux d’affaires qui redoutent de vivre une nouvelle période d’instabilité comparable à l’impeachment de Dilma Rousseff.
« Tous les entrepreneurs préfèrent continuer avec le président Michel Temer. Aujourd’hui la position est celle-ci : il est préférable de continuer et d’assurer la transition, avec le moins de turbulences possibles », a affirmé Robson Andrade, président de la Confédération nationale de l’industrie (CNI) au quotidien Folha de Sao Paulo.
Se vantant d’être capable de sortir le pays du gouffre économique, Michel Temer évoque les réformes structurelles – système de retraites, marché du travail – qu’il promet de mener à bien avant la fin de son mandat en décembre 2018 et souligne l’absence d’alternative. « Il n’y a pas de plan B, il nous faut continuer », a-t-il lancé, lundi.
« Soutenir Temer devient de plus en plus délicat »
Reste une atmosphère qui s’alourdit de jour en jour. Décrit comme « le chef de l’organisation criminelle la plus dangereuse du Brésil » par Joesley Batista, Michel Temer pourrait faire l’objet d’autres demandes de mise en examen déposées par Rodrigo Janot. L’une pour « obstruction à la justice », l’autre pour « participation à une organisation criminelle ». Sans compter de possibles rebondissements de l’opération « Lava Jato » (« lavage express ») cette opération judiciaire tentaculaire qui décime progressivement la vieille élite politique brésilienne de gauche comme de droite, mouillée dans les affaires de pots-de-vin.
« Soutenir Michel Temer devient de plus en plus délicat », pointe Sylvio Costa du site Congresso em Foco. Les élections parlementaires approchent et les députés pourraient redouter que leur appui au président ne se transforme en un « baiser de la mort», leur coûtant leur réélection. Moribond, le chef de l’Etat n’est plus approuvé que par 7 % des Brésiliens, selon un sondage Datafolha publié samedi 24 juin ; 76 % souhaiteraient qu’il démissionne, et 47 % disent avoir honte de leur pays, que certains comparent désormais à une république bananière.