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De l’espoir
« C’est se moquer des survivants des massacres, de toutes les victimes ! », confiait cette semaine Mateo Pablo, un Montréalais ayant survécu aux massacres perpétrés durant la guerre du Guatemala, qui a fait environ 200 000 morts de 1960 à 1996. Mateo a été directement touché par un des épisodes les plus sanglants de ces affrontements, commis sous la gouverne de Montt : le 14 juillet 1982, il a perdu sa femme, ses enfants, ses parents et ses amis dans la tuerie toujours impunie perpétrée au hameau maya de Petanac.
« Mais attendez, il y a de l’espoir », nous dit tout de suite le directeur général d’Avocats sans frontières Canada (ASFC), Me Pascal Paradis. « Il faut d’abord se souvenir que c’est le premier procès pour génocide à se tenir devant un tribunal national. C’est historique. Le Guatemala sera un exemple pour d’autres pays ; la justice est en marche. » Le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a cependant manifesté sa « grande préoccupation » cette semaine devant la suspension du procès.
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JOSÉ MAURICIO RODRÍGUEZ SANCHEZ, RESPONSABLE DES RENSEIGNEMENTS MILITAIRE, ÉCOUTE LA DÉCISION DU JUGE. PHOTO PLAZA PUBLICA |
« On ne peut pas remettre en question tout un système politique, un régime militaire, parler de la politique de terre brûlée, à son paroxysme sous le régime Montt, et régler la question à vitesse grand V», insiste Me Paradis. Certains cyniques prédisaient que l’immunité parlementaire ne tomberait jamais pour cet ex-président ; pourtant, ASFC et les parties civiles guatémaltèques sont arrivés à la faire tomber le 14 janvier 2012.
Pourquoi les nouvelles qui nous parviennent sont-elles donc aussi pessimistes ? « La classe politique guatémaltèque est l’une des plus réactionnaires au monde. Ce sont même des diplomates canadiens qui me l’ont confié. Ils sont en lutte politique constante pour conserver leurs acquis », soutient Nancy Thede, professeure de développement international et de relations internationales à l’UQAM.
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DE NOMBREUSES VOIX ONT RÉAGI FACE À LA RÉSOLUTION D’ANNULER LE PROCÈS. LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU PAYS, CLAUDIA PAZ Y PAZ, A DÉNONCÉ LE FAIT QUE LA JUGE FLORES N’AVAIT PAS RESPECTÉ LES LIMITES DU MANDAT QUE LA COUR CONSTITUTIONNELLE LUI AVAIT DONNÉ ET QU’IL S’AGISSAIT D’UNE MAUVAISE INTERPRÉTATION DE SA PART. PHOTO VICTOR J. BLEU POUR LE NEW YORK TIMES |
Elle reconnaît avoir mis beaucoup trop d’espoir dans la Commission pour l’éclaircissement historique pour demeurer optimiste par rapport à la suspension du procès de Montt. Lui reviennent notamment en tête nombre d’assassinats perpétrés à la suite de la parution du rapport de la Commission, intitulé Guatemala : mémoire du silence, en février 1999. Nancy Thede pense que ce procès de Rios Montt ne prend son sens qu’en comprenant le jeu politique contemporain en trame de fond.
D’ailleurs, Dominic Voisard, sur le site Internet d’ASFC, cite un des derniers témoins au procès de Montt, Hugo Ramiro Leonardo Reyes, qui incrimine dans sa déclaration l’actuel président du Guatemala, Otto Pérez Molina. Mme Thede estime que les obstacles, déjà nombreux depuis le début du procès, ont pu se multiplier depuis lors. Molina, général du cadrede réserve dans la région de Nebaj, au Quiché, durant la guerre civile, maintient qu’« il n’y a pas eu de génocide au Guatemala ». « Personnellement, dit-il, je n’ai jamais reçu l’ordre d’aller massacrer une population. »
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UNE DU PUBLIREPORTAGE DE 20 PAGES DE LA « FONDATION CONTRE LE TERRORISME », QUI A PARU DANS EL PERIODICO LE 21 AVRIL DERNIER. INTITULÉ LA FARCE DU GÉNOCIDE AU GUATEMALA : CONSPIRATION MARXISTE DEPUIS L’ÉGLISE CATHOLIQUE, LE DOCUMENT A ASSURÉMENT DES RELENTS DE LA GUERRE FROIDE. |
Certains stratèges de l’ancienne et toujours puissante classe politique et militaire multiplient cependant les actions ces derniers jours. La coordonnatrice du Projet accompagnement Québec-Guatemala (PAQG), Marie-Dominik Langlois, porte à notre attention le publireportage de 20 pages de la « Fondation contre le terrorisme », qui a paru dans El Periodico le 21 avril dernier. Intitulé La farce du génocide au Guatemala : conspiration marxiste depuis l’Église catholique, le document a assurément des relents de la guerre froide.
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L'ANCIEN DICTATEUR, LE GÉNÉRAL EFRAÍN RÍOS MONTT, S'APPRÊTE À ÊTRE JUGÉ POUR LES MASSACRES AU COURS DE SON RÈGNE EN 1982-83. PHOTO VICTOR J. BLEU PUBLIÉ LE 17 MARS, 2013 DANS LE NEW YORK TIMES |
Alarmant
Selon le coordonnateur du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société de l’Université du Québec à Montréal, Étienne Roy Grégoire, la suspension du procès est alarmante. «L’âge des témoins, l’âge des accusés, les victimes de violences sexuelles atroces qui auraient à témoigner à nouveau, tout ça exige une rapide fermeture de boucle juridique. » Nancy Thede abonde dans ce sens : « La suspension accroît inéluctablement la vulnérabilité des victimes qui viennent témoigner. » Elle menace aussi d’en faire d’autres. « On note dans les journaux des appels à peine dissimulés à l’attentat contre ceux qui participent au processus juridique », mentionne M. Roy Grégoire, qui a accompagné les victimes ixiles dans le début du dépôt de la plainte contre M. Montt il y a dix ans.
La suspension du procès de Ríos Montt est actuellement contestée, et les procureurs estiment pouvoir casser cette décision d’ici quelques jours. «Tout ce que j’espère, c’est qu’il ne devienne pas le deuxième Pinochet de l’Amérique latine », laisse tomber Marie-Dominik Langlois. Cette dernière était au Chili en 2006 quand l’ancien dictateur est mort à Santiago, le 10 décembre, Journée internationale des droits de l’homme.
« Je souhaite vraiment que Montt soit condamné, dit aussi Mateo Pablo. On ne peut pas acheter cette souffrance que j’ai, ce que les gens de mon pays ont vécu. Tout l’argent du monde ne pourrait pas racheter toutes ces vies perdues. C’est la justice que j’exige. » Pour Nelly Marcoux, du PAQG, qui était présente à l’ouverture du procès le 19 mars et qui accompagne depuis dix ans des victimes de la guerre civile, « la justice, pour les Mayas, c’est aussi avoir le droit de vivre leur culture […] La plupart veulent tout simplement savoir où et pourquoi mettre une chandelle pour les disparus. »
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Ríos Montt
7 mars 1982: prise de pouvoir par un coup d’État.
Il met en place les Patrouilles d’autodéfense civile composées de miliciens recrutés de force par l’armée et ayant comme objectif d’éradiquer la guérilla.
Août 1983: Montt est à son tour renversé lors d’un coup d’État.
Député de 1990 à 2004, il est élu en 1994 président de la chambre unicamérale.
1999: la Prix Nobel de la paix Rigoberta Menchú et d’autres militants portent plainte contre lui.
2000: Ríos Montt devient président du Congrès.
2003: candidature à la présidentielle.
26 janvier 2012: audience préliminaire devant une cour de justice du Guatemala pour répondre des accusations de génocide et de violations des droits de la personne portées contre lui. Ríos Montt est assigné à résidence.