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L'ÉTAT D'URGENCE FUT DÉCLARÉ DANS LA RÉGION DE COQUIMBO, OÙ 70.000 FOYERS ONT ÉTÉ PRIVÉS D'ÉLECTRICITÉ. |
Elle ne peut oublier le tragique séisme du 22 mai 1960, de magnitude 9,5 – le plus puissant enregistré dans le monde –, qui avait ébranlé le sud du Chili, où elle vivait à l’époque, faisant plus de 5 000 morts. Elle avait alors 10 ans. Aujourd’hui, elle craint que la recrudescence de secousses, dans ce pays le plus sismique au monde, ne soit un signe annonciateur d’un nouveau cataclysme de grande ampleur, un « big one », comme les Américains désignent le tremblement de terre dévastateur qui devrait toucher la côte californienne dans les prochaines années.
« Cela a été la plus grande peur de ma vie », raconte Rodrigo Veliz, pêcheur artisanal à Coquimbo, à 400 km au nord de Santiago. Située près de l’épicentre, la ville portuaire a été dévastée. Le chalutier de 100 tonnes à bord duquel Rodrigo était sorti en mer a été projeté sur l’avenue côtière, par des vagues de plus de 4 mètres. La carcasse a échoué entre des palmiers, coque et mât brisés. Rodrigo est sain et sauf, mais il n’a plus de travail. A 45 ans, la pêche est son unique gagne-pain.
Un peu plus loin, dans l’odeur nauséabonde d’algues et de poissons pourris, des centaines de soldats nettoient les décombres des précaires baraques en bois ou en terre qui se sont écroulées. Pataugeant dans la boue, plusieurs familles constatent avoir « tout perdu ». Elles fouillent désespérément dans un enchevêtrement de meubles brisés et de câbles électriques, à la recherche d’un improbable souvenir. Brandissant un drapeau chilien, José Manuel marche sans but, suivi de chiens errants. Il ne s’explique toujours pas pourquoi sa ville, Coquimbo, porte un nom qui vient du quechua et signifie « eaux tranquilles ».
Le tremblement de terre, suivi d’un tsunami, a été le plus puissant enregistré dans le monde depuis le début de l’année. Pourtant, le Chili peut se targuer d’un bilan humain et matériel limité. Les dégâts concernent essentiellement des constructions légères, comme à Coquimbo.
Évacuation rapide d’un million de personnes
« Si le Chili s’en est bien sorti cette fois-ci, c’est qu’il a tiré les leçons de l’histoire, estime Sergio Barrientos, le directeur du Centre sismologique national. L’impact du tremblement de terre du 27 février 2010, de magnitude 8,8, qui avait touché directement plus de 70 % de la population, a contribué à une prise de conscience qui, je crois, n’aurait pas été possible autrement. » Il y a cinq ans, à la suite d’une série d’ordres contradictoires des autorités, les habitants des zones côtières étaient restés chez eux ou avaient regagné leur maison après que l’alerte au raz de marée eut été levée. Mais un tsunami s’était finalement produit, tuant plus de 500 personnes et provoquant 27 milliards d’euros de dégâts.
Cette fois-ci, les protocoles ont fonctionné. Quelques minutes seulement après le séisme, la marine a lancé une alerte au tsunami, et envoyé des SMS aux habitants et aux médias, facilitant l’évacuation rapide d’un million de personnes.
Les yeux rivés sur des écrans géants qui montrent les régions les plus critiques, M. Barrientos signale, en bordure de la côte, la zone de contact entre la plaque tectonique de Nazca et la plaque sud-américaine, la première plongeant sous la seconde, dans un mouvement de subduction, qui provoque tous les dix ans, en moyenne, de forts tremblements de terre au Chili. « Grâce à des satellites de plus en plus performants, nous pouvons analyser des images, de grande qualité, des séismes récents », détaille ce docteur en sismologie de l’université américaine de Californie, qui souligne l’importance «des échanges d’informations, en temps réel, avec d’autres centres sismologiques dans le monde ». Une centaine de coûteuses stations sismologiques ont également été installées sur l’ensemble du territoire, « capables de détecter tout déplacement tellurique inquiétant, et donc de réagir rapidement ».
LE MODÈLE ULTRALIBÉRAL MIS EN PLACE PAR LA DICTATURE MILITAIRE (1973-1990) A DÉBOUCHÉ SUR UNE « URBANISATION SAUVAGE, ENTIÈREMENT LIVRÉE AU SECTEUR PRIVÉ, AVIDE DE GAINS RAPIDES »
Au siège du Collège d’architectes du Chili, son président, Sebastian Gray, rappelle « qu’il y a eu tellement de tremblements de terre dévastateurs que chaque génération de Chiliens a vécu au moins un séisme dans sa vie ». Il estime, lui aussi, « que ces douloureuses expériences ont eu, paradoxalement, un impact positif dans la conscience collective : il est impensable aujourd’hui que l’on construise, tout au moins dans les zones urbaines, sans respecter les normes parasismiques édictées dans les années 1960, et qui ont été rigoureusement renforcées à partir de 2010 ». « Nous avons dû concevoir des infrastructures et des immeubles qui supportent les secousses, avec l’utilisation du béton armé et de l’acier, suffisamment flexible et résistant, pour éviter que l’édifice s’effondre », détaille l’architecte.
Si des dégâts majeurs sont évités grâce à une architecture résistante d’avant-garde, M. Gray déplore des faiblesses en matière de planification territoriale. Il donne en exemple les villes côtières où l’on a construit près de la mer, sans tenir compte de la menace des tsunamis. Il attribue ces lacunes au modèle ultralibéral mis en place par la dictature militaire (1973-1990), qui a débouché sur une «urbanisation sauvage, entièrement livrée au secteur privé, avide de gains rapides ». Depuis 2011, sous la présidence de la socialiste Michèle Bachelet, l’Etat tente de reprendre en main les plans d’urbanisation avec la création d’un Conseil de développement urbain et une plus grande participation des citoyens.
Pour apprendre à coexister avec les catastrophes naturelles, des simulations d’évacuation sont aussi fréquemment organisées dans les écoles par le Bureau national des urgences du ministère de l’intérieur (Onemi). Des centaines d’enfants et d’adolescents visitent, chaque jour, le Musée interactif Mirador, inauguré en 2000. La grande attraction consiste en une maison où sont reproduites les conditions d’un séisme, incluant grondements de la terre, fortes secousses et coupures d’électricité. «Un jeu super ! », déclare en sortant Nicolas, 5 ans.