«Qu’il nous fasse gagner un congé supplémentaire !» C’est par cette boutade que bien des Cubains de la rue résument ce qu’ils attendent de cette troisième visite pontificale, se souvenant des journées de Noël et du Vendredi saint qui avaient été attribuées par le régime castriste, respectivement après la visite de Jean-Paul II en janvier 1998 et celle de Benoît XVI en mars 2012.
D’autres, plus nombreux, disent vouloir exprimer leur reconnaissance au pape argentin, lui qui, selon les propres mots du président Raul Castro lors de sa visite au Vatican le 10 mai 2015, « a tant fait pour aider à résoudre les problèmes entre les États-Unis et Cuba ». D’autres, plus discrètement, confient qu’ils souhaitent que le pape vienne « consoler le peuple cubain » après tant de souffrances et de désillusions.
LA SITUATION ÉCONOMIQUE RESTE DIFFICILE
La « miséricorde », chère au pape François, pourrait bien être au cœur de ce voyage, six mois après la déclaration commune du 17 décembre 2014 d’un rapprochement historique entre les deux pays, alors que leurs relations diplomatiques étaient rompues depuis 1961.
En ce sens, la visite du pape vient s’ajouter à d’autres, de différents niveaux, qui se succèdent dans l’île depuis six mois : outre le président turc Recep Erdogan (en février) et François Hollande (en mai), ainsi que divers ministres des affaires étrangères de Norvège, d’Italie, de Russie, du Japon ou des Pays-Bas, de nombreuses délégations d’entreprises nord-américaines, européennes et asiatiques viennent négocier des accords commerciaux.
La situation économique de l’île reste en effet très
difficile, beaucoup considérant ici que la « période spéciale » n’est toujours pas terminée (1) et qu’elle s’est même aggravée depuis dix-huit mois avec la crise vénézuelienne. « Les coupures d’électricité et les pénuries d’approvisionnement sont fréquentes », soupire Hal Klepak, historien canadien vivant à La Havane. 60 % de l’économie cubaine, notamment le tourisme et les exportations de rhum, tabac et nickel, sont détenus par les forces armées. »
RÉFORMES ANNONCÉES PAR LE 6E CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE
Dans cette île où le salaire mensuel moyen dans la fonction publique est de 584 pesos cubanos (19 €) et où la majorité de la population, qui n’a pas accès aux pesos convertibles (CUC), ne peut se nourrir que grâce à des coupons alimentaires, de plus en plus de Cubains cherchent à lancer leur cuentapropista (micro-entreprise à compte propre). En profitant notamment de l’essor du tourisme et des investissements étrangers dans la zone spéciale de développement de Mariel, le mégaport à 45 km de La Havane, fruit d’une collaboration avec le Brésil. Ces 504 600 cuentapropistas – 10 % de la population active seulement – sont le signe le plus visible des réformes entreprises par Raul Castro depuis qu’il a succédé à son frère en 2006.
D’autres réformes, annoncées lors du 6ème congrès du Parti communiste (PCC) en 2011, devraient transformer progressivement le modèle cubain, qu’il s’agisse de diversifier les moyens de production et de propriété, ou de décentraliser le pouvoir en accordant plus de responsabilités aux gouvernements locaux, ou encore de faciliter l’accès au crédit. « Grâce à des emprunts garantis par l’État, des jeunes néoruraux sont encouragés à racheter des terres, ce qui a permis de redistribuer déjà 1,5 million d’hectares », précise Jérôme Faure, directeur à Cuba de l’ONG Oxfam. Autant de réformes et de mesures qui seront évaluées lors du prochain congrès du PCC, en avril 2016, et qui devraient être mises en place d’ici à 2018, date officielle de fin du mandat pour Raul Castro.
CONTRÔLE TOUJOURS AUSSI STRICT
Pour autant, les Cubains ne se font guère d’illusions quant à la volonté de réel changement politique. Le contrôle de la société civile est toujours aussi strict, notamment par le biais des Comités de défense de la révolution, et la présence policière aurait même augmenté ces derniers mois. « On peut dire qu’il y a zéro démocratie à Cuba, même s’il y a aujourd’hui une volonté manifeste du régime castriste de montrer une image fréquentable au monde. La visite du pape François s’inscrit dans cet embellissement de vitrine », estime un prêtre français, à Cuba depuis de longues années.
« L’île pourrait évoluer vers un capitalisme dictatorial d’État, sur le modèle du Vietnam et de la Chine », estime un autre observateur occidental à Cuba. Il est certain en tout cas qu’ici, où moins de 3 % des habitants ont accès à Internet, le pape est attendu sur la question de la liberté.
YVES KERIHUEL, à LA HAVANE
(1) Après la chute du Mur en 1989, Cuba, qui réalisait près de 80 % de son commerce extérieur avec le bloc de l’Est, a dû faire face à une chute brutale de ses exportations et importations.
D’autres, plus nombreux, disent vouloir exprimer leur reconnaissance au pape argentin, lui qui, selon les propres mots du président Raul Castro lors de sa visite au Vatican le 10 mai 2015, « a tant fait pour aider à résoudre les problèmes entre les États-Unis et Cuba ». D’autres, plus discrètement, confient qu’ils souhaitent que le pape vienne « consoler le peuple cubain » après tant de souffrances et de désillusions.
LA SITUATION ÉCONOMIQUE RESTE DIFFICILE
La « miséricorde », chère au pape François, pourrait bien être au cœur de ce voyage, six mois après la déclaration commune du 17 décembre 2014 d’un rapprochement historique entre les deux pays, alors que leurs relations diplomatiques étaient rompues depuis 1961.
En ce sens, la visite du pape vient s’ajouter à d’autres, de différents niveaux, qui se succèdent dans l’île depuis six mois : outre le président turc Recep Erdogan (en février) et François Hollande (en mai), ainsi que divers ministres des affaires étrangères de Norvège, d’Italie, de Russie, du Japon ou des Pays-Bas, de nombreuses délégations d’entreprises nord-américaines, européennes et asiatiques viennent négocier des accords commerciaux.
La situation économique de l’île reste en effet très
HAL KLEPAK |
RÉFORMES ANNONCÉES PAR LE 6E CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE
Dans cette île où le salaire mensuel moyen dans la fonction publique est de 584 pesos cubanos (19 €) et où la majorité de la population, qui n’a pas accès aux pesos convertibles (CUC), ne peut se nourrir que grâce à des coupons alimentaires, de plus en plus de Cubains cherchent à lancer leur cuentapropista (micro-entreprise à compte propre). En profitant notamment de l’essor du tourisme et des investissements étrangers dans la zone spéciale de développement de Mariel, le mégaport à 45 km de La Havane, fruit d’une collaboration avec le Brésil. Ces 504 600 cuentapropistas – 10 % de la population active seulement – sont le signe le plus visible des réformes entreprises par Raul Castro depuis qu’il a succédé à son frère en 2006.
D’autres réformes, annoncées lors du 6ème congrès du Parti communiste (PCC) en 2011, devraient transformer progressivement le modèle cubain, qu’il s’agisse de diversifier les moyens de production et de propriété, ou de décentraliser le pouvoir en accordant plus de responsabilités aux gouvernements locaux, ou encore de faciliter l’accès au crédit. « Grâce à des emprunts garantis par l’État, des jeunes néoruraux sont encouragés à racheter des terres, ce qui a permis de redistribuer déjà 1,5 million d’hectares », précise Jérôme Faure, directeur à Cuba de l’ONG Oxfam. Autant de réformes et de mesures qui seront évaluées lors du prochain congrès du PCC, en avril 2016, et qui devraient être mises en place d’ici à 2018, date officielle de fin du mandat pour Raul Castro.
CONTRÔLE TOUJOURS AUSSI STRICT
Pour autant, les Cubains ne se font guère d’illusions quant à la volonté de réel changement politique. Le contrôle de la société civile est toujours aussi strict, notamment par le biais des Comités de défense de la révolution, et la présence policière aurait même augmenté ces derniers mois. « On peut dire qu’il y a zéro démocratie à Cuba, même s’il y a aujourd’hui une volonté manifeste du régime castriste de montrer une image fréquentable au monde. La visite du pape François s’inscrit dans cet embellissement de vitrine », estime un prêtre français, à Cuba depuis de longues années.
« L’île pourrait évoluer vers un capitalisme dictatorial d’État, sur le modèle du Vietnam et de la Chine », estime un autre observateur occidental à Cuba. Il est certain en tout cas qu’ici, où moins de 3 % des habitants ont accès à Internet, le pape est attendu sur la question de la liberté.
YVES KERIHUEL, à LA HAVANE
(1) Après la chute du Mur en 1989, Cuba, qui réalisait près de 80 % de son commerce extérieur avec le bloc de l’Est, a dû faire face à une chute brutale de ses exportations et importations.